INTERVIEW DE JORGE RODRIGUEZ, MINISTRE DE L'INFORMATION DU VENEZUELA
Photo Ricardo Rojas. Reuters |
Ministre de l’Information du
gouvernement bolivarien (socialiste) du Venezuela, Jorge Rodríguez, 52 ans, est un des personnages les plus médiatiques du régime fondé par le défunt Hugo Chávez. Psychiatre de formation,
il anime chaque semaine le talk-show télévisé la Politique sur le divan. Il est aussi directeur de
campagne de Nicolás Maduro, candidat à sa réélection pour la présidentielle du 20 mai. Libération l’a rencontré lors de sa récente visite à Paris.
Le président Nicolás Maduro se dit
certain de sa réélection le 20 mai.
Partagez-vous cet optimisme ?
L’élection de l’Assemblée constituante,
en juillet 2017, a permis de mettre fin à un cycle de violences qui a fait 139 morts. Le président Maduro a proposé la paix, et la paix est arrivée. Cela a généré dans la population le sentiment que, malgré toutes les difficultés que
nous rencontrons, malgré la guerre économique brutale que nous subissons, la
seule proposition crédible pour résoudre nos problèmes est celle du président
Maduro. Nos victoires ces derniers mois lors des élections des gouverneurs et
des maires l’ont confirmé. Tous les sondages montrent une hausse très nette des
opinions favorables au Président. Nous disposons en outre d’une machinerie
politique très puissante : le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), présidé par Nicolás Maduro. Avec plus de 6,5 millions d’adhérents, sur une population de 30 millions
et 20,5 millions de votants, nous sommes le parti politique le plus important d’Amérique latine. Toutes les forces de
gauche sont unies derrière Nicolás Maduro, soit neuf partis :
communistes, évangéliques,
sociaux-démocrates… Par conséquent, nos possibilités de victoire en mai sont très élevées.
L’opposition boycotte le scrutin, en
invoquant des obstacles qui auraient empêché les candidatures de ses principaux
dirigeants. En outre, la MUD, coalition de l’opposition, n’est pas autorisée à
présenter un candidat. Pourquoi ?
Au Venezuela, il y a dix-huit partis
inscrits au registre national. Quinze d’entre eux seront représentés le 20 mai. On
prétend que certains partis ou candidats ont été empêchés de participer. Si
c’est arrivé, ce n’est pas du fait du gouvernement. Le chargé d’affaires de
l’ambassade des Etats-Unis, Todd Robinson, a fait du porte-à-porte, s’est rendu
chez Henry Ramos Allup, précandidat d’Action démocratique [droite,
ndlr], et lui a dit : « La
position de mon pays est que vous ne preniez pas part à l’élection ». Plusieurs témoignages l’accréditent.
Enfin, certains partis ne peuvent pas participer car, ayant boycotté un scrutin précédent, ils devaient passer par une formalité très simple : recueillir
les signatures de 0,5% des votants inscrits. Ils ne l’ont pas fait.
Mais pourquoi les principales figures de
l’opposition seront-elles absentes du scrutin ?
De quels candidats me parlez-vous ? Leopoldo López et Henrique Capriles ? López [du
parti Voluntad Popular] a lancé des appels publics à la violence en 2012, avec le
résultat de 42 morts. La
procureure de l’époque, et elle seule puisque l’action pénale est exercée par le parquet, en aucun cas par le pouvoir politique, a inculpé López et un
tribunal l’a condamné. La commission vérité de l’Assemblée constituante a recommandé l’an dernier d’accorder à Leopoldo López une mesure de substitution à l’emprisonnement. Il finit de purger sa
peine chez lui, entouré des siens. Le cas de Capriles n’a rien à voir ni avec
la justice ni avec la politique. La Cour des comptes a mis au jour des
manquements importants dans son activité de gouverneur, et il a été puni comme
la loi le prévoit. Tous les autres responsables de l’opposition pouvaient être
candidats. Dont Ramos Allup, qui en a été empêché par Robinson.
L’opposition pointe le manque de
transparence du système électoral…
Un accord auquel nous sommes parvenus
lors des pourparlers avec l’opposition en République dominicaine assurait
toutes les garanties électorales, dont seize audits indépendants du système de
vote automatique. C’est le système de vote le plus transparent et efficace du
monde, ce n’est pas nous qui le disons mais [l’ancien président des Etats-Unis] Jimmy Carter
et sa fondation.
Se mesurer à une opposition affaiblie,
vous trouvez que c’est sain pour une démocratie ?
Je ne crois pas que l’opposition soit
affaiblie. Un pourcentage important des Vénézuéliens est contre le modèle
chaviste et la candidature de Maduro. L’appel des chefs de l’extrême droite à
la non-participation est une manœuvre détestable. Leurs électeurs veulent
participer. Quelle alternative proposent-ils au vote ? La violence ? Un coup d’Etat militaire ? L’agression d’un pays étranger ? Toutes les garanties sont réunies pour un vote propre, pourquoi refuser d’aller aux urnes ?
Vous êtes ministre de la Communication
et de l’Information. Or plusieurs journaux non-gouvernementaux ont dû cesser de
paraître faute de papier.
Il est vrai que nous rencontrons des
difficultés d’approvisionnement. Ça n’a rien à voir avec la politique, ou alors
c’est à cause de celle de Donald Trump et de Mariano Rajoy. Les sanctions
unilatérales des Etats-Unis et de l’Europe nous empêchent de payer nos
fournisseurs, en Espagne et au Canada. Mais je peux vous assurer qu’un
chargement important arrive ces jours-ci. Ce papier sera vendu à des prix
subventionnés à tous les journaux privés, pour la plupart d’opposition.
…On a brûlé vifs des gens parce que leur peau foncée
les rendait suspects d’être chavistes
Pourquoi le Venezuela a-t-il une si
mauvaise image à l’extérieur ?
Parce que nous sommes victimes d’une
brutale agression de la part de certains acteurs médiatiques internationaux.
Nous avons publié des données il y a quelques jours. Certains médias ont
consacré 77% de leur espace à agresser le Venezuela. L’an passé, en Espagne, ont été publiés 3 880 articles contre le Venezuela. Le
quotidien El País publie un article défavorable toutes les 36 heures. C’est à se demander si pour ces médias espagnols, le Venezuela n’est pas plus
important que leurs affaires internes.
Dans quelle mesure votre gouvernement
accepte-t-il les critiques ? Pour
prendre un exemple, dans l’émission de télévision Con el mazo dando (« je frappe avec la massue »),
les attaques verbales contre toute forme d’opposition sont d’une violence
inouïe.
Ne confondez pas la diatribe politique,
avec des mots durs et parfois, peut-être, inconvenants, et des actes qui se
rapprochent dangereusement du fascisme. Nous, chavistes, n’avons jamais tenu de
discours de haine en raison de l’appartenance politique, de la condition
sociale ou raciale, du genre. Ces facteurs de haine ont été propagés par la
droite. On a créé une situation de guerre psychologique où le moindre
fonctionnaire de l’Etat devient une cible désignée à la vindicte publique,
ainsi que sa famille. Cette violence-là a atteint des niveaux hallucinants, on
a brûlé vifs des gens parce que leur peau foncée les rendait suspects d’être
chavistes. Ce racisme brutal et avéré aurait dû être dénoncé par tous les gens
de bien dans le monde.
Mais vous donnez l’impression de voir un
complot impérialiste derrière la moindre critique…
Critiquer le gouvernement est une chose.
Nous acceptons et prenons compte des critiques, et Dieu sait que nous avons le
cuir tanné à force d’en entendre. Mais la manipulation et le mensonge, c’est
autre chose. « Des millions
de Vénézuéliens
manifestent ». Faux ! « La population
meurt de faim ». Faux ! « Urgence humanitaire ». Faux ! L’intention
derrière tout ça, c’est créer le climat propice à une intervention étrangère.
Selon vous il n’y a pas d’urgence
humanitaire au Venezuela ?
Non. En droit international, l’urgence
humanitaire correspond à deux cas : une guerre civile ou une catastrophe
naturelle. Le Venezuela n’est dans aucune de ces situations.
Quand la presse parle de graves pénuries
d’aliments et de médicaments, elle ment ?
Les problèmes existent et nous ne les
nions pas. Le prix du baril de pétrole, qui avait atteint 120 dollars, s’est effondré, passant au-dessous des 30 dollars,
notre prix de revient. Malgré cela, nous n’avons jamais cessé de protéger la population. 34% du budget national est investi dans l’éducation, la santé, l’alimentation.
On n’a pas fermé une seule école au Venezuela, ni une université, ni un
hôpital. La pénurie d’aliments s’explique par la contrebande. 60% de la
nourriture achetée par l’Etat pour satisfaire aux besoins de la population était détournée vers la
Colombie mais aussi les Caraïbes, et ça n’est pas fini. Le combustible vendu
par les stations-service de Colombie provient de la contrebande. Si nous
pouvions disposer de l’argent qui nous appartient, toutes nos nécessités en matière d’alimentation seraient pourvues. Mais de
fortes sommes sont sous séquestre, comme les 1 500 millions de dollars que retient [l’agence financière] Euroclear.
La Colombie est un bouc émissaire
facile.
Pas du tout. 12% des
Colombiens vivent sur notre territoire, soit 5,8 millions de personnes. Nous les avons
accueillies à bras ouverts, leur avons offert la santé, l’éducation gratuite
pour leurs enfants, le logement… Nous avons demandé mille fois au président
Santos qu’il agisse contre la contrebande d’aliments, de combustible et de
médicaments, mais il continue à fermer les yeux.
Mais ni la Colombie ni les Etats-Unis ne
sont responsables de la faible production nationale d’aliments.
Nous sommes d’accord, le pays doit
produire davantage, et le nouveau schéma que propose le président Maduro repose
sur la substitution du modèle rentier pétrolier par une économie diversifiée.
Aujourd’hui, la situation s’améliore, les étagères des supermarchés, fréquentés
par la classe moyenne, sont pleines. Quant aux classes populaires, celles qui
souffrent le plus de l’inflation induite, nous leur apportons à domicile,
chaque mois, un colis avec 18 produits de base. Six millions de foyers
en bénéficient.
Des produits exportés. N’est-il pas
dramatique qu’après dix-neuf ans de chavisme, le pays soit si loin de la
souveraineté alimentaire ?
En dix-neuf ans de pouvoir chaviste,
nous avons fait passer le taux de pauvreté de 74% à 26%, la
mortalité infantile de 23 à 12 pour mille, la scolarisation de 74% à 94%. Avant 1999, la
moitié de la population n’avait jamais bénéficié de soins de santé publique. Aujourd’hui ils sont quasiment 100% à avoir un
médecin près de leur domicile.
Des médecins cubains, la plupart du
temps…
Non, la grande majorité sont désormais
vénézuéliens, car Hugo Chávez avait lancé un vaste programme de formation. Sans
nier l’aide immense que nous ont apporté dans les missions médicales les
présidents Fidel et Raúl Castro, que nous ne remercierons jamais assez. Je
reprends. Nous avons construit deux millions de logements en sept ans. Et pour
identifier les besoins de la population, nous avons créé la « carte de la
patrie », qui utilise
la technologie du code QR. Voilà pour le bilan du chavisme.
Est-il vrai que la «carte de la patrie»,
utilisée comme carte électorale électronique, garde la trace de chaque vote ?
C’est absurde. 16,8 millions de
personnes en bénéficient, et
il y a vingt millions d’inscrits sur les listes électorales. Nous n’aspirons pas à obtenir seize millions de voix. La carte est distribuée à tous ceux qui y ont droit sans la
moindre considération partisane.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Nous sommes en passe de résoudre de
façon définitive les pénuries. Le problème alimentaire est en bonne voie, en
quelques mois nous aurons résolu le manque de médicaments. Avec la
correction des déséquilibres macroéconomiques
en cours, la réforme monétaire qui va intervenir dans les trois mois [création
d’un nouveau peso pour combattre l’hyperinflation], l’émission de la cryptomonnaie petro, la nouvelle loi d’investissement étranger, je suis persuadé que nous allons redresser la situation. Les mesures que prépare le
président Maduro vont parachever la stabilisation de l’économie, et nous nous
dirigeons vers une période de profonde prospérité économique. Souvenez-vous de
mes paroles.
Et si vous perdez l’élection du 20 mai ?
Propos recueillis par François-Xavier Gomez
Source : http://www.liberation.fr 6 avril
2018
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