Leur Premier ministre et leur vidéaste COMPLICES |
TEL PÈRE, TEL FILS !
Beaucoup se sont demandé – mais trop souvent sans vraiment paraître
soucieux de le savoir – pourquoi la vidéo intitulée « 69 jours ou le temps des assassins »
a envahi les « réseaux sociaux » en ce tout début d’une année
électorale déjà tellement pleine d’incertitudes…
Mais s’agit-il réellement d’un mystère ? Les plus anciens de nos amis lecteurs savent bien que non !, et
que ce Jérôme Pin, auteur du « docu-menteur », pour
reprendre le joli mot d’un de nos confrères, a
de qui tenir. En effet, feu son géniteur, le diplomate Dominique Pin, s’était
déjà illustré naguère en s’ingérant grossièrement dans nos débats
intérieurs. Une première fois en 2002, alors qu’il était Premier conseiller
d’ambassade chez nous, dans une lettre ordurière
adressée au journaliste Dé Yédagne ; la deuxième fois, peu avant sa mort,
dans un billet dégoulinant de haine et de mépris, qui parut dans Libération le
05 janvier 2011.
Ces gens ont, semble-t-il, un vieux compte à régler avec nous… Ce compte,
se peut-il qu’il soit seulement personnel ou familial ? Le père, cela va
sans dire, était en service commandé. Mais, quid du fils ?…
À ceux de nos amis lecteurs qui désireraient se
faire une idée des possibles tenants et aboutissants de cette sorte d’entreprise, nous offrons à lire, ou à relire, un article de notre collaborateur
Marcel Amondji, posté sur ce blog le 24 janvier 2016, sous le titre : « À propos d’une ambassade qui n’en fut jamais
vraiment une. (Troisième partie) »,[1] où il est question du conseiller d’ambassade Dominique Pin, dont le vidéaste
Jérôme Pin est donc le très digne rejeton.
LA RÉDACTION
A PROPOS D’UNE
AMBASSADE QUI N’EN FUT JAMAIS VRAIMENT UNE
(Troisième partie)
Avec la fin de la mission
de Christian Dutheil de La Rochère, c’était toute une époque de l’histoire
de cette ambassade qui s’achevait. Une époque inscrite entre deux tragédies,
celle de 1963-1964 et celle qui allait commencer en 1999.
Avec Dutheil de La Rochère lui-même,
c’était une espèce de transition qui avait commencé. La France voulait,
semble-t-il, banaliser une représentation trop longtemps marquée par la
connivence entre Félix Houphouët et Jacques Foccart. Ce qui, soit dit pour
mémoire, s’avèrera à la longue beaucoup plus facile à dire qu’à faire… Les
ambassadeurs n’étaient plus choisis pour leur absolue compatibilité avec un
système qui, du temps où Jacques Foccart était le seul maître de « la
politique africaine de la France », s’apparentait plus à une entreprise
maffieuse qu’à la diplomatie. Mais, si l’ambassadeur ne devait plus être
nécessairement une barbouze, la structure dont il héritait restait imprégnée
par le même esprit que du temps de Raphaël-Leygues ou de Dupuch. D’autant plus
que, pour ce qui est de ses fins dernières, « la politique africaine de la
France » non plus n’avait pas vraiment changé. On imagine le conflit
cornélien qui devait agiter l’honnête homme qui se retrouvait brutalement
propulsé dans un tel univers ! Ce n’est pas un hasard si, une fois libérés de leur devoir de réserve, trois d’entre eux, sur cinq, tiendront à l’honneur
de laisser un témoignage de leur passage sous la forme, qui d’un article, qui
d’un livre…
La disparition d’Houphouët eut une autre
conséquence importante. Pendant tout son règne « solitaire », qui a
réellement commencé en janvier 1963 avec les « faux complots », la
vie politique ivoirienne se déroulait sur deux scènes distinctes, parfaitement
étanches l’une à l’autre : l’une qu’on pourrait nommer l’« espace
proconsulaire », qui englobait « la présidence de la
République » et le secrétariat général du gouvernement – c’est-à-dire
Houphouët et son proche entourage d’expatriés – ainsi que l’ambassade de France
et ses dépendances, et qui était le lieu où, en fait, tout se décidait ;
l’autre que l’on peut qualifier d’« espace ludique », parce que
c’était là qu'un certain nombre d’Ivoiriens jouaient à la politique comme les
enfants jouent à papa-maman. Cet espace-là englobait l’Assemblée nationale, le
Conseil économique et social, les municipalités, le parti unique, la centrale
syndicale unique et quelques autres associations plus ou moins tolérées. Cette
géographie, qui fut sérieusement chahutée lors de la crise des premières années
1990, s’est néanmoins maintenue telle quelle, grosso modo, jusqu’au dénouement
tragique de la crise postélectorale de 2010-2011. L’une des conséquences les
plus significatives du coup d’Etat franco-onusien du 11 avril 2011 –
significative mais vouée par nature à passer inaperçue du grand public et,
apparemment, même des spécialistes les plus pointus de l’ivoirologie française –,
ce fut en effet la suppression définitive de toute séparation entre
« l’espace ludique » et « l’espace proconsulaire », ce
dernier ayant fini par perdre tout ce qui faisait sa singularité du temps
d’Houphouët, c’est-à-dire la présence d’un chef de l’Etat fantoche de chez les
fantoches, certes, mais dont la légende dorée en imposait à presque tout le
monde, au-dedans comme au dehors. Depuis lors, toute la scène politique
ivoirienne est devenue cet immense terrain de jeu sur lequel s’affrontent le
clan de ceux qui « doivent gouverner » et celui de ceux qui
« doivent s’opposer » – typologie due au Premier ministre éternel
Daniel Kablan Duncan –, tandis que les choses vraiment sérieuses se traitent et
se décident ailleurs, comme d’habitude. Un ailleurs qui, au demeurant, n’est plus
nécessairement l’ambassade de France seule, comme c’était le cas au temps où
l’ambassadeur de France était, au sens plein de ces mots, un missus
dominicus, c’est-à-dire le seul et unique représentant en Côte d’Ivoire de
son pays. On sait en effet, notamment depuis le témoignage de Gildas Le Lidec,
qu’il peut même être considéré comme une quantité négligeable, au point d’être
dépouillé de toutes ses prérogatives au profit des militaires, par exemple[1].
Pour bien comprendre et mesurer
l’importance de ce qui a changé avec la disparition d’Houphouët, il est
nécessaire de se rappeler quels étaient sa vraie fonction et son vrai rôle dans
le dispositif foccartien, tel qu’il existait en Côte d’Ivoire de son temps.
Qu’on me permette, à ce propos et encore une fois juste pour mémoire, de rappeler
ce que j’écrivais dans mon post du 10 mars 2012[2] : « Avec
Ouattara au pouvoir, c’est comme si on avait mélangé Houphouët et Guy Nairay
dans la même personne pour l’asseoir dans le fauteuil présidentiel. La
Françafrique triomphe et elle n’a même plus besoin de se cacher. Et c’est
seulement par jeu qu’elle fait semblant de pousser le pauvre Bédié devant elle.
Elle est même si "décomplexée", qu’elle peut présider la Cedeao, qui
elle-même n’a jamais été aussi Françafrique-compatible qu’aujourd’hui ».
Par là je ne voulais pas dire qu’Houphouët gouvernait et que Ouattara, lui, ne
gouverne pas. Pour ce qui est de l’exercice effectif de leurs plantureux
pouvoirs constitutionnels, ils sont très exactement logés à la même enseigne.
Voici, d’après un témoin digne de foi, ce qu’il en était pour Félix
Houphouët : « Le véritable Président de la Côte d’Ivoire, de 1960
jusqu’à la mort d’Houphouët, se nommait Jacques Foccart. Houphouët n’était
qu’un vice-président. C’est Foccart qui décidait de tout, en réalité, dans
notre pays. Il pouvait dénommer un ministre ou refuser qu’un cadre ivoirien X
ou Y soit nommé ministre. C’était lui, le manitou en Côte d’Ivoire. Ses visites
étaient régulières à Abidjan et bien souvent Georges Ouégnin (le directeur de
protocole sous Houphouët) lui cédait son bureau pour recevoir les personnalités
dont il voulait tirer les oreilles »[3].
Foccart n’est plus, mais gageons que ses épigones n’ont rien oublié pour
perpétuer cette tradition très française et que, si les guynairays,
les alainbelkiris et les antoinecésaréos ne
sont plus aussi voyants qu’ils pouvaient se permettre de l’être du temps
d’Houphouët, ils n’encombrent pas moins les allées de la présidence
ouattarienne.
Cela dit, Houphouët, lui, n’a jamais
prétendu gouverner, ni même fait semblant. Dès sa prise de fonction, en mai
1959, il abandonna totalement cette occupation – trop dangereuse à ses yeux –
aux agents que Jacques Foccart avait placés tout autour de lui afin de réduire
au strict minimum l’influence qu’auraient pu exercer sur lui d’éventuels
mouvements d’humeur d’une opinion publique qu’on savait sourdement hostile au
projet néocolonialiste hypocritement baptisé « décolonisation ». Mais
cela ne veut pas dire qu’Houphouët ne jouait aucun rôle, ou qu’il ne jouait
qu’un rôle passif. En fait, depuis son retournement, en 1950, il a toujours
joué un rôle très actif dans la promotion du néocolonialisme français. Cela
consistait principalement à faire barrage de sa personne à tout ce qui aurait
voulu ou qui aurait tendu à s’y opposer. Et c’est ce qu’il fit avec zèle, tant
que, abusant cyniquement de leur confiance, il put tromper la vigilance des
Ivoiriens. Pour l’essentiel, c’est sur lui seul qu’a reposé la stabilité tant
vantée de l’édifice néocolonial français en Afrique, et en Côte d’Ivoire en
particulier.
Un tel rôle, Houphouët était le seul
politicien ivoirien de sa génération – et on pourrait même dire, de tous les
temps, car désormais il est clair qu’il n’y en aura jamais plus un autre comme
lui – à pouvoir l’incarner avec cette perfection et cette efficacité. Du point
de vue des colonialistes français, s’entend…
Mais pourquoi lui et pas un autre,
Auguste Denise ou Jean-Baptiste Mockey par exemple ? Ce n’était pas,
comme le voudraient ses griots, seulement en raison de l’indéniable singularité
de son histoire personnelle à l’intérieur de l’histoire générale de la Côte
d’Ivoire, mais parce que, après son retournement, en même temps qu’il se lançait
dans une activité débridée de propagandiste du néocolonialisme français, il
avait obtenu de ses employeurs d’être le seul Ivoirien admis dans leur
combine. Pierre Messmer, qui fut le dernier à porter le titre de
gouverneur de la Côte d’Ivoire, fut entre 1954 et 1956 un témoin privilégié de
la fulgurante ascension d’Houphouët vers l’hégémonie. Grâce à lui on sait
comment il s’y est pris pour écarter de sa route tous ses rivaux
potentiels : « Parmi les administrateurs en service à mon
cabinet, deux au moins – Hepp et Sarkissoff – avaient noué de bonnes relations
avec plusieurs Ivoiriens de l’élite intellectuelle, militants du RDA. Ils les
recevaient chez eux, sortaient ensemble, etc., parlaient beaucoup de l’avenir.
Félix Houphouët en a pris ombrage et me le fait savoir. Il se réjouit que les
liens d’amitié entre Blancs et Noirs se multiplient et il donne lui-même
l’exemple, mais il se méfie des conciliabules de groupes où ses amis risquent
de lui échapper. »[4] Pas
vraiment glorieux, le procédé… Mais, qu’importe, du moment que lui seul pouvait
permettre d’atteindre le but rêvé ! Le but, c’était d’être, en Côte
d’Ivoire, la pièce indispensable de la machine néocoloniale française et,
surtout, de le rester le plus longtemps possible… Voilà
comment Houphouët devint ce personnage paradoxal du serviteur pour lequel
ses propres maîtres feignaient d’avoir la plus grande considération. Il avait
beau n’être qu’un fantoche tout à leur main, ils se devaient, néanmoins, de le
traiter avec déférence pour ne pas le déprécier aux yeux des Ivoiriens, au
risque qu’il ne fût plus capable de les tenir. Aussi, de son temps, les
rapports entre l’ambassadeur de France et le chef apparent de l’Etat ivoirien
n’auraient jamais pris la forme conflictuelle qu’ils prendront, par exemple, à
partir de septembre 2002. Mais, n’anticipons pas…
Quand Dutheil de La
Rochère quitta la Côte d’Ivoire, on n’en était pas encore là. Par
ailleurs, la situation politique en général, et
celle du chef de l’Etat en particulier, était grave mais pas désespérée. En
tout cas, le successeur d’Houphouët, qui avait été élu deux ans plus tôt pour
son propre compte, pouvait encore croire qu’avec l’aide de la France tutélaire,
il s’en tirerait sans dommages malgré une opposition interne de plus en plus
virulente, et malgré un discrédit extérieur qui s’aggravait sans cesse. Après
une réorganisation des forces de sécurité, comme pour s’en faire une armure,
Henri Konan Bédié avait commandité un audit des Forces armées nationales de
Côte d’Ivoire (FANCI), et ce fut pour les Ivoiriens l’occasion de faire la
connaissance du général de division Fruchard, un français, évidemment.
Bédié avait en effet « demandé au président de la République
française – alors Jacques Chirac – de lui envoyer une mission
d'audit pour examiner ce qu'il fallait faire pour que les forces armées, la
gendarmerie et la police soient le plus adaptées possible à cette nouvelle
politique de défense ».[2]
Et le général Fruchard, accompagné de six autres officiers
français, d’un préfet, français lui aussi, et de l’ambassadeur de France, était
venu à Daoukro[3] pour un premier rapport de
mission. Ironie de l’histoire, sa venue fut annoncée le 22 décembre 1997, soit
exactement deux ans jour pour jour avant le discours que Bédié
prononcera devant les députés le 22 décembre 1999, et qui lui vaudra
d’être renversé, deux jours plus tard, par une bande de sous-officiers
manipulés par des commanditaires tapis dans l’ombre, qui, probablement,
n’étaient pas d’irréductibles adversaires de « la politique africaine de
la France ».
Le 16 décembre 1998, succédant à
Christian Dutheil de La Rochère, Francis Lott était devenu le cinquième
ambassadeur de France en Côte d’Ivoire. Dans mes souvenirs, le nom de
l’ambassadeur Lott n’est associé qu’à un seul événement, c’est le discours que
Bédié prononça devant les députés – et le corps diplomatique – ce fameux 22
décembre 1999. A l’issue de la cérémonie, un journaliste demanda au
représentant de la France ce qu’il avait pensé des propos du président Bédié
: « C’est
un très beau discours que
j’ai trouvé tout à fait intéressant, et qui a intéressé tous les parlementaires
qui étaient présents. L’opinion publique ivoirienne doit, je pense, se
retrouver dans ce discours ».[4] La
même question avait été posée à deux de ses collègues, l’ambassadeur d’Israël
et l’ambassadeur des Pays-Bas. « Nous avons écouté avec beaucoup
d'attention le discours du président de la République. II a donné aux Ivoiriens
un message d'espoir. Je profite de l'occasion pour souhaiter au peuple de Côte
d'Ivoire, une année de millénaire pleine d'espoir, de progrès et de
prospérité », déclara le premier. « C'est un discours qui
trace de nouvelles idées. Je crois qu'il est trop tôt pour le commenter
maintenant. II faut l'étudier totalement », dit le second. A la
lumière de ces deux réponses, qui ne sont guère différentes de la sienne ni par
leur contenu ni par leur formulation, Francis Lott m’était apparu comme un
ambassadeur normal, pour le dire avec un mot à la mode, tout à
l’opposé d’un Raphaël-Leygues ou d’un Dupuch, qui, s’ils avaient été à sa place
ce jour-là, auraient certainement quitté les lieux avec fracas sans attendre la
fin des propos sacrilèges de Bédié.
D’après certaines sources, durant les
presque deux années qu’il resta encore à ce poste après la chute de Bédié,
Francis Lott se serait rendu coupable d’ingérences caractérisées. Par exemple,
c’est lui qui aurait persuadé à Robert Guéi de se porter candidat à la
présidence de la République, puis de refuser de reconnaître sa défaite face à
Laurent Gbagbo. Mais, outre qu’il s’agit de sources en elles-mêmes peu fiables,
ce qu’elles imputent à charge à Francis Lott reste dans les limites du rôle
normal d’un ambassadeur, dans un pays où les intérêts en tous genres de celui
qu’il y représente sont aussi importants que ceux de la France en Côte
d’Ivoire.
On pourrait presque dire la même chose
de Renaud Vignal, l’ambassadeur qui succéda à Francis Lott en 2001. Il
s’attirera le même reproche après le 19 septembre 2002, pour avoir adressé par
écrit au journaliste Honorat Dé Yédagne, directeur général de Fraternité Matin,
ces propos fort peu diplomatiques : « Que vous ayez à Abidjan
des "bourreurs de crânes" stupides dans leur nationalisme exacerbé et
xénophobes, passe encore... Que vous, vous vous laissiez aller, au nom de je ne
sais quelle hystérie nationaliste, à hurler avec les loups les plus imbéciles
contre la France, les bras m'en tombent... ».[5] Il
faut dire qu’il avait invité le journaliste à dîner et que c’est après ces
agapes que ce dernier était allé à la RTI pour, en différé, cracher dans la
soupe… On reprocha aussi à Vignal d’avoir fait cette prédiction qui,
certes, ressemble un peu beaucoup à un souhait, voire à un
programme : « Le chef de l'Etat [Laurent Gbagbo] ne
passera pas la Noël au Palais présidentiel ».[6]
Mais, considérés en eux-mêmes, quoi de plus banal que de tels propos sous la
plume ou dans la bouche d’un ambassadeur de France en Côte d’Ivoire brutalement
confronté à une crise politique aux enjeux suprêmement confus et dont,
fatalement, la gestion l’intéressait aussi directement que s’il était
effectivement le chef de l’Etat ivoirien ? Car, les choses étant ce
qu’elles étaient, cela l’intéressait aussi vraiment, et jusqu’à ce
point-là !, même si c’était à rebours des Ivoiriens, puisque pour eux la
solution de la crise impliquait un relâchement significatif des liens
traditionnels entre la France et la Côte d’Ivoire, tandis que du point de vue de la
France, il s’agissait de stopper la tendance de ces liens à se distendre
toujours plus depuis la disparition d’Houphouët. Bref, la petite palabre entre
Renaud Vignal et Honorat Dé Yédagne, et ses prolongements, comme la philippique
un peu grotesque du pourtant ultrafrancophile Urbain Amoa,[7]
par exemple, ont l’immense intérêt de nous donner à voir concrètement combien
cette ambassade est loin d’être une simple ambassade.
C’est d’ailleurs dans la période du
très bref séjour de l’ambassadeur Renaud Vignal en Côte d’Ivoire que nous
trouvons le plus d’indices révélateurs de cette singularité ; et ce sont
précisément les événements de septembre 2002 qui en fournissent les meilleures
occasions. Ainsi, l’épisode du séjour d’Alassane Ouattara et de son épouse dans
la résidence de l’ambassadeur d’Allemagne avant leur transfert au domicile de
Dominique Pin, le Premier conseiller de l’ambassade de France. Tant que les
Ouattara furent chez lui, l’ambassadeur d’Allemagne ne cessa pas d’implorer son
ministre de demander à son homologue français de le décharger de ce fardeau.
Cet ambassadeur avait apparemment d’excellentes raisons d’agir comme si, en
Côte d’Ivoire, et en vertu d’on ne sait quelles nouvelles règles du droit
international, seuls les représentants de la France sont habilités à gérer ce
genre de situation. Ainsi encore, l’empoignade verbale par médias interposés,
entre les services de l’ambassadeur de France et les autorités légitimes du
pays hôte, qui n’est possible ni même imaginable dans aucun pays libre, sauf la
Côte d’Ivoire.
C’est à dessein que j’écris
« services de l’ambassadeur » et non « l’ambassadeur ». Je
ne connais de feu Renaud Vignal que ce que chacun peut savoir de lui après
avoir lu sa biographie officielle ; mais j’avoue que j’ai peine à croire
que l’ancien directeur de cabinet de Jean-Pierre Cot, qui fut, pour des raisons
honorables, un ministre de la Coopération aussi éphémère que lui-même aura été
ambassadeur en Côte d’Ivoire, est vraiment l’auteur des propos orduriers, suant
la haine et le mépris, contenus dans « sa » supposée lettre à Honorat
Dé Yédagne. En revanche, je n’aurais point été surpris si cette lettre avait
été attribuée au Premier conseiller, feu Dominique Pin, dont une tribune parue
dans Libération le 5 janvier 2011 a le même ton.
Ce n’est là, il va sans dire, que mon
sentiment personnel ; aussi, peut-être faut-il que je m’en explique. Ma
première explication, c’est la différence que j’ai cru percevoir entre le
regard de l’ambassadeur et celui de son Premier conseiller sur le personnel
politique du cru, à en juger, par exemple, d’après leur perception d’Alassane
et Dominique Ouattara. Voici, d’abord, l’impression de Renaud Vignal telle
qu’il l’a consignée dans un rapport officiel à sa hiérarchie après une longue
visite à leur domicile parisien, 140 avenue Victor-Hugo, le 21 novembre
2001 : « Couple nouveau riche, avec tous les signes du
snobisme, apparemment heureux de vivre une vie facile entre l'avenue
Victor-Hugo et la propriété de Mougins [...]. Comme avec l'ex-président Bédié,
le 17 octobre, après son retour au pays le 15 octobre, j'ai eu, avec
"ADO", le sentiment d'un "homme du passé". Mais, à la
différence de Bédié, d'un dirigeant qui n'a pas encore, depuis un an, eu le
courage, personnel et politique, de revenir au pays. Prisonnier qu'il semble
être du confort de son "exil doré". Qui m'a, in fine, parlé de son
"retour", sans indication de date, surtout pour me demander que la
France, s'il revenait, puisse veiller à sa liberté de ressortir du pays, pour
animer la société de conseil qu'il dirige à Paris ».[8] Maintenant,
voici comment Dominique Pin a vu les mêmes juste l’année d’après, après leur
sauvetage de soi-disant « escadrons de la mort » : « Alassane
Ouattara restera deux mois et demi chez moi. J’ai alors découvert un homme
sage, mesuré, ouvert au dialogue, refusant toujours d’envoyer ses partisans au
massacre comme le souhaitait la partie adverse, privilégiant la négociation à
l’affrontement, convaincu que c’est seulement par une élection libre,
transparente et honnête qu’il pourrait un jour accéder à la présidence de son
pays. Bref, tout le contraire de l’image détestable que ses adversaires veulent
donner de lui par d’abjectes et coûteuses campagnes de communication ».
Pour bien mesurer la crédibilité d’un
tel témoin, il faut confronter sa description sulpicienne d’Alassane Ouattara
avec cet autre passage de sa tribune, qui ne le situe pas précisément dans la
catégorie des hommes sages et mesurés : « Je n'oublierai jamais les
charniers de Yopougon, de Monoko-Zohy, les escadrons de la mort, les
assassinats du général Guéi, de Rose Guéi, du docteur Dacoury-Tabley, les morts
de la mosquée de Daloa, les exécutions dans les quartiers ».[9] Il n’est pas sans intérêt de savoir
que cela fut écrit en pleine crise postélectorale, quand la France de Nicolas
Sarkozy préparait le renversement de Laurent Gbagbo.
Tel une de ces barbouzes totalement
déhontées que Foccart sema à profusion, avec la complicité d’Houphouët, en Côte
d’Ivoire et alentour, Dominique Pin ne recule devant aucun mensonge, si
grossier soit-il. Ainsi cet amalgame, qui lui permet de charger Gbagbo de toute
une série de crimes qui n’ont de rapports entre eux que d’être survenus dans le
même laps de temps ou dans la même séquence événementielle. A l’époque où ce
sycophante écrit, soit près de dix ans après les faits dont il prétend se
souvenir, non seulement personne n’est en mesure de dire qui étaient les
auteurs de ces crimes, mais tout le monde savait que les cadavres du soi-disant
« charnier de Yopougon », par exemple, provenaient de plusieurs
scènes différentes, et que certains étaient de toute évidence des noyés. En
outre, tous étaient morts (ou avaient été tués) avant que Gbagbo ne soit
officiellement aux commandes. C’était donc, manifestement, une fabrication, une
intox, et cet amalgame pourrait bien en indiquer et les auteurs et le but…
Mais, là, Dominique Pin avait un alibi solide : lui non
plus n’était pas encore en poste à Abidjan quand ce prétendu charnier fut
« découvert ». Mais comment ne pas penser à une entreprise de la plus
basse espèce quand, même les crimes dont il a pu être un témoin privilégié
depuis son observatoire de l’ambassade de France, il ne s’en souvient que
si, profitant du rideau de fumée d’une propagande outrageusement favorable aux
soi-disant rebelles, il peut en accuser Gbagbo et ses partisans sans craindre
d’être démenti ; ou bien, quand il est apparemment incapable de se
rappeler que la même nuit où Guéi et sa femme furent tués, le ministre de
l’Intérieur Emile Boga Doudou, plusieurs officiers généraux, supérieurs et
subalternes, des dizaines de sous-officiers, de simples soldats et de civils
loyalistes, furent aussi massacrés à Abidjan, à Bouaké, à Korhogo et dans
plusieurs autres villes ; ou encore, quand, comparant sa tribune dans
Libération le 5 janvier 2011[10] avec la « Pétition
d’un collectif d’africanistes français et étrangers », pleine de
contre-vérités, parue dans Le Monde daté du 19 janvier 2011,[11] on
constate tant de similitudes que c’est à se demander si Dominique Pin, « qui,
dit-on, n'[était] pas un diplomate comme les autres »,[12]
n’avait pas été spécialement prépositionné à Abidjan, comme qui dirait posté en
embuscade, dans le cadre de la préparation de ce qui aurait pu advenir, si la
résilience des unités loyalistes des FANCI à Abidjan n’avait pas fait échouer
la tentative de coup d’Etat de la nuit du 18 au 19 septembre. Et si cette haine
féroce qu’il voua à Laurent Gbagbo jusqu’au seuil de la mort n’était pas
simplement la réaction de dépit de quelqu’un qui, cette nuit-là, rata un coup
tordu qu’il avait cru facile et sans risques.
[1]
-
https://cerclevictorbiakaboda.blogspot.com/2016/01/a-propos-dune-ambassade-qui-nen-fut.html
[2]
- Fraternité Matin 22 décembre 1997.
[3]
- Cette ville est à Bédié ce que Yamoussoukro était pour Houphouët.
[4]
- Le Jour 23 décembre 1999.
[5]
- Cité par L'Inter 17 octobre 2002.
[6]
- Notre Voie 29 novembre 2002.
[7]
- Fraternité Matin 17 octobre 2002.
[8]
- Bernard Houdin, o.c..
[9]
- Libération 05 janvier 2011.
[10]
- http://www.liberation.fr/planete/2011/01/05/quand-alassane-ouattara-etait-chez-moi_70
[12]
- Jean-Pierre Béjot, La Dépêche diplomatique 16 août 2011.
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