mardi 29 mai 2012

POLITOLOGIE DU COMBAT MEDIATIQUE FRANCO-AFRICAIN

En Algérie déjà, l'armée et la droite française ont expérimenté le fait que la victoire sanglante sur la résistance nationale n'empêche pas la défaite médiatique, puis politique – et le retrait sans gloire. L'intervention militaire française s'inscrit en effet, quoiqu'on dise, dans une histoire coloniale : 47 interventions armées depuis 1960 ! L'étonnant est plutôt que le renversement des régimes hostiles à la Françafrique se fasse sous couvert des « droits de l’homme » et de la démocratie, que les Nations Unies cautionnent le coup d'Etat et que son armée massacre des civils et bombardent, en avril 2011, les centres d'un pouvoir légitimé par son Conseil Constitutionnel.

Henri Emmanuelli disait, lors de répétition générale de 2004 – le général Henri Poncet, n'a-t-il pas, alors, manqué son coup d'Etat ? – que « l’histoire jugera qui s'est rangé du côté des massacreurs » ou de l'autre ! A mon sens, l'histoire a déjà jugé, et pour 2004, et pour 2011 !

Mais cette réflexion, nécessaire, notamment dans la perspective de l'alternative créée, à Paris mais aussi à Abidjan, par l'arrivée possible de la gauche française au pouvoir, reste par trop franco-française. Car même en avril dernier, la presse française, majoritairement engagée du côté de la désinformation – et majoritairement acquise d’avance au coup d'Etat sarko-ouattariste, s'était aperçue que la perception du Tiers monde – et même du monde anglo-saxon, était radicalement différente.

Transmission mythique et panafricanisme

A une série noire de l’humiliation et de la destruction des régimes résistants, une transmission souterraine oppose, en effet, dans l'opinion panafricaine, la saga et le mythe de grandes figures, qui à travers l 'Histoire globale de la domination, incarnent les possibles d'un autre monde à venir. Une par génération ? Si je n’ai pas connu le calvaire de Lumumba, j’ai pu rencontrer – trop brièvement – Thomas Sankara, trois mois avant son assassinat. Comment ne pas voir que l'arrestation, la déportation, le procès du Président Laurent Gbagbo à la Haye est en train de se constituer en martyrologue et de le faire succéder symboliquement au dernier grand héros transnational, Nelson Mandela ?

De même faut-il conceptualiser encore les formes de ce « pouvoir blanc » (quelle que soit la couleur de celui qui l'exerce... et Franz Fanon reste ici – sur les « peaux noires et masques blancs » – à lire et à relire !) à la fois médiatique et humanitaire, judiciaire et armé qui a un moment donné se coalise contre « l’homme à abattre ». Si la « guerre idéologique » est selon Gramsci, le préalable à la victoire politique, c'est donc cette construction, après la résistance à la doxa, au consensus de médias aux ordres, que l'on peut proposer. N’est-ce pas, à l'heure où nous écrivons, ce qui résulte déjà de la reconnaissance du Fpi par l'Anc, Laurent Akoun représentant la nouvelle icône de la résistance anticoloniale, et dans le pays de Mandela, le combat des démocrates ivoiriens devant ses pairs de tout le continent ?

 
Un certain mimétisme avec les formes de mobilisation pour Mandela a déjà commencé : marches, pétitions, iconographie... L'éloignement avec toute collaboration avec la xénophobie de l’extrême droite, avec la démission mollétiste de la « gauche de gouvernement », et avec l'esprit de ressentiment primaire permettront seuls les alliances transnationales voire transcontinentales qui renouent avec la tradition anticoloniale de la gauche africaine et française.

La dimension panafricaine semble, en effet, fondamentale : si le combat judiciaire a besoin de spécialistes des arènes judiciaires, une défense de rupture, plus politique, est peut-être plus porteuse à terme ; fragile et contestée, la Cpi est d’autant plus sensible à la bataille de l'opinion qu'elle est justement accusée de participer à cette séculaire « guerre à l' Afrique » et à elle seule. Libérer Laurent Gbagbo serait pour elle, une occasion inespérée de se refaire une virginité tiers-mondiste, dont elle a bien besoin ! A ce stade du combat politico-médiatique, panafricanisme et conversion de la communauté afro-américaine sont des axes encore peu explorés. Pendant ce temps, la discussion continue, à Paris, avec la gauche modérée (principalement le Ps) pour rompre avec le consensus de politique étrangère où l’a piégé le sarkozysme botté et casqué.

De la déshumanisation violente à la rédemption politique

La lutte dans le champ médiatique a commencé, au fond, depuis 2000. Journaux, blogs, quelques ouvrages commencent à peine à rompre le consensus officiel ; médias et humanitaires sont en fait divisés, et nombre de journaux parisiens d'influence sont tenus par de pseudo-« spécialistes » qui se sont déshonorés en avril dernier, écrivant dans la duplicité vénale et la mauvaise foi : que l'on pense aux articles ouattaristes de Libération ou de l'Express, diffamatoires par ailleurs, envers les intellectuels ou journalistes critiques !

On assiste par contre, depuis la déportation de Laurent Gbagbo à la Haye, à une étonnante inversion iconique. Selon le politologue Bertrand Badie, l’humiliation et la diabolisation des adversaires de l'Empire sont les conditions nécessaires à la violence armée et à leur chute. Au texte et à l'information réfléchie s'oppose l'image traumatisante, volontairement diffusée en boucle.

Le 11 avril, Forces spéciales françaises et caméras de combat sont intimement liées, révélant la spectacularisation des relations internationales au grand jour ; au-delà déportation et exil intérieur des résistants, manipulations des opinions publiques fonctionnent bien avec le montage des « rébellions » et la subversion des institutions internationales: les parallèles historiques de l'ère coloniale et des « coups tordus » de la Françafrique permettent d'y repérer la marque des « services » d'agit-prop – comme ils disent – et même de distinguer les processus et lieux de prise de décision.

Mais ce processus de déshumanisation peut s'inverser, et une image chasse l'autre ; la présence récente de Laurent Gbagbo au tribunal de la Haye juge les faiseurs, les psychopathes occidentaux, les truqueurs des médias, bien plus que lui-même. Les images honteuses du Golf hôtel (l’hôtel Rwanda ou « hôtel des massacres » est bien le lieu fondateur, symbolique du sarko-ouattarisme) s'effacent devant le calme discours de celui qui est au moins pour la moitié du pays, le président légitime du pays – et pour nombre de démocrates internationaux, une victime politique – en attendant le procès, qui sera certainement pour lui, une formidable tribune internationale. Dans une dialectique très hégélienne, en demandant la libération immédiate du prisonnier politique le plus célèbre de la planète, Laurent Gbagbo, c'est notre rapport à la construction impériale et à l'arbitraire colonial que nous remettons en question. Pour eux comme pour nous, c'est du même coup de notre libération, comme Sujets non aliénés, dont il s'agit aussi.


Michel Galy, politologue français
(Source : Notre Voie 17 janvier 2012)

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