Après avoir reçu le Prix Ivoire 2018, le Grand Prix National Bernard Dadié de la littérature 2019, l'Ivoirien Armand Gbaka Brédé alias Gauz, pour son roman Camarade papa, paru aux éditions Le Nouvel Attila, vient de recevoir le Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire 2018. Camarade papa, en l'espace d'un an, a raflé presque tous les prix littéraires importants de par le monde. Biochimiste de formation, Armand Gauz quitte la science pure pour aller à la photographie, le film documentaire, des émissions culturelles. Son premier roman, Debout Payé (50 000 exemplaires en grand format), vedette de la rentrée 2014, l'a propulsé sur le devant de la scène littéraire. Gourmand des prix, Camarade papa a déjà trusté plusieurs prix cette année, dont le Prix Virilio 2018, sans compter son classement dans la sélection du 6ème prix littéraire du Monde.
Comment se
définit Armand Gauz ?
Personne ne devrait avoir à se définir
soi-même. C'est le regard de l'autre qui définit. Je me contente d'être, juste
être. Je peux donc retourner la question à celui qui la pose : comment
définit-il Gauz. Cela dit, un jour, on m'a demandé d'écrire moi-même ma bio
pour une présentation à des libraires, voilà ce que ça donne : « Armand Patrick
Gbaka-Brédé alias Gauz est né à Abidjan, en 1971. Après l'obtention de son
diplôme de biochimie, il décide de ne rien faire et sillonne la Côte
d'Ivoire... 5 ans. Gauz considère cette période comme son premier poste en tant
qu'observateur de l'autre. Après, il poursuit des études en France, à l'Université
de Paris-Jussieu : ça rassure les parents I Les études filent, lui prend son
temps, alors il exerce successivement divers métiers, d'informaticien à
jardinier en passant par photographe de pub, déménageur pour chercheurs au
CNRS, vigile, hotline ou consultant pour l'OIF et le Ministère des Affaires
étrangères, etc. Il co-écrit « Après
l'océan », un scénario sur l'immigration
des jeunes Ivoiriens. Une période où Gauz réalise des courts métrages documentaires
dont « Quand Sankara.. ». Lors du Forum Social Mondial de Bamako, en
janvier 2006, donnant la parole à des jeunes qui reprennent le discours que
prononça Thomas Sankara à l'assemblée de l'ONU, en 1984, à New York. Fin 2011,
pour ne pas laisser la place seulement « à ceux qui n'ont que l'intelligence de l'index
pour tirer à la Kalash », il
retourne en Côte d'Ivoire. Il y dirige un journal économique, News&co,
monté avec son frère Demba Diop. Avec son Mbock Mbarr, son plus que frère Alex
Kipré, Il contribue au Prix Kaïlcédra, prix littéraire pour les collèges et
lycées. Entre Ferkessédougou et Abidjan, il écrit Debout-payé, publié aux éditions Le Nouvel Attila en 2014,
élu Meilleur premier roman français par la rédaction de Lire. Après le grand
succès de librairie de ce roman, il se retire à Grand-Bassam où il s'installe
dans le village artisanal. Ce qui lui inspire, en 2017, une expo photo et un
film, « Bazouam, galerie sur route ». C'est dans cette ville qu'il écrit son
second roman. Camarade Papa, sorti en août 2018, Prix panafricain Akwaba Culture
2018, Prix Virilio 2018, Prix de la presse panafricaine de littérature, Prix
Bernard Dadié, Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire ».
Vous êtes prix Ivoire 2018, Grand Prix Bernard
Dadié de la littérature et Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire. Un
commentaire ?
Ce qui compte avant tout, c'est le texte,
sa force, son originalité, sa singularité et sa capacité à projeter la lecture
en des territoires insoupçonnés d'intelligence et de ravissement. Les prix
travaillent pour la visibilité du texte... alors revenons au texte.
Avec l'inventivité virevoltante de la langue, on
a l'impression que ce sont les mots qui construisent l'espace et les personnages.
Un roman, pour moi, c'est une histoire particulière
décrite d'un point de vue singulier portée par une langue singulière. Sinon
tout le monde en écrirait. Ce que je m'évertue à faire à chaque roman, ce n'est
pas juste écrire, c'est surtout proposer une nouvelle littérature. Debout-Payé et Camarade Papa affichent clairement cette prétention. Nous, les
Africains, nous les Ivoiriens, nous sommes les héritiers d'auteurs qui ont été obligés
d'inventer une littérature pour trouver la place de leurs mots dans le monde.
Bernard Dadié, Charles Nokan, Ahmadou Kourouma, Adiaffi, Zadi..., ils ne se
sont pas contentés de montrer du doigt le chemin, ils ont fabriqué la route,
l'ont entretenue, l'ont damée à force de piétinements. Il ne nous suffit que de
l'emprunter... ne les trahissons pas. L'humour, le rire est la marque la plus
universelle, la plus évidente, la plus visible, la plus audible d'intelligence
et de ravissement. Un homme qui rit est un homme qui a compris. J'attrape donc
l'intelligence du lecteur par le rire. Il ouvre son cerveau, il est disposé à
comprendre mes idées, même les plus apparemment loufoques. Nous sommes issus
de civilisations où le rire est convoqué tout le temps, même dans les moments
les plus tristes ou graves. Regardez autour de vous, ce pays rit et se rit de
tout, c'est une de ses plus belles vertus. Je suis un Ivoirien comme un autre,
donc « attachement est dans mon sang !
».
Les récits de Dabilly et d'Anouman se rejoignent
à la fin par une pirouette. Alors, dites-nous, pourquoi vous avez inséré entre
ces deux récits des légendes qui célèbrent la hardiesse des piroguiers Kroumen
et Apolloniens ?
Oui les deux récits se rejoignent par ce que
j'appelle un beau « geste technique ». Pas besoin d'expliquer quoi que ce soit ;
faire confiance à l'intelligence du lecteur... Pour ce qui concerne les « légendes
» insérées au milieu du récit, ce sont des histoires presque vraies ou presque
fausses (chacun choisira son camp). Un peu comme toutes les légendes que l'on
nous raconte au village, cela part toujours de quelque chose de véridique qui
ensuite prend les chemins de l'imaginaire et de la gouaille du conteur. J'ai
ramené cette oralité dans une écriture très classique au milieu d'un roman
iconoclaste. C'est une proposition littéraire forte du livre.
Comment se construisent vos romans ?
Comme tout le monde, j'ai des histoires
plein la tête. Mais, je ne peux rien écrire tant que je ne trouve pas une
structure particulière, et une langue originale. Je suis un obsédé de la
structure et de la langue. Ce qui fait que je pense beaucoup, je réfléchis
longtemps en amont mon geste d’écriture.
De la chimie à la littérature en passant par la
photographie, il semble qu’il y a des pas de géant à faire...
Arrêtez de faire
croire qu'il faut être un littéraire pour écrire. C'est une mauvaise idée qui
est entretenue par ce genre de questions. Kourouma était actuaire, il
travaillait dans les assurances, Dadié était un simple commis, Tierno
Monénembo était prof de sciences, Alain Mabanckou a travaillé pour Canal+…
Un regard sur la littérature ivoirienne...
La littérature ivoirienne se remet peu à
peu d'une décennie un peu molle. Un temps, dans le pays c'était un concours de
dédicaces suivies de cocktails. Les gnamankou
et les bissap étaient évidemment
toujours meilleurs que les livres présentés. Les gens sont fascinés par le
statut de l'écrivain. Ils veulent s'en emparer, s'en parer. Ils veulent le
flash de la dédicace mais ont du mal à s'enfermer dans la chambre noire de
l'écriture. Les écrivains qui ont remplacé les « grands maîtres » disparus ont
donné une image un peu caricaturale dans laquelle beaucoup de jeunes se sont
lovés. Je suis venu casser un peu cette mythologie, voire cette mythomanie-là !
Retour aux fondamentaux, retour au texte. C'est lui qui compte. Un jeune
écrivain comme Alain Serge Agnessan a compris ça, très tôt. Un jour, j'ai
entendu une fille le traiter de DJ. Il n'a pas pris la mouche, il ne s'est pas
vexé, il lui a juste montré son livre, le formidable « Carrefour Samaké
». Point. Les enjeux sont dans le texte.
Véronique Tadjo peut passer dans la rue sans que personne ne la remarque, mais
ces livres font un boucan d'enfer et vont toucher encore des générations et
des générations. Il y a de grands talents qui vont se lâcher, prendre
conscience du volume de travail qu'il faut pour aboutir à une œuvre achevée.
C'est le message que donne la réussite internationale de mes livres. Il y a
une véritable communauté du livre en Côte d'Ivoire, c'est un avantage extraordinaire
que nous avons sur les voisins d'Afrique où j'ai traîné mes lettres. Le travail
que fait le Directeur du Livre, Henri Nkoumo, en ce sens, depuis des années,
est phénoménal. Il fallait voir la belle ambiance, au SILA 2019. Éditeurs,
auteurs, libraires, journalistes... Il point, à nouveau, dans notre pays,
comme un printemps du livre et des belles lettres.
Vos actualités littéraires et vos projets ?
Je n'ai pas de projet autre que celui d'écrire.
Et écrire, pour moi, cela peut revêtir des formes diverses. La photo, le
cinéma, le théâtre, la mise en scène, le montage, etc., sont des écritures qui
m'habitent tout autant que le roman. Je parachève mon troisième roman, mets en
scène une comédie musicale autour d'Houphouët par Serge Bilé, écris une série
ambitieuse sur une figure révolutionnaire africaine, imagine une expo photo
sur la Bassam française de l'époque, etc. Bref, je vis et je suis en vie.
Propos recueillis par Auguste Gnalehi
(Zaouli n° 72, juin 2019 ; pp. 8 & 9)
(Avec l’aimable permission d’Ernest Foua,
promoteur du magazine culturel Zaouli)
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