La France de Hollande a apporté un « appui décisif » aux chefs
d’État africains membres de l’Internationale socialiste, selon le chef de
l’opposition burkinabè, Zéphirin Diabré, qui estime, par ailleurs, que la
France « n’est pas (toujours) neutre » quand il y a des élections au Burkina
Faso.
Sputnik: Quatre
ans se sont écoulés depuis la seconde révolution burkinabè. Qu'est-ce qui a
changé ?
Zéphirin Diabré : Rien, sinon pire, pour ce qui est de la gestion par le
gouvernement actuel. Beaucoup de choses, en revanche, au niveau de la prise de
conscience de la population. Il y a une maturité qui a gagné en puissance.
Sputnik : Beaucoup
s'attendaient à ce que vous soyez élu à la présidentielle de 2015, puisque vous
étiez la figure de proue de l'opposition contre Blaise Compaoré. Qu'est-ce qui
s'est passé ?
Zéphirin Diabré : La politique répond aussi à des paramètres locaux. Il y a
notamment le poids de certaines forces sociales qui choisissent d'aider un
candidat contre un autre.
Sputnik : Des
ressorts communautaires ?
Zéphirin Diabré : Pas forcément, mais les grands électeurs. Le poids de
l'argent. Ça a beaucoup pesé lors de la campagne.
Spuntik : Les
réseaux de l'ancien parti au pouvoir, le CDP, auquel appartenait l'actuel
président, Roch Marc Christian Kabore, avant de rompre avec Compaoré ?
Zéphirin Diabré : Tout à fait, l'actuel parti au pouvoir est constitué à hauteur
de 70% par des membres du CDP [parti de Blaise Compaoré, ndlr] qui a changé de casquette.
Donc, le candidat Kaboré [l'actuel président, ndlr] a bénéficié de l'appui des
réseaux du CDP, composés de militants, d'organisateurs, de responsables sociaux
et d'opérateurs économiques. C'est tout ça combiné qui donne une puissance de
frappe à un candidat.
Sputnik : Pendant
le temps où vous étiez opposant, vous n'avez pas construit votre propre réseau ?
Vous êtes-vous pris au piège, en étant dans la contestation sans préparer
d'initiative
Zéphirin Diabré : Nous sommes nés en 2010. La première élection à laquelle nous
avons participé, c'est en 2012. Les élections 2014. En quatre ans, nous sommes
devenus la deuxième force politique du pays. Mais en quatre ans, est-ce que
vous pouvez dépasser en termes d'implantation trente ans d'implantation d'un parti
au pouvoir ?
Sputnik : Vous
avez parlé du poids de l'argent, c'est-à-dire ?
Zéphirin Diabré : Des opérateurs économiques choisissent un candidat. Les hommes
d'affaires ont choisi dans leur grande majorité le candidat du MPP, qu'ils
connaissaient sans doute mieux, avec lequel ils ont fait des affaires. Donc ils
se sont dit que s'il était là, il pourrait garantir nos affaires.
Sputnik : Donnant,
donnant. De la corruption donc… ?
Zéphirin Diabré : Tout à fait ! Je ne suis pas sûr qu'ils le referaient, parce
que là, ils ont la gueule de bois. On parle de révolution, mais c'est plus
subtil. Une élite a estimé que Blaise Compaoré était fichu. Elle l'a sacrifié
pour continuer à faire des affaires. C'est la continuité du même système.
Sputnik : Qu'est-ce
que vous appelez système au Burkina ?
Zéphirin Diabré : Les forces politiques, économiques, sociales, qui se coagulent
et qui, pendant les 27 ans de règne de Compaoré, ont profité du régime.
Sputnik : Aujourd'hui,
y a-t-il un cadre législatif pour réglementer les comptes de campagne ?
Zéphirin Diabré : Non.
Sputnik : Est-ce
une revendication que vous portez ?
Zéphirin Diabré : C'est la [question de la, ndlr] mise en application qui se
pose, parce que nous sommes un pays informel. Dans les autres pays où tout se
fait par une comptabilité oui, mais ici ?
Sputnik : Donc,
ça ne sert à rien de poser le cadre législatif ?
Zéphirin Diabré : Si, si. Puisqu'il y a la corruption, donc ça sert à attirer
l'attention.
Sputnik : Donc,
est-ce que c'est une revendication que vous avez portée ?
Zéphirin Diabré : Je sais que dans le nouveau code électoral, la question s'est
posée. On a dit qu'il faut qu'on surveille le financement des campagnes. Mais,
même en Europe, tout le monde sait qu'on n'arrive pas toujours à contrôler ces
flux-là.
Sputnik : Oui,
mais ça commence toujours par poser un cadre, non ?
Zéphirin Diabré : Tout à fait. Il faut surveiller. Par exemple, on a fait
en sorte que les publicités soient interdites lors de la dernière
présidentielle. Ça, ce n'est pas mal.
Sputnik : Mais
en tout cas, ce n'est pas quelque chose à l'ordre du jour…
Zéphirin Diabré : C'est un débat. Parce que c'est quand même important. Pour le
financement, c'est compliqué. Cela suppose d'avoir une comptabilité régulière,
qu'on cesse de sortir l'argent d'une manière informelle, pour qu'on puisse
tracer les fonds.
Sputnik : Mais
vous, vous n'entendez pas être le porte-voix de ce combat ?
Zéphirin Diabré : Oui, tout à fait. Bien que je n'aie pas de proposition
précise, parce que l'environnement sociologique est assez spécifique. Mais on peut
y réfléchir.
Sputnik : Vous
vous êtes récemment prononcé pour le référendum constitutionnel, qui va coûter
six milliards de CFA…
Zéphirin Diabré : La démocratie n'a pas de prix.
Sputnik : Tout
de même, la population se sent peu concernée par ces projets institutionnels.
Elle ne voit pas toujours le lien avec le développement.
Zéphirin Diabré : D'abord, il faut savoir qu'il s'agit d'une promesse de
campagne (de Kaboré). Il faut bien que les gens sachent ce qu'ils veulent. Si
vous élisez un candidat, il faut qu'il applique son programme. Mais c'est vrai
que les exercices de renforcement de la démocratie ne suscitent pas
l'enthousiasme. Le développement ne suit pas. Mais ce n'est pas non plus une
raison pour ne pas résoudre les questions institutionnelles.
Sputnik : Il
y a des problèmes institutionnels aujourd'hui au Burkina ?
Zéphirin Diabré : Oui, puisqu'il y a ce besoin de passer à une autre
Constitution. Moi aussi j'estimais que la Constitution a des insuffisances.
Sputnik: Réduire
les pouvoirs du Président ?
Zéphirin Diabré : Entre autres choses, oui.
Sputnik : Mais
vous ne pensez pas qu'on a besoin au Burkina Faso d'un leadership fort ?
Zéphirin Diabré : Ce n'est pas à moi de le dire, mais aux Burkinabè. Mais le
leadership n'est pas lié aux pouvoirs constitutionnels. Le leadership dépend
plutôt de la personnalité et de la capacité à diriger une nation. On ne peut
pas le réduire à une somme de pouvoirs que l'on vous donne.
Sputnik : Est-ce
que vous pensez que le Burkina Faso a tiré le meilleur parti de la multipolarité,
ou bien est-il resté prisonnier des vieux paradigmes de la coopération
classique Nord-Sud ?
Zéphirin Diabré : Le Burkina a manqué d'imagination. Il n'a pas assez bien vendu
son insurrection. C'était pourtant une étape historique que tout le monde nous
a enviée. Il n'a pas pu engranger de bénéfices de cela, contrairement à un pays
comme la Tunisie. Pour le reste, on n'a pas imaginé une autre manière de
voir l'économie. Mais cela n'est pas étonnant puisque le schéma classique
renvoie à ceux qui nous ont formés.
Sputnik : La
France, les États-Unis…?
Zéphirin Diabré : Oui, je vois que là on va un peu vers la Chine. C'est une
sorte de retour aux sources (Les relations entre le Burkina Faso et la Chine
ont repris, en mai 2018, à la faveur de la rupture des relations entre
Ouagadougou et Taipei, ndlr)
Sputnik : Mais
il n'est pas difficile, pour vous, de vous libérer du paradigme traditionnel ?
Il ne peut y avoir des pressions, par exemple, pour ne pas sortir du vieux
carré traditionnel ?
Zéphirin Diabré : On ne demande l'avis de personne. D'ailleurs, la part de la
France est moins significative qu'on ne le pense. Prenons le secteur bancaire.
La première banque est burkinabè, la deuxième et la troisième sont africaines.
La première banque française n'arrive qu'après. Pareil pour l'industrie ou les
entreprises ici.
Sputnik : Où
le poids de la France se manifeste-t-il au Burkina Faso ?
Zéphirin Diabré : En économie, ce poids est moins important que ce qu'on a
tendance à penser. Sur le plan militaire, il y a une aide, une coopération. Sur
le plan politique, sans aucun doute, peut-être, que de temps en temps, le
gouvernement de la France ne doit pas être neutre quand les élections se
passent ici. Par exemple, je sais que beaucoup de chefs d'État de la
sous-région, qui ont été élus dans l'ère Hollande, ont bénéficié d'un appui
décisif parce qu'ils étaient socio-démocrates et membres de l'internationale
socialiste.
Sputnik : Dans
le processus d'élection ?
Zéphirin Diabré : Bien-sûr.
Sputnik : Vous pensez que c'est le
cas du Président Kaboré aussi ?
Zéphirin Diabré : Je n'ai pas de preuves, mais je sais que ça s'est passé quand
Hollande était au pouvoir. Et tel que je connais les gens de gauche, les
socio-démocrates membres de l'Internationale socialiste ont tendance à
favoriser les membres de l'Internationale, comme au Mali ou au Burkina.
Sputnik : Vous
n'avez pas encore annoncé votre candidature pour la prochaine élection ?
Zéphirin Diabré: Non. Je trouve indécent, alors que nous sommes en train
d'enterrer nos morts victimes du terrorisme, alors qu'il y a la famine qui
frappe, que des gens ne pensent qu'à annoncer leur candidature. Pourquoi est-on
aussi pressé ?
Sputnik: Vous
parlez du président Kaboré qui a annoncé ces jours-ci sa candidature ?
Zéphirin Diabré : Il faut faire son travail d'abord. La moitié du mandat n'est
pas la fin du mandat. Mais cela veut dire qu'on est obnubilé (par la
réélection), ou qu'on a peur de quelque chose. S'il est pressé pour annoncer sa
candidature aujourd'hui, c'est que, peut-être, au sein de sa propre formation,
on entend des voix qui se demandent s'il est le meilleur candidat du
parti. Il est alors obligé d'annoncer sa candidature pour couper court à ce
débat.
Sputnik : Vous
êtes économiste de formation, et avez été enseignant chercheur à Harvard.
Quelles faiblesses structurelles ont en commun toutes les économies africaines ?
Zéphirin Diabré : Il y a d'abord la
capacité d'imaginer une trajectoire, à s'y maintenir sur le long terme. On a
trop de révolutions et de nouvelles idées chaque fois. Des pays comme la
Malaisie ou Singapour ont su le faire. Chez nous, en revanche, dès qu'il y a un
changement, même au sein d'une direction, on efface et on recommence.
On n'a pas de trajectoire. C'est un point qui caractérise beaucoup d'économies
africaines. Le deuxième aspect, c'est la prédation. La différence entre la
corruption en Afrique et en Asie est remarquable. Je ne sais pas comment ils
ont fait, mais ils arrivent à allier la corruption et le développement. Nous,
notre corruption est contre le développement. En Asie, il y a la corruption,
mais ils arrivent à avancer tout de même. Alors que nous, c'est la corruption
sans qu'on avance.
Propos recueillis par Safwene
Grira
Source : https://fr.sputniknews.com
29 juin 2018
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