De la responsabilité de Félix Houphouët dans les tragédies actuelles du Grand-Ouest
Le règlement du problème foncier est-il réellement une
priorité pour les présidents de la République qui se sont succédé à la tête de notre
pays ?
Arrivé au pouvoir en 2000, le président Gbagbo Laurent
fait face à une rébellion qui divise le
pays en deux et livre la région de l’ouest aux criminels de tout acabit avec
son corollaire d’atrocités qui se
poursuivent au-delà de la crise post-électorale de 2011.
Malgré cela, la décentralisation version Laurent Gbagbo permet
aux Conseils généraux de département de s’imprégner des réalités du foncier de
l’Ouest, de mettre en exergue les contradictions de l’occupation des terres où
les Wè, propriétaires terriens de cette région, sont régulièrement menacés
d’expropriation par les populations allochtones et étrangères.
Depuis la crise post-électorale et l’exode massif des
populations autochtones au Libéria, un afflux considérable de populations ouest-africaines
aggrave les tensions déjà existantes. Des hommes en armes, pour la plupart
originaires du Burkina-Faso, occupent de force les plantations des autochtones
et les forêts classées de Taï et du mont Péko sous l’impassibilité des forces
onusiennes.
Le contexte politique aidant, bon nombre d’autochtones
deviennent des travailleurs agricoles sur leurs propres parcelles.
Pourquoi cette région est-elle tant convoitée ? Ne
subit-elle pas les contrecoups d’une politique approximative en matière
d’aménagement du territoire ?
S’il est vrai
que les houphouétistes ont dirigé le pays sans discontinuité pendant une
quarantaine d’années, au regard du combat politique mené pendant la
colonisation, principalement après la seconde guerre mondiale, c’est bien
au-delà de l’accession de notre pays à l’indépendance en 1960, qu’ils se
préoccupent du développement de la Côte d’Ivoire.
Les causes du désordre à l’Ouest, antérieures au régime
de la Refondation, ne trouvent-elles pas leur origine dans la volonté des houphouétistes
d’accentuer le processus d’extraversion de notre économie ?
I. LE
PROCESSUS D’EXPROPRIATION DES TERRES
La Côte d’Ivoire a-t-elle toujours été considérée comme
un no man’s land ? Cette interrogation, vu la configuration
ethno-régionaliste de l’occupation des terres ivoiriennes, n’est pas dénuée
d’intérêts et mérite que l’on s’y attarde quelque peu.
C’est d’Assinie, en 1895, que la première bille d’acajou
fut expédiée vers la France par Verdier. Mais c’est à partir de 1900, avec
l’adoption du code forestier et du
régime domanial, que l’Etat colonial
français procède à une expropriation massive des populations ivoiriennes.
La forêt étant l’une des plus anciennes et des plus
importantes ressources de la colonie, le législateur règlemente son exploitation
en faisant fi des droits traditionnels.
A. LA NOTION DE TERRE
VACANTE ET SANS MAÎTRE
Est déclarée « terre vacante et sans maître », en vertu
des décrets du 23 octobre 1904 (organisation du domaine) et du 24 juillet1906
(régime de la propriété foncière), toute terre ni immatriculée, ni possédée
suivant les règles du Code civil français par les autochtones : c'est-à-dire la
quasi-totalité du domaine colonial.
Le décret du 15
novembre 1935 supprime l’expression « terre vacante et sans maître » pour
définir les limites du domaine privé de l'Etat ou autres collectivités
(fédération, territoires, villes) : celui-ci « est constitué par les biens et
droits immobiliers détenus ...dans les formes et conditions prévues par le Code
civil ou le régime de l'immatriculation » (Enjeux fonciers en Afrique
noire, Karthala).
Toutefois, le principe « des terres vacantes et sans
maître » demeure, d'autant plus que ce
décret précise : « Appartiennent à l'Etat les terres qui, ne faisant pas
l'objet d'un titre régulier de propriété ou de jouissance, sont inexploitées ou
inoccupées depuis plus de dix ans ».
Durant toute la période coloniale, l'Etat français a donc
la possibilité de donner des concessions comme il le souhaite, sans tenir
compte des droits d'usage locaux. Les terres non cultivées, d’usage collectif
ainsi que celles en jachère, sont ou peuvent être attribuées par l’Etat aux Européens
qui en font la demande.
D’après Simon Pierre Ekanza (la Côte d’Ivoire par les
textes, NEA, 1978) d’immenses hectares de forêts furent soustraits aux
populations autochtones. En 1945, 2 500 000 hectares de forêts de la
partie méridionale du pays étaient attribués à 60 exploitants, disposant de
1019 chantiers.
Au motif des « terres vacantes et sans
maitres », ces populations sont spoliées en faveur de l’Etat ; à
l’application du travail forcé, elles sont asservies.
En effet, exiger des indigènes des prestations en nature
ou en argent dans les chantiers collectifs ou dans les plantations appartenant
aux Européens, tout en permettant aux colons d’exercer un contrôle sur le flux
de la main d’œuvre migratoire, ramène ces populations autochtones à une
catégorie de sous-évolués.
Considérant
qu’en 1944, plus de 88% des Ivoiriens vivent dans les villages et que
l’activité économique se résume essentiellement à l’agriculture, la possession
de la terre devient progressivement un enjeu politique et social. Pour les
métropolitains, un moyen de maintenir leur hégémonisme et pour les leaders
locaux, un ferment de l’action libératrice.
Succédant à l’Etat colonial, l’Etat ivoirien est, depuis
les années 60, le propriétaire de la terre et selon le Code forestier (1965),
des arbres du domaine rural et des forêts classées. Et le Code foncier rural de
1998 n’abroge en rien la notion de « terres sans maître » dans la
mesure où elle fait partie à titre permanent du domaine foncier rural tandis
que celle de terres coutumières ne l’est qu’à titre transitoire.
Considérant que la forêt demeure la ressource la plus
précieuse de la communauté villageoise, l’Etat prévoit des dédommagements pour
celle qui s’en voit privée en perpétuant toutefois sa logique de dépossession.
C’est ainsi qu’en 2000, 2/3 des 63 certificats fonciers
et 1172 titres fonciers appartiennent à des non Ivoiriens, et les expatriés
possèdent 70% des industries forestières de Côte d’Ivoire. Si l’on ajoute que
dans les forêts déclassées, les étrangers et les allochtones ont plus de terres
que les autochtones (tableau 2), la forêt ivoirienne constitue une source
inévitable de conflits. Ainsi, selon Joachim
D. Agbroffi (Sur les
conflits ethniques en Côte d’Ivoire), 8 des 19 régions administratives en
Côte d’Ivoire sont touchées par des litiges fonciers, soit 42%.
De plus, les
pressions démographiques, économiques, sociologiques et environnementales sur le patrimoine
forestier ivoirien et les mécanismes visant à pérenniser une agriculture
extravertie, favorisent la recrudescence des conflits dans la mesure où la
disparition progressive du couvert forestier passe de 19 000 000
d’hectares en 1900 à respectivement 13 000 000 d’hectares en 1960, à
moins de 3 000 000 actuellement avec un taux de déforestation estimé
à 350 000 hectares/an.
La relecture
annoncée du code foncier rural adopté en 1998 et l’occupation orchestrée des
forêts parmi lesquelles figurent les forêts classées de Taï et du Mont Peko, ne
cristalliseront-elles pas davantage les intérêts divergents des multinationales
et des souverainistes lorsqu’en filigrane se pose le sevrage de notre terre de
toutes sortes de prédateurs ?
L’on serait tenté de répondre par l’affirmative compte
tenu qu’aux problèmes épiques soulevés par l’occupation des forêts dans les
zones conflictuelles de l’ouest, les régions
jusqu’ici épargnées comme celles de l’Agnéby, du Bafing, du Haut
Sassandra, du Nzi-Comoé deviennent difficultueux.
En effet, les récentes attributions de terre dans le
département d’Agboville notamment celles des forêts de Téké, Mambo et Sedi
confirment cette tendance puisque la consultation des registres d’attributions
révèle, qu’en dehors des périmètres villageois, plus de 50% des demandeurs sont
des allochtones, 35% des étrangers et seulement 15% des ressortissants du
département. A ce niveau, il convient d’indexer les commissions d’attributions
et les chefs de village pour ne pas avoir fait jouer la préférence
départementale ce qui pourrait être source de conflits.
B. L’EXPLOITATION DES
TERRES AGRICOLES
Depuis la crise de 1929 et particulièrement entre les
deux guerres mondiales, la croissance des besoins de consommation dans les pays
européens nécessite la mise en valeur des territoires coloniaux par une
augmentation de la production des matières premières extractives et agricoles.
Cette situation entraine une intensification de ce qu’il
convient d’appeler l’économie de plantation. Le café et le cacao, les
principales cultures d’exportation connaissent un essor fulgurant. La taille
des exploitations agricoles oscillent pour une majorité de planteurs ivoiriens
à ½ ha ou 1ha et pour 26% d’entre eux à plus de 3 ha, tandis que celle des
européens à plus de 10 ha en moyenne.
La circonscription d’Oumé en 1937 est tout à fait
représentative de la superposition de deux types d’exploitants.
Tableau 1
spéculations
|
14 plantations européennes
|
Ensemble des plantations indigènes
|
CAFE
|
1900 HA
|
200 HA
|
CACAO
|
733 HA
|
650 HA
|
Quant à la
main-d’œuvre agricole autochtone, elle est réquisitionnée pour travailler dans
les plantations européennes pour un salaire journalier de 1 franc 50 en
1925, à 3 francs 50 pour 6 mois
d’engagement et 4 francs pour un mois d’engagement en 1945. Les femmes et les
enfants touchent 2,25 francs par jour. Les uns et les autres ne sont ni payés
ni nourris les dimanches et jours fériés.
De plus, parce
qu’ils sont en concurrence avec les Européens, les planteurs ivoiriens se
trouvent doublement pénalisés : premièrement par un recours limité à la
main-d’œuvre allochtone et deuxièmement par la discrimination sur le prix
d’achat des spéculations agricoles puisque sur le cacao, pour la même qualité,
ceux-ci recevaient 2,50 francs par kilo tandis que l’Européen 4,50 francs.
En
conséquence, jusqu’à la veille de l’abolition du travail forcé, tous les sujets
africains y sont soumis, et il n’est pas rare de voir un planteur obligé
d’abandonner sa plantation pour
travailler, avec femme et enfants dans la plantation européenne voisine
et encourir de plus des amendes pour négligence dans l’entretien de la sienne.
(Jean-Pierre Chauveau, Jacques Richard, Bodiba en Côte d’Ivoire, du terroir
à l’Etat)
Ces inégalités
dans le système agricole colonial entre exploitants européens et africains suscitèrent une réelle prise de conscience
parmi les planteurs ivoiriens.
C’est ainsi
que contre les méthodes antidémocratiques et racistes des planteurs européens
se constitua, d’une scission du Syndicat Agricole de la Côte d’Ivoire présidé
par Jean Rose, le leader du parti colonial, le Syndicat agricole africain (S.A.A) en 1944.
II. LA PÉRENNISATION
DU SYSTÈME : LE PDCI ET L’IMBROGLIO DE L’OUEST
Ramant à
contre-courant des exigences des populations et de l’intelligentsia, le pouvoir
PDCI poursuit la politique d’aliénation de l’ex-puissance coloniale en
accentuant la déstructuration du tissu social ivoirien.
Le processus
de spécialisation de l’économie ivoirienne incite les autorités ivoiriennes de
l’époque à rechercher de plus en plus d’espaces pour étendre les plantations de
cacao, de café, de palmiers à huile et d’hévéas.
Les régions du Centre-Ouest et du Sud-Ouest, par leurs
richesses et potentialités, offraient cette opportunité car elles recelaient
les plus grandes réserves de forêts primaires du pays. La mise en valeur de ces
régions, restées en marge du « miracle ivoirien » des années 60,
va avoir des répercussions directes sur l’occupation du sol et sur la
configuration de l’espace.
A. L’HYPOTHETIQUE
AMENAGEMENT DE L’OUEST
En 1968, l’Autorité pour l’aménagement du Sud-Ouest
(ARSO), procède au désenclavement de cette région, qui ne compte que
120 000 habitants pour 37 000 km² soit une densité d’un peu plus de
trois habitants au Km².
De grands projets tels que le port de San Pedro, à
quelques 350 km à vol d'oiseau à l'ouest d'Abidjan, et des infrastructures
routières vont voir le jour. Selon E. Leonard et J.G. Ibo, (Orstom), à la fin
de 1970, un impressionnant axe routier traverse la forêt bakwe du sud
au nord, franchit le Sassandra sur un magnifique pont en béton à Soubré et, via
Issia et Duékoué, établit la jonction entre le port de San Pedro et la capitale
de l'Ouest ivoirien, Man.
De part et d'autre des 400 km de cette véritable épine
dorsale du Sud-Ouest, se déploie aussitôt une intense activité d'exploitation
forestière, en particulier entre San Pedro et Soubré, en pays bakwe.
Pas moins de cinq projets agro-industriels sont «
démarrés » entre octobre 1974 et mai 1975 : un bloc rizicole de 800 ha à la
périphérie nord de San Pedro (maitre d'œuvre : la S.O.D.E.R.I.Z., Société
pour le développement de la riziculture en Côte-d'Ivoire), une plantation
d'hévéas de 5 000 ha dans la forêt de Rapide-Grah (maître d'œuvre : la
S.A.P.H., Société africaine de plantations d'hévéas), une plantation
expérimentale de café arabusta – hybride robusta-arabica – de 500 ha au sud de
Soubré (maître d'œuvre : le C.E.D.A.R., Centre d'étude et de développement
de l'arabusta), une plantation expérimentale d'essences papetières – pin,
eucalyptus – de 900 ha dans le nord de la sous-préfecture de San Pedro (maître
d'œuvre : la S.O.D.E.F.O.R., Société pour le développement des plantations
forestières), une opération « petites et moyennes entreprises agricoles »
(P.M.E.A.) de 20 000 ha, destinée à promouvoir quelque 6 000 ha de cultures de
rente diverses, café, cacao, hévéas... (maître d'œuvre : l'A.R.S.O.).
Les
insuffisances de la mise en valeur de l’Ouest, reposent essentiellement sur le
déficit d’intégration des populations autochtones et à leur mise à l’écart de
tout processus incitatif. Penser le développement à leur place, définir
l’ossature socio-environnementale de leur existence en déniant leur conception
ethno-sociologique de l’espace, demeurent sans aucun doute la faiblesse de
l’aménagement de ce territoire et la principale source de conflits d’une région
convoitée pour ses richesses.
B. LA COLONISATION
AGRICOLE DE L’OUEST
Les répercussions sur la possession de la terre vont
immédiatement se faire sentir dans cette région peu peuplée aux immenses
potentialités forestières.
Dans
ce processus d’occupation et d’exploitation rapide des espaces forestiers,
l’Etat limita l’accès des sociétés paysannes à la rente en leur
interdisant la vente de bois vert et en les éloignant des postes les plus
rémunérateurs des filières café et cacao. En fait, les paysans n’ont eu accès à la
rente du milieu forestier qu’en défrichant et en brûlant la forêt pour pouvoir
y planter des cacaoyers.
L’Ouest et le Sud-Ouest sous l’égide de l’Etat Pdci sont
devenus un véritable Far-West où, bénéficiant de la couverture tacite de
l’Etat, n’importe qui s’arroge le droit de détenir des terres avec, pour
certains, uniquement un titre précaire délivré par le ministère de l’Agriculture
et, pour d’autres, des concessions offertes par les communautés villageoises.
Ainsi, la pratique villageoise en matière de cession de terres,
généralement fondée sur l’usufruit, fut rapidement dépassée par la mauvaise foi
des populations allochtones et étrangères.
Aussi les disponibilités foncières de l’Ouest ont-elles
motivé l’afflux d’une main-d’œuvre abondante, originaire du centre de la
Côte-d’Ivoire (Baoulé) et des pays limitrophes (Burkina Faso, Mali), surtout intéressée par les possibilités
d‘obtenir des terres forestières.
Tableau 2 : Occupations
agricoles en forêts classées
PÉRIODES
|
SUPERFICIES (en HA)
|
POPULATIONS EN FORETS CLASSÉES (en nombre)
|
||||
Forêts Classées
|
Culture
|
Autochtones
|
Allochtones
|
Étrangers
|
Total
|
|
1991-1996
|
2198712
|
593477
|
14487
|
27273
|
27064
|
68706
|
1996-1999
|
2444423
|
630119
|
18699
|
30503
|
29416
|
80404
|
Source: SODEFOR/DT-SDA
Les crises militaro-politique de 2002 et post-électorale
de 2011, accentuent le fort impact destructif des parcs, forêts et réserves
dans les zones de l’Ouest et du Sud-Ouest du pays avec une poursuite accélérée
des défrichements, du braconnage et d’une exploitation non autorisée et non
contrôlable, une partie du pays étant inaccessible aux agents de
l’administration de l’Etat.
Pourquoi les autorités ivoiriennes ont-elles permis aux
immigrants de percevoir à travers des déclassements « politiques »
des pans entiers de ces forêts de
l’Ouest comme une incitation à leur occupation et leur défrichement ?
C. LES SACRIFIÉS DE L’HOUPHOUÉTISME
Il convient de relever l’inadéquation entre le projet
politique du PDCI-RDA originel et celui du président Houphouët.
Libérer la
terre ivoirienne et l’économie ivoirienne semblent pourtant avoir été le combat
d’illustres devanciers comme l’attestent les déclarations de deux responsables
du PDCI-RDA, Jean-Baptiste Mockey et Jacob
Williams.
Le premier,
lors de la session du Conseil général (Assemblée locale), majoritairement
dominé par le PDCI-RDA, le 27 novembre 1948, insiste sur l’une des mesures
visant à la préservation de la terre ivoirienne : « Il nous faut donc garder cette terre et faire en sorte qu’il
soit désormais impossible à toute personne ou à toute société venue de
l’extérieur de se voir attribuer à tout jamais, définitivement, d’importants
domaines. J’insiste sur le mot définitivement ».
Quant au
second, au procès des prisonniers de Grand-Bassam en mars 1950, il définit le sens de la lutte : « Nous luttons, nous lutterons contre
toute politique d’expansion coloniale des trusts étrangers en Afrique noire
française, parce que nous n’avons pas le droit d’aliéner l’avenir politique et
économique de notre pays ».
Relativement à ces déclarations, le président Houphouët-Boigny
n’a-t-il pas travesti le sens de la lutte pour l’émancipation de la Côte
d’Ivoire ? Que dire de ses propres déclarations en 1959 : « Nos objectifs tendront à mettre fin
à la destruction progressive de la couverture forestière».
Si le discours du PDCI-RDA est constant depuis la période
coloniale en ce qui concerne le bradage de l’économie ivoirienne, la politique
d’Houphouët-Boigny reflète sa volonté de ne pas entraver les intérêts du grand
capital. Aussi assiste-t-on progressivement à une occultation du discours
politique du PDCI-RDA au profit de celui diamétralement opposé d’Houphouët.
C’est pourquoi, en dépit des sonnettes d’alarme
successives tirées par les différents
ministères, la politique du Président Houphouët à l’Ouest se poursuit.
Ainsi, dès 1965, après avoir constaté que l’exploitation
forestière a constitué l’amorce de la mise en valeur de la Côte d’Ivoire, le
ministère du Plan révèle que l’étendue de la forêt dense avait régressé de 50% du début de la colonisation à 1960, tombant
de 14 000 000 à 7 000 000 d’hectares. Ce ministère souligne
également l’aggravation du gaspillage d’une richesse non renouvelable en
précisant que « un hectare de forêt dense tropicale contient en moyenne 200
m3 de bois de diamètre exploitable ; or, sur la base des
besoins actuels de la clientèle, on évalue à 4m3, soit 2% seulement,
le tonnage commercialisable ».
Quant au ministre de l’Agriculture, il insistait déjà sur
l’existence d’un véritable « écrémage de la forêt » (Fraternité Matin
24 mars 1971).
Que fait le parti au pouvoir, le PDCI-RDA, face au
saccage de la forêt ivoirienne ? Ne sacrifie-t-il pas les populations de
l’Ouest au profit d’intérêts corporatistes ?
Force est de constater que malgré les plans quinquennaux
de développement, Houphouët-Boigny a été incapable de projeter la Côte d’Ivoire
sur le long terme. Grisé par les chiffres flatteurs d’une croissance avoisinant
les 8%, il gouverne à court et moyen termes entrainant ainsi une recrudescence
des conflits fonciers.
Si l’appropriation des sols, par cession de terre, par
occupation pour impayés et par achat de terre ont été des sources de conflits,
Houphouët-Boigny, à travers une déclaration mémorable, consacre leur
aggravation : « Plus de terres vacantes et sans maîtres
dit-il ; plus de propriétés coutumières figées ; mais un patrimoine
national accessible à tout citoyen ivoirien animé de la volonté d’une mise en
valeur rationnelle profitable au pays et à lui-même ».
En solution à ces crises répétitives, Houphouët-Boigny
développe le principe selon lequel la terre appartient à celui qui l'a mise
en valeur. Cette déclaration politique, qui n’a aucune valeur juridique,
aggrave les problèmes car elle est en contradiction avec le droit coutumier
encore en vigueur dans la mentalité des paysans.
En effet, selon ce droit coutumier, la terre appartient
aux ancêtres. De ce fait, elle est un bien inaliénable et peut entraîner la
récupération des terres achetées par les étrangers à tout moment ou le retrait
de la terre aux enfants peut également se faire à la mort de leur père
étranger.
En fait, l’aliénation des régions du Centre-Ouest et du
Sud-Ouest dont 1’État s’était arrogé la
propriété, limitant les droits coutumiers des populations autochtones et leur
imposant des cessions aux nouveaux arrivants, est conforme au processus
d’expropriation coloniale de « terres sans maître ». Elle obéit
également à des objectifs politiques.
Au détriment des intérêts des populations, le système
d’attribution des permis d’exploitation forestière et des quotas d‘exportation
de café et de cacao permet à 1’Etat et au parti officiel, le PDCI-RDA,
d’asseoir leur base politique et de financer leurs réseaux clientélistes.
L’on assiste de fait à une autocensure du PDCI-RDA.
Privilégiant la vassalisation aux bailleurs de fonds et la soumission aux
chocolatiers, les houphouétistes sacrifient l’Ouest aux mains des étrangers et participent de ce fait à la sous catégorisation des Wè et des
Bakwé.
III. LA
TERRE ET LA NATIONALITÉ : ALASSANE OUATTARA, À
LA RESCOUSSE
DU SYSTÈME
L’occupation
des forêts de l’Ouest et plus généralement de l’économie ivoirienne, relève
d’un projet politique savamment mené par la CEDEAO car, au principe de la libre
circulation des personnes et des biens et au regard de ces potentialités, la
Côte d’Ivoire constitue un eldorado pour les populations ouest-africaines.
Et c’est à propos que l'opposant burkinabé Me
Hermann YAMÉOGO souligne que, la situation regrettable de la Côte d'Ivoire
est en partie due aux Etats voisins et à la C.E.D.E.A.O qui n'ont pas pris les
mesures idoines pour freiner l'émigration vers ce pays, ce qui a entraîné un
déséquilibre dans la composition des communautés de telle sorte que les
populations dites de souche se sont senties menacées d'envahissement. (Fraternité
Matin n°11427 du 10 Décembre 2002)
C’est ainsi
qu’au projet d’intégration sous-régionale, les facilitations foncières
inconsidérées du régime houphouétiste perpétuent l’immigration sauvage de
l’époque coloniale et qu’au nom de l’intégration verticale, le bon élève des
puissances occidentales alourdit sa dépendance vis-à-vis du grand capital à
travers une augmentation des prêts-dettes.
Cependant, si l’expropriation de la forêt est l’une des
caractéristiques de l’houphouétisme, le bradage de la nationalité en est une
constante.
A. LE PROJET DE LA
BI-NATIONALITÉ
Nonobstant le fait que les décrets de naturalisation sont
en hausse constante depuis 1960 et ont atteint leur point culminant sous le
régime de la Refondation, la naturalisation en masse des étrangers est sans
conteste la marque déposée de l’houphouétisme.
Dès 1966, sous la pression de la France pour qui la Côte
d’Ivoire reste un pays tampon, chargé d’amortir les effets d’une émigration
massive vers la métropole, le Président Houphouët tente un passage en force à
l’Assemblée nationale de la loi sur la double nationalité avec la Haute-Volta.
Cette loi est en fait l’avant-projet d’une autre qui
prévoit la naturalisation de tout ressortissant
du Conseil de l’Entente.
Malgré la pression du père fondateur et les risques d’un
nouvel embastillement à Assabou, les députés rejettent ce projet. Face à cet
échec cuisant, le président Houphouët fait une sortie mémorable en menaçant de
traduire les meneurs de la fronde devant la Haute cour de justice.
Toutefois, l’échec du volet politico-juridique de la
naturalisation massive n’annule en rien ce projet : le processus de
dépossession des communautés villageoises, les attributions discriminantes des
forêts en vue de la création de plantations et l’immigration entretenue, le pérennisent à travers son aspect juridico-sociologique
par la redéfinition de la notion de propriété.
B. MARCOUSSIS :
LA REDÉFINITION DE LA NOTION DE PROPRIÉTÉ ET DE LA NATIONALITÉ
Parmi les problèmes
majeurs de la Table Ronde de Linas Marcoussis de janvier 2003 figurent
le Code foncier rural et la nationalité.
Pour rappel,
la Table Ronde estime que le Code de la nationalité de 1961 est un texte
libéral et bien rédigé et le Code foncier rural de 1998, un texte de référence
dans un domaine juridiquement délicat et économiquement crucial.
Elle
recommande toutefois au gouvernement de déposer, à titre exceptionnel, dans un
délai de six mois, un projet de loi de naturalisation visant à régler de façon
simple et accessible des situations aujourd’hui bloquées. En ce qui concerne le
Code foncier rural, une meilleure protection des droits des héritiers des
propriétaires de terre détenteurs de droits antérieurs à la promulgation de la
loi.
Le Président
Gbagbo respecte ses engagements en signant la décision N°
2005-04/PR du 15 juillet 2005, demandant à toutes les personnes bénéficiaires de se faire
identifier auprès de l’administration. Si cette mesure favorise la
naturalisation de quelques milliers d’étrangers, on est loin des trois ou quatre
millions annoncés à Marcoussis.
Cependant, l’enjeu du problème étant trop important,
cette situation ne peut demeurer en l’état.
Considérant que l’avenir de la Côte d’Ivoire se décide à
Paris et à New-York et obéit aux intérêts colossaux de l’industrie cacaoyère,
surtout lorsque la logique du système se conjugue avec le projet politique
d’annexion de la Côte d’Ivoire par les pays limitrophes, Ouattara vole à la
rescousse du système.
Cette politique, conduite directrice des actions de
déstabilisation, recommande la naturalisation en masse d’une main-d’œuvre moins
chère et plus encline à perpétuer une culture dont les revenus sont de loin
supérieurs à ceux pratiqués dans leur pays d’origine.
Pour mémoire, cette recherche tous azimuts d’une main-d’œuvre
docile et bon marché justifia la traite des nègres. Reproduire la
logique intrinsèque de ce système entraîne le grand capital à manœuvrer à
l’aide de rois nègres ou de potentats tels que Ouattara.
Ce dernier, à l’occasion de sa visite officielle à
l’Ouest le 04 mai 2013, annonce les couleurs en déclarant que « la
question foncière est elle-même liée à la question de la nationalité. Et la
question de la nationalité n’a pas été totalement réglée » ; il
établit de ce fait un lien étroit entre la résolution des conflits fonciers et
l’obtention de la nationalité.
En substance, il s’agit, sous le prisme de la propriété,
de résoudre le problème de la naturalisation de masse étant entendu que la
propriété de tout ivoirien ne saurait être remise en cause d’autant plus que
cette qualité lui confère l’authenticité et la pleine jouissance des droits
acquis antérieurement au Code foncier rural de 1998.
C’est donc à juste titre que les objectifs du séminaire
gouvernemental du 25 Juin 2012 sont la
sécurisation des transactions opérées pour l’acquisition des terrains ruraux et
le transfert de la propriété des terrains ruraux.
Cette volonté d’outrepasser la Constitution par un
passage en force à l’Assemblée nationale, enregistra-t-elle la fronde des
députés du PDCI ? S’inspirant de leurs prédécesseurs, accepteront-ils
d’entrer dans l’histoire ? Penseront-ils Côte d’Ivoire ?
Ou alors comme Houphouët-Boigny, les houphouétistes
demeureront-ils en intelligence avec les prédateurs de l’économie ivoirienne,
obnubilés par les prébendes et congénitalement prompts à se coucher au point de
sacrifier leurs descendants ?
C. LA FRONDE DU
PEUPLE
Jadis les représentants du peuple s’opposèrent au projet
d’Houphouët-Boigny. Présumant une
réaction semblable, les thuriféraires du régime alassaniste envisageraient
certainement, par voie d’ordonnance, d’imposer un tel projet.
Malgré la loi
du (sur)nombre des étrangers et la puissance des multinationales, le peuple
ivoirien dans son ensemble, du Nord au Sud et toutes tendances politiques
confondues, se dressera contre ces deux éventualités.
Car ce
phénomène, bien que plus accentué à l’Ouest, concerne toutes les régions comme
l’attestent les récents évènements du Bafing et le mécontentement des cadres de
l’Agnéby relatif au bradage de la forêt, et il pose la problématique
suivante : indépendamment des allogènes ou des étrangers qui ont acquis de
façon régulière le droit d’exploitation, les cultures pérennes sur une parcelle
ne présument pas de la propriété de l’exploitant. Le respect des us et coutumes
doit être un élément déterminant de la présence sur une parcelle villageoise.
Or il ressort
que certaines juridictions interdisent la destruction de plantations de
cultures pérennes ou en refusent la rétrocession, estimant que leur présence
résulte d’un arrangement. Un entérinement de fait allégué par la présomption
d’un accord susceptible de mauvaise interprétation ou le plus souvent de mauvaise foi.
De plus, la
durée de l’exploitation du cacao ou de l’hévéa ne saurait être une passerelle à
la naturalisation, fût-elle de masse. La loi telle que le reconnait Marcoussis
est le seul critère juridiquement et socialement admis en la matière.
C’est donc
autant de préoccupations qui cristallisent l’attention des populations et
focalisent le peuple ivoirien sur la nécessité de ne pas toucher au Code foncier
rural de 1998, qui, par emphytéose, fait d’ailleurs la part belle aux
étrangers.
De ce qui
précède, le passage en force de Ouattara sera vertement combattu. Car sans
consultation populaire, ce serait violer le peuple qui n’aura d’autre choix que
de se faire entendre autrement.
Chercher à
contourner la constitution et violer la conscience des Ivoiriens ne peut se
faire sans vecteur peu scrupuleux et sans vergogne. L’ont-ils trouvé en la
personne de Ouattara ?
Autant de préoccupations qui soulèvent l’incompréhension
d’El Hadj Issa Bamba, doyen honoraire du RDR, Chef du Canton Gbato Nord (Boundiali) :
« Je regrette seulement qu'Alassane n'ait pas pris jusque-là des mesures draconiennes
pour chasser de nos forêts en Basse-Côte les gens qui s'y sont installés en
toute illégalité, mais aussi les orpailleurs étrangers qui exploitent de façon
sauvage nos régions,
rendant impraticables nos terres. Je ne comprends pas que le gouvernement ne
réagisse pas énergiquement devant cette situation » (l’Inter n°4372 du Vendredi 28 décembre 2012)
La Côte d’Ivoire du
Nord au Sud ne se retrouve-t-elle pas dans cette déclaration ? Après Amadé
Ouérémi, à qui le tour ?
Martin Esse,
agro-économiste
EN MARAUDE DANS LE WEB
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proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en
rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou
que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne
».
Source : ivoir-opinion.over-blog.com 19
Juillet 2013
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