Quel est le
destin d’une monnaie ? Les économistes et les observateurs avertis répondent
qu’il s’agit de perdurer dans le temps tout en étant forte et utile aux
économies qui la fondent. Le franc CFA, monnaie utilisée dans les Comores et 14
pays d’Afrique subsaharienne depuis plusieurs décennies, vivait sans accroc une
telle réalité jusqu’à ce que les bouleversements socioéconomiques et politiques
en Afrique et à travers le monde inclinent les économistes du continent et les
populations à s’interroger sur la nécessité d’utiliser ad vitam aeternam cette monnaie.
D’autant
qu’arrimé d’abord au défunt franc français puis aujourd’hui à l’euro, dans le
cadre du traité de Maastricht, le franc CFA dont la valeur est garantie par le
trésor public français vogue au gré des crises qui frappent l’Europe et sa
monnaie. Une dévaluation du franc CFA n’est jamais loin lorsque l’Europe
éternue. Au regard de cette dépendance ombilicale, le franc CFA est largement
perçu en Afrique comme la dernière
monnaie coloniale en cours. Et ses détracteurs n’ont pas tout à fait tort. Les
clauses (50% de leurs réserves de change auprès du trésor français) permettant
la garantie du franc CFA par la France, ancienne puissance colonisatrice des
pays africains utilisateurs de cette monnaie, leur donnent grandement raison. Le
franc CFA ne s’appelait-il pas franc des colonies françaises d’Afrique au
moment de son émergence en 1945 ? Même s’il a fait une sorte de lifting pour
être rebaptisé franc de la coopération financière en Afrique (CFA), pour la
zone CEMAC (Afrique centrale) et franc de la communauté financière d’Afrique
(CFA) concernant la zone UEMOA (Afrique de l’Ouest), le franc CFA est en vérité
piloté depuis Bercy, siège du ministère français de l’économie et des finances.
Un économiste
ivoirien ne disait-il pas, avec un brin d’humour, que les gouverneurs des
banques centrales de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et de l’Afrique centrale
(BEAC) ne sont que de simples exécutants de décisions émanant de Paris ? Que leur tâche est comparable, en termes
d’image, à celle d’un individu chargé de surveiller une bouteille de bandji[1] (boisson
locale ivoirienne) tirée par une tierce personne qui en est le véritable
propriétaire. En clair, les pays de la zone franc utilisent une monnaie qui ne
leur appartient pas et sur laquelle ils n’ont aucune influence. D’où cette vive protestation des populations africaines où la société
civile, qui vit désormais, appelle à un abandon du franc CFA.
La diaspora africaine
en France n’hésite pas à joindre sa voix à cette campagne pour « la vraie
indépendance » des pays africains.
L’activiste français d’origine africaine, Kémi Séba, conduit un front
citoyen anti-franc CFA qui n’en démord pas.
Les voix des
populations africaines semblent avoir eu un écho favorable auprès de certains
dirigeants du continent africain et non des moindres. Le chef de l’Etat
tchadien, Idriss Déby, a estimé dans une récente interview à jeune Afrique que
le moment est venu de revoir en profondeur les accords monétaires entre la
France et les pays de la zone CFA. « Il
est indéniable que la situation actuelle où le compte d’opérations des
exportations de 14 pays africains est géré par le trésor d’un pays européen,
fut-il, l’ancienne puissance coloniale, ne peut plus continuer (…) Cette
période qui dure depuis 70 ans est dépassée. Il faut que les autorités
françaises acceptent d’examiner avec nous ce qui, dans nos accords, marche ou
ne marche pas. Le franc CFA est certes un facteur d’intégration très important,
mais là où le bât blesse, c’est que nous n’avons pas la possibilité de placer,
ne serait-ce qu’une partie de nos ressources dans le circuit bancaire pour
qu’elles génèrent des intérêts (...) les sommes en jeu se chiffrent en dizaine
de milliards. Soyons lucides : la façon actuelle dont est géré le franc CFA est
un frein au développement de nos pays. Réviser nos accords avec la France est
absolument nécessaire et incontournable », a-t-il affirmé. Une déclaration
à la fois surprenante et courageuse d’un dirigeant d’Afrique francophone,
membre influent de la « confrérie » des chefs d’Etat qui nous ont habitués à
l’omerta sur les sujets qui fâchent entre la France et ses ex-colonies.
Une nouvelle ère a-t-elle sonné ?
Osons y croire tant les attentes des populations et les récriminations
contre le franc CFA sont nombreuses.
Didier Depry
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cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui
ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et
des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source : Notre Voie 2 février 2017
[1] - Mot bambara qui signifie : vin de palme
(littéralement : l’eau du palmier).
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