Par Bally Maurice
Ferro
Dans
ce pays, la crise postélectorale est du pain béni. Les opposants sont
pourchassés dans leurs derniers retranchements et, alors que les ressortissants
du Nord du pays sont les chouchous du pouvoir, une campagne effrénée est menée
pour faire du RHDP le parti-État.
Après
la grave crise politico-armée du 19 septembre 2002 au 11 avril 2011, le pays a
été administrativement réunifié. Il n’y a plus deux armées antagonistes, deux
autorités rivales et deux territoires opposés. La Côte d’Ivoire est redevenue une
et indivisible avec une seule autorité et une seule armée.
Mais
s’il n’y a plus de zone de confiance entre le Nord alors aux mains des forces
rebelles et le Sud administré par les autorités légales et régulières, un
solide rideau de fer s’est forgé au triple plan social, juridique et politique.
Les Ivoiriens sont ensemble mais, selon leur appartenance régionale ou
politique, ils évoluent parallèlement.
Dès
son accession au pouvoir, Alassane Ouattara a donné le ton de la discrimination
sociale. Au concept d’« Ivoirité » vomi parce qu’il catégoriserait les
Ivoiriens, il a porté sur les fonts baptismaux son clone : le « Rattrapage
ethnique », c’est-à-dire la nomination et la promotion des ressortissants du
Nord du pays aux postes clés de l’administration publique et de l’armée.
«
Il s’agit d’un simple rattrapage. Sous Gbagbo, les communautés du Nord, soit 40
% de la population, étaient exclues des postes de responsabilité », s’est
expliqué Ouattara dans l’hebdomadaire français L’Express du 25 janvier 2012.
Il
prenait le contre-pied de ses propres déclarations, le 25 novembre 2011, devant
les Ivoiriens du Benelux : « Nous savons ce que c’est que la paix.
N’acceptez pas l’exclusion, la marginalisation. ADO est le président de tous
les Ivoiriens. Il n’y aura pas d’exception ni d’exclusion. Je veux panser les
plaies du passé ». Le ciel ne lui tombe pas sur la tête.
Si
le premier concept, l’Ivoirité, a été férocement combattu même au niveau
international au point que Bédié (renversé par un coup d’Etat le 24 décembre
1999) et Gbagbo (renversé lui aussi par un coup d’Etat le 11 avril 2011) sont
devenus des parias, le second, le Rattrapage, est mieux que toléré.
Devant
le silence coupable de la bien pensante communauté internationale, Yodé et
Siro, deux artistes de la musique urbaine ivoirienne appelée zouglou,
moquent cet apartheid ivoirien dans une de ses chansons : « Quand on passe
concours, on attend résultat, résultat attend nom : Fofana, Coulibaly, Bakayoko
».
Cette
politique de deux poids deux mesures concerne également la justice. La main sur
le cœur, Pouvoir ivoirien et Justice internationale ont soutenu que l’épée de
Damoclès était suspendue sur la tête de tous les acteurs de la crise
postélectorale. Mais on se rend aujourd’hui à l’évidence que la « Justice des
vainqueurs » dont les autorités se sont longtemps défendues est une réalité
tangible.
Sept
ans après la fin de la guerre civile et les dizaines de milliers de morts,
seuls l’ancien président de la République Laurent Gbagbo et ses partisans ou
supposés tels sont entre les mains de la justice nationale et internationale.
Quant
à Ouattara et les com’zones, des chefs de guerre de l’ex-rébellion armée, qui
ont pris une part active aux crimes commis notamment à Duékoué (capitale de la
région du Guémon, à l’Ouest), au quartier Carrefour et au camp des déplacés de
Nahibly, ils passent entre les mailles du filet.
Le
plus grave, c’est qu’en violation de l’article 29 de la Constitution, aucune
manifestation de l’opposition, assimilée systématiquement à des campagnes de
déstabilisation du régime, n’étant autorisée, la répression, exercée par une
justice aux ordres, ne cesse pas. Elle continue de s’abattre sur tous les
indésirables proches du pouvoir déchu. Dernier exemple, 18 manifestants arrêtés
à l’occasion d’une manifestation déclarée interdite le 22 mars 2018, boivent le
calice jusqu’à la lie.
Ils
ont été condamnés à douze jours d’emprisonnement, délai qui couvre le temps de
leur détention pour « troubles à l’ordre public » et « discrédit sur décision
de l’État ». Mais, comme nombre de condamnés avant eux, ils sont privés, durant
cinq ans, de leurs droits civiques et interdits, pendant trois ans, de circuler
sur toute l’étendue du territoire national en dehors de leur lieu de naissance.
Cerise
sur le gâteau, Jean-Gervais Tchéidé, vice-président du FPI-tendance Sangaré
Abou Drahamane qui faisait partie des marcheurs arrêtés, a été maintenu en
détention. Motif ? Cet homme libre jusqu’à la marche serait visé
par un mandat d’arrêt délivré par la justice en… 2013, donc il y a cinq ans car
soupçonné d’avoir financé des actions de « déstabilisation » du pouvoir
Ouattara à l’Ouest.
Hubert
Oulaye, président du Comité de contrôle du FPI, a été victime de cet arbitraire
et de cette insécurité juridique. Alors qu’il est rentré d’exil du Ghana en
novembre 2014, sans aucun problème, il a été arrêté au lendemain du Congrès
extraordinaire de la tendance dissidente du FPI, ex-parti au pouvoir, le 30
avril 2015. C’est là alors que l’Etat s’est souvenu qu’il serait impliqué dans
l’assassinat, en juillet 2012 à Guiglo (capitale de la région du Cavally, sa
ville d’origine), de 18 personnes dont 7 Casques bleus.
Il
a été condamné, le 26 décembre 2017, à 20 ans de prison pour « complicité
d’assassinat » sans mandat de dépôt. Au grand dam de Romain-Francis Wodié,
président démissionnaire du Conseil constitutionnel : « Cette décision
monstrueuse aurait frisé, par son énormité, le ridicule en d’autres
circonstances, tout en n’oubliant pas que le monstrueux (le monstre) menace,
constamment, de nous dévorer tous, y compris ses propres géniteurs ».
C’est
ce scénario de la totale instrumentalisation des Institutions qui se joue sur
le plan politique. L’alinéa 1 de l’article 54 de la Constitution de la IIIe
République dispose : « Le président de la République est le chef de l’Etat. Il
incarne l’unité nationale ». Alors qu’il est censé être le président de tous
les Ivoiriens, sans esprit d’exclusive, Ouattara, dans « la mentalité de
clan » que lui reprochait Mgr Joseph Spiteri, nonce apostolique qui vient
d’être affecté au Liban, continue de se comporter comme le chef d’une partie
des Ivoiriens.
Et
ce qu’il a commencé socialement pour installer l’hégémonie des ressortissants
du Nord du pays, il veut le continuer politiquement pour faire du Rassemblement
des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, coalition politique au
pouvoir) le parti-État. Il ignore donc royalement l’opposition qu’il veut voir
disparaître. D’une manière ou d’une autre.
Au
cœur donc de sa campagne politicienne et de toutes les rhétoriques
propagandistes, sa chapelle politique que l’on présente à profusion comme
garante de « stabilité » et de « paix ». Et alors, partout et en toutes
occasions, le RHDP.
Dans
son message à la nation du 6 août 2017, à l’occasion du 57è anniversaire de
l’indépendance du pays, Ouattara n’a eu aucun scrupule à consacrer un chapitre
aux bisbilles dans cette alliance. Au troisième Congrès ordinaire du RDR (9-10
septembre 2017), il est revenu à la charge en exigeant le parti unifié du RHDP
et faisant de cette question privée une affaire nationale.
De
ce fait, il a brûlé tous les feux rouges en annonçant, devant les militants
heureux, des mandats d’arrêt internationaux contre deux partisans de Laurent
Gbagbo : Stéphane Kipré, président du parti Union des nouvelles générations
(UNG), qui vit en Europe, et Damana Adia Pickass, vice-président de la
Coordination du FPI en exil au Ghana.
Ayant
rompu toutes les amarres, Ouattara ne s’interdit désormais rien. Il s’autorise
à recevoir, sans aucun risque d’être interpellé, Henri Konan Bédié, président
du PDCI-RDA, et signer de son titre de « président de la République de Côte
d’Ivoire » un communiqué partisan en relation avec une activité politique
privée du RHDP.
C’est
le comble. Car face à lui, détenteur d’un pouvoir d’État sans partage, c’est le
vide, avec une Opposition sinistrée et privée de tous ses droits. Aussi,
Ouattara fait-il la pluie et le beau temps.
Et
demain n’est pas la veille. Car au début de son mandat, il était formel :
« Nous avons confiance et la Côte d’Ivoire surprendra l’Afrique et le
monde ».
Bally
M. Ferro
(https://journaldeferro.wordpress.com/2018/04/12/cote-divoire-le-rideau-de-fer-coupe-le-pays-en-deux/)
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crise ivoirienne ».
Source : Page FBK de Michèle Pépé 12 avril
2018
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