La couverture de ZAOULI N° 72, Juin 2019 |
Les téléspectateurs
des programmes de télévisions hexagonales, ont surement remarqué cet africain
au regard grave, sous une touffe de cheveu mal peignés, et presque toujours
dans un tee-shirt laissant paraître ses biceps. Celui qui répond à cette brève
description est, Armand Patrick Gbaka-Brédé, alias Gauz !! Papa de Camarade
Papa[1] !
Pour se faire une image de cet écrivain, un coup d’œil à la couverture, du
numéro de Juin 2019, de la revue de littérature ivoirienne, Zaouli[2],
ne serait pas une mauvaise idée.
Communiste
assumé, l’homme n’hésite pas à mettre des tee-shirts estampillés CCCP[3], comme un prêtre en
costume le ferait avec un col romain. Justement, je connais un prêtre ayant le même
patronyme que notre écrivain. Fratrie ? Possible ! Une chose est sûre, nous
avons au moins en Côte d’Ivoire deux Gbaka-Brédé, l’un avec une croix dans les
mains et l’autre avec les mains chargées d’une faucille et d’un marteau. Je n’ai
jamais vu Gauz les manier. Mais, à la lecture de son œuvre, je peux dire qu’il semble
bien les manier. Ne dit-on pas que l’on reconnaît l’arbre à ses fruits ? Après
la lecture de Camarade Papa, fruit du travail de Gauz, dire que notre
auteur a entre ses mains un avenir prometteur ne serait
que justice. Je n’ai pas encore lu sa
première œuvre, Debout-Payé, dont l’on avait dit du bien à l’époque,
mais après la lecture de Camarade Papa, je comprends mieux l’enthousiasme
provoqué par le précédent.
Camarade
Papa
est l’histoire de deux personnes, celle d’un jeune garçon (Anouman), fils d’un couple
de communistes noirs, et celle d’un jeune Français, Dabilly, membre d’une
équipe d’explorateurs en mission en Côte d’Ivoire. Ces deux histoires se
déroulent dans deux siècles différents. Si celle de Dabilly se situe au XIXème
siècle, celle d’Anouman semble bien se situer au XXème siècle, au regard de
l’allusion faite par l’auteur au Programme d’Enseignement Télévisuel que le
Sage de l’Afrique[4]
avait imposé au système éducatif ivoirien dans la décennie 70. Durant tout mon
parcours universitaire, je n’ai jamais entendu un enseignant dire du bien de ce
programme. Mais, revenons à Gauz.
Tout au
long de la lecture de son livre, j’ai eu l’impression de lire deux histoires
parallèles qui, de prime abord, n’avaient apparemment rien en commun mais qui,
vers la fin, se rejoignaient en procurant une certaine joie au lecteur. Mon
esprit de lecteur avait été un peu titillé par de petits indices comme : Assikasso,
quatre tresses… sans que je ne soupçonne un instant, la surprise qui
m’attendait. Gauz a travaillé, il faut le dire.
Il a pour
habitude de dire qu’il propose une nouvelle littérature[5].
A l’entendre parler comme ça, on pourrait être tenté de croire que notre auteur
a pris la grosse tête. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non, l’avenir
nous le dira. Pour l’heure, ceux qui prendront le temps de lire ce livre, ce
que je souhaite, pourront se faire une idée du style de l’auteur pour cette
œuvre-ci. Deux observations pour illustrer nos propos : premièrement, l’auteur
a pris le soin de conférer à chaque personnage un niveau de langue spécifique,
ce qui permet au lecteur de vivre chaque personnage ; deuxièmement, tout
le long de ces deux récits, Gauz s’est adonné à un jeu de va-et-vient entre la
réalité et la fiction. En effet, par des rappels de faits historiques (en lien
avec le chapitre) au début de chaque chapitre, l’auteur arrache momentanément son
lecteur au monde d’Anouman et de Dabilly, avant de l’y replonger après le
rappel historique.
Autre
remarque, qui pourrait avoir valeur de mise en garde : s’aventurer à lire Camarade
Papa, sans lecture préalable du synopsis, tout en croyant avoir affaire à
un roman construit de manière classique, pourrait s’avérer un peu
« dangereux », pour ne pas dire déroutant pour le lecteur. Par
contre, si le futur lecteur de Camarade Papa a déjà lu du Bernard Dadié
et un peu d’Ahmadou Kourouma et de Zadi Zaourou, il ne regrettera pas sa
lecture. Car, il retrouvera dans cette œuvre, l’utilisation de l’histoire, chère
à Bernard Dadié, la construction du niveau de langue, signature de Ahmadou Kourouma,
et l’usage d’homophones et de figures de style, marque de fabrique de Zadi
Zaourou.
Loin de moi,
la volonté de mettre Gauz et ses illustres prédécesseurs, sur un pied d’égalité.
Il est certes, depuis peu, Grand prix
littéraire d'Afrique noire comme Dadié[6] et Kourouma[7]. Ce que
je veux dire, en faisant allusion à ces auteurs, c’est que le style de Gauz, semble
avoir été influencé par ceux de ces grandes plumes.
Camarade
Papa,
nous montre à travers les histoires d’Anouman et de Dabilly que d’un Blanc peut
descendre un Noir et vice-versa. Autrement dit, il n’existe pas plusieurs races
humaines, mais une espèce humaine. Comme le monde se porterait mieux si cette
leçon-truisme était universellement acceptée ! Mais la réalité nous
demande d’accepter d’entendre, à la fois, des Dabilly dire à leur Adjo :
« Non, Adjo, je n’ignorerai jamais notre enfant en public »,[8] et des Péan dire : «
Aucun noir, encore moins votre sorcière, n’approchera le Résident de France ».[9] La leçon que nous donne l’auteur à travers ce
récit est louable. Mais les discours et les faits des uns et des autres
montrent que les deux camps, les racistes et les antiracistes, se sont
renforcés au fil des siècles. Et le fait même que Gauz revienne en ce XXIème
siècle sur ce sujet apparemment éculé montre bien qu’il est toujours
d’actualité. Devrions-nous pour autant nous décourager ou nous habituer à ce
mal ? Bien sûr que non. Maintenir sa position d’antiraciste, et véhiculer
cette idée autour de soi, est déjà une démarche non négligeable. Gauz le fait
déjà avec ce livre, à sa manière. Bien que cette leçon de l’auteur, soit tirée
d’un roman, rien ne nous empêche de la propager.
Camarade
Papa
m’a fait renouer avec le Roman que j’avais abandonné depuis le Da Vinci Code
de Dan Brown, pour les Essais. Je ne regrette pas cette brève escale. Et j’espère
y revenir avec la classe de putes[10],
que Gauz nous promet déjà comme sa prochaine œuvre.
Habib
Kouadja
[1]. Roman paru en 2018 aux éditions Le
Nouvel Attila.
[2]. Zaouli N° 72 de Juin 2019.
[3]. En français : URSS (Union
des Républiques Socialistes Soviétiques).
[4]. Surnom de Félix Houphouët, construit
par ses griots français.
[5]. Voir échange Mabanckou-Gauz sur :
https://www.lexpress.fr/culture/livre/afrique-ses-mots-ses-maux-revus-par-mabanckou-et-gauz_2031278.html
[6]. 1965.
[7].
1990.
[8]. Op.
cit. p. 241.
[9]. Op. cit. p. 237.
[10]. Lire une interview de l’auteur sur ce
site : https://www.jeuneafrique.com/mag/622375/culture/litterature-gauz-je-voulais-etre-le-colon-blanc-qui-debarque-sur-une-plage-ivoirienne/
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