dimanche 15 avril 2018

Discrimination sociale, justice des vainqueurs, impunité… Les trois piliers du système Ouattara.


LE RIDEAU DE FER COUPE LE PAYS EN DEUX
Par Bally Maurice Ferro

Dans ce pays, la crise postélectorale est du pain béni. Les opposants sont pourchassés dans leurs derniers retranchements et, alors que les ressortissants du Nord du pays sont les chouchous du pouvoir, une campagne effrénée est menée pour faire du RHDP le parti-État.  
Après la grave crise politico-armée du 19 septembre 2002 au 11 avril 2011, le pays a été administrativement réunifié. Il n’y a plus deux armées antagonistes, deux autorités rivales et deux territoires opposés. La Côte d’Ivoire est redevenue une et indivisible avec une seule autorité et une seule armée.
Mais s’il n’y a plus de zone de confiance entre le Nord alors aux mains des forces rebelles et le Sud administré par les autorités légales et régulières, un solide rideau de fer s’est forgé au triple plan social, juridique et politique. Les Ivoiriens sont ensemble mais, selon leur appartenance régionale ou politique, ils évoluent parallèlement.
Dès son accession au pouvoir, Alassane Ouattara a donné le ton de la discrimination sociale. Au concept d’« Ivoirité » vomi parce qu’il catégoriserait les Ivoiriens, il a porté sur les fonts baptismaux son clone : le « Rattrapage ethnique », c’est-à-dire la nomination et la promotion des ressortissants du Nord du pays aux postes clés de l’administration publique et de l’armée.
« Il s’agit d’un simple rattrapage. Sous Gbagbo, les communautés du Nord, soit 40 % de la population, étaient exclues des postes de responsabilité », s’est expliqué Ouattara dans l’hebdomadaire français L’Express du 25 janvier 2012.
Il prenait le contre-pied de ses propres déclarations, le 25 novembre 2011, devant les Ivoiriens du Benelux : « Nous savons ce que c’est que la paix. N’acceptez pas l’exclusion, la marginalisation. ADO est le président de tous les Ivoiriens. Il n’y aura pas d’exception ni d’exclusion. Je veux panser les plaies du passé ». Le ciel ne lui tombe pas sur la tête.
Si le premier concept, l’Ivoirité, a été férocement combattu même au niveau international au point que Bédié (renversé par un coup d’Etat le 24 décembre 1999) et Gbagbo (renversé lui aussi par un coup d’Etat le 11 avril 2011) sont devenus des parias, le second, le Rattrapage, est mieux que toléré.
Devant le silence coupable de la bien pensante communauté internationale, Yodé et Siro, deux artistes de la musique urbaine ivoirienne appelée zouglou, moquent cet apartheid ivoirien dans une de ses chansons : « Quand on passe concours, on attend résultat, résultat attend nom : Fofana, Coulibaly, Bakayoko ».
Cette politique de deux poids deux mesures concerne également la justice. La main sur le cœur, Pouvoir ivoirien et Justice internationale ont soutenu que l’épée de Damoclès était suspendue sur la tête de tous les acteurs de la crise postélectorale. Mais on se rend aujourd’hui à l’évidence que la « Justice des vainqueurs » dont les autorités se sont longtemps défendues est une réalité tangible.
Sept ans après la fin de la guerre civile et les dizaines de milliers de morts, seuls l’ancien président de la République Laurent Gbagbo et ses partisans ou supposés tels sont entre les mains de la justice nationale et internationale.
Quant à Ouattara et les com’zones, des chefs de guerre de l’ex-rébellion armée, qui ont pris une part active aux crimes commis notamment à Duékoué (capitale de la région du Guémon, à l’Ouest), au quartier Carrefour et au camp des déplacés de Nahibly, ils passent entre les mailles du filet.
Le plus grave, c’est qu’en violation de l’article 29 de la Constitution, aucune manifestation de l’opposition, assimilée systématiquement à des campagnes de déstabilisation du régime, n’étant autorisée, la répression, exercée par une justice aux ordres, ne cesse pas. Elle continue de s’abattre sur tous les indésirables proches du pouvoir déchu. Dernier exemple, 18 manifestants arrêtés à l’occasion d’une manifestation déclarée interdite le 22 mars 2018, boivent le calice jusqu’à la lie.
Ils ont été condamnés à douze jours d’emprisonnement, délai qui couvre le temps de leur détention pour « troubles à l’ordre public » et « discrédit sur décision de l’État ». Mais, comme nombre de condamnés avant eux, ils sont privés, durant cinq ans, de leurs droits civiques et interdits, pendant trois ans, de circuler sur toute l’étendue du territoire national en dehors de leur lieu de naissance.
Cerise sur le gâteau, Jean-Gervais Tchéidé, vice-président du FPI-tendance Sangaré Abou Drahamane qui faisait partie des marcheurs arrêtés, a été maintenu en détention.  Motif ?  Cet homme libre jusqu’à la marche serait visé par un mandat d’arrêt délivré par la justice en… 2013, donc il y a cinq ans car soupçonné d’avoir financé des actions de « déstabilisation » du pouvoir Ouattara à l’Ouest.
Hubert Oulaye, président du Comité de contrôle du FPI, a été victime de cet arbitraire et de cette insécurité juridique. Alors qu’il est rentré d’exil du Ghana en novembre 2014, sans aucun problème, il a été arrêté au lendemain du Congrès extraordinaire de la tendance dissidente du FPI, ex-parti au pouvoir, le 30 avril 2015. C’est là alors que l’Etat s’est souvenu qu’il serait impliqué dans l’assassinat, en juillet 2012 à Guiglo (capitale de la région du Cavally, sa ville d’origine), de 18 personnes dont 7 Casques bleus.
Il a été condamné, le 26 décembre 2017, à 20 ans de prison pour « complicité d’assassinat » sans mandat de dépôt. Au grand dam de Romain-Francis Wodié, président démissionnaire du Conseil constitutionnel : « Cette décision monstrueuse aurait frisé, par son énormité, le ridicule en d’autres circonstances, tout en n’oubliant pas que le monstrueux (le monstre) menace, constamment, de nous dévorer tous, y compris ses propres géniteurs ».
C’est ce scénario de la totale instrumentalisation des Institutions qui se joue sur le plan politique. L’alinéa 1 de l’article 54 de la Constitution de la IIIe République dispose : « Le président de la République est le chef de l’Etat. Il incarne l’unité nationale ». Alors qu’il est censé être le président de tous les Ivoiriens, sans esprit d’exclusive,  Ouattara, dans « la mentalité de clan » que lui reprochait Mgr Joseph Spiteri, nonce apostolique qui vient d’être affecté au Liban, continue de se comporter comme le chef d’une partie des Ivoiriens.
Et ce qu’il a commencé socialement pour installer l’hégémonie des ressortissants du Nord du pays, il veut le continuer politiquement pour faire du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, coalition politique au pouvoir) le parti-État. Il ignore donc royalement l’opposition qu’il veut voir disparaître. D’une manière ou d’une autre.
Au cœur donc de sa campagne politicienne et de toutes les rhétoriques propagandistes, sa chapelle politique que l’on présente à profusion comme garante de « stabilité » et de « paix ». Et alors, partout et en toutes occasions, le RHDP.
Dans son message à la nation du 6 août 2017, à l’occasion du 57è anniversaire de l’indépendance du pays, Ouattara n’a eu aucun scrupule à consacrer un chapitre aux bisbilles dans cette alliance. Au troisième Congrès ordinaire du RDR (9-10 septembre 2017), il est revenu à la charge en exigeant le parti unifié du RHDP et faisant de cette question privée une affaire nationale.
De ce fait, il a brûlé tous les feux rouges en annonçant, devant les militants heureux, des mandats d’arrêt internationaux contre deux partisans de Laurent Gbagbo : Stéphane Kipré, président du parti Union des nouvelles générations (UNG), qui vit en Europe, et Damana Adia Pickass, vice-président de la Coordination du FPI en exil au Ghana.
Ayant rompu toutes les amarres, Ouattara ne s’interdit désormais rien. Il s’autorise à recevoir, sans aucun risque d’être interpellé, Henri Konan Bédié, président du PDCI-RDA, et signer de son titre de « président de la République de Côte d’Ivoire » un communiqué partisan en relation avec une activité politique privée du RHDP.
C’est le comble. Car face à lui, détenteur d’un pouvoir d’État sans partage, c’est le vide, avec une Opposition sinistrée et privée de tous ses droits. Aussi, Ouattara fait-il la pluie et le beau temps.
Et demain n’est pas la veille. Car au début de son mandat, il était formel : « Nous avons confiance et la Côte d’Ivoire surprendra l’Afrique et le monde ».

Bally M. Ferro

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Source : Page FBK de Michèle Pépé 12 avril 2018

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