Le 28 novembre 2010 s’est tenue, en Côte
d’Ivoire, le deuxième tour de l’élection présidentielle qui devait permettre de
sortir, démocratiquement, d’une épreuve douloureuse imposée au pays depuis le coup
d’Etat manqué du 19 septembre 2002 et qui avait conduit à sa partition de fait.
Dans le strict respect de la Loi
ivoirienne, Laurent Gbagbo avait été proclamé vainqueur du scrutin par le Conseil
constitutionnel en application de l’Article 94, alinéa 3, de la
Constitution : « le Conseil Constitutionnel
proclame les résultats définitifs des élections présidentielles ».
On connaît la suite. Dans un déchaînement de fureur médiatisée ad nauseam et parachevée
militairement le 11 avril 2011, le pouvoir français de l’époque, sous couvert
d’une hypothétique « communauté internationale », régulièrement
convoquée dans ce genre de circonstances, a fini par sortir Laurent Gbagbo et
installer Alassane Ouattara, pour reprendre les termes du président français
Nicolas Sarkozy.
Fin de l’épisode, mais pas fin de
l’Histoire. Depuis cette triste date, le combat pour dire la Vérité sur cette
forfaiture dont a été victime le peuple ivoirien n’a jamais cessé. Pendant que
le régime installé brutalement se consolidait dans la répression, contraignant
des dizaines de milliers d’Ivoiriens à l’exil, et poussait l’infamie jusqu’à
déporter le président Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI), les
vrais démocrates ne se sont jamais résolus à accepter cette imposture.
Apparemment inaudibles face au tsunami politico-médiatique sensé
« protéger » le régime de Ouattara, leur message a fini par ébranler
les certitudes et à ramener la Côte d’Ivoire dans l’actualité. Acteur, parmi
des milliers d’autres, de cette lutte improbable, je peux témoigner de la
lente, mais inexorable, évolution des esprits sur la réalité de la crise
ivoirienne.
On connaît l’adage : « Cela va sans dire mais cela va mieux en le disant et
encore mieux en l’écrivant ». Le 27 mai dernier, dans une
chronique sur le site internet du journal Le Monde, le diplomate français
Laurent Bigot a fini par « casser le canari » et poser la
question : « Côte d’Ivoire : mais qui a gagné
la présidentielle de 2010 ? ». Au
terme d’un article essentiellement factuel, il concluait ainsi : « Je ne sais pas qui a réellement remporté l’élection de 2010
mais une chose est certaine, les résultats certifiés par les
Nations-Unies ne sont pas les bons ».
Laurent Bigot était, lors de la crise
ivoirienne, sous-directeur pour l’Afrique de l’Ouest au Quai d’Orsay. Il sera
brusquement limogé par Laurent Fabius fin février 2013. Le 11 mars 2013, dans
un article au titre révélateur (« Le Mali fait tomber des têtes
au Quai d’Orsay ») le journaliste du Figaro Alain Barluet
décrit Laurent Bigot comme un « très bon connaisseur du
terrain » qui dénonçait l’effondrement de l’Etat malien et
prévenait que le Burkina-Faso serait « le prochain sur la liste ».
On peut imaginer facilement les sentiments qui ont dû animer Laurent Bigot le
31 octobre 2014 quand le président burkinabè Blaise Compaoré a fui son pays
dans un hélicoptère français pour trouver refuge chez son obligé Alassane
Ouattara.
Cet article illustrait la pertinence
d’analyse du sous-directeur pour la situation qui prévalait dans sa zone de
compétence.
Depuis son départ du Quai d’Orsay cette
expertise lui donne régulièrement l’opportunité de publier des chroniques, en
particulier dans Le Monde Afrique. D’ailleurs dans le chapeau de son texte du
27 mai dernier, Le Monde Afrique le présente comme « notre » chroniqueur.
Observateur attentif de la situation qui
prévaut en Afrique de l’Ouest, je suis un lecteur assidu de ce journal et je
découvre avec beaucoup d’intérêt les textes de Laurent Bigot quand ils sont mis
en ligne.
Sa chronique sur la problématique de
l’élection présidentielle ivoirienne de 2010 a, cependant, été un choc pour
moi. En effet, confronté depuis cinq ans au « mur » de la doxa officielle qui, au nom de cette hypothétique
« communauté internationale », avait décidé une fois pour toutes du
résultat en Côte d’Ivoire, je lisais, pour la première fois, une remise en
cause argumentée de ce résultat. La suite ne s’est pas fait attendre : la
chronique s’est propagée comme un feu de brousse dans les réseaux sociaux,
confortant les convaincus et ranimant l’espérance des désabusés.
Le régime d’Abidjan était, dès lors,
face à un dilemme : se taire et risquer de voir le storytelling de la crise ivoirienne s’effondrer à
terme ou réagir. C’est la seconde voie qu’il a empruntée. Mais il l’a fait dans
l’urgence et la précipitation en « mandatant » pour cette mission un
personnage polymorphe dont la probité morale a subi, en maintes occasions,
l’épreuve de la réalité.
Cet homme, le journaliste Venance Konan,
est bien connu des Ivoiriens et a été propulsé à la direction du groupe de
presse Fraternité-Matin (qui, historiquement en Côte
d’Ivoire, « s’aligne » sur la politique gouvernementale) grâce à
une a-moralité sans faille qui lui a valu une carrière
bien remplie à défaut d’être brillante.
Je laisse le soin à Monsieur Laurent
Bigot de lui répondre, ce qui, compte tenu du niveau d’indigence de
l’argumentaire développé par ce monsieur, ne sera sans doute pas une tâche
insurmontable.
Cependant Venance Konan m’ayant fait
l’honneur de me « convoquer » deux fois dans son « point de
vue », une fois nominativement et l’autre fois comme l’un des « deux
Français » ayant publié des livres pour défendre la thèse de la victoire
de Laurent Gbagbo en 2010, je vais me permettre de lui rafraîchir la mémoire en
lui rappelant le proverbe cher à Gbagbo : « Quand tu danses avec un
aveugle, marche lui sur les pieds de temps en temps pour lui rappeler
qu’il n’est pas seul dans la pièce ! »
Effectivement, j’ai publié, en septembre
2015, un livre intitulé « Les Ouattara, une imposture
ivoirienne » (Editions du Moment) et je le remercie de l’avoir
évoqué, car, dans cet ouvrage, je lui consacre un paragraphe (page 247 et
suivantes) que je me fais un plaisir de lui rappeler in extenso :
(…) Le débat soulevé en Côte d’Ivoire
sur le cas Ouattara a conduit nombre d’Ivoiriens à adopter des comportements
éloignés de tout sens moral, obérant considérablement leur engagement. Cette
déviance est symbolisée par un personnage que son ambition dévorante a
transformé en thuriféraire à « géométrie variable », emblématique du
système Ouattara.
Venance Konan est aujourd’hui le
directeur du quotidien Fraternité-Matin, le
journal quasi-officiel du pouvoir. Son allégeance à Ouattara transpire à chaque
page dans un esprit de soumission sans retenue. J’ai connu Venance Konan quand
nous déjeunions régulièrement le dimanche avec quelques amis, dont Tiburce
Koffi. C’était dans les années 2003-2004 et, à cette époque, il ne jurait que
par Laurent Gbagbo. Il faut dire qu’il était depuis longtemps un farouche
opposant à Alassane Ouattara. Journaliste-écrivain, il avait publié une
tribune, le 29 novembre 1994, dans ce même Fraternité-Matin où
il indexait férocement son mentor du moment.
A propos du code électoral en discussion
dans le cadre de l’élection présidentielle de 1995 et dont certains pensaient
qu’il était destiné à barrer la route à Ouattara, Venance Konan écrivait
ainsi : « Les gens du PDCI s’en
défendent. Pour ma part, je pense que si le code électoral était dirigé contre
monsieur Alassane Ouattara, ce serait une bonne chose. » Au
sujet de la nationalité fluctuante de Ouattara, il ajoutait : « Pourquoi les Ivoiriens devraient-ils prendre le risque de
confier leur destin à un homme dont le nationalisme varie selon l’air du
temps ? Au nom de quels principes ? » Puis il
enfonçait le clou : « Est-ce être raciste ou
xénophobe que de prendre un minimum de précautions pour que notre pays ne tombe
pas entre les mains d’aventuriers ? Est-ce aller trop loin que d’exiger
que le père et la mère soient au moins Ivoiriens pour être sûr que celui qui
dirigera notre pays n’aura pas un cœur qui balance ailleurs (…) ? »
Enfin, il donnait le coup de grâce avec des mots qui, aujourd’hui, semblent
plus actuels que jamais : « On dit aussi qu’Alassane
Ouattara fut Premier ministre. Et que cela lui donne une légitimité pour
briguer la présidence. D’abord, il n’a pas été élu Premier ministre. Et le
débat actuel porte sur la présidence (…). Mais tout cela était une autre époque,
celle où les Ivoiriens toléraient beaucoup de choses. Il y en a une autre qui
commence où les Ivoiriens veulent conduire leurs affaires eux-mêmes ».
Voilà comment je dépeignais ce monsieur
dans mon livre. Pour tenter de masquer sa turpitude ancienne, il se mue
désormais en « bouffon du roi ». Ainsi, dans un précédent
« point de vue » dans le même Monde Afrique daté, sans pudeur, du 11
avril 2016 (le 11 avril est aujourd’hui pour tous les Ivoiriens épris de
liberté et de justice une date à jamais sombre) et au titre provocateur « Laurent Gbagbo n’est pas une victime de la Françafrique »,
il va, au cœur d’une « analyse » truffée de contrevérités
ahurissantes, atteindre le point de non-retour dans l’ignominie qui le
discrédite à jamais dans la conscience collective des Ivoiriens : « Personnellement je ne remercierai jamais assez la France
d’avoir décidé, après avoir obtenu un mandat de l’ONU, de détruire les armes
lourdes de Laurent Gbagbo, et de contribuer ainsi à son arrestation ».
Monsieur Venance Konan, je vais vous
décevoir : la France n’a pas détruit les armes lourdes de Laurent Gbagbo
car ces « armes lourdes » s’appellent Liberté, Justice, Démocratie,
des concepts et des valeurs qui vous sont étrangers. Et, c’est grâce à ces
« armes lourdes » que Laurent Gbagbo, au-delà de l’inqualifiable
procès qu’il subit à la CPI, demeure dans le cœur de l’immense majorité des
Ivoiriens, et au-delà, dans toute l’Afrique, comme le symbole de tous ceux qui
aspirent à la dignité et à la souveraineté.
Le tribunal de l’Histoire nous convoque
tous, un jour où l’autre. Je crains que pour vous le verdict soit sans appel.
Vous et vos semblables, vous n’hésitez
pas à vous draper dans les habits de l’houphouétisme qui, sur vous, se
transforment en vulgaires oripeaux. Mais, puisque vous invoquez les mânes du
président-fondateur de la Côte d’Ivoire, je vais vous remémorer un de ses
conseils qu’il ne manquait pas de rappeler aux ambitieux et aux vaniteux :
« Quand on t’envoie, il faut savoir t’envoyer
toi-même ! »
A bon entendeur, …
Bernard Houdin (Paris), le 7 juin 2016
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de
provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre
ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou
l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu
informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des
mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : eburnienews.net 14 juin 2016
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