dimanche 21 février 2016

Le Burkina et les Burkinabè …après Blaise Compaoré.

Le regard de Bouréima Ouédraogo[*]

Bouréima Ouédraogo
Les Burkinabè, notamment les jeunes, font montre d’une extraordinaire sérénité malgré les épreuves terribles que leur imposent les forces du mal. D’aucuns avaient cru que les attaques terroristes barbares du 15 janvier ainsi que les incendies criminels et les attaques de la poudrière de Yimdi allaient ébranler cette sérénité et faire plier ce peuple résistant. Eprouvé et même ébranlé, le peuple burkinabè l’a été ces derniers mois. Mais à chaque fois, il a eu la force et la dignité de relever la tête. L’espoir du renouveau est très fort chez ces milliers, voire des millions de jeunes à travers le territoire national, désormais débout pour exprimer leur soif du renouveau politique et économique, leur revendication non négociable de lendemains plus sereins et prometteurs. Ceux qui croient compliquer la tâche aux nouvelles autorités en rendant le pays ingouvernable risquent de produire l’effet inverse. Car, ils risquent fort de créer les conditions pour une mobilisation patriotique autour des autorités pour faire face aux agressions contre le Burkina Faso. Toutefois, ce nationalisme apparent ne doit pas étouffer les défis du renouveau.
L’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 a ravivé le côté rebelle qui sommeillait dans la conscience collective du peuple burkinabè. Cette insurrection et la résistance au coup d’Etat de Gilbert Diendéré et des éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) ne sont donc pas des faits inédits pour les Burkinabè. C’est un juste retour du courage et de la droiture qui caractérisent ce peuple et qui ont façonné son histoire depuis l’époque précoloniale à nos jours. Depuis l’insurrection populaire donc, le peuple burkinabè s’est réconcilié avec son histoire et a retrouvé son âme de combattant. Et depuis, chaque événement majeur devient une occasion de démontrer sa volonté de vivre libre, digne et en paix avec tous les autres peuples du monde mais tout en restant ferme sur ses principes. C’est une dynamique sociopolitique qui peut être difficilement remise en cause, du moins, pas dans l’immédiat. C’est ce qui explique la résistance populaire face au putsch de septembre. C’est ce qui explique cette communion dans la douleur et cette révolte collective contre la barbarie du 15 janvier qui, loin d’avoir ébranlé la dynamique sociopolitique, a réussi à remettre le peuple débout et uni pour dire d’une seule et même voix non au terrorisme. C’est ce qui explique aussi le rejet massif de l’attaque de la poudrière de Yimdi, surtout la collaboration avec les forces de défense et de sécurité pour mettre hors d’état de nuire les débris militaires du système Compaoré. En somme, le peuple burkinabè est depuis bientôt 2 ans dans une dynamique de refus de l’arbitraire et de l’imposture. Ce peuple qui a longtemps subi la confiscation de l’Etat et son patrimoine par une poignée d’insatiables a pris conscience de sa force. Un peuple débout est un peuple invincible, comme nous l’avons toujours écrit.
Réactiver urgemment tous les dispositifs de sécurité et de défense nationale
Certains acteurs politiques, notamment les tenants actuels du pouvoir d’Etat, semblent l’avoir compris très vite. Depuis deux ans, ils surfent sur cette vague de révolte populaire. En effet, depuis leur démission du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et même avant, ils se sont adossés à la colère du peuple contre le système décadent et patrimonial des Compaoré. C’est d’ailleurs la motivation officielle de leur divorce d’avec Blaise Compaoré. Ils en ont fait la base de leurs discours et actions politiques. Avec un savant dosage d’un peu de courage et d’audace politiques, d’humilité et d’opportunisme, ils ont su intégrer une révolte populaire qui les avait pourtant dans le viseur. Les autres n’ont rien vu venir. Le reste, c’est un boulevard vers Kosyam. Ils sont donc venus amplifier une colère qui s’est transformée en un tsunami et qui a balayé leur ancien mentor. Une fois de plus, les autres n’ont toujours rien vu venir. La suite, on la connaît : ce fut une course d’obstacles pour parvenir à la victoire du 29 octobre. Depuis, les analystes attendent, avec beaucoup de scepticisme, de voir comment l’on peut construire du neuf avec du vieux. Mais tel est le choix du peuple électeur. Il appartient donc aux vieux briscards de montrer que l’on peut gouverner autrement que par la terreur, la corruption, la concussion, le crime et parfois la méchanceté gratuite. En fins politiques, ils continuent de s’appuyer sur la dynamique sociopolitique de l’insurrection. C’est leur référence principale dans le discours politique. Cette dynamique est anti-corruption ; alors ils promettent une lutte acharnée contre ce fléau et la transparence absolue dans la conduite de l’action publique. La dynamique de l’insurrection, c’est aussi un refus de la gabegie et des abus de biens publics ; ils promettent de réduire le train de vie de l’Etat et des institutions, à commencer par le Parlement dont les nouveaux membres ont consenti une baisse de 19% de leurs émoluments. A cela s’ajoute la réduction du nombre des membres du gouvernement.
Pendant que l’attelage se mettait progressivement en place, avec beaucoup de tâtonnements qui commençaient à faire douter bien des Burkinabè sur l’opérationnalité du changement, des barbares sont venus changer les priorités avec les attentats terroristes du 15 janvier dernier. Les Burkinabè vont devoir ronger leur frein en matière d’amélioration de leurs conditions de vie et de relance de l’économie nationale. La donne sécuritaire s’est imposée désormais comme la priorité N°1. En effet, comme si les attaques terroristes du 15 janvier à Ouagadougou, à Tin Abao et à Djibo ne suffisaient pas, des éléments de l’ex-RSP font encore parler la poudre en attaquant la poudrière de Yimdi (sortie ouest de Ouagadougou). D’autres criminels non encore identifiés se livrent à des incendies de marchés. En l’espace d’une semaine, ces événements ont provoqué la psychose, surtout dans les grands centres urbains, notamment Ouagadougou. Face à cette situation, le peuple s’est remobilisé pour rappeler à ceux qui ne l’ont pas encore compris qu’il reste encore dans sa dynamique et sait taire les divergences quand la nation est menacée. Et voilà Roch Marc Christian Kaboré en combattant en chef, qui invite son peuple à rester débout et serein face à ces épreuves que les forces du mal veulent imposer à ce pays. Contrairement donc à ce que croyaient ces forces du mal, les agressions du pays ne feront que renforcer la légitimité du nouveau pouvoir. L’histoire récente de la Côte d’Ivoire voisine nous enseigne éloquemment que la meilleure façon de renforcer les assises d’un pouvoir fragile c’est de déstabiliser le pays. En effet, la rébellion de Guillaume Soro et compagnie a surtout réussi à offrir à Laurent Gbagbo, un mandat supplémentaire de 5 ans sans élection. Et la suite, on la connaît. La Côte d’Ivoire peine encore à retrouver ses marques. Au fond, ils ont fait plus de mal à la Côte d’Ivoire qu’à Laurent Gbagbo. A la limite, les actions terroristes et ces tentatives de déstabilisation peuvent rendre le pays ingouvernable et freiner la relance démocratique et économique.
Du reste, depuis le 15 janvier, bien des observateurs ne se font plus d’illusion, le Burkina est dans l’œil du cyclone. Quand ces actes terroristes commencent dans un pays, la probabilité est forte qu’il y ait d’autres tentatives. D’où l’urgence pour le gouvernement d’activer tous les dispositifs de sécurité, des renseignements aux ressources humaines en passant par la logistique et la coopération internationale. Il sait qu’il peut compter sur l’unité et le soutien du peuple. La pauvreté du pays ne peut plus être un argument contre la mobilisation des ressources humaines, logistiques et financières à la hauteur des défis sécuritaires du moment. Le défi est aussi d’ordre organisationnel, notamment au niveau de la haute hiérarchie militaire qui depuis les mutineries de 2011, montre des signes inquiétants de bureaucratisation et d’embourgeoisement mais surtout de rupture avec la troupe. Le président du Faso est vivement attendu à ce niveau. Il faut un peu plus d’audace et de courage pour réorganiser les forces de défense et de sécurité en tenant compte de la nouvelle donne sécuritaire. La commission mise en place par la Transition et qui poursuit ses travaux de réflexions pour proposer une réforme en profondeur de l’armée doit s’activer et aller plus vite, au regard des exigences du contexte actuel.
Eviter à tout prix l’unanimisme étouffant
Cependant, ce contexte ne doit nullement imposer au Burkina Faso, une vie publique d’austérité et du tout sécuritaire. Il ne décharge en rien le Président Kaboré et son gouvernement de leur devoir de réaliser les promesses faites aux Burkinabè. Ils ne pourront pas continuer à surfer sur la dynamique insurrectionnelle sans apporter des réponses à la crainte de lendemains incertains qui hante la grande majorité de la jeunesse. Et ce n’est pas dans le discours que l’on trouvera des réponses. Il faut des actes concrets. Jusque-là, ce sont des déclarations d’intention. C’est vrai que le Président Kaboré ne semble pas être un homme particulièrement pressé avec des mesures choc. A ce que l’on dit, ce n’est pas un partisan de la politique spectacle. Mais, il y a urgence à agir, ne serait-ce que pour rassurer ses compatriotes. Les ministres doivent rapidement prendre des mesures urgentes dans leurs départements respectifs pour remettre le pays en ordre de marche. L’on attend avec impatience de voir la marque du Premier ministre Paul Kaba Thiéba. C’est peut-être trop tôt. Mais il se montre un peu trop timide dans un contexte qui exige la pro-activité.
Dans tous les cas, il ne faut pas se faire trop d’illusion en croyant que maintenant que le pouvoir est installé, tout va changer par le seul fait du prince. Car, au risque de conduire à un unanimisme inopérant et étouffant, toute cette énergie, cet élan patriotique et ces mobilisations citoyennes doivent être réinvestis dans la gouvernance de la société. En effet, en même temps qu’il faut faire échec aux plans diaboliques des forces du mal ainsi qu’aux rêves des nostalgiques d’un passé à jamais révolu, il faut que toutes ces mobilisations spontanées ou coordonnées se convertissent en attitudes et comportements républicains au quotidien et à tous les niveaux de la vie publique : du sommet à la base. Chaque citoyen, quelle que soit la position qu’il occupe, est responsable de la gestion du bien commun et doit assumer.
En cela, l’opposition politique et toutes les organisations de la société civile qui ont porté l’insurrection populaire doivent rester, aux côtés des autres forces sociales et politiques, des sentinelles vigilantes pour une gouvernance qui réconcilie l’Etat avec la société, les gouvernants avec les gouvernés. Les subjectivismes, le clanisme et les attitudes partisanes ne devraient pas compromettre les fortes aspirations au changement. Le fait d’être militant de la nouvelle coalition au pouvoir ne doit nullement être un frein à l’exigence de transparence et d’efficacité de l’action publique. Le changement c’est certes une alternative nouvelle à la tête de l’Etat et de ses institutions, mais c’est aussi et surtout de nouvelles dynamiques citoyennes fortes, essentiellement orientées autour des valeurs et principes d’équité, de transparence, de justice, d’efficacité de l’action publique, bref, de la bonne gouvernance. Le devoir de chaque Burkinabè est de s’engager dans cette quête collective du bien-être dans la solidarité et l’unité. Comme nous l’avons écrit dans notre édition N°180 du 15 décembre 2015, « tout le monde parle de changement. Mais de quel changement s’agit-il ? D’abord, le changement doit reposer sur un minimum d’honnêteté. Pour y parvenir, il faut que tous ces chantres du changement commencent par outrepasser leurs attitudes narcissiques qui voudraient qu’il n’y ait de changement que par eux ou sur la base de leurs convictions. Quels que soient la volonté et les efforts du nouveau pouvoir, il buttera à la mauvaise foi de certains. » Le changement ce n’est donc pas seulement au sommet de l’Etat, c’est chez chaque citoyen, dans chaque famille, chaque service, chaque entreprise, chaque association, etc. C’est surtout avoir le sens de la responsabilité individuelle, du devoir et aussi de la solidarité face aux enjeux majeurs auxquels fait face la nation. C’est le respect des principes éthiques et moraux du bien public, des textes et lois de la République. C’est donc le droit de revendiquer mais aussi le devoir de respecter ses obligations. Il faut sortir donc de cette logique qui voudrait que ce soient les autres, notamment les autorités, qui doivent changer leur approche du bien commun. Une telle perspective n’a aucune chance d’être productive si les citoyens continuent de vouloir individuellement abuser de leur position pour servir les intérêts personnels ou de groupe. Il faut donc bannir les égoïsmes, la tentation à la facilité, à la fraude, à l’appropriation privée du bien commun.
En tous les cas, la construction du Burkina nouveau passe forcément par l’avènement de nouveau type de Burkinabè plus soucieux et respectueux des valeurs et principes républicains. La promptitude à répondre aux mots d’ordre de manifestations de protestations ou de rassemblements autour de la patrie ne suffit pas. Il faut que chacun accepte de changer son rapport à la société. Sur ce terrain-là, le gouvernement Thiéba va devoir user à la fois de la carotte et du bâton pour remettre tout le monde au travail. Car, bien des mauvaises pratiques ont été érigées au cours de ces 28 dernières années en règles dans l’administration publique et même dans le privé.
Bouréima Ouédraogo
Titre original : « Burkina nouveau d’accord, mais Burkinabè nouveaux d’abord ! »

Source : Le Reporter 16 février 2016

[*] Directeur de publication du journal Le Reporter (Burkina Faso).

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