vendredi 25 mai 2018

« On se frottait parfois les yeux »… et « On tendait également une oreille »…*

E. Macron accueillant son homologue rwandais P. Kagame le 23 mai 2018
© Ludovic MARIN
Quand le chef d’un Etat libre et souverain sachant se faire respecter est reçu à l’Elysée, cela se voit et cela s’entend aussi. Ce n’est pas comme lorsque Nicolas Sarkozy ou Emmanuel Macron reçoivent leur petit Alassane Ouattara…

Pour aller plus loin, voir sur ce blog le post auquel renvoie le lien suivant :
https://cerclevictorbiakaboda.blogspot.fr/2017/09/apologie-du-fantochisme-eloge-de_2.html

La « visite de travail » du président rwandais Paul Kagame à Paris consacre le réchauffement des relations franco-rwandaises particulièrement tumultueuses depuis le génocide de 1994 au Rwanda, dans lequel Paris est soupçonné d'avoir joué un rôle nocif.

C’est donc officiel : la France soutient la candidature de Louise Mushikigwabo, actuelle ministre des Affaires étrangères au Rwanda, pour remplacer Michaëlle Jean à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), lors de l’élection qui aura lieu en octobre à Erevan en Arménie. « Elle a toutes les compétences et les titres pour assurer cette fonction », a déclaré sans détour Emmanuel Macron à l’issue de sa rencontre ce mercredi avec le président rwandais Paul Kagame. L’annonce n’a rien d’anodin et la conférence de presse commune des deux Chefs d’Etats ne l’était guère plus.
On se frottait parfois les yeux en observant les leaders de deux pays aux relations si conflictuelles depuis un quart de siècle, réunis côte à côte dans cette salle de l’Elysée, où Kagame n’était pas revenu depuis 2011, lors d’une brève embellie sous Sarkozy. On tendait également une oreille guère habituée à entendre de tels échanges d’amabilités entre les représentants officiels de la France et du Rwanda. Kagame se félicitant d’un « nouveau partenariat », Macron renchérissant sur « le rôle essentiel du Rwanda » notamment dans la gestion des crises du continent et sur « les priorités partagées » avec le chef de l’Etat rwandais qui est également depuis janvier le Président en exercice de l’Union Africaine (UA). Visiblement les deux hommes s’apprécient et ils l’ont encore manifesté lors de cette troisième rencontre en tête à tête depuis un an.

Réactions passionnelles

Pourtant une partie de la classe politique française, et surtout la vieille garde mitterrandienne, mais aussi une partie de l’armée, voue à Kagame une haine tenace. Et aucun pays africain ne suscite en France, encore aujourd’hui, autant de réactions passionnelles, voire hystériques, que le Rwanda.
Pourquoi un tel déchainement, et en particulier contre Paul Kagame ? Le malaise remonte à 1994, l’année du génocide des Tutsis du Rwanda. Un million de morts en trois mois. Un massacre orchestré sous les yeux de la communauté internationale, par les alliés de Paris, qui aura bien du mal à prendre ses distances.
A la tête d’un mouvement rebelle crée dans l’Ouganda voisin, pays anglophone de surcroît, où de nombreux Tutsis s’étaient réfugiés lors des premiers pogroms après l’indépendance du Rwanda, Kagame va alors reprendre le contrôle du pays et faire fuir les forces génocidaires. Mettant également en déroute, les manœuvres de ceux qui à Paris ont jusqu’au bout espéré préserver l’influence de la France dans ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs. Depuis, Kagame a plusieurs fois rappelé la complicité de Paris dans la préparation et le déroulement du génocide. Provoquant à chaque fois des réactions indignées chez ceux qui refusent toute évocation d’une complicité française dans les évènements de 1994. Et n’ont eu de cesse d’attribuer à Kagame la responsabilité de l’événement déclencheur du génocide : l’assassinat du président Juvénal Habyarimana. Une accusation formulée par le juge Jean-Louis Bruguière qui provoquera la rupture des relations diplomatiques avec le Rwanda en 2006 puis sera largement démentie par le successeur de Bruguière, le juge Marc Trévidic. L’instruction désormais achevée après de multiples rebondissements, devrait être en principe clôturée par un non-lieu prochainement. Il y a donc bien des fantômes dans les placards des relations franco-rwandaises.

Déclassification des archives

Ce mercredi cependant, on était très loin de ces polémiques. « Il faut avancer de manière pragmatique sans rien enlever à la complexité des histoires du passé », a déclaré Emmanuel Macron qui a refusé cependant de se prononcer sur le retour d’un ambassadeur français à Kigali, poste vacant depuis 2015. « L’essentiel c’est de reprendre notre coopération », a martelé le président français qui a promis de poursuivre la déclassification des archives françaises sur le génocide. Alors que Kagame, lui, singulièrement évasif, s’est refusé à s’exprimer sur ce passé qui hante toujours les relations entre les deux pays.
Certains se réjouiront de ce réchauffement évident des relations franco-rwandaises : après tout, le Rwanda est aujourd’hui un pays qui s’est miraculeusement redressé et fait même figure de pôle de stabilité dans une région tourmentée. Certains déploreront qu’on tende ainsi la main à un homme qui a certes réussi à faire renaître son pays de ses cendres, mais ne donne pour l’instant aucun signe de vouloir quitter le pouvoir, après avoir modifié la Constitution pour se représenter aux élections. La France est-elle cependant la mieux placée pour donner [de telles] leçons ?
En invitant le président rwandais à l’inauguration d’un salon consacré aux start-up, Viva Technology, qui ouvre ses portes ce jeudi avec pour la première fois un coup de projecteur porté aux entreprises africaines, Emmanuel Macron impose un nouveau virage aux relations franco-rwandaises.
Il est encore trop tôt pour savoir s’il sera définitif. Et s’il se fera, en réalité, en enterrant le passé, comme le craint l’association Survie qui déclarait ce mercredi soir : « Comme avec Nicolas Sarkozy, on assiste à un rapprochement stratégique entre Paris et Kigali dont pourrait pâtir la vérité sur le soutien de l’Etat français au camp génocidaire. (…) C’est le "en même temps" macronien : il évoque la place du génocide des Tutsis dans notre mémoire collective pour suggérer une forme de reconnaissance de la tragédie, mais laisse aussitôt entendre qu’on manquerait d’informations sur le rôle des uns et des autres. C’est oublier que l’implication française est déjà documentée, et qu’il a la clé de la plupart des secrets restants ! ».

Maria Malagardis
(*) - Titre original : « France-Rwanda : A Paris, Macron et Kagame enterrent la hache de guerre ». 
Source : France 24, 25 mai 2018

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