Photo Peter Dejong.AFP
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Comme il peut advenir dans tout tribunal, la Cour pénale internationale
s'est muée, ce lundi 1er février, en un terrible théâtre de la
cruauté. L'accusation s’est effondrée, devant les juges de Laurent Gbagbo et
les médias internationaux. Moment unique, où 15 ans de mensonges et de montages
apparaissent comme tels, dans la méthodique et implacable plaidoirie de Me Emmanuel
Altit.
Laurent Gbagbo, président de la Côte d'Ivoire depuis 2000, a été interpellé
par les Forces spéciales françaises en avril 2011, et remis aux forces
d'Alassane Ouattara qui l'a incarcéré dans des conditions honteuses à Korhogo,
puis transféré – « déporté », selon
ses partisans – à La Haye. Incarcéré depuis 5 ans, il répond, avec Charles Blé
Goudé – son ancien ministre de la jeunesse et leader charismatique des foules
ivoiriennes, de « crimes contre
l’humanité » – ce qui pour beaucoup d’observateurs constitue une accusation
nettement disproportionnée et surtout à sens unique.
Car qu’a révélé Maître Altit, ce lundi 1er février, sous les
yeux effarés de la procureure Fatoumata Bensouda ? La vérité historique,
serait-on tenté de dire, qui n’est qu'un secret de Polichinelle pour tous ce
qui ont suivi le « coup d'Etat
franco-onusien », une fois désinformation et passions retombées.
Pas une « défense de rupture »,
comme aurait pu le faire Jacques Vergès en remettant en cause la légitimité de
la CPI, mais en contextualisant l'accusation : c’est bien la France sarkozyste
qui, depuis 2000, n'avait jamais accepté Laurent Gbagbo ; qui a armé la
rébellion, instrumentalisé toutes les instances internationales, manipulé
médias et scrutin, puis mené l’assaut.
A quel prix ? Contre le chiffre sans fondement de 3000 morts, repris à l'envie par les médias et l'AFP, c’est bien de 16000 victimes civiles dont parle le rapport tenu secret de la « Commission Vérité, Justice et Réconciliation » de l'ancien Premier ministre Charles Konan Banny.
A quel prix ? Contre le chiffre sans fondement de 3000 morts, repris à l'envie par les médias et l'AFP, c’est bien de 16000 victimes civiles dont parle le rapport tenu secret de la « Commission Vérité, Justice et Réconciliation » de l'ancien Premier ministre Charles Konan Banny.
La Défense de Laurent Gbagbo a présenté aux juges vidéos, documents,
témoignages et analyses démontrant le racket et les massacres des partisans de
Ouattara dans la zone Nord, de 2002 à 2010.
Maitre Altit a dénoncé l’assassinat de civils autour de la résidence du
président Gbagbo, les jours avant son arrestation, sans citer leur nombre, ni
dénoncer précisément les coupables ; or il n’y avait sur le terrain que les
chars et hélicoptères d'assaut de l'Onuci et de la force française Licorne.
C'est plus tard que s'est produit le carnage de la « bataille d'Abidjan »
où, appuyés par les forces françaises et onusiennes (les forces de l'ONU tirant
sur des foules civiles, une grande première mondiale...), les FRCI, mercenaires
et dozos ont procédé à des tueries ciblées ethniquement. La chasse aux « BAD » – les peuples Bété, Attié et
Dida – par l'armée pro-Ouattara, en colonnes infernales en brousse, succèdent
aux crimes de guerre, fin Mars 2011, contre les Wê de Duekoué, à l'Ouest de la
Côte d'Ivoire. Sur le millier d'hommes, femmes et enfants de ce peuple supposé
pro-Gbagbo par les assassins, une association de ressortissants (fondé par
Martine Keivao à Paris) a recueilli 1300 dossiers documentés que Me Habiba
Touré, du barreau de Paris, vient de transmettre à la CPI.
En vain. Car la CPI prend bien le relais de la « justice des vainqueurs » du gouvernement Ouattara à Abidjan. La
procureure Bensouda, comme son prédécesseur Ocampo, entretient d’excellentes
relations avec les gouvernements ivoirien et français, qui ont fourni
témoignages ou coupures de presse pour le premier, dossiers et documents
militaires pour Paris.
Avec une certaine inefficacité, puisque pendant la période préliminaire
dite de « confirmation des charges »,
le prévenu Laurent Gbagbo a failli être libéré pour insuffisance du dossier de
l’accusation, en Juin 2013. Il a fallu toute l’insistance des gouvernements
Ouattara et Hollande (et dit-on de Laurent Fabius lui-même) pour que la CPI
offre une seconde chance à l'accusation de recommencer son travail !
Le Procureur, qui n'a instruit qu'à charge (contrairement aux textes), fait
cause commune avec la « représentante des
victimes », Paolina Massidda qui, elle, ne s’occupe que de celles du clan
Ouattara. Alors que sur les 16000 victimes recensées, plus des ¾ sont
vraisemblablement le fait des mercenaires et milices de l’hétéroclite et sanguinaire
armée de Guillaume Soro...
Aussi quand Fatoumata Bensouda et Paolina Massidda se tordaient les mains
d’angoisse devant la vue des massacres et se décomposaient à vue d'œil
(Bensouda n'acceptera pas d’assister, le Mardi, à la riposte des avocats de Blé
Goudé), malgré toutes les précautions prises par une Cour aux ordres,
journalistes et Ivoiriens dans la salle avaient le sentiment de vivre un grand
moment historique, et même un début de catharsis. Antonin Artaud n'affirmait-il
pas : « sans un élément de cruauté à la
base de tout spectacle, le théâtre n'est pas possible » ? Et la
tragi-comédie de La Haye risque – sauf accord politique – de continuer ainsi
des mois, voire des années.
Michel Galy (Marianne 20 février 2016)
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nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en
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que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne
».
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