Innocent Gnelbin |
En
Côte d’Ivoire, une série d’incidents violents révélerait un malaise social
entre le gouvernement et les populations, d’après certains observateurs qui
mettent en garde contre une crise sociale d’envergure. Le pouvoir fustige, de
son côté, « les prêcheurs d’une apocalypse qui n’arrivera pas ».
Le coronavirus sera-t-il le casus belli d’une crise
sociale d’envergure en Côte d’Ivoire ? Pour Innocent Gnelbin, la question ne se
pose pas car « la crise sociale est déjà là ! La question est
donc plutôt de savoir l’ampleur qu’elle prendra », déclare cet
analyste politique au micro de Sputnik.
Des manifestants bloquant une route lors d'une protestation
contre la construction d'un centre de dépistage du COVID-19 à Yopougon, une banlieue d'Abidjan (Côte d'Ivoire). |
Des incidents liés à
l’épidémie de Covid-19
Les 5, 6 et 7 avril derniers,
une vague d’incidents violents a été enregistrée en Côte d’Ivoire, les premiers
du genre depuis l’annonce officielle du premier cas confirmé de coronavirus le
10 mars.
Il y a d’abord eu l’opposition
musclée de riverains à l’installation de centres de dépistage volontaire à Yopougon, Koumassi, deux communes d’Abidjan. Puis, à
Bangolo, les citoyens sont sortis massivement pour barrer la route à un camion
de la Pharmacie de la santé publique, soupçonné de convoyer dans cette ville de l’ouest du pays un
vaccin expérimental contre le coronavirus qui serait potentiellement mortel.
Toutes ces manifestations ont
nécessité une intervention vigoureuse des forces de l’ordre, combinée à la
diplomatie des autorités locales, pour un retour au calme.
Interrogé par Sputnik,
l’analyste Sylvain N’Guessan, de l’Institut stratégique d’Abidjan, estime que
ces soulèvements résultent d’un manque de communication. Une réalité que l’on
admet volontiers du côté des autorités ivoiriennes.
« La stratégie de communication du
gouvernement pose manifestement problème, vu ce qui s’est passé à Yopougon,
Koumassi et Bangolo. Rien n’empêchait, par exemple, le maire de Yopougon ou ses
conseillers de rencontrer avant tout les riverains pour leur expliquer l’action
qui devait être menée », déclare
Sylvain N’Guessan.
Sur ce défaut de communication,
voire d’implication, Innocent Gnelbin partage l’avis de Sylvain N’Guessan. Ce
dernier a, en effet, déclaré que vu la « nature complexe » de cette crise
sanitaire inédite et les nécessaires mesures contre le Covid-19, « il
aurait certainement fallu que le gouvernement rencontre les acteurs politiques
pour établir une sorte de consensus national dans le combat engagé ».
« Cela
aurait eu pour avantage de donner une plus grande légitimité au gouvernement
pour la prise de mesures fortes comme l’état d’urgence ou même un éventuel
confinement total. Il est dommage qu’il en ait été autrement », déplore
Innocent Gnelbin.
Et s’il en a été autrement, ce
ne serait pas sans lien avec les relations exécrables entre pouvoir et
opposition qui prévalent au sein de la classe politique. La crise actuelle
est-elle autre chose, d’ailleurs, qu’une des nombreuses facettes de ce malaise
ivoirien, dont les racines profondes remontent bien plus loin ?
« Le problème, en effet, est bien plus
profond qu’une crise de confiance. La crise de confiance suppose une adhésion
au départ puis une distanciation par la suite. Ce qui n’est pas le cas ici. On
ne le dira jamais assez, mais le processus de réconciliation entamé après la
crise postélectorale (2010-2011) est un échec. Une partie de la population ne
reconnaît pas le pouvoir en place. Et cette frange suspecte, à tort ou à
raison, tous les actes que pose le gouvernement », explique-t-il.
Mais la potentielle crise sociale repose, également,
sur des considérations plus objectives qui brident l’élan ivoirien pouvant
compromettre, dès lors, l’efficience des mesures de riposte de Yamoussoukro.
Une crise sociale
inévitable ?
Au 16 avril, la Côte d’Ivoire
enregistrait 688 cas confirmés, 193 guéris et six décès.
Dans le but de freiner la
propagation de la maladie, le gouvernement a pris des
mesures strictes comme l’instauration d’un
couvre-feu nocturne sur tout le territoire, le confinement de la capitale
économique Abidjan, ainsi que la fermeture des établissements scolaires et de
loisirs, des lieux de culte et des commerces non essentiels.
Pour un pays en voie de
développement, le poids économique de ces dispositions se fait sentir à mesure
que les jours s’égrènent.
« Plusieurs emplois sont déjà détruits
dans le secteur de la restauration, du spectacle, des boîtes de nuit, de
l’enseignement privé, de l’informel... Il est à craindre, si la crise sanitaire
perdure, que les mesures financières et sociales prises par le gouvernement se
révèlent insignifiantes », redoute
Innocent Gnelbin.
En effet, pour atténuer
l’impact de cette crise sur les populations et les acteurs économiques des
secteurs formels et informels et permettre également de préparer une reprise
rapide des activités dès la fin de la pandémie, le gouvernement ivoirien a
adopté, début avril, un important plan de soutien économique, social et
humanitaire.
Ce programme ambitieux, évalué
à 1.700 milliards de francs CFA (2,6 milliards d'euros), soit environ 5% du PIB
du pays, risque pourtant de ne pas suffire. Et certains observateurs craignent
que les plaintes et frustrations de la population, qui se manifestent de plus
en plus, notamment sur les réseaux sociaux, ne muent, à force, en défiances
ouvertes.
«Il faut que les autorités ivoiriennes
soient extrêmement proactives afin de juguler cette crise sociale qui pourrait
rapidement prendre l’allure d’un chaos social. Il le faut afin d’éviter au pays
des émeutes dont il aurait du mal à se remettre», poursuit Innocent Gnelbin.
Lui emboîtant le pas, Sylvain
N’Guessan juge « certain » que si la situation
occasionnée par l’épidémie perdure, « il va en résulter des troubles ».
Pour ce qui est de la nature ou de la gravité éventuelle de ces troubles, « tout
dépendra de la réaction du gouvernement », affirme-t-il.
« Souvenons-nous de la révolution
tunisienne de 2011. Tout est parti de l’immolation d’un jeune vendeur. Le
pouvoir a tellement mal géré cette situation qu’elle a fini par embraser
presque toute l’Afrique du Nord. Tout dépendra donc de la réaction du
gouvernement. Dès qu’il y a mort d’homme, les choses peuvent dégénérer très
facilement. Et dans l’histoire de la Côte d’Ivoire, il y a des références comme
la mort de l’étudiant Apkélé Apkélé qui a presque coûté au pays une année
blanche en 1990 », rappelle
Sylvain N’Guessan.
Du côté des autorités
ivoiriennes toutefois, on juge « alarmiste et sans fondement réel »
la menace
de turbulences sociales d’envergure. Joint par Sputnik, Joël N’Guessan, cadre
du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), se
veut rassurant : « C’est
curieux, sous d’autres cieux où le Covid-19 a occasionné des dizaines de
milliers de morts et des chômeurs par millions, la situation est stable, mais
en Côte d’Ivoire où le tableau est nettement moins dramatique, certains se
plaisent à prédire l’apocalypse. Les heurts survenus lors de l’installation de
centres de dépistage n’ont résulté que d’un problème de communication et ne
présagent rien d’autre », s’agace cet ancien ministre des Droits de
l’Homme.
Joël N'Guessan |
Et de rappeler qu’en débloquant 1.700 milliards de
francs CFA dans le cadre du plan de soutien économique, social et
humanitaire précité, « la Côte d’Ivoire démontre ainsi sa capacité à
supporter le coût financier de cette crise sanitaire ». De quoi
faire taire, à son avis, les « prêcheurs d’une apocalypse qui n’arrivera pas ».
Roland Klohi
Source :
fr.sputniknews.com 17 avril 2020
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