jeudi 26 juillet 2012

Interview de Privat Oula, député de Duékoué (extraits)

« Des gens ont été amenés dans nos régions avec des consignes précises et ils se sont installés »


Guéré natif de Duékoué, député indépendant, vice-président de l’Assemblée nationale, Privat Oula revient de Duékoué où il a touché du doigt la principale (et, très probablement, mortelle) contradiction de ce régime. Dans cette interview quelque peu embarrassée, se révèlent à la fois les vrais enjeux de la situation actuelle dans l’Ouest et l’inanité des appels ouattaristes à la réconciliation.

Marcel Amondji


Vous venez de Duékoué. Qu’avez-vous vu à Duékoué, qu’est ce qui s’est réellement passé à Duékoué ?
Une fois de plus, je profite de votre journal pour présenter d’abord mes condoléances à toutes les victimes, aux parents qui ont perdu un être cher et à ceux des disparus. Condoléances à mes parents Malinké, Guéré, à tous ceux qui y ont perdu un parent, un ami ou une quelconque connaissance. De Duékoué, j’en reviens le cœur meurtri. Lorsque nous avons été informés, toute activité cessante, nous nous y sommes rendus pour voir, écouter et surtout apporter un message de consolation, d’apaisement et préparer les cœurs au pardon et à la réconciliation.

Qu’est ce que vous avez vu sur place ?
Ce que j’ai vu, c’est que le camp de Nahibly n’existe plus aujourd’hui, que le petit marché qui était devant la Mission catholique, et l’autre site voisin n’existent plus. J’ai constaté, également, qu’il y a eu des morts et qu’il y a plus de 40 blessés qui sont à l’hôpital de Duékoué. Et que la population de Duékoué est aujourd’hui dans l’amertume.

(…)

Il se trouve aussi que, très souvent, ces attaques arrivent à l’approche de rendez vous politiques importants. Et ces meurtres à Duékoué sont souvenus au moment où des événements politiques sont en attente. Ne pensez vous pas qu’il puisse s’agir d’une manipulation politique ?
Je n’exclus rien aujourd’hui. Cependant, mon devoir de député de la nation, c’est de rassurer mes parents qui habitent sur le sol de Duékoué. Je tiens à noter une chose : il est vrai que à Duékoué, il y a des voyous et qu’il y a des problèmes politiques, mais il y a aussi que, depuis des années, une politique d’occupation a été appliquée à Duékoué, à Bangolo, à Taï, à Guiglo ou à Bloléquin.

Qu’entendez vous par politique d’occupation ?
Cela veut dire que des gens ont été amenés dans nos régions avec des consignes précises et ils se sont installés. Certains ont fait des efforts d’intégration, d’autres, non.

S’agit il d’allogènes ou des non Ivoiriens ?
Il faut voir cela de façon globale, en parlant de tous ceux qui sont venus d’ailleurs. Aujourd’hui même, les forêts dites classées n’existent plus. C’est dire que, même le Wê n’a plus de place. Car, ce qui était possible hier ne l’est plus aujourd’hui. Pour résoudre ce problème, il faut arrêter la politique d’occupation. Il faut aller à la politique d’intégration et de brassage, d’écoute réciproque. Je connais de gens du nord qui ont construit Duékoué. Je connais même des Burkinabè dont on parle tant, nous avons grandi avec ces Burkinabè qui ont contribué au développement de nos régions, de la Côte d’Ivoire et avec qui, nous avons vécu en bonne intelligence ! Seulement, ces dernières années, ceux qui viennent, viennent avec un esprit d’occupation et non pas avec un esprit d’intégration. Ils ne respectent pas nos chefs, pourtant chez eux, ils respectent les leurs. Ce que nous avons de sacré dans nos coutumes est, aujourd’hui, bafoué. Il faut recentrer les choses.

Est ce que recentrer les choses, ce n’est pas aussi demander à un parti comme le Fpi de contribuer à cette réconciliation ? N’avez vous pas l’impression que le langage guerrier que le Fpi tient à Abidjan déteint sur le comportement des jeunes à l’Ouest ?
Je ne veux pas porter de jugement de valeur sur le comportement ou le message du Fpi. C’est un parti organisé, reconnu, qui fonctionne, que je respecte et qui mène ses activités. Si on trouve que le Fpi dérape, il y a des autorités compétentes pour le constater. Ce n’est pas cela mon problème.

Mais quand ses dirigeants parlent de chasse aux sorcières à l’Ouest ? Vous ne pensez pas que cela peut contribuer à envenimer la situation ?
Non, je pense que nous avons nos problèmes. Le Fpi n’est pas aujourd‘hui au pouvoir, il est presque décapité. Le Fpi a d’autres contraintes aujourd’hui. Quand on est au pouvoir, qu’on gouverne, il faut prévoir et trouver des solutions. Et nous, ce qui aujourd’hui nous intéresse, c’est de trouver des solutions pour nos populations. Sans vouloir rentrer dans des conflits de personnes, je dis que nous avons des problèmes à Duékoué. A savoir que depuis un certain temps, le tissu social fraternel a pris un coup. Je voudrais que nous puissions revenir à nos valeurs qui ont fait la fierté de Duékoué, à cet amour entre Sénoufo, Baoulé, Guéré.

Qu’est ce que vous qui avez parcouru récemment la région, proposez, en termes de solution pratique pour réaliser ce retour à la cohésion ?
Je pense d’abord qu’il y a des brebis galeuses dans chaque ethnie. Autant il y en a chez les Guéré, autant il y en a chez les Dioula, ou chez les Baoulé, les Malinké. Le plus important, c’est de nous retrouver pour voir comment nous allons vivre en commun.

« Nous », c’est qui ?
Nous, c’est nous les élus, les députés, les cadres, les fils de la région. Car, de la même manière, la femme, Baoulé, Malinké, Sénoufo, souffre pour mettre son enfant au monde au bout de neuf mois, c’est de cette même manière que la femme Guéré souffre. Nous sommes donc des frères et des sœurs. A mes parents, je répète aussi souvent que quand ton fils n’a pas gagné à la Lonaci, qu’il n’est pas opérateur économique ni hommes d’affaires, qu’il ne travaille pas et qu’il rentre à la maison le soir avec une forte somme d’argent ou des articles d’une valeur inestimable, toi le père ou la mère digne, tu poses la question à ton fils : où as-tu eu cet argent ? Car, cet argent ou ce matériel, c’est le fruit des braquages, des tueries ! Chacun doit éduquer son enfant. Aujourd’hui, un simple braquage a conduit à des tueries à Duékoué. Nous aujourd’hui, nous sommes condamnés à vivre ensemble. Nos frères Burkinabé, qui sont arrivés et qui veulent participer au développement, sont les bienvenus chez nous. Un chef burkinabè nous a fait cette confidence récemment. Il nous a dit : « Nos frères qui arrivent maintenant, nous-mêmes, nous n’arrivons pas à les contrôler. Voilà pourquoi il y a des conflits entre eux et nous ».

On a parlé aussi des dozo.
J’ai été heureux d’entendre le général Soumaïla Bakayoko dire qu’il a demandé que tous les barrages tenus par des dozo soient démantelés et que la gendarmerie, la police et les militaires feront leur travail. Je fais cependant attention au phénomène des dozo qui sont une confrérie bien organisée. Mais ces derniers temps, tout le monde est devenu dozo. Et sous le couvert des Dozo, beaucoup de choses peuvent arriver. Des jeunes, que nous avons rencontrés, qui n’étaient pas Malinké, qui étaient Guéré ou d’autres ethnies et quand nous leur avons posé la question de savoir pourquoi ils sont devenus des dozo, nous ont répondu ceci : « Puisque les Dozo sont autorisés à avoir des armes pour circuler, la seule façon de se protéger, c’est donc d’être dozo aussi. Quand tu es dozo, tu peux avoir ton arme, la porter. Les gendarmes ne t’emmerdent pas. Donc nous sommes devenus nous également des dozo ». C’est pourquoi, il est dans l’intérêt des Dozo eux-mêmes que l’Etat mette un peu en veilleuse leur activité dans cette région où il y a aujourd’hui beaucoup de confusion.

(…)

Interview réalisée par Benoit Hili (Source : Le Nouveau Réveil 24 juillet 2012)


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