jeudi 26 avril 2012

Interview de Watchard Kédjébo

« Entre bombarder un palais et recompter les voix, qu’est-ce qui pouvait arranger le peuple de Côte d’Ivoire ? »

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Il a beaucoup de casquettes. Président de l’Alliance nouvelle pour le changement en Côte d’Ivoire. Président de la Coordination de la jeunesse du grand centre pour la démocratie. Directeur départemental de campagne (Ddc) de Laurent Gbagbo à Bouaké-Koko-Bamoro pour les dernières présidentielles. Président du Comité national de libération de Bouaké (Cnlb, milices ou groupe d’auto-défense, c’est selon). Chargé des relations extérieures au sein de la Coordination des patriotes ivoiriens en exil (Copie)…Quand nous lui avons posé la question, jeudi 12 avril 2012, au cours de l’Interview qu’il nous accordait à Accra au Ghana, à savoir sous quel titre, il souhaitait qu’on le présente, Watchard Kédjébo (à l’état civil, c’est Kouassi Ferdinand) a répondu : « c’est à vous de choisir ». L’entretien pouvait dès lors commencer. Sans sujets tabous.

Pourquoi avoir quitté la Côte d’Ivoire après la chute de Laurent Gbagbo ?
Watchard Kédjébo : Vous-même, vous savez qu’avant et après la chute de Laurent Gbagbo, c’était la chasse à l’homme, la barbarie. Notre sécurité et celle de notre famille était sérieusement menacée. Nous avons été contraints, malgré notre attachement à notre pays, de quitter la terre de nos ancêtres.

Mais c’est quand même surprenant que vous fuyez la Côte d’Ivoire alors que vous étiez à la tête du Cnlb. Où sont passés vos hommes ?
W.K.: Lorsque vous avez plusieurs armées d’occupations, la communauté dite internationale qui décident de combattre une seule armée, les Forces de défense et de sécurité, aidés de volontaires, de jeunes patriotes aux mains nues, il n’y a pas de honte à décrocher. Il n’y a pas de honte que Watchard ait décroché. Il y a beaucoup de généraux, des officiers supérieurs et non des moindres qui ont décroché. Nous avons été obligés de nous replier pour réfléchir à une stratégie beaucoup plus efficace. Puisque notre capitaine, le premier d’entre nous, le président Laurent Gbagbo, le président de la Côte d’Ivoire, a été bombardé, kidnappé par l’armée française et remis aux nouvelles autorités de la Côte d’Ivoire. Nous étions obligés de constater cela et donc de prendre du recul. Mais chaque jour que Dieu fait, nous travaillons pour que nous puissions retourner dans notre pays, le pays de nos ancêtres. Notre constitution est ferme là-dessus : aucun ivoirien ne doit être contraint à l’exil.

Comment comptez-vous retourner ? De façon pacifique ou par la force ?
W.K.: Nous souhaitons retourner de façon pacifique. Nous sommes des hommes de paix. Nous sommes Ivoiriens et aucun Ivoirien n’a intérêt à ce que le pays brûle. Nous travaillons. Si en face de nous, des oreilles attentives écoutent le cri du cœur du peuple, nous sommes prêts à faire des efforts pour y retourner. Tout Ivoirien n'est mieux que chez soi.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de préparer un coup d’Etat contre le pouvoir en place ?
W.K.: Vous êtes venu nous trouver ici. Vous voyez que nous sommes dans un autre état d’esprit. Lorsqu’on accède au pouvoir de cette façon-là, il est évident que, chaque jour, on ait peur. Même quand il y a un vent, une tornade, on a peur que cela aboutisse à la chute. Nous ne sommes pas des faiseurs de coup d’Etat. Moi, je suis de la droite, un pur produit du Pdci qui est venu mener le combat auprès du président Laurent Gbagbo, un démocrate hors pair, le père de la démocratie ivoirienne. Il n’est donc pas question de préparer un coup d’Etat. Vous savez, nous sommes des enfants de la même famille. Nous avons été contraints de partir de la maison. Et le père de famille doit prendre de la hauteur pour comprendre qu’il a le devoir, l’obligation de rassembler tous les enfants quelle que soit leur opinion.

Mais le président de la République, Alassane Ouattara vous a demandé de rentrer. Il a même fait le déplacement d’Accra pour vous le réitérer. Pourquoi ne saisissez-vous pas sa main tendue ?
W.K.: Le président (Ouattara) est venu certainement en voyage diplomatique au Ghana. Nous ne sommes pas convaincus que le président soit venu pour nous rencontrer. Il faut le dire sans faux-fuyant. Nous ne sommes pas venus ici parce qu’il y avait la sécheresse à Abidjan. Nous ne sommes pas venus parce qu’il y avait l’inondation à Abidjan. Nous ne sommes pas venus parce que nous voulons faire du tourisme au Ghana. Nous sommes venus parce que notre sécurité était menacée. C’est un problème hautement sérieux. Il faut que la procédure soit respectée en la matière.

De quelle procédure, parlez-vous ?
W.K.: Nous sommes organisés. Il faut que les autorités ivoiriennes démontrent, par les actes, que la Côte d’Ivoire a besoin de tous ses enfants et que nous pouvons rentrer sans avoir peur pour notre sécurité. Regardez ce qui se passe en Côte d’Ivoire ! Des hommes politiques, pour leur opinion, sont en prison. On ne retient aucune charge contre eux, mais ils demeurent en prison. Si on veut discuter avec la jeunesse, elle est organisée à travers la Coalition des patriotes ivoiriens en exil (Copie) dont le président est Damana Pickas. Il y a aussi une coordination du Fpi en exil dirigée par Assoa Adou. Il y a donc des responsables qui sont connus. Ils ne sont pas dans la clandestinité. Même dans les camps de réfugiés, les gens sont organisés. Donc, on ne peut pas venir au Ghana, convoyer des gens à partir d’Abidjan et dire qu’on a rencontré les exilés. C’est du folklore. Or, il y a des problèmes de fond comme notre sécurité. Si nous retournons, qu’est ce que nous allons devenir. Il faut un minimum de garantie. Cela suppose qu’on nous montre des éléments rassurants. On doit commencer à poser des actes de paix, de réconciliation sur place. Et, nous qui sommes loin, nous dirons que ce sont des actes forts…

Ne pensez-vous pas que c’est ce que le pouvoir est en train de préparer en réinitiant le dialogue avec l’opposition ?
W.K.: Il n’est jamais trop tard pour bien faire les choses. Bien avant qu’on aille aux élections législatives, il fallait faire ses consultations…

Mais les discussions avaient commencé avant les législatives…
W.K.: Si les pourparlers avaient commencé, mais pourquoi ça s’est arrêté ? On n’aurait pas dû arrêter !

Il y a eu des points d’achoppements entre le pouvoir et le Fpi notamment !
W.K.: Quand on est président, on est le père de tous. C’est comme le père de famille qui, quelle que soit sa colère contre son fils, lui pardonne toujours. On dit qu’on tend la main, mais c’est de quelle façon on la tend ? On dit aussi que certaines personnes ne se sont pas repenties, mais non ! Je suis d’accord que le pardon vienne après la repentance, mais pour qu’une personne puisse se repentir, il faut qu’on lui en donne l’occasion. Mais, si vous êtes privés de parole, si vous êtes en prison, vous conviendrez avec moi, que vous ne pouvez pas vous repentir.

Vous reconnaissez donc votre part de responsabilité dans ce qui est arrivé en Côte d’Ivoire ?
W.K.: De mon point de vue, chacun de nous a fauté. Nous sommes des hommes. Il n’y a que Dieu seul qui est juste. Nous avons posé des actes qui ont choqué d’autres personnes. Nous avons tous fauté dans la parole, dans les actes, dans notre conduite de tous les jours. Oui, il faut qu’on nous donne l’occasion d’être devant Dieu et devant les hommes pour que nous soyons petits et à genoux pour demander pardon.

C’est donc un appel que vous lancez à la Commission dialogue vérité et réconciliation (Cdvr) présidée par Charles Konan Banny ?
W.K.: Oui au président de la Cdvr comme à tous ceux qui ont une responsabilité dans ce pays. Mais, j’ajoute que si j’avais été à la place du président de la Cdvr, j’allais démissionner le jour où on a transféré Laurent Gbagbo à la Cpi. La Côte d’Ivoire a besoin de se réconcilier. Une nation a besoin de se réconcilier. Et, il y a des symboles forts dans une nation. « La Côte d’Ivoire est une poussière d’ethnies », nous disait Houphouët-Boigny. Et c’est ce qui est vrai. Il y a le brassage ethnique. Il y a la tolérance à travers les différentes alliances ethniques. Quand vous êtes un homme d’Etat et que vous voulez conduire un peuple au bonheur, s’il y a des problèmes, des fractures comme celles que nous avons connues, vous devez tout faire pour trouver des solutions.

Pour vous, aucune réconciliation en Côte d’Ivoire n’est possible avec Laurent Gbagbo à La Haye ?

W.K.: Non, non ! Ce n’est pas possible. Je vous le dis franchement : vous pensez que le peuple Bété va apprécier ça ? Ne pratiquons pas la langue de bois. Nous voulons une vraie réconciliation, une réconciliation durable. Mais, ce sont plusieurs personnes qui se reconnaissent en Laurent Gbagbo. Nous sommes en exil parce qu’on se reconnaît en lui. Selon la communauté internationale, Gbagbo aurait eu 46%. Il est donc une force politique. Donc, je souhaite qu’on fasse attention à ça. Je trouve que le fait de transférer le président Laurent Gbagbo à la Haye est un sabotage du travail du Premier ministre Banny. Pour moi, il y a un préalable : le retour de M. Laurent Gbagbo. Tout est possible. Le président Ouattara était poursuivi. Mais, le président Gbagbo a fait des consultations et il a fait de Ouattara, candidat à la présidentielle. N’est-ce pas là un acte de réconciliation ? Cela a apaisé les militants du Rdr et on est allé aux élections. Je pense qu’il faut poser des actes en faveur de la réconciliation. Il faut libérer toutes ces personnalités politiques qui sont en prison.

Pensez-vous qu’aucun acte de réconciliation n’a été posé jusqu’à présent ?
W.K.: Oui, aucun acte n’a été posé. Nous sommes ici et nous voyons certains ministres qui arrivent, de façon accidentelle au cours de leurs week-ends, pour prendre deux et trois personnes et qui disent, les patriotes retournent à Abidjan. Mais non ! Les patriotes sont là et nous sommes des millions de personnes en dehors de la Côte d’Ivoire.

Vous comptez retourner quand en Côte d’Ivoire ?
W.K.: C’est pour très bientôt. Le retour, c’est pour très bientôt.

Très bientôt, c’est-à-dire ?
C’est pour très bientôt. Nous travaillons chaque jour pour cela. Nous prions afin que le retour soit effectif. Nous n’avons pas l’intention de rester éternellement loin de notre pays.

Comment se fait la cohabitation entre vous et les populations ghanéennes d’une part et entre vous et les autorités ghanéennes d’autre part ?
W.K.: Nous n’avons aucun problème. Le Ghana est un pays comme la Côte d’Ivoire qui a ses lois. Lorsque vous vivez dans un pays, vous devez respecter ses lois. Vous savez le problème que nous avons connu en Côte d’Ivoire est dû au non respect de la loi. Quand vous êtes étranger et qu’on dit que vous n’êtes pas Ivoirien et que vous forcez, cela nous amène là où nous sommes. Ici, nous nous mettons dans notre place d’étranger. Actuellement au Ghana, ils sont en train de faire le recensement électoral, mais tu ne verras aucun Ivoirien s’aligner pour se faire enregistrer. Nous ne cherchons pas à truquer des papiers pour devenir Ghanéen parce que chacun doit être fier de sa nationalité. Nous respectons le Ghana. Nous respectons les autorités ghanéennes parce que nous respectons les lois du Ghana. Et, cela nous rend la vie facile.

Que vous rappelle le 11 avril 2011 ?
W.K.: Cette date nous rappelle la brutalité, le sang versé, la violence indescriptible, des bombardements comme si nous étions dans la seconde guerre mondiale parce qu’on voulait installer un président…

Comment réagissez-vous quand on dit que vous avez perdu les présidentielles et vous avez refusé de partir du pouvoir ?
W.K.: Entre bombarder un palais et recompter les voix, qu’est qui pouvait arranger le peuple de Côte d’Ivoire ?

Pendant la crise ivoirienne, quel rôle vos hommes ont joué auprès des Forces de défense et de sécurité (Fds) ?
W.K.: Durant toute la crise ivoirienne, comme beaucoup de jeunes gens, nous nous sommes mobilisés pour faire barrage à l’adversaire. Nous étions des mouvements patriotiques, des mouvements d’autodéfense. Mais, personne ne peut dire que nous gênions la quiétude des populations. Quand le pays a été agressé, l’armée seule ne pouvait pas tout faire. C’est pourquoi, nous avons organisé les quartiers, les villages pour que chacun se prenne en charge, au point de vue de la sécurité primaire, avant l’intervention des Fds. Nous avons aussi animé la vie politique à travers des meetings, des sit-in et autres moyens démocratiques qui ont contribué à l’éveil des consciences, à la remobilisation des jeunes gens.

Votre mouvement était-il oui ou non armé ?
W.K.: (Sourire). Les gens l’ont dit. Nous étions en guerre. Ces jeunes gens n’avaient pas le choix. Chacun était obligé de se défendre comme il le pouvait.

Le Cnlb revendique combien de personnes ?
W.K.: Nous avons des milliers de personnes.

Donnez un chiffre exact ?
W.K.: Nous avons des milliers de personnes.

Ces milliers de personnes sont où aujourd’hui ?
W.K.: Ils sont partout en Côte d’Ivoire.

Ils sont aussi au Ghana ?
W.K.: D’autres sont sortis…

Ils sont avec vous au Ghana ?
W.K.: Beaucoup sont sortis. Certains sont au Liberia, d’autres sont partout. Les jeunes gens de Côte d’Ivoire sont partout. Beaucoup aussi ont préféré, malgré les difficultés, rester en Côte d’Ivoire.

N’est-il pas possible, selon vous, que ces gens dont vous parlez s’organisent pour chercher à déstabiliser les autorités ivoiriennes ?
W.K.: Je pense qu’ils ne le feront pas. Ils sont à l’écoute des nouvelles autorités étant donné qu’il a été dit que tous les jeunes qui ont défendu la patrie seront réinsérés. A l’époque, avec le Pnddr, on nous avait rassuré que les jeunes gens, qui ont battu le pavé et qui ont donné leur poitrine pour leur pays, allaient être pris en compte. Malheureusement, cette guerre absurde et injuste nous a été imposée par les différentes forces d’occupation que nous avons dans notre pays. Vous avez remarqué qu’à la fin des combats, tous ces jeunes patriotes, qui sont restés, se sont alignés et ont fait la paix. A partir de ce moment, le régime n’a rien à craindre. Je pense qu’il appartient plutôt au régime lui-même de se faire confiance, de se rassurer en créant les conditions de sa propre stabilité. Il ne faut pas voir le mal ailleurs. Si vous-mêmes, vous posez des actes pour apaiser l’environnement, pour « séréniser » l’environnement, il n’y a pas de raison que vous ayez peur. Mais, c’est parce que vous refusez vous-même de poser des actes de paix et chaque jour, vous continuez dans votre logique de justice des vainqueurs, que vous êtes effrayés. Vous êtes venus nous trouver ici. Vous n’avez pas vu qu’on a préparé un plan de guerre ici. Nous avons commémoré le 11 avril en pensant à notre chef, le président Laurent Gbagbo et à tous les Ivoiriens qui sont tombés sous les balles assassines des forces d’occupation. Donc, nous sommes ici, nous ne préparons rien. Aucun coup d’Etat ne viendra du Ghana. J’insiste là-dessus : le pouvoir en place doit poser des actes de paix et de réconciliation. Ce n’est pas un crime d’avoir choisi Laurent Gbagbo.

Réalisée par A. SYLLA (source : Soir Info 21 avril 2012)  

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