mercredi 9 mai 2018

Que reste-t-il d’Houphouët et de l’houphouétisme ?

N'Datien Séverin Guibessongui
L’avenir politique de la Côte d’Ivoire semble graviter autour du personnage d’Houphouët-Boigny. Lapalissade pour certains, erreur pour d’autres. Les premiers, qui prennent pour vérité absolue l’houphouétisme comme étant le sens de l’histoire, considèrent que les idées d’Houphouët sont vivantes, actuelles et futuristes. Selon ces derniers, l’houphouétisme seraient un facteur de rassemblement politique de nature à constituer un socle intemporel de stabilité politique et institutionnelle nécessaire pour assurer un développement durable de la Côte d’Ivoire. Dans ce sens, les disciples de « l’apôtre du dialogue et de la paix » pensent que les idées houphouétistes sont cohérentes et suffisantes pour être érigées au rang d’idéologie politique.
Les seconds considèrent que l’houphouétisme est un ensemble d’idées mortes, anachroniques ou qui encourent la caducité. Pour eux, il est temps que la messe de requiem de l’houphouétisme ou du système houphouétiste soit dite pour que s’ouvre une nouvelle ère plus adaptée à la sociologie politique et à l’évolution du temps.
Cette tribune n’a pas vocation à faire une incursion même furtive dans « la famille des houphouétistes ». Elle vise à observer les péripéties idéologiques de l’extérieur et non de l’intérieur et à regarder dans les entrailles de la société ivoirienne, les lignes idéologiques latentes ou patentes, naissantes ou en gestation.
Au-delà de l’élan de rassemblement des « enfants spirituels d’Houphouët », on peut observer des prémisses de voies idéologiques embryonnaires parallèles à l’houphouétisme. Ce bouillonnement politique est-il idéologique, doctrinal ou générationnel ?
On peut observer que les idées houphouétistes ont un terreau plus favorable dans le cercle des sexagénaires, septuagénaires et octogénaires. Les membres de ce cercle ont en commun d’être nés avant ou pendant l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Dans ce cercle, l’houphouétisme est concentré ou exacerbé. Une maxime pourrait le résumer : « Point de salut hors de l’houphouétisme ». Selon eux, l’houphouétisme serait le seul chemin qui mène au paradis politique. Ici, l’idéologie houphouétiste aurait son berceau au sein d’une génération. On peut donc percevoir le lien étroit entre l’idéologie et la génération.
On peut toutefois observer dans cette génération des fêlures idéologiques apparues dès les années 90. Les tenants de ces lignes idéologiques aux antipodes de l’houphouétisme ou qui étaient les maîtres à penser d’une alternative idéologique de gauche, avaient pour leaders Laurent Gbagbo, Bernard Zadi Zahourou, Francis Wodié et bien d’autres. Tous ont par la suite connu des fortunes politiques diverses dont la tiédeur contrastait avec la vigueur de leur idées politiques.
Par ailleurs, les années 90 ont pu faire apparaître une autre mouvance politique nourrie au syndicalisme et pétrie d’un syncrétisme idéologique. Élèves ou étudiants à cette époque, ce qu’il convient d’appeler la génération du multipartisme n’a pas été nourrie aux idées houphouétistes. Cette génération, à peine sortie de l’adolescence a, dans un élan juvénile ou s’entremêlait insouciance et désir de se forger un esprit politique, combattu Houphouët en rejetant en cœur ses idées. On observe d’ailleurs que cette génération, devenue quadragénaire et quinquagénaire, ne soit pas appâtée par l’houphouétisme ou soit de marbre face à l’houphouétisme. Si l’houphouétisme est introuvable dans cette génération des années 90, dite génération zouglou, peut-on en conclure à une absence d’idéologie ? À l’analyse, on peut observer à travers les affinités politiques et générationnelles qu’il se susurre une idéologie en gestation aux contours non définis. Vous aurez encore perçu le lien entre idéologique et génération.
Enfin, quid de la génération née après la mort d’Houphouët-Boigny ? Cette génération des moins de trente ans qui constitue soixante-cinq pour cent (65%) de la population ivoirienne semble avoir décroché de la politique pour se réfugier dans la virtualité du numérique. Sans doute veut-elle développer une idéologie numérique. Qu’elle soit une génération numérique parce que vivant dans le tout connecté ou une génération « coupé-décalé » parce qu’ayant eu son enfance ou son adolescence bercée par ce rythme musical, il semble qu’elle n’a pas pris la pleine mesure de son poids démographique et politique.
On peut observer toutefois que s’il y a « quelque chose » d’Houphouët-Boigny, même dilué, dans la « génération du multipartisme », il n’y a rien d’Houphouët-Boigny dans la « génération coupé-décalé ». On aurait donc trois cercles : celui de l’houphouétisme concentré ou exacerbé, celui de l’houphouétisme dilué et celui de l’houphouétisme inexistant ou introuvable. Mais ces trois cercles, qui ne sont pas entourés de cloisons étanches, peuvent s’interpénétrer et se féconder idéologiquement. Dans ce contexte, l’idéologie triomphante qui devra orienter le devenir de la Côte d’Ivoire peut-elle demeurer l’Houphouetisme ? Ou, quelle serait l’offre idéologique concurrente ?

N’Datien Séverin Guibessonui, Docteur en Droit, Avocat.
Titre original : « Héritage de l’houphouétisme. L’honorable Guibessongui prend position ».

EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».

Source : https://news.abidjan.net 3 mai 2018

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire