samedi 21 juillet 2012

« La réconciliation doit se faire sur le problème de la souveraineté de notre pays »

Une interview de Marthe Ago, secrétaire générale par intérim du Congrès national de la résistance pour la démocratie (Cnrd).

Marthe Ago, secrétaire générale du CNRD

Depuis la réorganisation du Cnrd qui a fait de vous la secrétaire générale par intérim, on ne vous a pas beaucoup entendue. Que faites-vous ?

J’ai d’abord essayé de faire l’état des lieux du Cnrd. Je devais le faire parce que je dirige l’organe exécutif. C’est pour cela que vous ne m’entendiez pas. Il a fallu que je fasse des réunions, que je prépare mon programme d’actions. Je me suis rendu compte que la vision n’était pas très claire. Il a fallu qu’au sein de la direction, nous nous accordions sur la vision du Cnrd, que nous harmonisions les textes. Ensuite, nous avons tenu un congrès ordinaire le 7 avril pour présenter cette vision et le plan d’actions de l’organisation. Cette rencontre a demandé que nous rencontrions individuellement chaque parti membre du Cnrd parce qu’il y avait des sons de cloches discordants. Il fallait amener chacun des trente-neuf regroupements à réaffirmer son engagement. Ce travail a été fait. Le bureau a été remanié. Bientôt vous verrez nos actions sur le terrain.

Plusieurs organisations membres du Cnrd ont créé d’autres coalitions. Considérez-vous cela comme un dysfonctionnement ?
On peut appartenir en même temps au Cnrd et à un autre mouvement à condition de ne pas poser des actes qui vont à l’encontre des engagements qui ont été pris à la signature de la charte du Cnrd. Tant qu’il (le parti politique, ndlr) ne pose pas des actions qui prennent le contre-pied du combat du Cnrd, nous n’avons pas de problème.

Certains ont expliqué ces changements opérés à la tête du Cnrd par la nécessité d’avoir un mouvement plus souple, plus enclin au dialogue avec le pouvoir. Qu’en dites-vous ?
Non, cela vient de la confusion qui est faite en assimilant le Cnrd à certains partis politiques qui sont en son sein. J’ai regardé les archives et j’ai constaté que le Cnrd a été la première organisation à écrire au pouvoir, à deux reprises, après le 11 avril 2011, pour demander un cadre de dialogue. Mais le pouvoir, en répondant, a appelé plutôt le Front populaire ivoirien, ndlr (Fpi). Le Fpi gêné, puisqu’étant membre du Cnrd et n’ayant pas écrit au pouvoir, a amené le Cnrd avec lui. C’est pourquoi on avait parlé de dialogue du pouvoir avec le Fpi-Cnrd. Cela a créé justement des problèmes au sein du Congrès parce que certains partis ont trouvé que le Fpi se positionnait en vedette.

Comment jugez-vous le dialogue entre le pouvoir et le Cnrd ?
Ça va maintenant. Le pouvoir commence à écrire au Cnrd. Par exemple, pour aller à Grand-Bassam, il a invité le Fpi et aussi le Cnrd de même que des membres du Congrès qui appartiennent à d’autres plates-formes.

Pourtant le Fpi demande un cadre de dialogue spécifique entre le pouvoir et lui. Comment a-t-il pu accepter de discuter en même temps que le Cnrd ?
C’est justement tous ces problèmes que nous avons décidé de régler en interne. Dans une interview accordée à votre confrère Notre Voie, j’avais annoncé que le Cnrd décide d’adopter le principe de régler ses problèmes en interne. Donc si l’un des membres déporte les contentieux à l’égard des autres membres à l’extérieur, il porte atteinte à l’un des principes qui est la solidarité. Si on estime qu’un membre a un comportement qui n’est pas bon, c’est à l’intérieur du groupe qu’on doit le dénoncer. J’ai fait cette mise au point. Nous n’allons plus tolérer cela. Le principe de l’unicité d’actions, de la concertation, de la solidarité doit être de mise.

Le Fpi ne viole-t-il pas ce principe de solidarité en demandant un tête-à-tête avec le pouvoir ?
Dans la charte du Cnrd, chaque organisation demeure autonome. Les partis peuvent mener leurs activités. Ce que nous dénonçons, c’est lorsque certains font autre chose alors qu’il y a une action concertée. Le Fpi n’a jamais posé d’acte de dissidence, pourtant il fait l’objet de jalousie. Ce comportement n’est pas heureux.

Le 13 août prochain se tiendra l’audience de confirmation de charges contre Laurent Gbagbo. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Ce n’est pas un problème d’état d’esprit. Nous avons un combat à mener : celui de la dignité de l’Homme noir et celle de l’humain en général. C’est ce qui amène à se battre pour la démocratie. Au Cnrd, on trouve inadmissible qu’une organisation internationale décide de venir bombarder le palais d’un pays pour en extraire le président et aller l’emprisonner pour le juger. Nous trouvons cela inadmissible.

Vous trouvez admissible que cette même personnalité ait demandé à l’armée de tirer sur sa population ?
Qui dit que ce chef-là a tiré sur la population civile ? On fait comme si on dormait tous ou qu’on était dans un rêve. Il y a un Etat constitué en Côte d’Ivoire. Qui a tiré en premier sur qui ? (elle marque un temps d’arrêt)

Je vous laisse répondre…
Il y a eu une rébellion ici. Les rebelles, c’est quoi ? Ce sont des hors-la-loi qui se dressent contre les règles en place. Dans notre Constitution, le peuple de Côte d’Ivoire dit que la sécurité est garantie par les forces de l’ordre. Elles ont l’exclusivité de la sécurité. Quand vous dites qu’un chef d’Etat fait tirer sur la population civile, qu’est-ce que vous appelez population civile ? Quand le Cecos prend un voleur et qu’il tire sur lui, est-ce pour cela qu’on doit punir le chef de l’Etat ? Doit-on le punir parce qu’il est responsable du Cecos ?

Comment expliquez-vous que des militaires tirent à l’arme lourde sur des femmes qui manifestent et qu’ils larguent des obus dans les marchés parce qu’ils estiment que tous ceux qui sont dans ce quartier sont des hors-la-loi ?
Le président Gbagbo a dit cela quand ? Dans quel discours officiel ?

Vous étiez en Côte d’Ivoire. Vous n’êtes pas sans savoir que les populations d’Abobo étaient régulièrement victimes d’agressions de la part de l’armée, sous Laurent Gbagbo ?
Elles étaient plutôt victimes de fréquentes agressions du commando invisible. Moi, j’ai vu mes parents d’Anonkoi-Kouté brûlés vifs. J’ai tellement pleuré que tout mon visage était endolori. Je sais qu’il se passait beaucoup de choses à Abobo. Je sais que nos policiers qui allaient mettre de l’ordre dans cette commune avaient beaucoup de mal parce que ce n’est pas cela qu’on leur a appris. D’habitude, ils s’occupent du maintien d’ordre. Or, ils avaient affaire à des gens invisibles qui les attaquaient et attaquaient d’autres citoyens. Nos forces de l’ordre ont été mises à rude épreuve. Des policiers ont été brûlés vifs. Au contraire, je tire mon chapeau à l’armée de Côte d’Ivoire qui n’a pas déraillé. Peut-être qu’il y a eu quelques bavures : je n’en sais rien. Des enquêtes doivent être menées. Mais il faut savoir qu’elle était en mission et que dans ce contexte, elle bénéficie d’une immunité. Ce que nous trouvons inconcevable, c’est ce que celui qui a attaqué, qui a commis des crimes graves, c’est lui qui, aujourd’hui, joue les justiciers. C’est ce qui est inadmissible. Et, c’est celui qui se défendait, dont la défense n’a peut-être pas été proportionnelle, parce que la défense n’est admise en droit pénal que lorsqu’elle est proportionnelle à l’attaque, c’est lui qui est arrêté. Et on dit qu’on va voir pour eux après.

Malgré tout ce qui s’est passé, un an après, on a l’impression que le Fpi ne se reproche rien du tout. Quelle chance pour la réconciliation dans ce contexte ?
Ce n’est pas que les discours restent les mêmes. Il y a des faits. Sans la vérité, on ne pourra arriver à rien. Nous sommes tous en Côte d’Ivoire. Les faits sont là. La décision du Conseil constitutionnel est là. Nous voulons qu’on revive tous ensemble. Il n’y a pas d’animosité. Je rends grâce à Dieu, je n’ai aucun ressentiment contre aucun de mes frères. Mais j’ai le devoir de vérité pour que demain cela ne se produise plus. M. Gbagbo ne pouvait pas accepter que des gens à l’extérieur lui demandent de quitter son fauteuil.

La réconciliation n’est donc pas utopique ?
La réconciliation est obligatoire. Aucune nation, aucune communauté humaine ne peut survivre sans réconciliation. Elle reste indispensable. Mais on ne peut pas se réconcilier sans vérité. On ne peut pas faire de réconciliation si on ne s’assoit pas pour reprendre les faits passés, dire qui a tort et qui a raison et arrêter les solutions pour ne plus connaître cela dans le futur. J’estime que la réconciliation doit se faire sur le problème de la souveraineté de notre pays.

Réalisée par Bamba K. Inza - Nord Sud 21 juillet 2012
(source : Ivoirian.net)


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