François Hollande en compagnie de 3 de ses masques africains (photo : LeMonde.fr) |
La France est un grand pays mais les dirigeants de notre pays le savent-ils
? De mes récents déplacements en Afrique, je retiens des témoignages
convergents, la France déçoit. Elle déçoit d’autant plus qu’on en attend
beaucoup. Que ce soit des mouvements citoyens ou des élites, j’ai entendu le
même discours, la France déçoit. Un ancien chef d’Etat me disait
qu’aujourd’hui la politique étrangère de la France est illisible car
invisible. « Quand la France s’aligne sur les Etats-Unis, la
France disparaît », soupirait-il.
Quand on regarde le spectacle de la politique française, on comprend
mieux. On comprend à quel point le débat est étriqué. Ceux qui nous gouvernent
ont oublié l’essentiel, la France est regardée par le monde entier. Il
suffit de constater (avec émotion je dois dire) la solidarité qui s’est
manifestée à travers le monde lorsque la France a été frappée par des
attentats pour comprendre que notre pays joue un rôle à part sur la scène
internationale. Le général de Gaulle l’avait compris. Il en avait fait une
marque de fabrique.
C’est sûr que le débat sur la déchéance de nationalité ne sert pas l’image
de la France. Consacrer autant d’énergie à cette question d’aucune utilité
pour la lutte contre le terrorisme et asséner des messages d’exclusion pour
seule réponse aux attentats, c’est décevant. L’horizon du débat politique en
France c’est celui d’un microcosme politico-médiatique parisien qui se complaît
dans les ragots et les intrigues de cour, coupé des réalités, coupé du monde.
Levez le nez au-dessus du guidon, regardez l’horizon et vous verrez, messieurs
les politiques, qu’être un homme ce n’est pas un concours de testostérone.
La France est aphone
Etre un homme, c’est d’abord être humain. Les discours martiaux et les
coups de mentons accompagnés de froncements de sourcils (notre premier ministre
est passé maître dans cet art) ne sont pas des manifestations d’autorité. Ce
sont des manifestations de faiblesse. L’autorité ne se revendique pas, elle
s’exerce. Le monde nous regarde et attend autre chose. Il attend de la France
qu’elle défende des positions courageuses, qu’elle offre une alternative aux
grandes puissances. C’est ce qu’elle fit en 2003 en refusant de participer à
la deuxième campagne d’Irak. Le monde entier avait alors entendu la voix de la
France. Depuis lors, la France est aphone.
En Afrique, la politique de la France a souvent été critiquée mais il est
une constante qui ne s’est jamais démentie, la France constitue une référence
humaniste. Or je vois s’amorcer un changement, subtil aujourd’hui, majeur
demain. Les nouvelles générations africaines n’ont pas ce même lien à la
France. Parce que le rapport à la langue française s’est détérioré (le français
recule partout en Afrique et au Maghreb), parce que les nouvelles élites ont
étudié ailleurs qu’en France et surtout parce que le discours de la France ne
fait plus rêver. « La France est en train de perdre l’Afrique », m’a
dit tout récemment un chef d’Etat africain. Il ne sous-entendait pas que
l’Afrique appartenait à la France, il voulait juste dire que la relation unique
qui unissait les pays africains francophones à la France était en train de se
distendre.
Les moyens du réseau diplomatique français en Afrique se réduisent chaque
année un peu plus. Il est incontestable qu’une remise à plat du dispositif
humain et financier était nécessaire mais aujourd’hui c’est un réseau en voie
de paupérisation. Il est à l’image de la réalité de nos ambitions qui ne
dépassent pas les artifices de la communication. Il faut préciser que
l’Afrique n’est pas une destination noble pour les diplomates français. Parmi
le top 10 de la haute hiérarchie du Quai d’Orsay, combien ont été en poste en
Afrique ? Si peu. Peut-être même aucun.
Alors bien sûr il y a eu la fameuse diplomatie économique. La nouvelle
martingale d’une diplomatie agonisante. Au-delà du fait qu’elle ne s’est pas
traduite par un changement radical de l’action diplomatique sur le terrain
(parce que les ambassades n’avaient pas attendu Laurent Fabius pour en faire et
que cette volonté du ministre ressemblait plus à un caprice qu’à une vision
politique), elle est une erreur conceptuelle pour l’espace francophone. La
force de la France en Afrique francophone ce n’est pas d’être un marchand.
C’est d’être un pays de valeurs humanistes. C’est cette identité humaniste qui
ouvre le mieux la voie à la diplomatie économique car elle donne envie de
France. Aujourd’hui cette envie se tarit. La France fait de moins en moins
rêver. L’Afrique voit la France se recroqueviller sur elle-même.
Lors d’une conversation avec un des leaders d’un mouvement citoyen
africain, j’ai posé une question toute simple qui m’a valu une réponse toute
aussi simple mais que je reçus comme un coup de poing. Cela me confirmait
l’urgence qu’il y avait à redonner de
l’ambition à notre discours politique et à nos actions sur le terrain. Je lui
ai demandé ce qu’il attendait de la France. Il m’a répondu qu’il n’en attendait
rien.
Par Laurent
Bigot
Titre original : « En Afrique, la France déçoit ».
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causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : Le Monde.fr 24 février 2016
[*] - Ancien diplomate français, Laurent Bigot est aujourd’hui consultant indépendant. Il dirige la
société Gaskiya (vérité en langue haoussa) spécialisée dans le conseil en
stratégie sur l’Afrique.
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