EN
HOMMAGE À ERNEST BOKA À L'OCCASION DU 56e ANNIVERSAIRE DE SON ASSASSINAT
DANS LA PRISON PRIVÉE D’HOUPHOUËT, NOUS PUBLIONS CE TEXTE DE SON PARENT, FEU LE
Pr BARTHÉLÉMY KOTCHY, POUR EXIGER LA RECONNAISSANCE DE CE CRIME TOUJOURS IMPUNI ET
LA RÉHABILITATION D’UNE VICTIME EXEMPLAIRE.
LA RÉDACTION
En prélude à mon propos, permettez-moi d'évoquer, avec piété, la
mémoire du père et de la mère d'Ernest Boka. Le premier a supporté stoïquement
cette mort du fils. Il n'a pu cependant lui survivre longtemps. Quant à la seconde,
elle n'a pas résisté au choc dont elle traîna les séquelles jusqu'à la mort.
Permettez-moi de saluer le peuple Abbey et plus singulièrement la
population de Grand-Morié qui, sur l'information de l'ancien chef de canton,
Kanga Assoko, malgré l'interdiction du président de la République de desceller
le cercueil, et la présence des militaires, l'a ouvert.
Désastre ! Le corps d'Ernest Boka portait des hématomes à des endroits
divers, ses membres étaient fracturés, sa boîte crânienne défoncée. Sont-ce là
des signes de pendaison ?
Permettez-moi de rendre un hommage déférent à la tante Marguerite
Sacoum qui a osé défier le président de la République en cette circonstance
tendue, tissée de mensonges. Elle a subi, par la suite, toutes sortes
d'humiliations et a été réduite, près de dix ans, à l'extrême dénuement. Malgré
tout, elle est demeurée digne et a élevé ses enfants dans l'honneur et le
respect du souvenir de leur père.
Hommage à son éminence le cardinal Bernard Yago ! Il a honoré l'Église
catholique en refusant de cautionner toutes les turpitudes du pouvoir. Il s'est
donc rendu à Grand-Morié, a prié pour le défunt et l'a enterré selon les règles
théologiques : il balaya ainsi du revers de la main la thèse du suicide.
Le président Houphouët-Boigny ne lui pardonnera jamais un tel désaveu.
Hommage au professeur
Georges Lavau ! Il connaissait parfaitement son ancien brillant étudiant et
ami, Ernest Boka. Aussi, par son honnêteté intellectuelle et son courage,
n'hésita-t-il pas à réfuter la thèse du suicide dans son article du 23 avril
1964, paru dans le journal Le Monde.
Nous savons qu'il fut accablé d'injures honteuses de la part de
certains féaux du président de la République. À ce titre, certains passages de
la correspondance de l'ancien ministre des Forces Armées de Côte d'Ivoire,
M'Baya Blé Kouadio, étaient si bas que les responsables du journal Le Monde ont dû les extraire
(cf. Le Monde, du 13 mai 1964). Peu lui chaut ! L'essentiel pour Georges Lavau était
d'honorer la mémoire d'un homme de valeur.
Ernest
Boka, homme de valeur
Le tableau des figures évoquées ci-dessus traduit bien la valeur et la
dimension de la personnalité d'Ernest Boka et situe d'emblée la question de sa
mort et de sa réhabilitation dans la double perspective nationale et
internationale. C'est dire qu'il faut se garder de ramener l'affaire Boka, pour
des raisons alimentaires et de politique politicienne, à un cadre strictement
familial ou ethnique. Sur ce terrain d'ailleurs, ceux qui se réclament
exclusivement de lui font entorse à la tradition Abbey. Les Abbey, en effet, ne
sont pas matrilinéaires mais patrilinéaires. Dans cette optique, ce ne sont pas
les frères qui héritent du frère, mais ce sont les enfants, surtout s'ils sont
majeurs. Et dans le contexte purement familial, ils sont premiers responsables
de tous les problèmes concernant leur père.
Mais là n'est pas
l'essentiel de notre propos !
D'ailleurs Ernest
Boka fut un homme trop digne ! Aussi ne mérite-t-il guère que l'on se joue de
sa mémoire. Celle-ci ne doit pas constituer pour les aventuriers de divers
horizons un fonds de commerce, « une assurance » pour reprendre ce vilain mot
de son frère maternel, Anoma ; encore moins servir de tremplin aux politiciens
au rancart en quête de voie rédemptrice.
Ernest Boka est un homme d'envergure, un humaniste. C'est pourquoi il
est mort debout pour la défense des idées nobles. Il est mort effectivement non
pas pour les causes de sa famille ou celles de son ethnie, mais pour la
sauvegarde des valeurs nationales et universelles, à savoir : la vérité, la
justice, la liberté de pensée et d'opinion, la démocratie, etc. Aussi
mérite-t-il d'être honorablement réhabilité.
La
voie de la réhabilitation véritable
Il importe donc de réhabiliter Ernest Boka non seulement selon la
coutume ou la voie politicienne, mais selon les lois républicaines.
Il ne s'agit pas de dire qu'il a été réhabilité et continuer à écrire
qu'il s'est pendu (cf. Fraternité Matin du 20 septembre 1994)
et, dans cette ambigüité, chercher à lui bâtir une tombe et célébrer des
funérailles.
De fait, lorsque, le dimanche 9 mai 1971, le président Houphouët-Boigny
a avoué verbalement qu'il n'y a pas eu de complot en 1963-1964, il n'avait, à
vrai dire, réhabilité personne.
Si aujourd'hui, le président Bédié qui est notre contemporain et
universitaire comme nous, lui qui a fait des études de droit avant de s'engager
dans celles de l'économie veut vraiment réhabiliter l'ancien président de la
Cour suprême, il a intérêt à emprunter la voie de la modernité, en se
conformant à la procédure légale.
Ernest Boka a été en
effet accusé d'avoir participé en compagnie de ses amis Amadou Koné, Charles
Donwahi, Samba Diarra, Issa Bamba... à l'organisation d'un prétendu complot
tendant à assassiner le président de la République. Il a même été considéré par
ce dernier comme « le principal instigateur ». Ses amis ont été arrêtés, jugés
et condamnés dès janvier 1963. Dans la suite logique de ce « complot », il a
été arrêté lui aussi le 4 avril 1964, et le lendemain 5 avril, il a été battu à
mort. Et pour justifier son forfait, le chef de l'État s'est employé à salir sa
mémoire en montant un scénario des plus rocambolesques.
Ce double crime a besoin d'être réparé proprement par une réhabilitation
saine et digne. Aussi importe-t-il de :
1)
Créer
une commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les circonstances de
la mort d'Ernest Boka ;
2)
À
l'issue de cette procédure, le président de la République devra demander au
Tribunal d'élaborer un rapport.
Au regard de cet
acte, le chef de l'État saisira l'Assemblée nationale qui procédera au vote de
la réhabilitation de l'ancien président de la Cour suprême et de tous les
prisonniers de Yamoussoukro et de Dimbokro (1963-1964).
C'est donc après cette procédure qui caractérise un État de droit et se
révèle plus apte à rétablir donc Ernest Boka dans toute sa dignité et son
honorabilité et, par voie de conséquence, celles de sa progéniture, que l'on
peut envisager de construire sa tombe et d'organiser des funérailles à l'image
de sa personnalité.
Pour le moment rien ne presse et l'exemple de l'affaire Dreyfus doit
nous servir de leçon.
En dehors de cette voie légale, tout le reste ne sera que supercherie.
Par conséquent, le président Bédié a intérêt à agir selon les institutions
républicaines.
Ernest Boka reste une figure remarquable de la jeunesse ivoirienne. Il
symbolise la droiture, le courage, la vérité et incarne les vertus cardinales
de la démocratie.
C'est pourquoi son assassinat a été ressenti par les jeunes de l'époque
comme une atteinte à la lutte que mène la jeunesse africaine consciente pour le
progrès social.
Ernest Boka symbolise ainsi l'idéal des valeurs universelles, lui qui a
osé réagir courageusement en démissionnant de son poste de président de la Cour
suprême face à l'arbitraire et aux mensonges grossiers du président
Houphouët-Boigny et de ses misérables séides. Dans cette perspective, sa
mémoire ne peut qu'appartenir à la collectivité nationale et internationale.
C'est pourquoi tous
ceux qui écrivent ou évoquent l'histoire de la Côte d'Ivoire
d'Houphouët-Boigny, lui rendent toujours un hommage mérité.
Barthélémy KOTCHY
Extrait de « Quand
Barthélémy raconte N’Guessan-Kotchy », Nei-Ceda, Abidjan 2012 ; pp. 151-155.
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