Soldats
français exhibant un trophée
après la prise de la résidence officielle de
Laurent Gbagbo.
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Dans un livre intitulé « Le crocodile et le scorpion » qui va bouleverser toutes les certitudes de la procureure de la cour
pénale internationale, Jean-Christophe Notin, auteur français plutôt prolixe
ayant à son actif de nombreuses enquêtes, livre l’idée qu’il s’est faite de la
crise postélectorale en Côte d’Ivoire où il a enquêté. Le lecteur remarque tout
de suite que le livre du Français n’a pas l’intention d’absoudre l’ex-président
ivoirien, puisque les témoignages qu’il privilégie sont ceux des officiers ou
des élites françaises qui ont été impliqués dans la guerre. C’est donc [sans le
faire exprès] que Jean-Christophe Notin parvient à publier un livre à décharge
sur Gbagbo en montrant comment, dans les menus détails, Paris a mis en place
les ingrédients de la guerre et comment elle l’a menée. Le livre révèle
également, au passage, à quel point Ouattara a été passif tout au long de la
crise postélectorale. Tellement tout a été fait pour lui ; de la mise en place
du rouleau compresseur diplomatique au bombardement de la résidence officielle
de Gbagbo, en passant par la rédaction de ses discours par les officiers de la
DGSE, les services secrets français.
Ici s’arrêtent les certitudes de Fatou Bensouda, pourrait-on
écrire. La procureure gambienne dont les preuves n’ont pas convaincu les juges
de la cour pénale internationale lors de son premier passage, a pourtant
coutume d’affirmer que Laurent Gbagbo avait prévu d’éliminer Alassane Ouattara
et/ou ses partisans avant la tenue de l’élection présidentielle pour conserver
le pouvoir. Or sans certainement le vouloir, le témoignage de l’auteur français
consigné dans un livre intitulé « Le
crocodile et le Scorpion » détruit l’ensemble de l’argumentaire de
Bensouda. Car son livre montre dans les moindres détails comment la France a
mené la guerre contre l’ancien président ivoirien. Du début jusqu’à la
fin, à savoir de la déportation du président ivoirien d’abord à Korhogo et par
la suite à la cour pénale internationale. Comment un homme qui avait préparé
des assassinats massifs aurait pu être à ce point passif, au point de ne même
pas couper le carburant à la Licorne, chose qui n’avait pas été anticipée par
l’armée française selon un général français, ou empêcher que le matériel
militaire français qui n’était en fait que du matériel de télécommunication
destiné à créer des médias à l’usage de Ouattara soient dédouanés au port
autonome d’Abidjan ? C’est finalement le principal enseignement de cet ouvrage
qui révèle néanmoins des retournements spectaculaires comme ceux de Philippe
Mangou en particulier.
« La France met en place le blocus
économique »…
Alors que l’Ambassadeur français Jean-Marc Simon espère installer
Alassane Ouattara à Yamoussoukro mais est contraint de revoir ses plans en
raison de la présence de la garde républicaine dans cette ville, les officiers
français se lancent dans le débauchage des officiers de l’armée ivoirienne. « Que dois-je faire, confie par exemple une
haute autorité militaire ivoirienne au Comanfor. Je suis général, nous avons
une Constitution semblable à celle de la France, donc je dois rester loyal au
président en place », se lamente-t-il. L’officier français, le général
Palasset en l’occurrence, parti le débaucher, n’hésite alors pas à le menacer :
« Faites attention, il y a déjà eu
le Rwanda, la communauté internationale ne restera pas passive, vous encourrez
tous une comparution au TPI ». Quant à la DGSE, service secret français,
elle change de tactique lorsqu’elle rencontre Philippe Mangou. Elle lui
vante les mérites d’un ralliement, parce que Philippe Mangou a été
annoncé à plusieurs reprises comme ayant basculé en faveur de Ouattara ;
mais le président du RDR ne l’a pas encore rencontré. Pour contourner la
difficulté éprouvée par [Jean-Marc Simon], l’ambassadeur français en poste en
Côte d’Ivoire, Guillaume Soro propose les services des FRCI dont la puissance
de feu est dérisoire, selon les mots de l’auteur français. Problème que la
France va régler pour permettre la reprise de la guerre sur les différents
fronts. A Abidjan, Jean-Marc Simon est à la manœuvre. Selon Jean-Christophe
Notin, « l’ambassadeur français se rend
tous les jours au Golf hôtel [pour] rencontrer soit Ouattara, soit son
directeur de cabinet, soit Soro ». Il confiera plus tard à son compatriote
: « Je sentais Ouattara confiant. Il
estimait que Gbagbo allait finir par céder de toute façon ». Cela dit,
Mangou est toujours invisible à l’hôtel du Golf, qui est le QG de Ouattara.
Alors « l’attaché de défense français, le
colonel Héry, qui le connait depuis 2002, se rend chez lui, sur ordre, pour un
entretien particulier au goût de solde de tout compte », raconte l’auteur
français. « Il n’est jamais trop tard
pour faire machine arrière, lui explique-t-il. Si vous le décidez, sachez que nous pouvons
assumer la protection de votre épouse. Sinon, vous savez ce qu’il va se passer,
combien vos actes sont illégaux et comment nous finirons par intervenir ».
Mangou affirme avoir compris le message. Mais le colonel l’a à peine quitté
qu’il s’empresse de tout rapporter à Gbagbo. Et la seule discussion entre officiers
supérieurs devient une tentative de débauchage, Mangou déclarant qu’il lui
aurait été demandé de placer l’armée ivoirienne sous le commandement de
Ouattara. « Je n’ai pas pu lui proposer
ce genre de marché, explique Héry. Mon
accréditation aurait été immédiatement retirée par le gouvernement ivoirien »,
tente-t-il de se défendre. « Prudent, le
CEMA ivoirien continuera jusqu’à fin mars à se ménager la bienveillance des
deux camps en conservant sa place auprès de Gbagbo tout en entretenant le
contact avec Licorne », écrit Notin. « La France met alors en place le blocus économique ». Alors
que l’opinion avait cru que c’est le passage de Ouattara à Dakar comme ancien
gouverneur [de la BCEAO] qui lui valait autant de faveurs, Jean-Christophe
Notin décrit comment Paris va s’y prendre : « La France dispose de multiples leviers d’action économiques et
financiers en Afrique. Héritage historique, le trésor français est le gardien
des traités de coopération monétaire pour les trois monnaies africaines ; il
peut accorder des prêts aux banques centrales en difficulté, mais en
contrepartie, ses hauts fonctionnaires siègent au sein de diverses instances
financières africaines. Ainsi, sous-directeur aux affaires financières
internationales, Rémy Rioux est-il le représentant de la France à la BCEAO
depuis 2010. [L’enjeu du trésor français est trop important] pour bien calibrer
les actions à mener. L’asphyxie financière du régime est organisée »,
écrit-il. L’argent des huit pays africains, dont la Côte d’Ivoire, sont ainsi bloqués
(sic) par la France qui y détient un monopole inexplicable. Le président
ivoirien, proclamé comme tel au regard de la constitution, doit aussi faire
face à l’arrêt des financements de la Banque Mondiale et du FMI. « Les rentrées fiscales s’annoncent
mauvaises. Gbagbo doit improviser des parades pour trouver au moins 100
milliards de francs CFA nécessaires chaque mois au fonctionnement de
l’administration. Le gouvernement ne rembourse plus ses dettes, à commencer par
30 millions de dollars d’intérêts qu’il devait verser à un consortium de
banques fin décembre 2010 », note Notin.
Tout contribuable doit payer ses impôts en cash ou sur un
compte encore accessible [au] pouvoir en place. Certaines des grandes
entreprises françaises s’y plient parfois aussi. L’apprenant l’avocat Jean-Paul
Benoît s’avise d’approcher à Paris l’une d’elles : « Il était notoire que son entreprise alimentait Gbagbo en cash via des
commissions sur ses activités. Je suis donc allé lui demander que, par mesure
d’équité, mais aussi dans son propre intérêt, pour conserver plusieurs fers au
feu, elle en verse aussi une partie à Ouattara qui, bloqué au Golf hôtel,
manquait cruellement de finances. Il m’a répondu que "les affaires
n’étaient plus ce qu’elles avaient été, qu’il n’avait pas les moyens,
etc.". Je lui ai suggéré d’au moins appeler Ouattara. Il m’a expliqué
qu’il ne voulait pas discuter au téléphone… ». L’argent manque aussi au
Golf [hôtel]. « Ouattara suggère au
ministre des Finances de Gbagbo, qui venait de le rallier, de s’envoler au plus
vite vers Paris avec pour feuille de route l’organisation de soutien
international. Charles Koffi Diby joue un rôle important à Paris, à Washington
et à Dakar, comme une sorte d’ambassadeur itinérant de Ouattara. Ce qui ne sera
pas sans lui porter préjudice, puisque, ne revenant jamais au Golf, des doutes
sur sa loyauté émergeront indûment ». Mais Gbagbo résiste. Les banques
ivoiriennes retrouvent de la liquidité. Ce qui permet de payer les
fonctionnaires et agents de l’Etat. Dès lors, Paris se rend compte que le
blocus financier ne suffira pas et va alors concentrer ses efforts sur la
personne du président. « Les tractations
se concentrent donc sur la personne même de Gbagbo. Ouattara précise qu’il ne
le contraindra pas à l’exil (un mensonge aujourd’hui), puisqu’il prononcera une
amnistie en sa faveur et le fera bénéficier d’un statut d’ancien chef d’Etat.
Ouattara explique qu’il n’envisage pas une guerre contre le régime, mais
"une opération spéciale", "non violente" pour s’emparer de
Gbagbo ». Et de prendre pour exemple l’arrestation de Noriega, en
oubliant de préciser qu’elle avait nécessité en 1989 l’intervention de 50.000
GIs. En tête, il en fait l’un des projets abracadrabrantesques de l’Ecomog, qui
envisage l’infiltration des forces spéciales africaines par les égouts
d’Abidjan pour capturer l’ancien président en sa résidence. Sauf que la Cedeao
n’a absolument pas les troupes adéquates. «
Vu la lente détérioration sécuritaire à Abidjan, relate le colonel Hintzy,
commandant du Batlic, on sentait que
quelque chose allait survenir dans les semaines à venir et nous avions tous
l’appréhension d’être relevés ! ». « Petit
à petit, note ainsi le colonel Geoffroy de Larouzière-Montlosier, comandant
le 16 BC, la tension est aussi montée à
Bitche. Nous devions nous préparer à vivre des moments difficiles ». « Finalement, reconnaît son chef,
le général Castres, ce que nous n’avions
pas anticipé était que Gbagbo nous coupe l’accès au carburant ou nous fasse des
difficultés avec le dédouanement »… A la tête du Detalat, le
lieutenant-colonel Stéphane G., du 1er RHC, prend la suite du
lieutenant-colonel Pierre V. du 5ème RHC qui lance, prémonitoire : « Vous n’allez pas faire un séjour, mais une
opération ! ». Pour les Gbagbo, Jean-Marc Simon n’est plus qu’un
« sans emploi, un citoyen français ordinaire ».
Paris pilote tout, et Ouattara n’est qu’un simple
spectateur…
« Le gouvernement français résout en
partie une grave déficience du clan Ouattara, son bannissement des ondes. Tout
d’abord il intervient auprès du diffuseur satellite de la RTI, Canal+Horizon,
ainsi que de l’opérateur du satellite lui-même, l’Américain Intelsat, pour
réfléchir à l’écho qu’ils offrent aux propos de Gbagbo. Le retour de Ouattara
sur les ondes devient une priorité stratégique. Il importait, explique un conseiller à l’Elysée, que
Ouattara puisse s’afficher avec ses pairs en Afrique et à l’international ».
La première étape a été la création d’une station radio, « Radio côte
d’Ivoire », qui ne nécessita guère de moyens. Mais c’est surtout le petit
écran qui est à conquérir : « Télévision Côte d’Ivoire » (TCI) voit
le jour le 22 janvier 2011. Diffusés en ondes hertziennes, les deux médias sont
facilement brouillables. La France prend donc l’affaire en main et, comme elle
ne peut l’assumer officiellement, c’est la DGSE qui est chargée d’acheminer le
matériel nécessaire à une émission satellitaire. En particulier, une antenne
parabolique de grande taille est livrée à Bouaké, posant quelques soucis aux
hélicoptères ayant mission de la rapatrier à Abidjan. Elle arrive en pièces
détachées et [elle est] transportée jusqu’à l’hôtel Ivoire où les techniciens
de la « DGSE » s’occupent de la mettre en service. TCI sera ainsi
relayée à partir du 17 février par Eutelsat. Le décodeur Strong est
nécessaire ; du matériel standard, mais encore faut-il le trouver. En huit
jours, la capitale en est miraculeusement pourvue… Le visage du vainqueur des
élections réapparaît donc sur les écrans ivoiriens. Quant à sa voix, elle est
aidée par un officier de la DGSE, qui participe, au Golf hôtel, à la rédaction
de ses discours. Puisque caméras et prompteurs sont fournis par les Français,
Ouattara ne serait-il qu’un homme de paille confortablement installé ? D’autant
que la facture de l’hôtel elle-même est largement prise en charge par le budget
français.
Après sa victoire, "Monsieur le Préfet"accueille son Pygmalion venu tout exprès pour l'installer dans le fauteuil présidentiel |
Il est toujours au pouvoir…
Plus l’heure des armes approche pour Licorne, plus le général
Palasset veille à la retenue de ses hommes. Le colonel Hintzey, patron du
Baltic, vérifie que son unité a bien compris sa mission. Il n’empêche, Paris
cache toujours son jeu et affiche officiellement sa neutralité. Elle retourne
ainsi Zuma qui finit par abandonner Gbagbo après sa visite en France le 2 mars.
Paris, comme certains l’avancent, aurait-il acheté sa volte-face avec des
avantages financiers pour l’Afrique du Sud via l’Agence française du
développement ? Présent à l’entretien avec Nicolas Sarkozy, aux deux-tiers
consacrés à la Côte d’Ivoire, Jean-David Levitte dément formellement : « Le ton a été parfois vif, note-t-il. Le Sud-Africain préconisait une solution à
l’africaine, le partage du pouvoir dont nous ne voulions pas. Aucun des deux
présidents ne lâchait prise. Zuma restait rivé sur la Constitution ivoirienne ».
« Il est toujours au pouvoir », a noté le New York Time, le 16 mars.
Mais à bien y regarder, l’Ivoirien a perdu de sa superbe. La raison en est
simple : ses finances seront bientôt vides. «
Le régime a tout de même tenu un mois de plus que ce que nous pensions »,
relate le directeur-adjoint du ministère français de l’Economie et des Finances,
Christophe Bonnard. Nous avons aussi
mobilisé l’intelligence économique pour
vérifier que Gbagbo ne se finançait pas, par exemple, par la vente du stock
d’or ivoirien ».
Sévérine BLé (Aujourd’hui
N°656 du 23 Juin 2014)
Titre original : « Crise Postélectorale. Les graves révélations
d’un écrivain français ».
Source : CIVOX.
NET 4 Juin 2014
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