Le
regard de Bouréima Ouédraogo[*]
Bouréima Ouédraogo |
Les Burkinabè, notamment les jeunes,
font montre d’une extraordinaire sérénité malgré les épreuves terribles que
leur imposent les forces du mal. D’aucuns avaient cru que les attaques
terroristes barbares du 15 janvier ainsi que les incendies criminels et les
attaques de la poudrière de Yimdi allaient ébranler cette sérénité et faire
plier ce peuple résistant. Eprouvé et même ébranlé, le peuple burkinabè l’a été
ces derniers mois. Mais à chaque fois, il a eu la force et la dignité de
relever la tête. L’espoir du renouveau est très fort chez ces milliers, voire
des millions de jeunes à travers le territoire national, désormais débout pour
exprimer leur soif du renouveau politique et économique, leur revendication non
négociable de lendemains plus sereins et prometteurs. Ceux qui croient
compliquer la tâche aux nouvelles autorités en rendant le pays ingouvernable
risquent de produire l’effet inverse. Car, ils risquent fort de créer les
conditions pour une mobilisation patriotique autour des autorités pour faire
face aux agressions contre le Burkina Faso. Toutefois, ce nationalisme apparent
ne doit pas étouffer les défis du renouveau.
L’insurrection
populaire des 30 et 31 octobre 2014 a ravivé le côté rebelle qui sommeillait
dans la conscience collective du peuple burkinabè. Cette insurrection et la
résistance au coup d’Etat de Gilbert Diendéré et des éléments de l’ex-Régiment
de sécurité présidentielle (RSP) ne sont donc pas des faits inédits pour les
Burkinabè. C’est un juste retour du courage et de la droiture qui caractérisent
ce peuple et qui ont façonné son histoire depuis l’époque précoloniale à nos
jours. Depuis l’insurrection populaire donc, le peuple burkinabè s’est
réconcilié avec son histoire et a retrouvé son âme de combattant. Et depuis,
chaque événement majeur devient une occasion de démontrer sa volonté de vivre
libre, digne et en paix avec tous les autres peuples du monde mais tout en
restant ferme sur ses principes. C’est une dynamique sociopolitique qui peut
être difficilement remise en cause, du moins, pas dans l’immédiat. C’est ce qui
explique la résistance populaire face au putsch de septembre. C’est ce qui
explique cette communion dans la douleur et cette révolte collective contre la
barbarie du 15 janvier qui, loin d’avoir ébranlé la dynamique sociopolitique, a
réussi à remettre le peuple débout et uni pour dire d’une seule et même voix
non au terrorisme. C’est ce qui explique aussi le rejet massif de l’attaque de
la poudrière de Yimdi, surtout la collaboration avec les forces de défense et de
sécurité pour mettre hors d’état de nuire les débris militaires du système
Compaoré. En somme, le peuple burkinabè est depuis bientôt 2 ans dans une
dynamique de refus de l’arbitraire et de l’imposture. Ce peuple qui a longtemps
subi la confiscation de l’Etat et son patrimoine par une poignée d’insatiables
a pris conscience de sa force. Un peuple débout est un peuple invincible, comme
nous l’avons toujours écrit.
Réactiver
urgemment tous les dispositifs de sécurité et de défense nationale
Certains
acteurs politiques, notamment les tenants actuels du pouvoir d’Etat, semblent
l’avoir compris très vite. Depuis deux ans, ils surfent sur cette vague de
révolte populaire. En effet, depuis leur démission du Congrès pour la
démocratie et le progrès (CDP) et même avant, ils se sont adossés à la colère
du peuple contre le système décadent et patrimonial des Compaoré. C’est
d’ailleurs la motivation officielle de leur divorce d’avec Blaise Compaoré. Ils
en ont fait la base de leurs discours et actions politiques. Avec un savant
dosage d’un peu de courage et d’audace politiques, d’humilité et
d’opportunisme, ils ont su intégrer une révolte populaire qui les avait
pourtant dans le viseur. Les autres n’ont rien vu venir. Le reste, c’est un
boulevard vers Kosyam. Ils sont donc venus amplifier une colère qui s’est
transformée en un tsunami et qui a balayé leur ancien mentor. Une fois de plus,
les autres n’ont toujours rien vu venir. La suite, on la connaît : ce fut
une course d’obstacles pour parvenir à la victoire du 29 octobre. Depuis, les
analystes attendent, avec beaucoup de scepticisme, de voir comment l’on peut
construire du neuf avec du vieux. Mais tel est le choix du peuple électeur. Il
appartient donc aux vieux briscards de montrer que l’on peut gouverner
autrement que par la terreur, la corruption, la concussion, le crime et parfois
la méchanceté gratuite. En fins politiques, ils continuent de s’appuyer sur la
dynamique sociopolitique de l’insurrection. C’est leur référence principale
dans le discours politique. Cette dynamique est anti-corruption ; alors
ils promettent une lutte acharnée contre ce fléau et la transparence absolue
dans la conduite de l’action publique. La dynamique de l’insurrection, c’est
aussi un refus de la gabegie et des abus de biens publics ; ils promettent
de réduire le train de vie de l’Etat et des institutions, à commencer par le
Parlement dont les nouveaux membres ont consenti une baisse de 19% de leurs
émoluments. A cela s’ajoute la réduction du nombre des membres du gouvernement.
Pendant
que l’attelage se mettait progressivement en place, avec beaucoup de
tâtonnements qui commençaient à faire douter bien des Burkinabè sur
l’opérationnalité du changement, des barbares sont venus changer les priorités
avec les attentats terroristes du 15 janvier dernier. Les Burkinabè vont devoir
ronger leur frein en matière d’amélioration de leurs conditions de vie et de
relance de l’économie nationale. La donne sécuritaire s’est imposée désormais
comme la priorité N°1. En effet, comme si les attaques terroristes du 15
janvier à Ouagadougou, à Tin Abao et à Djibo ne suffisaient pas, des éléments
de l’ex-RSP font encore parler la poudre en attaquant la poudrière de Yimdi
(sortie ouest de Ouagadougou). D’autres criminels non encore identifiés se
livrent à des incendies de marchés. En l’espace d’une semaine, ces événements
ont provoqué la psychose, surtout dans les grands centres urbains, notamment
Ouagadougou. Face à cette situation, le peuple s’est remobilisé pour rappeler à
ceux qui ne l’ont pas encore compris qu’il reste encore dans sa dynamique et
sait taire les divergences quand la nation est menacée. Et voilà Roch Marc
Christian Kaboré en combattant en chef, qui invite son peuple à rester débout
et serein face à ces épreuves que les forces du mal veulent imposer à ce pays.
Contrairement donc à ce que croyaient ces forces du mal, les agressions du pays
ne feront que renforcer la légitimité du nouveau pouvoir. L’histoire récente de
la Côte d’Ivoire voisine nous enseigne éloquemment que la meilleure façon de
renforcer les assises d’un pouvoir fragile c’est de déstabiliser le pays. En
effet, la rébellion de Guillaume Soro et compagnie a surtout réussi à offrir à
Laurent Gbagbo, un mandat supplémentaire de 5 ans sans élection. Et la suite,
on la connaît. La Côte d’Ivoire peine encore à retrouver ses marques. Au fond,
ils ont fait plus de mal à la Côte d’Ivoire qu’à Laurent Gbagbo. A la limite,
les actions terroristes et ces tentatives de déstabilisation peuvent rendre le
pays ingouvernable et freiner la relance démocratique et économique.
Du reste,
depuis le 15 janvier, bien des observateurs ne se font plus d’illusion, le
Burkina est dans l’œil du cyclone. Quand ces actes terroristes commencent dans
un pays, la probabilité est forte qu’il y ait d’autres tentatives. D’où l’urgence
pour le gouvernement d’activer tous les dispositifs de sécurité, des
renseignements aux ressources humaines en passant par la logistique et la
coopération internationale. Il sait qu’il peut compter sur l’unité et le
soutien du peuple. La pauvreté du pays ne peut plus être un argument contre la
mobilisation des ressources humaines, logistiques et financières à la hauteur
des défis sécuritaires du moment. Le défi est aussi d’ordre organisationnel,
notamment au niveau de la haute hiérarchie militaire qui depuis les mutineries
de 2011, montre des signes inquiétants de bureaucratisation et
d’embourgeoisement mais surtout de rupture avec la troupe. Le président du Faso
est vivement attendu à ce niveau. Il faut un peu plus d’audace et de courage
pour réorganiser les forces de défense et de sécurité en tenant compte de la
nouvelle donne sécuritaire. La commission mise en place par la Transition et
qui poursuit ses travaux de réflexions pour proposer une réforme en profondeur
de l’armée doit s’activer et aller plus vite, au regard des exigences du
contexte actuel.
Eviter
à tout prix l’unanimisme étouffant
Cependant,
ce contexte ne doit nullement imposer au Burkina Faso, une vie publique
d’austérité et du tout sécuritaire. Il ne décharge en rien le Président Kaboré
et son gouvernement de leur devoir de réaliser les promesses faites aux
Burkinabè. Ils ne pourront pas continuer à surfer sur la dynamique
insurrectionnelle sans apporter des réponses à la crainte de lendemains
incertains qui hante la grande majorité de la jeunesse. Et ce n’est pas dans le
discours que l’on trouvera des réponses. Il faut des actes concrets. Jusque-là,
ce sont des déclarations d’intention. C’est vrai que le Président Kaboré ne
semble pas être un homme particulièrement pressé avec des mesures choc. A ce
que l’on dit, ce n’est pas un partisan de la politique spectacle. Mais, il y a
urgence à agir, ne serait-ce que pour rassurer ses compatriotes. Les ministres
doivent rapidement prendre des mesures urgentes dans leurs départements respectifs
pour remettre le pays en ordre de marche. L’on attend avec impatience de voir
la marque du Premier ministre Paul Kaba Thiéba. C’est peut-être trop tôt. Mais
il se montre un peu trop timide dans un contexte qui exige la pro-activité.
Dans tous
les cas, il ne faut pas se faire trop d’illusion en croyant que maintenant que
le pouvoir est installé, tout va changer par le seul fait du prince. Car, au
risque de conduire à un unanimisme inopérant et étouffant, toute cette énergie,
cet élan patriotique et ces mobilisations citoyennes doivent être réinvestis
dans la gouvernance de la société. En effet, en même temps qu’il faut faire
échec aux plans diaboliques des forces du mal ainsi qu’aux rêves des
nostalgiques d’un passé à jamais révolu, il faut que toutes ces mobilisations
spontanées ou coordonnées se convertissent en attitudes et comportements
républicains au quotidien et à tous les niveaux de la vie publique : du
sommet à la base. Chaque citoyen, quelle que soit la position qu’il occupe, est
responsable de la gestion du bien commun et doit assumer.
En cela,
l’opposition politique et toutes les organisations de la société civile qui ont
porté l’insurrection populaire doivent rester, aux côtés des autres forces
sociales et politiques, des sentinelles vigilantes pour une gouvernance qui
réconcilie l’Etat avec la société, les gouvernants avec les gouvernés. Les
subjectivismes, le clanisme et les attitudes partisanes ne devraient pas
compromettre les fortes aspirations au changement. Le fait d’être militant de la
nouvelle coalition au pouvoir ne doit nullement être un frein à l’exigence de
transparence et d’efficacité de l’action publique. Le changement c’est certes
une alternative nouvelle à la tête de l’Etat et de ses institutions, mais c’est
aussi et surtout de nouvelles dynamiques citoyennes fortes, essentiellement
orientées autour des valeurs et principes d’équité, de transparence, de
justice, d’efficacité de l’action publique, bref, de la bonne gouvernance. Le
devoir de chaque Burkinabè est de s’engager dans cette quête collective du
bien-être dans la solidarité et l’unité. Comme nous l’avons écrit dans notre
édition N°180 du 15 décembre 2015, « tout le monde parle de changement.
Mais de quel changement s’agit-il ? D’abord, le changement doit reposer
sur un minimum d’honnêteté. Pour y parvenir, il faut que tous ces chantres du
changement commencent par outrepasser leurs attitudes narcissiques qui
voudraient qu’il n’y ait de changement que par eux ou sur la base de leurs
convictions. Quels que soient la volonté et les efforts du nouveau pouvoir, il
buttera à la mauvaise foi de certains. » Le changement ce n’est donc pas
seulement au sommet de l’Etat, c’est chez chaque citoyen, dans chaque famille,
chaque service, chaque entreprise, chaque association, etc. C’est surtout avoir
le sens de la responsabilité individuelle, du devoir et aussi de la solidarité
face aux enjeux majeurs auxquels fait face la nation. C’est le respect des
principes éthiques et moraux du bien public, des textes et lois de la
République. C’est donc le droit de revendiquer mais aussi le devoir de
respecter ses obligations. Il faut sortir donc de cette logique qui voudrait
que ce soient les autres, notamment les autorités, qui doivent changer leur
approche du bien commun. Une telle perspective n’a aucune chance d’être
productive si les citoyens continuent de vouloir individuellement abuser de
leur position pour servir les intérêts personnels ou de groupe. Il faut donc
bannir les égoïsmes, la tentation à la facilité, à la fraude, à l’appropriation
privée du bien commun.
En tous
les cas, la construction du Burkina nouveau passe forcément par l’avènement de
nouveau type de Burkinabè plus soucieux et respectueux des valeurs et principes
républicains. La promptitude à répondre aux mots d’ordre de manifestations de
protestations ou de rassemblements autour de la patrie ne suffit pas. Il faut
que chacun accepte de changer son rapport à la société. Sur ce terrain-là, le
gouvernement Thiéba va devoir user à la fois de la carotte et du bâton pour
remettre tout le monde au travail. Car, bien des mauvaises pratiques ont été
érigées au cours de ces 28 dernières années en règles dans l’administration
publique et même dans le privé.
Titre original : « Burkina nouveau d’accord, mais Burkinabè nouveaux
d’abord ! »
Source :
16 février 2016
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