Selon un ancien aviateur de l’opération
« Turquoise », lui et ses camarades se sont bien préparés à frapper
le Front patriotique rwandais (FPR), à la fin du mois de juin 1994. Le
caractère humanitaire devient plus net après cette mission annulée in extremis.
Il a une petite cinquantaine d’années. Le physique sec d’un
homme qui n’a pas abandonné la pratique du sport. Il a fait toute sa carrière
dans l’armée de l’air. En juin 1994, il a participé à l’opération
« Turquoise » lancée par la France sous mandat de l’ONU :
officiellement, une action armée humanitaire pour secourir les civils rwandais,
deux mois après le déclenchement du génocide contre les Tutsis et l’assassinat
des Hutus de l’opposition par le gouvernement intérimaire rwandais (GIR) et ses
supplétifs.
Cet aviateur n’a jamais
évoqué publiquement son rôle dans Turquoise. Pourtant, vingt-quatre ans
après, il y pense toujours, seul. Lorsqu’il a découvert le témoignage de
Guillaume Ancel sur la dimension offensive du début de l’opération, il a reconnu
des éléments de son histoire. « Il n’est pas un affabulateur
pour ce que j’ai vu de Turquoise. C’est pourquoi il m’est apparu juste
d’apporter mon témoignage », explique-t-il. Il a posé deux
conditions : rester anonyme pour ne pas s’attirer inutilement des ennuis, et
relire son témoignage.
Pas de briefing sur la nature de la
mission
Fin juin 1994, notre
aviateur, prépositionné dans une base française en Afrique, débarque à
Kisangani (au Zaïre) avec les premiers éléments de la chasse française. « Notre métier est
d’apporter un appui feu aux opérations au sol. Nous sommes arrivés dans cet
état d’esprit ». Avec ses camarades, ils n’ont pas reçu
de briefing précis sur la nature de leur mission et le contexte de leur
intervention. Ils se disent que l’Élysée est aux commandes. La seule chose dont
ils sont quasiment sûrs, c’est qu’ils vont intervenir dans une zone de conflit
où il y a les « hostiles » : « On les appelait les rebelles.
Avec le recul, j’ai compris que nous parlions du FPR ».
Ceux engagés dans l’opération « Amaryllis », l’opération d’évacuation
des Français de Kigali, deux mois et demi plus tôt, retrouvent le même ressenti
à Kisangani. « En
avril, ils avaient clairement perçu la bienveillance de la France pour les
dignitaires du régime et son hostilité envers le FPR ».
Quatre Jaguars, de
Centrafrique, sont déployés à Kisangani dès le 26 juin. Ils assurent la
jonction avec les avions venus de France. À leur côté, un ravitailleur C-135FR.
Ils sont rejoints, le 29 juin, par quatre Mirage F1CT. Les équipages
se préparent et s’attendent à être engagés dans la zone de conflit : au Rwanda
donc.
Pour
illustrer ses propos et montrer qu’il n’affabule pas, il présente des documents
dont, sur l’écran de son smartphone, une photo d’une vieille carte dessinée à
la main. On y reconnaît la zone géographique de l’opération avec des traits
symbolisant les trajectoires pour les avions en fonction des options
envisagées : l’une d’elles conduit à Kigali.
« Pour nous, nous étions là pour
faire la guerre »
Y a-t-il eu à sa connaissance
ou a-t-il reçu une directive, un ordre préparatoire pour intervenir sur
Kigali ? « Non. Mais pour nous, nous étions
là pour faire la guerre. Nous étions sur le point de frapper les rebelles :
cela ne faisait, alors, aucun doute. L’armement qui arrivait sur la base
nous confortait dans cette perspective ».
Le 30 juin, les équipages
sont convoqués à la nuit tombée. « Vous
allez intervenir au petit matin pour “bloquer” les rebelles, car la tension
monte sur le terrain », leur dit-on. L’officier du
renseignement les met en garde sur le professionnalisme et l’armement des
« hostiles » : en particulier sur leurs missiles sol-air, du type de
celui qui a abattu l’avion du président Habyarimana. « L’arme la plus dangereuse pour
les chasseurs ».
La
nuit est courte pour les équipages et les mécanos. « Au petit matin, les deux
premiers Jaguars décollent pour la zone de conflit, “canons armés”. C’était
évident. Ça allait chauffer. Ils s’étaient envolés pour faire leur
métier : appuyer nos troupes au sol en frappant les rebelles »,
se souvient-il.
Une mission annulée sans aucune
explication
Les
Jaguars sont en liaison avec d’autres avions relais. En attendant les
coordonnées de la cible, ils demandent l’autorisation d’ouvrir le feu : « Le protocole est très strict et
peut-être long. Il est demandé en avance pour tester la chaîne de commandement.
Mais ce jour-là, la procédure utilisée étant nouvelle dans ce contexte, elle a
dû remonter directement aux plus hautes sphères de l’État. En 1994, engager la
chasse dans une action de combat ne pouvait se faire que sous l’autorité du
président de la République. Mais l’autorisation n’a pas été donnée. La mission
est annulée, et les Jaguars rentrent à leur base ».
Source : https://eburnienews.net 28
Juin 2018
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire