C’était une grande et grosse affaire que
le référendum en Angleterre pour ou contre l’appartenance à l’Union européenne.
Je ne croyais pas aux chances du « oui ». Quelles raisons auraient un
Anglais du commun de voter pour que continue ce qu’il ressent au mieux comme un
poids mort sans saveur ni odeur, au pire comme une menace permanente ?
Comme d’habitude, les argumentaires du « oui à l’Europe » tournaient
en rond, prenant l’électeur pour un imbécile sans cervelle. À force de
s’entendre annoncer tous les malheurs et même l’hiver atomique, ceux qui
doutent s’offensent d’être traités de la sorte et la propagande du « oui à
l’Europe » devient le premier véhicule du « non ».
Mais cela même devrait faire réfléchir
les eurolâtres. Comment se fait-il que, pour défendre l’idée européenne, vous
n’ayez rien d’autres que des menaces à mettre en scène ? Certes, vous
pourriez parler du progrès social. Mais tout le monde sait qu’avec la directive
service, l’interdiction de l’harmonisation sociale et fiscale, il ne saurait en
être question. Cette arnaque a déjà trop servi ! Cette ruse ne
fonctionnerait pas. De l’Union européenne ne viennent que chômage et misère, et
tout le monde le sait surtout depuis la Grèce. Vous pourriez proposer le rêve
spatial ou que sais-je encore qui soit juste un dépassement de l’esprit
d’épicerie rance qu’est « le projet européen » ? Non, ce n’est plus
possible pour cause de désengagement des États. Le programme Erasmus ?
Ah ! Non plus car c’est devenu un fétide programme de crédit bancaire aux
étudiants. La paix ? Hum, passons vite car il faudrait expliquer pourquoi
nous avons repris la guerre froide et parfois chaude comme en Ukraine avec la
Russie. Bref, je n’insiste pas.
L’Europe ne peut plus être un rêve pour
personne. Elle est laide, injuste, sans ambition humaine. Donc le Royaume-Uni a
voté non. Le gouvernement Cameron est tombé. Et c’est le début de la fin car le
modèle sera contagieux. En effet, une fois passés les quelques jours de crise,
tout le monde se rendra compte qu’il n’y a aucune conséquence à cette décision,
en tous cas aucune des apocalypses annoncées n’aura eu lieu.
Avant d’en dire davantage, méditons sur
la façon avec laquelle le monstre libéral s’est lui-même coupé la gorge à
l’initiative d’un gouvernement libéral dans un pays dévoré par le libéralisme
le plus grossier et le capitalisme financier le plus arrogant ! Le sordide
égoïsme social que contient la logique des libéraux en Europe les aura amenés à
détruire leur propre cadre d’action. Tant mieux pour nous ! Il faut bien voir
que si l’échec de l’Union européenne telle que nous la connaissons est une
vérification jubilatoire de nos analyses, pour autant nous ne saurions
applaudir sans réfléchir, ni surtout aller à des surenchères qui pourraient
toutes fort mal tourner. La France n’est pas une province à l’intérieur d’un
Empire européen. C’est un des deux pivots de l’équilibre continental avec
l’Allemagne, étant entendu qu’à mes yeux il n’y a pas de signe égal entre ces
deux nations, la seconde ayant prolongé dans la paix les méthodes de violences
et d’annexion économique qu’elle gérait autrefois par la guerre. Encore une
fois : le dire, l’écrire et y réfléchir n’est pas faire preuve de germanophobie
comme l’ont affirmé sans relâche maints roquets. C’est voir en face la réalité
pour éviter qu’elle vous subjugue. Notre intérêt comme nation, autant que nos
projets de paix perpétuelle en Europe, nécessitent que nous assumions nos
responsabilités continentales.
Le Brexit lâche bien des bondes. On peut
voir le Royaume-Uni se désunir sous nos yeux et donner des opportunités inouïes
Outre-Manche aux indépendantistes de longue main comme les Écossais ou les
Irlandais. Certes, la France ayant avec ceux-ci des accointances
multiséculaires, on serait tenté de voir la chose avec le sourire. D’autant que
les eurocrates souhaitent punir les coupables d’avoir mal voté. Tendance
malsaine dont on n’a pas fini non plus d’éprouver la terrible logique. Car si
les frontières doivent bouger à l’intérieur des nations, à cause et d’après
l’Union européenne, c’est une terrible boîte de Pandore qui pourrait s’ouvrir.
Vous vous étonnerez d’apprendre que la première chose que j’ai dite à l’Élysée, c’est qu’il fallait
éviter la logique de représailles, quand bien même un nouvel équilibre plus
favorable à la France pourrait suivre cette mise à l’écart du Royaume-Uni. Je
ne suis pas certain que la tentation soit écartée.
Commençons par dire les choses
simplement : il est normal de voter non à l’Union européenne actuelle.
C’est d’ailleurs la cinquième fois qu’un peuple européen dit « non »
à ce que propose l’UE après les référendums en France et aux Pays-Bas en 2005,
en Irlande en 2008 et en Grèce l’an dernier. C’est que l’UE, ce ne sont pas
seulement des belles paroles des perroquets eurobéats. Ce sont d’abord des
réalités sociales lourdes et connues. L’UE, c’est la loi El Khomri née
des recommandations de la Commission européenne au gouvernement français et du
marchandage de François Hollande avec Angela Merkel en matière de déficit.
L’UE, ce sont les services publics dévastés par la libéralisation du rail ou
de l’énergie et par les politiques d’austérité. L’UE, c’est la délocalisation à
domicile institutionnalisée avec le système de détachement de travailleurs qui
permet de faire travailler en France un salarié d’un autre pays de l’UE en
payant les cotisations sociales de son pays d’origine. L’UE, c’est évidemment
le libre-échange absolu, par exemple en matière de sidérurgie :
les multinationales ferment les usines en Europe mais peuvent importer
librement de l’acier chinois. L’UE, c’est enfin la concurrence déloyale et le
dumping social et fiscal comme seule méthode « d’harmonisation »,
c’est-à-dire l’harmonisation par le bas.
Il est donc normal que les classes populaires
refusent massivement l’Union européenne. Le vote britannique est clairement un
vote anti-oligarchie. C’est un vote du « peuple », avec ses
contradictions, ses difficultés, mais aussi ses aspirations profondes à être
maître de sa vie, individuellement et collectivement, en tant qu’individu et en
tant que Nation. Ceux qui ont voté pour quitter l’Union européenne sont d’abord
des pauvres, des ouvriers et employés, des chômeurs, des personnes peu ou pas
diplômées, des habitants de petites villes industrielles en souffrance ou de
territoires ruraux abandonnés. C’est-à-dire ceux qui ont précisément besoin de
l’État, de ses services publics et de son intervention sociale et économique
pour pouvoir vivre dignement.
Il est frappant de voir comment les
commentaires d’explication du vote triaient avec mépris les gens des
territoires abandonnés en les opposant à la jeunesse branchée et supposée
instruite des centres-villes. Le même mépris de classe qui avait accablé les
vainqueurs de 2005 en France de la part des élites glapissantes du système
politique et médiatique dominant. Que cet abandon social et l’absence de
campagne progressiste contre l’UE ait ouvert un boulevard aux discours
xénophobes est une réalité. Mais la cause profonde du « Brexit » n’est
pas dans ce symptôme. Preuve en est, même les plus xénophobes comme Nigel
Farage, chef du parti d’extrême-droite UKIP, ont été obligés de faire de la
défense du service public de santé un des axes principaux de leur campagne.
Est-ce à dire que défendre les services publics serait d’extrême-droite ?
Bien sûr que non.
Ce non est d’abord l’échec de l’Europe
allemande. Cette Union européenne de l’austérité, du dumping, du libre-échange.
Ce n’est d’ailleurs pas surprenant qu’il vienne du Royaume-Uni quand on sait
que le Premier ministre britannique, David Cameron, a été l’un des principaux
alliés de Mme Merkel en Europe ces dernières années. Dès lors, reprocher le
« nationalisme » des votants pour justifier la poursuite de la même
politique « d’intégration » européenne à marche forcée est une lourde
faute. On n’éteindra pas l’incendie nationaliste avec les pyromanes qui
l’alimentent chaque jour par leurs politiques anti-populaires.
Mardi, au Parlement européen, les
députés devaient voter sur une appréciation de la situation après cet évènement
terrible. Ce qui est consternant c’est le niveau des textes proposés. Déjà
notons ce fait : la droite, le PS et les verts déposent le même texte… On
pourrait s’en réjouir et signaler une conscience historique commune. Que nenni.
C’est une plate compilation de syndic de faillite. Sans l’ombre d’une autocritique
sur ce qui a pu conduire le peuple anglais à rejeter l’Union européenne
pourtant si délicieuse d’après ces braves gens, le texte compile en une phrase
toutes les mantras libéraux de la maison. Mais sa conclusion est une fulgurance
magistrale : l’Union européenne doit se reformer pour répondre aux
exigences des peuples ! En l’apprenant, les peuples vont sans doute se
rassembler pour sauter de joie sur les places publiques ! De quelles
exigences s’agit-il ? On ne le dit pas. En tous cas, ce qui est dit en
commun par ces partis du système c’est que les « opportunités du traité
de Lisbonne doivent être mieux exploitées ». Charmant aveu !
C’est une déclaration d’adhésion à ce traité qui est d’habitude moins affichée
en France où l’on se souvient que le traité de Lisbonne est celui que signa
Sarkozy après le « Non » des Français en 2005. Le traité de Lisbonne
foulait aux pieds le vote des Français en reprenant mot pour mot le texte qu’ils
avaient refusé !
Le creux et venteux texte des trois
partis eurolâtres ne doit pas faire manquer la lecture de la résolution de
l’extrême droite sous la houlette de madame Le Pen. Un pauvre texticulet
rappelant pédamment diverses platitudes réglementaires et se concluant par un
pompeux item pour demander… la transmission de cette motion à divers organes de
l’Union dans le style notarial qui sied si bien à ceux qui n’ont pas d’idées.
Au milieu de cette pauvre prose, des félicitations pour la décision du peuple
anglais. Point. Une vision de l’histoire et du moment politique où le FN très
divisé n’a pas l’intention, lui non plus, de se poser des questions sur les
causes du rejet anglais et de son contenu social autant que purement national.
Je ne dis pas que le texte de la GUE
soit un monument de vision historique, cela va de soi parce que ce n’est pas le
cas. La GUE aussi a ses eurolâtres aveuglés et ses « modérés » qui
craignent l’opprobre que vaut à ses auteurs toute critique qui touche au fond de
la nature actuelle de l’Europe. De toute façon, certaines pudeurs de gazelle
sont désormais débordées par les audaces de quelques lucides dans le camp du
système. En effet à présent, même Martin Schultz, le président social-démocrate
allemand du Parlement européen veut « refonder l’Europe ». Ironie de
l’affaire c’est là notre slogan pour la campagne européenne en France de 2014.
Je m’amuse de penser que tant n’en voulaient pas et non des moindres jusque
dans nos rangs d’alors ! Mais le texte de la GUE a le mérite de situer les
responsabilités. Il met en cause les directives antisociales, notamment celle
sur les travailleurs détachés qui jettent les salariés les uns contre les
autres dans les divers pays ou cette « délocalisation à domicile »
sur place s’opère. En cela, il nous permet de ne pas accepter les éléments de
langage dominant depuis la décision anglaise. Il refuse d’attribuer aux
nationalistes et aux xénophobes le vote du oui à la sortie de l’union. Il
ramène la question posée dans son environnement social et dans son ancrage dans
la vie réelle des gens plutôt que dans les limbes de la politique
conventionnelle où les électeurs sont censés être les troupeaux dociles des
cartels de partis.
Évidemment la tâche qui consiste à
vouloir arracher le vote populaire anglais aux nationalistes est rendue très
compliqué par le fait que la gauche anglaise est restée peureusement terrée
dans ses arrangements et tractation d’appareil à l’intérieur du Labour. Un
institut de sondage britannique affirme pourtant que 37% des électeurs du parti
travailliste ont voté pour quitter l’Union européenne ! Et ce alors même
qu’aucun des dirigeants nationaux de ce parti ne faisait campagne sur ce mot
d’ordre, hormis une poignée de députés. Et ceux qui croyaient éviter par ce
moyen les complications internes, comme l’a fait Corbyn, n’ont fait que
désorganiser leurs bases. Et bien sûr, il leur faut quand même affronter un
assaut du vieil appareil droitier du Labour qui tente de récupérer la direction
du parti ! Une preuve de plus qu’on ne gagne rien à refuser les combats
que la vie met à l’ordre du jour. Preuve encore qu’en privant de sa voix
progressiste la colère populaire pour tâcher de l’enrégimenter une nouvelle
fois sous le harnais de l’ordre établi on livre les cœurs et les esprits à l’extrême
droite.
Dès lors, la réaction de François
Hollande n’est pas au niveau de l’Histoire. Pas de nouveau traité ? Pas de
référendum ? Juste des aménagements aux textes existants ? Et pour
quoi faire ? Des règlements sur les investissements ! Et une nouvelle
étape dans la liquidation de l’indépendance de notre pays : l’intégration
de nos forces armées ! Bon appétit ! Et là-dessus, courir voir Mme
Merkel à Berlin sur le mode « allo maman bobo » est la preuve d’une
analyse faussée du résultat.
Puisque Mme Merkel est une bonne partie
du problème, elle ne peut pas être le cœur de la solution. La grande
explication sur l’Union européenne aura donc lieu en 2017 lors des élections
présidentielles et législatives en France en avril et en Allemagne en septembre.
Dans ce contexte, je me sens très à l’aise avec ma candidature de « sortie
des traités européens ». L’impasse actuelle montre qu’il n’y a pas d’autre
issue possible. J’ai résumé cet état d’esprit par une formule : « L’Union
européenne, on la change ou on la quitte ! » J’espère que chacun voit bien
désormais que le rapport de force national et le recours au référendum sont des
armes redoutables. Il n’est pas interdit de vouloir les utiliser dans d’autres
buts que David Cameron ou l’extrême-droite anglaise.
Dans tous les cas, je pense que tous les
candidats à l’élection présidentielle en France devraient s’engager à soumettre
à référendum du peuple français le bilan des négociations qu’ils prétendent
engager avec l’Union européenne et les 26 autres pays membres. Cela permettrait
de débattre sereinement des solutions proposées par chacun. Et d’éviter les
forfaitures de 2008 et 2012 où Nicolas Sarkozy puis François Hollande ont fait
ratifier en catimini des traités que les Français avaient rejetés par leurs
votes. Je note d’ailleurs que ce sont les deux seuls candidats putatifs à
l’élection présidentielle qui ont clairement refusé de s’engager sur un nouveau
référendum. Faut-il y voir le signe qu’ils préparent un nouveau mauvais coup
pour l’après 2017 ?
J.-L. Mélenchon |
Je demande donc que la préparation
du nouveau traité budgétaire prévu pour 2017 soit menée au grand jour, et qu’on en
connaisse les étapes et les contenus au fur et à mesure. Lors de notre
entretien, François Hollande a indiqué qu’il n’y aurait pas de nouveau traité
adopté avant l’élection. Mais peut-on lui faire confiance ? Déjà le
ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault et son homologue allemand
proposent plusieurs modifications lourdes de la zone euro. Dans ces conditions,
quoi qu’il arrive, l’élection présidentielle fonctionnera comme un vote pour ou
contre le texte qui aura été préparé ces jours-ci.
Jean-Luc Mélenchon
Titre original :
« La cause du Brexit est parfaitement claire : le
peuple est stupide et les élites devraient le dissoudre ».
Source : Le
blog de Jean-Luc Mélenchon 28 juin 2016
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