mercredi 4 juillet 2012

Je n’ai pas suivi Gbagbo pour l’argent, mais par conviction et pour mon pays.

Interview de Yao Kouamé Patrick, président (en exil) des étudiants Pdci-Rda

A l’issue du premier tour de la présidentielle de 2010, Yao Kouamé Patrick alias  dealer, ex-président des étudiants PDCI s’est rallié à La Majorité Présidentielle d’alors. Après l’arrestation du président Laurent Gbagbo, il a pris le chemin de l’exil. Nous l’avons rencontré lors de notre séjour à Accra et Lomé.

Comment expliquez-vous que votre parti, le Pdci, soit au pouvoir dans le cadre du Rhdp pendant vous, vous vous trouvez en ce moment en exil ?
Vous êtes journaliste, vous savez que lors du second tour de la présidentielle, une frange de la jeunesse constituée majoritairement d’étudiants a pris la décision de ne pas suivre Alassane Ouattara, de ne pas suivre le mot d’ordre du président Bédié, lequel mot d’ordre nous demandait de suivre le candidat du RDR. Nous avons décidé de suivre Laurent Gbagbo. C’est ce qui nous vaut l’exil, aujourd’hui.

Un an après cette décision, avez-vous des regrets ?
Je n’ai jamais regretté puisqu’il s’agissait de la Côte d’Ivoire. Nous, Ivoiriens, devrions faire face aux envahisseurs. C’est ce que nous avons fait. Je ne regrette pas. Je suis serein et le combat continue.

Vous étiez président des étudiants Pdci. Vous étiez un adepte du président Bédié. A quel moment avez-vous compris qu’il fallait changer de cap en soutenant Laurent Gbagbo ?
Vous vous souvenez qu’après le premier tour, à l’issue de la proclamation des résultats, il y a eu des échauffourées à la maison du Pdci. Nous avons organisé des marches en plein Cocody, barré des voies et autres pour protester contre les résultats que nous n’avons pas trouvés justes. Parce que pour nous, le président Bédié ne pouvait pas tomber au premier tour. Les Avocats du président Bédié ont fait des requêtes qui sont restées sans suite. Mais, au moment où nous luttions, nous avons vu des cadres du parti, proches de Bédié, Patrick Achi, Ahoussou Jeannot, aujourd’hui premier ministre, se rendre à Dakar dans le même avion qu’Alassane Ouattara rencontrer le président Wade en vue de parler du second tour. Nous avons trouvé cela suspect. En plus, on n’a pas fini de lutter pour Bédié qu’il nous demande de soutenir Alassane Ouattara. C’est là que nous avons tourné dos à Bédié. C’est à partir de cet instant-là que nous avons décidé de rompre avec le suivisme dans lequel Bédié voulait nous conduire. Et, nous avons pris notre bâton de pèlerin devant la nation pour dire que nous sommes avec Laurent Gbagbo. Voilà comment nous avons suivi Laurent Gbagbo dans le cadre du deuxième tour.

Pourtant, à Abidjan, il se raconte que vous avez changé de cap parce que vous avez été acheté.
La rumeur a couru. Certains ont même avancé que Blé Goudé m’avait donné 10 milliards. De sorte que quand on me voyait à pied, cela paraissait surprenant. Je n’ai pas suivi Gbagbo pour de l’argent. Les Ivoiriens qui savent ma condition de vie en exil en diront plus. J’ai suivi Gbagbo par conviction et pour mon pays.

Mais, pourquoi demeurez-vous en exil malgré l’appel à rentrer pour reconstruire ensemble ce pays-là ?
Tous les matins que Dieu fait, on nous appelle du pays, aussi, on feuillette la presse pour nous rendre compte de ce qui se passe. L’insécurité est grandissante, la chasse à l’homme n’a pas encore cessé. Dans ces conditions, on ne peut pas nous demander de rentrer au pays. Ce n’est pas une inondation ou une famine qui nous a fait fuir le pays. C’est à cause des tueries. Tant qu’on ne libère pas les prisonniers politiques, les hauts gradés militaires, tant que la chasse à l’homme ne cesse pas, convenez avec moi qu’on ne peut pas retourner en Côte d’Ivoire.

En pleine crise post électorale, précisément en mars 2011, vous avez été élu à la tête de la jeunesse du  PDCI. Honnêtement, croyiez-vous en pareille élection ?
Le 19 mars 2011, des jeunes du Pdci-Rda mobilisés m’ont porté à la tête du combat puisque Bertin (Kouadio Konan Bertin, dit KKB) était allé se réfugier au Golf. De même que le président Bédié et plusieurs cadres du parti. N’ayant pas accepté de les suivre, des jeunes du Pdci-Rda ont trouvé nécessaire qu’on change la tête de la jeunesse du parti. Voilà pourquoi ils m’ont porté à leur tête. Je n’ai pas refusé puisqu’il s’agissait du Pdci-Rda du président Félix Houphouët-Boigny. Il fallait redorer le blason de ce grand parti et c’est dans ce combat que nous sommes toujours. Nous n’avons pas fléchi un seul instant.

Comment est-ce possible de diriger la jeunesse du PDCI-RDA depuis l’extérieur ?
C’est vrai que nous sommes loin, mais n’oubliez pas que nous avons nos éléments sur le terrain. Nous sommes en contact permanent avec la base. Il va falloir que nous éclaircissions quelque chose. Ne pensez pas que nous étions en conflit avec KKB. Nous n’avons jamais été en conflit avec KKB qui demeure notre leader. Nous marchons dans ses pas. Vous voyez, aujourd’hui, KKB est bastonné pour ses idées. A son âge, Bertin ne peut plus être président des jeunes, nous sommes à la barre.

Un an après, quel regard portez-vous sur la gestion du Rhdp ?
C’est un échec. C’est un échec cuisant. Plus d’un an après, les Ivoiriens ne sont pas en sécurité, ils n’ont pas à manger. C’est malheureux pour beaucoup d’Ivoiriens qui n’ont pas compris cela tôt. Très bientôt, vous verrez.

Vous demeurez dans votre position selon laquelle le choix du président Bédié de suivre le président Ouattara est un mauvais choix…
C’est une grosse erreur. C’est une arnaque. Moi, je suis originaire de Daoukro. Allez à Daoukro, vous vous rendrez compte des difficultés des jeunes. Comment dans un pays on peut fermer l’université ? C’est du jamais vu. Les jeunes sont livrés à eux-mêmes. Il n’y a pas de boulot. Pourtant, on nous a promis beaucoup d’emplois. On nous a promis 5 universités pendant que la seule qui est là est fermée il y a bientôt deux ans. C’est un échec. Il faut rapidement que ce pouvoir soit dans le passé pour nous. Pour qu’on puisse voir clair et faire avancer rapidement notre pays.

Soyez précis. Qu’entendez-vous par « il faut rapidement que ce pouvoir soit dans le passé » ?
Je pense que je suis assez clair. Je pense que très rapidement cette situation où les Ivoiriens se méfient les uns des autres doit être rangée dans le passé et devenir rapidement une vieille parenthèse. Voilà ce que je veux dire. Nous avons longtemps attendu le vivre ensemble en vain. N’oubliez pas que le peuple est souverain, à lui seul revient toujours le dernier mot.

Mais pourquoi ne venez-vous pas en Côte d’Ivoire pour engager le débat démocratique et constructif ?
Nous n’avons pas envie de rester à l’extérieur de notre pays. Nous voulons bien rentrer. Mais sachez que c’est parce que je suis en vie que nous communiquons en ce moment. Pour notre vie donc nous préférons rester encore à l’extérieur mais nous rentrerons bientôt.

Quand précisément ?
Dieu décidera.

Vous êtes de ceux qui croient encore au retour de Laurent Gbagbo sur la scène politique, notamment à la  tête de notre pays…
Je crois en Dieu. C’est pourquoi je fais référence à lui quand je parle. Aujourd’hui, on nous dit que le président Laurent Gbagbo est en prison, au Tribunal pénal international. Laurent Gbagbo, il s’agit du monsieur qui a gagné les élections en 2000 et deux ans après, la Côte d’Ivoire a été attaquée. Gbagbo est accusé de crimes contre l’humanité, de crimes économiques. Je suis avec Gbagbo parce qu’il est dans la vérité. S’il est jugé, qu’on ne lui reproche rien et qu’il revient au pays, il peut redevenir président de la République si les Ivoiriens lui font confiance. Je ne suis pas un devin. Je reste en prière et j’observe.

Que penses-tu du combat que mène, aujourd’hui, le Pdci ?
Le Pdci, aujourd’hui, ne mène aucun combat. Le Pdci est dans un suivisme qui ne dit pas son nom. Bédié l’a dit depuis son livre « les chemins de ma vie » qu’il n’a que des suiveurs. Et, les faits lui donnent raison. Beaucoup sont ceux qui sont avec lui, qui savent qu’il n’est pas dans la vérité mais pour des petits intérêts mesquins et du ventre ne peuvent parler. Sinon, dites-moi honnêtement, le Pdci-Rda issu du syndicat agricole africain, ce parti leader en Afrique et en Côte d’Ivoire, ne peut pas tomber aussi bas que ça. Regardez vous-même, depuis 1993 lorsque le président Bédié a pris le pouvoir au Pdci, ce que sont devenus ses scores aux différentes élections. Le Pdci ne fait que dégringoler. Allez partout à l’intérieur, regardez l’état des lieux au niveau des sièges, seulement des sièges. Je ne veux même pas parler de la constitution des bases parce qu’elles n’existent que de nom aujourd’hui. Il y a des sièges où les coups de peinture datent de l’ère Houphouët. Mais, pourquoi ? Il faut reconstruire le Pdci. Houphouët a remis un Pdci fort à Bédié. Convenez avec moi aujourd’hui que le Pdci est mort de sa belle mort par la faute du président Henri Konan Bédié. Le Pdci ne mène pas de combat, aujourd’hui. Voilà pourquoi, j’invite les jeunes du parti à se lever comme Houphouët-Boigny l’a fait. Houphouët était très jeune quand il a commencé à mener le combat de la liberté, le combat de l’indépendance de l’homme noir. Oui, il faut que le Pdci se lève. Le  Pdci doit arrêter de suivre ceux qui pillent notre économie. Il faut qu’on se lève pour sauver la nation ivoirienne. Je suis revendicateur du Pdci originel, le Pdci d’Houphouët-Boigny.

Votre mot de fin…
Je voudrais vous remercier pour cette démarche qui a consisté à nous contacter. Je voudrais également dire merci à tous ses Ivoiriens qui, chaque matin, m’envoient un petit message, me soutiennent, qui sont dans le combat, qui se battent. Qu’ils sachent que la nouvelle Côte d’Ivoire ne les oubliera pas. La Côte d’Ivoire qui déjà pointe à l’horizon se souviendra d’eux. Aux jeunes du Pdci, ils sont peut-être nombreux à n’avoir pas compris notre combat les premiers instants mais un an après, s’ils ont vu l’intérêt que revêt notre combat. Qu’ils soient courageux et nous rejoignent pour le bonheur de la Côte d’Ivoire.

Interview réalisée au Ghana par Stéphane Beyniouah
Source : Le Jour 02 Juillet 2012


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