vendredi 19 juillet 2019

Gauz…un môgô à suivre. Par Habib Kouadja

La couverture de ZAOULI N° 72, Juin 2019

Les téléspectateurs des programmes de télévisions hexagonales, ont surement remarqué cet africain au regard grave, sous une touffe de cheveu mal peignés, et presque toujours dans un tee-shirt laissant paraître ses biceps. Celui qui répond à cette brève description est, Armand Patrick Gbaka-Brédé, alias Gauz !! Papa de Camarade Papa[1] ! Pour se faire une image de cet écrivain, un coup d’œil à la couverture, du numéro de Juin 2019, de la revue de littérature ivoirienne, Zaouli[2], ne serait pas une mauvaise idée.
Communiste assumé, l’homme n’hésite pas à mettre des tee-shirts estampillés CCCP[3], comme un prêtre en costume le ferait avec un col romain. Justement, je connais un prêtre ayant le même patronyme que notre écrivain. Fratrie ? Possible ! Une chose est sûre, nous avons au moins en Côte d’Ivoire deux Gbaka-Brédé, l’un avec une croix dans les mains et l’autre avec les mains chargées d’une faucille et d’un marteau. Je n’ai jamais vu Gauz les manier. Mais, à la lecture de son œuvre, je peux dire qu’il semble bien les manier. Ne dit-on pas que l’on reconnaît l’arbre à ses fruits ? Après la lecture de Camarade Papa, fruit du travail de Gauz, dire que notre auteur a entre ses mains un avenir prometteur ne serait que justice. Je n’ai pas encore lu sa première œuvre, Debout-Payé, dont l’on avait dit du bien à l’époque, mais après la lecture de Camarade Papa, je comprends mieux l’enthousiasme provoqué par le précédent.
Camarade Papa est l’histoire de deux personnes, celle d’un jeune garçon (Anouman), fils d’un couple de communistes noirs, et celle d’un jeune Français, Dabilly, membre d’une équipe d’explorateurs en mission en Côte d’Ivoire. Ces deux histoires se déroulent dans deux siècles différents. Si celle de Dabilly se situe au XIXème siècle, celle d’Anouman semble bien se situer au XXème siècle, au regard de l’allusion faite par l’auteur au Programme d’Enseignement Télévisuel que le Sage de l’Afrique[4] avait imposé au système éducatif ivoirien dans la décennie 70. Durant tout mon parcours universitaire, je n’ai jamais entendu un enseignant dire du bien de ce programme. Mais, revenons à Gauz.
Tout au long de la lecture de son livre, j’ai eu l’impression de lire deux histoires parallèles qui, de prime abord, n’avaient apparemment rien en commun mais qui, vers la fin, se rejoignaient en procurant une certaine joie au lecteur. Mon esprit de lecteur avait été un peu titillé par de petits indices comme : Assikasso, quatre tresses… sans que je ne soupçonne un instant, la surprise qui m’attendait. Gauz a travaillé, il faut le dire.
Il a pour habitude de dire qu’il propose une nouvelle littérature[5]. A l’entendre parler comme ça, on pourrait être tenté de croire que notre auteur a pris la grosse tête. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non, l’avenir nous le dira. Pour l’heure, ceux qui prendront le temps de lire ce livre, ce que je souhaite, pourront se faire une idée du style de l’auteur pour cette œuvre-ci. Deux observations pour illustrer nos propos : premièrement, l’auteur a pris le soin de conférer à chaque personnage un niveau de langue spécifique, ce qui permet au lecteur de vivre chaque personnage ; deuxièmement, tout le long de ces deux récits, Gauz s’est adonné à un jeu de va-et-vient entre la réalité et la fiction. En effet, par des rappels de faits historiques (en lien avec le chapitre) au début de chaque chapitre, l’auteur arrache momentanément son lecteur au monde d’Anouman et de Dabilly, avant de l’y replonger après le rappel historique.
Autre remarque, qui pourrait avoir valeur de mise en garde : s’aventurer à lire Camarade Papa, sans lecture préalable du synopsis, tout en croyant avoir affaire à un roman construit de manière classique, pourrait s’avérer un peu « dangereux », pour ne pas dire déroutant pour le lecteur. Par contre, si le futur lecteur de Camarade Papa a déjà lu du Bernard Dadié et un peu d’Ahmadou Kourouma et de Zadi Zaourou, il ne regrettera pas sa lecture. Car, il retrouvera dans cette œuvre, l’utilisation de l’histoire, chère à Bernard Dadié, la construction du niveau de langue, signature de Ahmadou Kourouma, et l’usage d’homophones et de figures de style, marque de fabrique de Zadi Zaourou.
Loin de moi, la volonté de mettre Gauz et ses illustres prédécesseurs, sur un pied d’égalité. Il est certes, depuis peu, Grand prix littéraire d'Afrique noire comme Dadié[6] et Kourouma[7]. Ce que je veux dire, en faisant allusion à ces auteurs, c’est que le style de Gauz, semble avoir été influencé par ceux de ces grandes plumes.
Camarade Papa, nous montre à travers les histoires d’Anouman et de Dabilly que d’un Blanc peut descendre un Noir et vice-versa. Autrement dit, il n’existe pas plusieurs races humaines, mais une espèce humaine. Comme le monde se porterait mieux si cette leçon-truisme était universellement acceptée ! Mais la réalité nous demande d’accepter d’entendre, à la fois, des Dabilly dire à leur Adjo : « Non, Adjo, je n’ignorerai jamais notre enfant en public »,[8] et des Péan dire : « Aucun noir, encore moins votre sorcière, n’approchera le Résident de France ».[9]  La leçon que nous donne l’auteur à travers ce récit est louable. Mais les discours et les faits des uns et des autres montrent que les deux camps, les racistes et les antiracistes, se sont renforcés au fil des siècles. Et le fait même que Gauz revienne en ce XXIème siècle sur ce sujet apparemment éculé montre bien qu’il est toujours d’actualité. Devrions-nous pour autant nous décourager ou nous habituer à ce mal ? Bien sûr que non. Maintenir sa position d’antiraciste, et véhiculer cette idée autour de soi, est déjà une démarche non négligeable. Gauz le fait déjà avec ce livre, à sa manière. Bien que cette leçon de l’auteur, soit tirée d’un roman, rien ne nous empêche de la propager.
Camarade Papa m’a fait renouer avec le Roman que j’avais abandonné depuis le Da Vinci Code de Dan Brown, pour les Essais. Je ne regrette pas cette brève escale. Et j’espère y revenir avec la classe de putes[10], que Gauz nous promet déjà comme sa prochaine œuvre.

Habib Kouadja

[1]. Roman paru en 2018 aux éditions Le Nouvel Attila.
[2]. Zaouli N° 72 de Juin 2019.
[3]. En français : URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques).
[4]. Surnom de Félix Houphouët, construit par ses griots français.
[6]. 1965.
[7]. 1990.
[8]. Op. cit. p. 241.
[9]. Op. cit. p. 237.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire