Jean-Claude Delafosse, ancien ministre du Tourisme |
En cette
nouvelle année, tous vœux émis sont bons à prendre, surtout quand certains
voient en l’année 2020, une année de tous les dangers. Seulement voilà, il
arrive que la qualité de l’émetteur des vœux, donne un caractère particulier à
ces derniers. C’est le cas de ceux, émis, en ce début d’année, par l’ancien-ministre
du Tourisme Jean-Claude Delafosse. Habituellement affable sur les sujets
politiques, il a saisi cette occasion de présentation des vœux, pour s’exprimer
sur l’actualité politique nationale. Si nous lui reconnaissons ce droit, la
réalité nous emmène aussi à reconnaître que certaines de ses affirmations relèvent
d’une erreur de parallaxe, conséquence peut-être d’une passion inconditionnelle,
et jamais cachée par lui, pour son mentor politique.
Lorsque M.
Delafosse dit : « Notre pays a tiré parti des entrepreneurs
français et libanais qui étaient les investisseurs pionniers de l’économie
nationale. Ils étaient comme les fondations de l’édifice Ivoire. Mais ceux qui
ont monté les murs avec les Ivoiriens, c’étaient d’abord les ressortissants de
ce qu’on appelait à l’époque la Haute Côte d’Ivoire, c’est-à-dire les Sénoufos
et les Voltaïques, avec l’aimable accord de leurs respectés chefs, le
patriarche Péléforo Gbon et le Mogho Naba. Ceux qui en ont assuré le
crépissage, notamment à travers l’initiation des enfants de ce pays à
l’éducation, c’étaient les Togolais et les Dahoméens. Ceux qui nous ont
administrés en même temps que les Français, c’étaient les Sénégalais. Et ceux
qui, les premiers, ont animé le commerce, c’étaient les Maliens, les Guinéens,
les Nigériens et, bien sûr encore, les Libanais. Si
les Ivoiriens eux-mêmes restent caractérisés par un côté casanier, leur pays
n’a jamais trahi une vocation régionale dont il s’était toujours senti investi »,
nous
pensons que cette manière de relater les faits n’est pas la bonne. Parce
qu’elle apporte de l’eau au moulin de ceux qui ont toujours voulu faire de
notre pays, un pays à histoire modulable, un pays-salle des pas perdus ; et
surtout, il fait croire que ces Français, Libanais, et Ouest Africains, à qui
nous devrions tout, étaient venus répondre à une politique conçue et voulue par
le peuple ivoirien.
Il
serait d’abord important de rappeler un truisme : la colonisation, c’est
de la violence. Parler comme le fit l’ancien-ministre, pourrait renvoyer au
lecteur l’image d’un partisan des thèses tendant à trouver dans la colonisation
un quelconque bienfait, surtout quand on retrouve dans son texte, une version ligth
de la fameuse « paresse des sudistes », brandie par le colon pour
justifier et organiser ces vagues migratoires : « Si les
Ivoiriens eux-mêmes restent caractérisés par un côté casanier ». La venue
de ces « sauveurs » était le maillon d’une politique d’exploitation
de la colonie, qui a même continué après la factice indépendance de 1960. Que
nous disent les faits ?
Ils
nous disent qu’après l’application de sa politique dite de pacification –
encore de la violence – entre 1908-1913, face aux indociles populations du Sud,
le colon français véhicula le mythe du sudiste paresseux, et favorisa la
migration des Senoufos et des peuples du Nord du Nord de la Côte d’Ivoire,
considérés plus dociles à son égard, vers le Sud et les régions forestières. Vagues
migratoires, auxquelles ils ajoutèrent les Sénégalais et les Dahoméens, fidèles
auxiliaires africains de son entreprise de « mission civilisatrice »
et de l’implémentation de sa politique dite de pacification. Cette
réalité historique transparait d’ailleurs, entre les lignes du journal que tint
en 1945 Raymond Gauthereau, alors chef de la subdivision d’Oumé. Selon lui :
« Alors qu’on demeure très largement fair play dans les quartiers
gouros et gagous, et même chez les Baoulés, pourtant « pays » d’Houphouët,
c’est du côté des Dioulas musulmans que se développe le plus vite cette fronde
sournoise. Ceux-là, pourtant n’ont que des raisons de se féliciter de la
« présence française ». Ils sont arrivés dans les fourgons du colonisateur,
et sans nous ils ne seraient pas ici. Venant du Nord, Guinée et Soudan, ils
reconnaissent eux-mêmes sans réticences que, « avant les
Blancs », ils se faisaient immanquablement couper la tête, et le reste,
dès que l’appât du gain les poussait à s’aventurer un peu trop loin vers le
Sud, en grande forêt (là où, peut-être, on n’avait pas oublié leur efficace
contribution à la traite des Noirs – « les autres » …) Donc ils
furent parmi les premiers bénéficiaires de la sécurité imposée au nom de la
IIIème république. »[1]
La
lecture de cette petite note de Gauthereau permet, à elle seule, de comprendre
au moins deux choses : à savoir que les députés de 1966, qui s’opposèrent
au projet de loi sur l’instauration de la double nationalité en Côte d’Ivoire,
avaient de qui tenir, et que la politique tant vantée par J.-C. Delafosse était
une politique subie par la population ivoirienne.
Et
c’est peut-être par manque d’attention à cette réalité, qu’il se retrouve
aujourd’hui à écrire : « L’union, la vision commune, le dialogue,
le partage, l’hospitalité, ces valeurs qui formaient l’âme de la Côte d’Ivoire,
ont déserté le pays ». Et, un peu plus loin encore : « Je
déplore surtout qu’en Côte d’Ivoire, ces origines diverses qui étaient la force
de notre population ne soient plus un moteur de progrès et de développement
humain, mais qu’elles soient devenues un facteur de repli sur soi et même de
divisions, de discordes et d’inimitiés. Et justement quel meilleur moment que
maintenant pour former le vœu de retrouver cet esprit d’ouverture et de
fraternité qui a toujours formé l’ADN de la Côte d’Ivoire ! ». Nous ne parlons pas lingala, mais
ce retour à la réalité de l’ex-ministre nous fait penser à un proverbe
Congolais, qui, traduit en français, donne ceci : « Quand
le mensonge prend l'ascenseur, la vérité prend l'escalier. Même si elle met
plus de temps, la vérité finit toujours par arriver ! ».
Cette
sorte de déconnexion involontaire dans laquelle nous supposons qu’a vécu le
ministre du Tourisme d’Houphouët semble tellement aigüe que l’entendre dire : «
Je voudrais particulièrement les exhorter à reconsidérer leur braquet à l’égard
des entreprises nationales, ces entités qui permettent à la Côte d’Ivoire
d’être tout simplement et de pouvoir vivre solidement. En 2019, ils nous ont
laissé parfois le sentiment de s’être donné pour adversaires les fleurons de
l’économie nationale. Le sentiment d’avoir choisi d’abattre ceux qui pourtant,
parce qu’ils se sont engagés à 100 % dans la réussite de l’économie ivoirienne,
méritent d’être avantagés en permanence. Or si eux n’assument pas le devoir de
garantir aux piliers de l’économie nationale un soutien sans faille, qui le
fera à leur place ? » ; et plus loin qu’« Il n’y a que chez
nous où il faut être une multinationale ou une PME non nationale pour avoir
droit à un minimum de considération », est assez surprenant. Surtout
quand on sait que la forme actuelle d’économie d’exploitation, qui est celle de
l’économie ivoirienne, a été conçue sous la protection et les encouragements d’Houphouët,
par un Français du nom de Raphaël Saller. Curieux pour un Etat
« indépendant », serait-on tenté de dire. Peut-être que M. Delafosse
l’ignore, mais dans ce genre d’économie, seule la classe dirigeante, souvent
qualifiée de comprador, est bénéficiaire. Les entreprises étrangères avant les
entreprises nationales. Tel est le prix à payer, pour être adulé de
l’extérieur, vu comme le Sage africain par excellence, et pouvoir
pique-niquer avec « le ministre de la Justice américain Robert Kennedy, le président du Conseil français Pierre
Mendès-France, le Premier ministre Michel Debré, les plus hautes sommités du
monde économique et financier de la terre entière », dans le parc du
Banco.
Lire
pareils écrits d’un ancien ministre aussi proche d’Houphouët, est la preuve que
M. Delafosse n’a jamais prêté attention à des propos comme ceux-ci :
« l’Ivoirien n’a pas confiance en ses artistes. Les gens qui peuvent
nous donner du travail ne font pas confiance aux artistes ivoiriens. Ils
préfèrent faire appel à des étrangers. Quand ces derniers
disent : « ça fait 15,20 millions », ils sont d’accord
parce que c’est sûr, même s’ils font des choses qui ne sont pas tout à fait
reconnues du point de vue artistique. Mais parce que ça été signé par un
étranger, c’est sûr. (…) Si un Lattier demande 600 ou 800.000 francs, on
dit : c’est trop cher »[2] . Ces propos qui datent pourtant
de 1975, sont de l’artiste Christian Lattier, le maître de la ficelle, génie
pour ses collègues et élèves, décédé en 1978, une année avant son départ
définitif de la Côte d’Ivoire. Si J.-C. Delafosse avait fait attention à ces propos,
il aurait su que dans ce pays, des entreprises nationales ont couru, et
continuent de courir après des entreprises étrangères pour leur sous-traiter
des marchés nationaux. Il faut le faire. Il s’en
rend peut-être compte aujourd’hui, parce qu’une connaissance à lui vit une
injustice, pourtant institutionnalisée par la pratique de la gestion
patrimoniale de la chose publique, dans laquelle, son parti excellait et qu’il
a, pour notre malheur, laissé en héritage à ce qui est communément appelée la
« classe politique ».
Si
nous terminons nos textes en nous amusant à faire un peu de fiction, nous
pourrions dire, que le vieux militant du PDCI-RDA[3] qu’est M. Delafosse a,
surement ou probablement, un penchant pour un jeune loup de son parti qui,
comme lui, pense que : « Qu’ils le veuillent ou non, les
dirigeants ivoiriens qui ont pris la relève du président Houphouët-Boigny sont
parvenus aujourd’hui au bout de leur parcours. Il n’est pas nécessaire d’être
un expert dans les affaires publiques pour voir qu’ils forment une classe
politique défraîchie, fragilisée par les épreuves de son parcours et
objectivement disqualifiée s’il s’agit de proposer les nouveautés dont l’époque
a besoin » et dont, curieusement, l’entreprise, ou du moins le groupe,
subi aujourd’hui, d’après les échos qui nous parviennent, ce qui est
communément qualifié de harcèlement fiscale.
Tout en espérant
n’avoir pas froissé M. Delafosse, nous lui
souhaitons à notre tour une année 2020 pleine de santé, surtout après l’avoir
vu se déplacer à l’aide d’une béquille à la maison de France, lors de la remise
des prix France-Ivoire de l’Union des Français de l’Etranger.
Habib KOUADJA
[2] Christian
Lattier à Ben Soumahoro, dans Entretien avec, Abidjan, R.T.I, 1975, cité
dans Christian Lattier-Le sculpteur aux mains nues, de Yacouba Konaté,
éditions Sépia, 1993, P.80,
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