mardi 23 juillet 2019

Gauz : « Il point, à nouveau, dans notre pays, comme un printemps du livre et des belles lettres ».




Après avoir reçu le Prix Ivoire 2018, le Grand Prix National Bernard Dadié de la littérature 2019, l'Ivoirien Armand Gbaka Brédé alias Gauz, pour son roman Camarade papa, paru aux éditions Le Nouvel Attila, vient de recevoir le Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire 2018. Camarade papa, en l'espace d'un an, a raflé presque tous les prix littéraires importants de par le monde. Biochimiste de formation, Armand Gauz quitte la science pure pour aller à la photographie, le film documentaire, des émissions culturelles. Son premier roman, Debout Payé  (50 000 exemplaires en grand format), vedette de la rentrée 2014, l'a propulsé sur le devant de la scène littéraire. Gourmand des prix, Camarade papa  a déjà trusté plusieurs prix cette année, dont le Prix Virilio 2018, sans compter son classement dans la sélection du 6ème prix littéraire du Monde.



Comment se définit Armand Gauz ?
Personne ne devrait avoir à se définir soi-même. C'est le regard de l'autre qui définit. Je me contente d'être, juste être. Je peux donc retourner la question à celui qui la pose : comment définit-il Gauz. Cela dit, un jour, on m'a demandé d'écrire moi-même ma bio pour une présentation à des libraires, voilà ce que ça donne : « Armand Patrick Gbaka-Brédé alias Gauz est né à Abidjan, en 1971. Après l'obtention de son diplôme de biochi­mie, il décide de ne rien faire et sillonne la Côte d'Ivoire... 5 ans. Gauz considère cette période comme son premier poste en tant qu'observateur de l'autre. Après, il poursuit des études en France, à l'Université de Paris-Jussieu : ça rassure les parents I Les études filent, lui prend son temps, alors il exerce suc­cessivement divers métiers, d'informaticien à jardinier en passant par photographe de pub, déménageur pour chercheurs au CNRS, vigile, hotline ou consultant pour l'OIF et le Ministère des Affaires étrangères, etc. Il co-écrit « Après l'océan », un scénario sur l'immi­gration des jeunes Ivoi­riens. Une période où Gauz réalise des courts métrages documen­taires dont « Quand Sankara.. ». Lors du Forum Social Mondial de Bamako, en janvier 2006, donnant la parole à des jeunes qui repren­nent le discours que prononça Thomas San­kara à l'assemblée de l'ONU, en 1984, à New York. Fin 2011, pour ne pas laisser la place seulement « à ceux qui n'ont que l'intelli­gence de l'index pour tirer à la Kalash », il re­tourne en Côte d'Ivoire. Il y dirige un journal économique, News&co, monté avec son frère Demba Diop. Avec son Mbock Mbarr, son plus que frère Alex Kipré, Il contribue au Prix Kaïlcédra, prix littéraire pour les collèges et lycées. Entre Ferkessédougou et Abidjan, il écrit Debout-payé, publié aux éditions Le Nouvel Attila en 2014, élu Meilleur premier roman français par la rédaction de Lire. Après le grand succès de librairie de ce roman, il se retire à Grand-Bassam où il s'installe dans le village artisanal. Ce qui lui inspire, en 2017, une expo photo et un film, « Bazouam, gale­rie sur route ». C'est dans cette ville qu'il écrit son second roman. Camarade Papa, sorti en août 2018, Prix panafricain Akwaba Cul­ture 2018, Prix Virilio 2018, Prix de la presse panafricaine de littérature, Prix Bernard Dadié, Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire ».

Vous êtes prix Ivoire 2018, Grand Prix Ber­nard Dadié de la littérature et Grand Prix Lit­téraire d'Afrique Noire. Un commentaire ?
Ce qui compte avant tout, c'est le texte, sa force, son originalité, sa singularité et sa ca­pacité à projeter la lecture en des territoires insoupçonnés d'intelligence et de ravisse­ment. Les prix travaillent pour la visibilité du texte... alors revenons au texte.

Avec l'inventivité virevoltante de la langue, on a l'impression que ce sont les mots qui construisent l'espace et les personnages.
Un roman, pour moi, c'est une histoire particulière décrite d'un point de vue singulier portée par une langue singulière. Sinon tout le monde en écrirait. Ce que je m'évertue à faire à chaque roman, ce n'est pas juste écrire, c'est surtout proposer une nouvelle littérature. Debout-Payé et Camarade Papa affichent clairement cette prétention. Nous, les Africains, nous les Ivoiriens, nous sommes les héritiers d'auteurs qui ont été obligés d'inventer une littérature pour trouver la place de leurs mots dans le monde. Bernard Dadié, Charles Nokan, Ahmadou Kourouma, Adiaffi, Zadi..., ils ne se sont pas contentés de montrer du doigt le chemin, ils ont fabriqué la route, l'ont entretenue, l'ont damée à force de piétinements. Il ne nous suffit que de l'emprunter... ne les trahissons pas. L'humour, le rire est la marque la plus univer­selle, la plus évidente, la plus visible, la plus audible d'intelligence et de ravissement. Un homme qui rit est un homme qui a compris. J'attrape donc l'intelligence du lecteur par le rire. Il ouvre son cerveau, il est disposé à comprendre mes idées, même les plus appa­remment loufoques. Nous sommes issus de civilisations où le rire est convoqué tout le temps, même dans les moments les plus tristes ou graves. Regardez autour de vous, ce pays rit et se rit de tout, c'est une de ses plus belles vertus. Je suis un Ivoirien comme un autre, donc « attachement est dans mon sang ! ».

Les récits de Dabilly et d'Anouman se rejoi­gnent à la fin par une pirouette. Alors, dites-nous, pourquoi vous avez inséré entre ces deux récits des légendes qui célèbrent la hardiesse des piroguiers Kroumen et Apolloniens ?
Oui les deux récits se rejoignent par ce que j'appelle un beau « geste technique ». Pas besoin d'expliquer quoi que ce soit ; faire confiance à l'intelligence du lecteur... Pour ce qui concerne les « légendes » insérées au milieu du récit, ce sont des histoires presque vraies ou presque fausses (chacun choisira son camp). Un peu comme toutes les lé­gendes que l'on nous raconte au village, cela part toujours de quelque chose de véridique qui ensuite prend les chemins de l'imaginaire et de la gouaille du conteur. J'ai ramené cette oralité dans une écriture très classique au mi­lieu d'un roman iconoclaste. C'est une pro­position littéraire forte du livre.

Comment se construisent vos romans ?
Comme tout le monde, j'ai des histoires plein la tête. Mais, je ne peux rien écrire tant que je ne trouve pas une structure particulière, et une langue originale. Je suis un obsédé de la structure et de la langue. Ce qui fait que je pense beaucoup, je réfléchis longtemps en amont mon geste d’écriture.

De la chimie à la littéra­ture en passant par la photographie, il semble qu’il y a des pas de géant à faire...
Arrêtez de faire croire qu'il faut être un litté­raire pour écrire. C'est une mauvaise idée qui est entretenue par ce genre de questions. Kourouma était ac­tuaire, il travaillait dans les assurances, Dadié était un simple com­mis, Tierno Monénembo était prof de sciences, Alain Mabanckou a travaillé pour Canal+…

Un regard sur la littérature ivoirienne...
La littérature ivoirienne se remet peu à peu d'une décennie un peu molle. Un temps, dans le pays c'était un concours de dédicaces suivies de cocktails. Les gnamankou et les bissap étaient évidemment toujours meilleurs que les livres présentés. Les gens sont fasci­nés par le statut de l'écrivain. Ils veulent s'en emparer, s'en parer. Ils veulent le flash de la dédicace mais ont du mal à s'enfermer dans la chambre noire de l'écriture. Les écrivains qui ont remplacé les « grands maîtres » dis­parus ont donné une image un peu caricatu­rale dans laquelle beaucoup de jeunes se sont lovés. Je suis venu casser un peu cette mythologie, voire cette mythomanie-là ! Re­tour aux fondamentaux, retour au texte. C'est lui qui compte. Un jeune écrivain comme Alain Serge Agnessan a compris ça, très tôt. Un jour, j'ai entendu une fille le trai­ter de DJ. Il n'a pas pris la mouche, il ne s'est pas vexé, il lui a juste montré son livre, le for­midable « Carrefour Samaké ». Point. Les en­jeux sont dans le texte. Véronique Tadjo peut passer dans la rue sans que personne ne la remarque, mais ces livres font un boucan d'enfer et vont toucher encore des généra­tions et des générations. Il y a de grands ta­lents qui vont se lâcher, prendre conscience du volume de travail qu'il faut pour aboutir à une œuvre achevée. C'est le message que donne la réussite internationale de mes li­vres. Il y a une véritable communauté du livre en Côte d'Ivoire, c'est un avantage extraor­dinaire que nous avons sur les voisins d'Afrique où j'ai traîné mes lettres. Le travail que fait le Directeur du Livre, Henri Nkoumo, en ce sens, depuis des années, est phénomé­nal. Il fallait voir la belle ambiance, au SILA 2019. Éditeurs, auteurs, libraires, journa­listes... Il point, à nouveau, dans notre pays, comme un printemps du livre et des belles lettres.

Vos actualités littéraires et vos projets ?
Je n'ai pas de projet autre que celui d'écrire. Et écrire, pour moi, cela peut revêtir des formes diverses. La photo, le cinéma, le théâ­tre, la mise en scène, le montage, etc., sont des écritures qui m'habitent tout autant que le roman. Je parachève mon troisième roman, mets en scène une comédie musicale autour d'Houphouët par Serge Bilé, écris une série ambitieuse sur une figure révolution­naire africaine, imagine une expo photo sur la Bassam française de l'époque, etc. Bref, je vis et je suis en vie.

Propos recueillis par Auguste Gnalehi 
(Zaouli  n° 72, juin 2019 ; pp. 8 & 9)
(Avec l’aimable permission d’Ernest Foua, promoteur du magazine culturel Zaouli)

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