mardi 3 avril 2012

LE CONCEPT DE « RATTRAPAGE » APPLIQUE A LA FAMILLE BEDIE

« Paris vaut bien une messe ! » Henri IV 


Le Nouveau Réveil s'est livré récemment (édition du 19 mars 2012) à une laborieuse tentative de travestissement de l'histoire. Sous le titre « Doubé Binty restitue la vraie histoire : Bédié, une si petite faute en 99 ? », c'est une vraie réécriture de l'histoire du coup d'Etat du 24 décembre 1999.
« Tout le monde connaissait le programme du président Bédié et ses 12 chantiers de l'Eléphant d'Afrique. Tous les adversaires, pour ne pas dire plus, du président Bédié savaient qu'ils ne pourraient jamais l'inquiéter a fortiori le battre avec un tel programme et une telle ambition. Tous les adversaires du président Bédié savaient que celui qui a géré avec ce brio qui a suscité l'admiration de tous, la dévaluation du FCFA ne pouvait être stoppé par les déclarations d'opposant sans programme réel et sans envergure politique vraie. Le président Bédié voulait que notre pays fît partie des nations émergentes et devînt une nation industrialisée en l'espace d'une génération. Tous les adversaires du président Bédié savaient qu'il n'était pas l'homme des paroles en l'air ou des propos démagogiques et que par conséquent, il allait réaliser ce qu'il s'est engagé à faire. Tous les adversaires du président Bédié savaient que le miracle ivoirien des années 1960-1970 était l'œuvre du ministre Bédié sous l'autorité du président Houphouët-Boigny. Ils étaient conscients que le président Bédié ne reculerait devant aucune difficulté, lui qui a pris un pays déclaré en cessation de paiement et qui réussissait malgré tout non seulement à payer le salaire des agents de l'Etat mais à leur offrir une gratification, une première fois en Côte d'Ivoire ! Chercher à battre un tel homme dans les urnes était une chimère, une aventure de Don Quichote s'en prenant aux moulins à vent ! Alors, peu importe à ce que la Côte d'Ivoire pourrait endurer : seul un coup d'Etat pouvait débarrasser ces adeptes du ôte-toi pour que je m'y mette de cet adversaire redoutable, redouté et invincible. C'est ce qui fut fait. »
Quel peut bien être le but d'une telle entreprise ? Grandir Bédié ? Dédouaner ceux de ses ennemis jurés de ce temps-là qui aujourd'hui sont ses associés ? Il y a de tout cela. Mais comme ce n'est pas vraiment facile de le faire avaler, l'auteur de ce conte à dormir debout a voulu compenser son déficit de crédibilité par la diabolisation systématique de feu Robert Guéi et de Laurent Gbagbo, l'auteur du putsch et celui qui s'en félicita et en partagea le bénéfice. En revanche, pas un mot de celui qui, dans l'avion qui le ramenait de Paris, avait offert le champagne à tous les passagers parce qu'il croyait que sitôt débarqué à Abidjan il serait intronisé président de la République en lieu et place de Bédié, et qui avait même confié à un quotidien parisien : « contrairement à ce qui est dit ici et là, ce qui vient de se passer en Côte d'Ivoire n'est pas un coup d'Etat comme on en connaît ailleurs. Le pays vient de vivre une véritable "révolution des œillets" à l'ivoirienne. (…).
J'ai également confiance dans les capacités du général Guéi à remettre les Ivoiriens au travail. Je suis en revanche assez inquiet en ce qui concerne l'économie, car notre pays a été littéralement pillé par l'équipe de Bédié. » (Interview d'Alassane Ouattara par Frédéric Fritscher, Le Monde 31/12/1999,) Bref, cet article nous parle autant par ce que son auteur nous dit que par ce qu'il voudrait nous faire oublier.
 
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Après la chute de Bédié et son transport en France, c'est d'abord dans son propre camp que furent proférés sur son gouvernement et sur lui-même les jugements de valeur les plus dépréciatifs. Peut-être ne s'agissait-il chez certains de ses anciens amis que de se faire bien voir des nouveaux potentats. Mais le fait est que c'étaient des gens se réclamant d'une soi-disant orthodoxie houphouétiste qui, le comparant avec son tombeur, disaient de lui – j'ai entendu ces inepties de mes propres oreilles – : « Bédié a fait plus de trente ans à côté d'Houphouët, mais il n'a rien appris de lui. Guéi a fait seulement trois ans et il a tout appris ». J'ai sous les yeux un article de L'Inter (30 octobre 2008) intitulé « Pourquoi j'ai tourné dos (sic) à Bédié ? » et signé F.D.BONY, mais que ce journaliste a confectionné en juxtaposant des propos d'un certain Antoine Brou Tanoh se disant « ancien ministre d'Houphouët ». Notez ce paradoxe qui en dit long sur les qualités morales et intellectuelles du personnage : s'agissant de lui, « ancien ministre d'Houphouët » est un titre honorifique, une décoration, tandis que le fait que Bédié soit lui aussi un « ancien ministre d'Houphouët », c'est apparemment sans aucune importance à ses yeux. Cet article – un modèle du genre ! – est une condamnation sans circonstances atténuantes et sans appel de Bédié :
« Depuis le décès du président Houphouët-Boigny, nous avons cru que le président Bédié était tout désigné pour essuyer nos larmes, parce que nous avions pour Houphouët-Boigny l'affection réelle de fils pour un père. Au lieu de cela, il s'est engagé dans une entreprise de démolition de l'homme et de son œuvre. Cela a commencé par l'abandon de la ville de Yamoussoukro et le CNB (le Cercle national Bédié) qui est arrivé comme un cheveu sur la soupe à la surprise générale et au grand dépit des Houphouétistes. Le président Bédié a pratiqué une politique de rupture d'avec trois principes qui ont toujours guidé la politique intérieure d'Houphouët-Boigny, à savoir : la préservation de l'unité du parti, l'accueil des étrangers et l'intégration des communautés vivant en Côte d'Ivoire, le pardon et l'oubli des offenses. Pourquoi donc seulement deux ans après la mort d'Houphouët-Boigny, changer cette politique ? La politique d'Houphouët n'a pas été suivie par le président Bédié. Alors que longtemps, cette politique d'intégration a été tenue pour l'un des facteurs de la réussite du modèle économique ivoirien. En 1995 est né le concept de l'ivoirité, servi aux populations comme la grande idée qui lui était offerte pour se forger une conscience nationale. L'affaire de la nationalité du Premier ministre Ouattara avait pris une dimension internationale. Avec le coup d'Etat de 1999, le président Bédié est le responsable de la ruine de 30 années d'effort et de sacrifice. Le mythe de l'unité, de la stabilité et de la paix dont nous avons fait notre marque de fabrique dans cette partie de l'Afrique s'est évanoui. Le passage du président Bédié à la tête de la Côte d'Ivoire n'a été qu'une parenthèse. En sept ans à la tête de l'Etat, il a banalisé la Côte d'Ivoire aux yeux du monde. On peut dire que le malheur de notre pays, c'est d'avoir eu le président Bédié comme successeur du président d'Houphouët-Boigny. »
Nous retrouvons exactement les mêmes griefs, dans un langage plus élégant toutefois, dans le livre de Camille Alliali, Disciple d'Houphouët-Boigny :
« Le président Bédié s'est trouvé pris entre ceux de ses partisans qui voulaient le voir marquer tout de suite sa différence et ceux qui souhaitaient qu'il continue dans la voie tracée par son prédécesseur. Sous la pression des oppositions qui ont marqué son avènement et continuaient de menacer son pouvoir, il a choisi ou s'est vu contraint de pratiquer une politique de rupture d'avec trois principes qui ont toujours guidé la politique intérieure d'Houphouët-Boigny : la préservation de l'unité du parti, l'accueil des étrangers et l'intégration des communautés vivant en Côte d'Ivoire, le pardon et l'oubli des offenses » (p. 129).
Vilipendé en Côte d'Ivoire jusque dans son propre camp, Bédié et son régime n'étaient pas non plus très estimés à l'étranger. Zyad Limam, dans Afrique Magazine (N°169 - octobre 1999), affirme même qu'« II est de bon ton de [le] sous-estimer ». Il ajoute : « Le président, bien sûr, a commis des erreurs. On lui reproche une gestion approximative des deniers de l'État, et des excès comme l'incroyable expansion de Daoukro, son village natal ». Par ailleurs, ainsi que le notera Thierry Perret dans une chronique intitulée « autopsie d'une crise » (RFI 25 octobre 2002) : « Les années Bédié ont été une longue fermentation de revendications multiples (notamment d'ordre social) et le coup d'Etat de décembre 1999 est intervenu dans ce contexte déjà explosif ».
Durant les deux mois qui précédèrent sa chute, Bédié fut l'objet d'un véritable harcèlement médiatique au dedans comme à l'extérieur de la Côte d'Ivoire. Qu'était le Rassemblement des républicains (Rdr) de Djéni Kobina à son origine – c'est-à-dire avant sa transformation magique en comité électoral d'Alassane Ouattara en vue du scrutin présidentiel de 1995 –, sinon la résultante logique de la grande défiance des gardiens du temple houphouétiste, dont Alliali est le prototype parfait, vis-à-vis de celui qu'ils considéraient déjà comme un hérétique ? La scission une fois consommée, et le Rdr doté de son « chef charismatique », on vit se succéder les assauts contre Bédié, jusqu'à l'ultime coup de boutoir du 24 décembre 1999. Cette guérilla atteignit son paroxysme avec la grande manifestation des ouattaristes du 1er août 1999. Rendant compte de l'événement, le quotidien ouattariste Le Patriote titrait en sa « Une » : « une gifle pour Bédié ! ». Une gifle que l'astucieux négationniste Doubé Binty nous décrira peut-être un de ces jours comme une douce, une respectueuse caresse… Car qui aurait eu l'audace de commettre un tel sacrilège : gifler celui que depuis toujours tout prédestinait à jouer ce rôle d'eunuque dans le sérail ouattariste !
La vérité, c'est que ce ne fut pas par pure fantaisie, sans le moindre acte d'hostilité de leur part, qu'en 1998 Bédié lança ses sbires contre les activistes Rdr ? Relisons Camille Alliali. Que reproche-t-il essentiellement à Bédié après l'arrestation d'Henriette Diabaté et de ses camarades ? De ne pas avoir pardonné les offenses comme Houphouët le lui avait paraît-il enseigné ! C'est donc qu'il y avait eu des offenses… Adoptons cet étrange vocabulaire, mais n'en soyons pas dupes. N'oublions pas qu'il s'agissait non pas d'une vulgaire querelle de voisinage entre deux quidams ni, même, d'une simple rixe entre deux bandes de quartier, mais d'une lutte politique à l'échelle nationale ; et que l'enjeu était la sauvegarde de notre indépendance nationale. C'est ce que Bédié était allé dire dans l'enceinte du parlement, ce fatidique 22 décembre 1999 :
« La citoyenneté est la pierre angulaire de la démocratie et de la souveraineté nationale. La démocratie n'est pas le libre cours laissé à des minorités violentes qui veulent imposer leur point de vue en dépit des lois. Par exemple, vouloir empêcher l'application de dispositions constitutionnelles ou le déroulement régulier d'un scrutin ne sont pas, c'est le moins qu'on puisse dire, des actes démocratiques. Les changements démocratiques ne s'obtiennent pas par la violence et dans la rue mais pacifiquement dans les urnes. Deuxième point : La citoyenneté est la pierre angulaire de la démocratie et de la souveraineté nationale. Même si, dans certains pays, l'on a récemment étendu le droit de vote à certains non nationaux (lors de scrutins locaux, à titre expérimental), la citoyenneté, c'est-à-dire la capacité de voter et de se présenter aux suffrages, est fondamentalement et, pourrait-on dire, consubstantiellement attachée à la nationalité. A plus forte raison lorsqu'il s'agit de la candidature à la magistrature suprême. C'est parce que la Côte d'Ivoire est un pays d'accueil largement et généreusement ouvert qu'il a paru au législateur qu'il était nécessaire que la nationalité des candidats découle à la fois du droit du sol et du droit du sang, c'est-à-dire à la fois de la naissance sur le territoire national et de la filiation. Quoi de plus logique et de plus naturel ?
L'intégration à la communauté nationale est un processus et non pas le résultat d'un coup de baguette magique à effet instantané. A fortiori est-il concevable, et même convenable, quoi qu'on puisse juridiquement le faire, de chercher à tirer parti, de façon la plus intéressée, d'une éventuelle appartenance à plusieurs nationalités ? Quelles sont ces personnes qui se disent Ivoiriennes les jours pairs et non Ivoiriennes les jours impairs ? N'y a-t-il donc pas, dans nos formations politiques, assez de personnalités ivoiriennes présentant les qualités requises pour être des candidats valables à l'élection présidentielle ? Oserais-je ajouter que dans les pays où certains se donnent volontiers en modèles, voire en censeurs, il existe des dispositions légales semblables aux nôtres et qui s'appliquent aux conditions de l'éligibilité à la magistrature suprême.
C'est ce lien fort entre nationalité et citoyenneté qui fonde la souveraineté et l'indépendance de la Nation. Aujourd'hui, cette souveraineté et cette indépendance sont grossièrement mises en cause par des personnes et des organisations qui s'arrogent la faculté de décider de ce qui est bon pour les Ivoiriens. Nos aînés n'ont pas lutté pour l'indépendance pour que nous acceptions aujourd'hui de nouvelles soumissions. La nationalité, la citoyenneté, la démocratie et la souveraineté nationale sont les quatre côtés d'un carré magique qu'il nous faut défendre avec calme et détermination devant ces ingérences inacceptables. C'est aux Ivoiriens de décider par eux-mêmes, pour eux-mêmes, et de choisir librement l'un d'entre eux pour conduire le destin de la Nation en refusant les aventures hasardeuses et l'imposture insupportable ». 
Deux jours après ces fortes paroles, Bédié tombait comme un fruit blet. Mais ce discours ne fut qu'un prétexte pour passer à l'exécution d'un plan de déstabilisation du régime qui était en stand by depuis 1993. J'ai sous les yeux un autre article paru dans le quotidien parisien France-Soir du 8 décembre de cette année-là sous le titre : « Après la mort du président de Côte d'Ivoire Houphouët-Boigny : succession explosive ». Voici, pour commencer, le chapeau de cet article : « Le Premier ministre prend la direction du pays, mais l'opposition et l'armée sont tentées par le pouvoir ». Et, dans le corps de l'article on peut lire : « Il y a quinze jours, sentant venir la fin de Félix Houphouët-Boigny, le Premier ministre Alassane Ouattara avait décidé de son propre chef d'assurer "la suppléance du président de la République" ». Quelques jours auparavant, le 25 novembre 1993, sous le titre : « Une délégation française chez ADO », Fraternité Matin avait publié cette nouvelle, signée D.S. :    
« M. Alassane Ouattara, Premier ministre, a reçu en audience samedi dernier en fin d'après-midi MM. Jean-Marc de Sablière, directeur Afrique du ministère des Affaires étrangères, Antoine Pouillieute, directeur du cabinet du ministre de la Coopération, et l'ambassadeur Michel Dupuch.
C'est en son cabinet de la Primature que M. Alassane Ouattara a reçu les émissaires du gouvernement français. L'entretien a commencé à 17h 35 pour s'achever un peu plus d'une heure plus tard en présence de Mme Lohoues Oble, Garde des Sceaux, ministre de la Justice et M. Touré Sidia, directeur du cabinet du Premier ministre.
Auparavant, les mêmes personnalités arrivées la veille en Côte d'Ivoire avaient rencontré à Yamoussoukro M. Henri Konan Bédié, Président de l'Assemblée nationale. Rien n'avait non plus filtré de cet entretien. Les émissaires français devaient quitter hier Abidjan pour regagner Paris ». 


Regardez-les bien ces deux photographies ; elles illustraient l'article de Fraternité Matin. Il s'agit – cela saute aux yeux ! – du même cliché. L'original est celui qui montre Ouattara dans son bureau, recevant les trois émissaires français. Pour suggérer une égalité de traitement des deux rivaux par la France, une image de Bédié a été rajoutée à cette même photographie à la place de celle de Ouattara. La grossièreté de ce montage photographique laisse à penser que ces gens étaient venus pour imposer Ouattara, mais que devant les résistances que l'entreprise a suscitées, ils se sont vus obligés de chercher à la hâte un moyen de suggérer que la France n'avait jamais eu l'intention de s'immiscer dans le processus de dévolution du pouvoir après le décès annoncé d'Houphouët. D'où ce truquage. Cette hypothèse d'un coup manqué de justesse est corroborée par une formule du magazine Marchés tropicaux. Dans son éditorial du 18 février 1994 intitulé « Après un homme d'exception », on peut lire :
« Le conflit latent avec le Premier ministre, M. Alassane Ouattara, a été tranché dès qu'il est devenu public en faveur du président. L'armée ivoirienne a fait à cette occasion preuve d'une loyauté remarquable envers le détenteur légitime du pouvoir civil; l'expression symbolique de cette attitude a été renouvelée publiquement lors du défilé militaire devant la dépouille du président défunt, le 5 février à Abidjan.   
D'autre part, un gouvernement constitué dans un esprit de continuité, et même plus conforme que le précédent à certaines positions du pouvoir au sein de la classe dirigeante, a entrepris avec non moins de détermination de traiter les problèmes économiques et financiers que la maladie du président Houphouët-Boigny avait conduit non pas à négliger, mais à traiter d'une manière lente et tardive, alors que la gravité des problèmes concernés exigeait justement l'attitude contraire ».
Notez bien ce « gouvernement (…) plus conforme que le précédent à certaines positions du pouvoir au sein de la classe dirigeante… ». Cela veut dire que la substitution du Premier ministre au président de l'Assemblée nationale pour succéder à Houphouët dès 1993 avait été bel et bien envisagé, mais que le principe de réalité avait finalement triomphé des rêves d'usurpation de l'aventurier cosmopolite et des faiseurs parisiens de rois nègres.
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Ce que nous appelons la crise ivoirienne, ce n'est que l'histoire de ce complot au long cours dont le premier acte fut la nomination de Ouattara comme président du comité interministériel, puis comme Premier ministre. Par la suite, il est vrai, tout sera mis en œuvre pour que cet épisode disparaisse de nos mémoires. Ce qui permettra à nos ennemis de continuer leurs manigances de toutes les manières possibles et imaginables. Tout le microcosme – les amis de Bédié et ceux de Gbagbo y compris – contribua à ce travail de refoulement, comme si une puissante superstition leur défendait de donner son vrai nom au coup politique que Ouattara avait tenté entre le 7 et le 9 décembre 1993 en abusant de sa fonction de Premier ministre : forfaiture ! Mais on ne guérit pas la fièvre en cachant le thermomètre, et le 24 décembre 1999, puis le 19 septembre 2002, puis encore le 11 avril 2011, cette incompréhensible lâcheté a fini par les rattraper les uns après les autres. Certains en sont morts. D'autres encoururent seulement la prison ou l'exil. Seul Bédié a tiré son épingle du jeu, mais à quel prix ! Il lui aura fallu abandonner les ambitions qu'il affichait orgueilleusement dans son discours du 22 décembre 2012. Oublié le fameux « carré magique », oubliée « l'imposture insupportable »
En Côte d'Ivoire, depuis 1950, le retournement de veste est un sport national qui peut rapporter gros. Bédié a eu, on le sait, un précurseur illustre… Mais, sous le rapport des retombées bénéfiques de son parjure pour lui, pour sa femme, pour leurs enfants, l'élève semble bien parti pour surpasser le maître… Autre avantage sur Houphouët, Bédié n'aura jamais à payer de sa personne : pas besoin de faux complots périodiques pour affermir son pouvoir ; pas de « conseils nationaux » pour s'entendre dire des choses pas toujours agréables ; plus d'élection où la victoire n'est pas toujours certaine… Sacré doublure présidentielle à vie, désormais il lui suffira d'être là, assis sagement derrière Ouattara, muet ou débitant des lieux communs d'un ton solennel…
Quoi que l'on puisse penser de ce rôle dans lequel manifestement Bédié se complaît, il n'en demeure pas moins que ce qu'on lui a fait subir entre 1993 et 1999 était plutôt injuste. Par là il a bien mérité le rattrapage que lui prodiguent ses ennemis d'hier, aujourd'hui ses protecteurs. L'article hagiographique de Doubé Binty est sans doute sa contribution à ce programme. Mais n'en a-t-il pas trop fait ? A vouloir trop prouver… Car s'il avait pu trouver dans l'actualité de Bédié de quoi lui construire une image de héros, serait-il allé lui fabriquer ce passé extraordinaire ?
Marcel Amondji

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