En désignant le taux de fécondité comme une entrave au développement de
l’Afrique, le président de la République occulte les dynamiques démographiques
à l’œuvre sur le continent. Et réactive les vieux préjugés essentialistes.
Emmanuel Macron avait déjà donné, avec les kwassa kwassa qui « pêchent
peu » mais « amènent du Comorien », un aperçu de sa « pensée complexe ».
Précipité, en fait, de cynisme, d’arrogance satisfaite et de condescendance
néocoloniale. Le 8 juillet [2017], en marge du G20, le président français a
récidivé avec, encore, un cliché aux relents racistes et colonialistes. « Le défi de l’Afrique (…), il est
civilisationnel. (…) Quand des pays ont, encore aujourd’hui, sept à huit
enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous
ne stabiliserez rien », a-t-il asséné. Bien dans les pas de Nicolas
Sarkozy, qui assurait en 2007 à Dakar : « Le
drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans
l’histoire ». Les champs de bataille diffèrent : là, l’histoire ; ici,
le ventre des femmes. Mais la matrice idéologique reste la même.
UNE VIEILLE LECTURE ESSENTIALISTE ET FIGÉE
On pense, bien sûr, à la hiérarchisation des sociétés qui forge la vision
hégélienne d’une Afrique obscure, coupée des mouvements du monde, étanche aux
progrès des sociétés humaines, peuplée d’hommes et de femmes esclaves des lois
naturelles. « Ce qui détermine le
caractère des Nègres est l’absence de frein. Leur condition n’est susceptible
d’aucun développement, d’aucune éducation. Tels nous les voyons aujourd’hui,
tels ils ont toujours été. Dans l’immense énergie de l’arbitraire naturel qui
les domine, le moment moral n’a aucun pouvoir précis. Celui qui veut connaître
les manifestations épouvantables de la nature humaine peut les trouver en
Afrique. Les plus anciens renseignements que nous ayons sur cette partie du
monde disent la même chose. Elle n’a donc pas, à proprement parler, une
histoire. Là-dessus, nous laissons l’Afrique pour n’en plus faire mention par
la suite. Car, elle ne fait pas partie du monde historique, elle ne montre ni
mouvement, ni développement (…) ; ce que nous comprenons, en somme, sous le nom
d’Afrique, c’est un monde anhistorique non développé, entièrement prisonnier de
l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire
universelle », professait Georg Wilhelm Friedrich Hegel à l’aube des
grandes conquêtes coloniales.[1] Cette vieille lecture,
essentialiste et figée, inspire toujours, pour le pire, les discours politiques
projetés, depuis l’Occident, sur le continent. « Dans l’entendement de notre temps, chaque fois qu’on prononce le nom
Afrique, on ne convoque pas seulement un fait physique, spatial ou
géographique. On met aussi en branle, parfois inconsciemment, une série
d’images, une foule de préjugés, d’attributs supposés typifier les êtres qui
habitent cet espace physique, leurs coutumes et leurs manières de vivre et de
faire », remarque le penseur Achille Mbembe.[2]
Ici, le préjugé est d’autant plus grossier qu’il occulte les dynamiques
démographiques à l’œuvre sur le continent. « Le
taux de fécondité moyen en Afrique est passé de 6,7 enfants par femme dans les
années 1960 à 4,4 aujourd’hui. La transition démographique y est donc bien
enclenchée, avec des différences entre sous-régions, entre pays, entre zones
urbaines et zones rurales », explique le démographe burkinabé Jean-François
Kobiané, directeur de l’Institut supérieur des sciences de la population (ISSP)
de Ouagadougou. Dans le nord du continent, cette transition est très rapide et
les taux de fécondité, avec 2 à 3 enfants par femme, approchent désormais de
ceux que l’on observe dans les pays occidentaux. Dans les ex-colonies
françaises d’Afrique de l’Ouest, le mouvement est plus lent. Certainement pour
des raisons historiques, liées à la colonisation. Le 30 juillet 1920, une loi
française y interdisait toute « propagande » visant à promouvoir les méthodes
contraceptives, l’avortement, l’accès à la planification familiale, sous peine
de lourdes sanctions. « Dans ce contexte,
il a fallu attendre les années 1990 pour voir émerger, en Afrique de l’Ouest,
les premières politiques sérieuses de planification familiale, engagées, en
Afrique anglophone, dès l’aube des indépendances », explique Jean-François
Kobiané. Dans ces dynamiques contrastées, la baisse du taux de mortalité
compense celle de la fécondité et la population croît de 2,5 % par an. D’ici à
2050, la population d’Afrique pourrait doubler, pour atteindre 2,4 milliards de
personnes. Trop noirs, trop pauvres, trop nombreux ? Là se loge certainement
l’angoisse d’une Europe terrifiée par les migrations comme par sa perte de
centralité dans le monde. Mais cette croissance démographique africaine
est-elle un frein au développement, comme le suggère Emmanuel Macron ? « Non, répond Jean-François Kobiané, elle peut même devenir un formidable levier
de développement, à condition qu’elle s’accompagne d’investissements massifs
dans la santé, dans l’éducation, dans la création d’emplois qualifiés ». À
condition, aussi, de mettre fin au pillage des ressources du continent par les
puissances occidentales et leurs multinationales, d’éteindre les conflits
allumés et alimentés par les ex-métropoles coloniales, de lever les tutelles
économiques, politiques et culturelles d’un autre temps. Voilà le défi
civilisationnel digne d’être relevé.
Rosa Moussaoui
Source : https://www.humanite.fr
18 Juillet 2017
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