2 avr. 2020 [www.la-croix.com] - Le Covid-19,
cruel révélateur des inégalités scolaires
5 avr. 2020 [www.lesechos.fr] - Le Covid-19,
révélateur des exclus du numérique
13 avr. 2020 [theconversation.com] - Le
coronavirus, révélateur des inégalités territoriales françaises
16 avr. 2020 [www.nouvelobs.com] - Le Covid-19,
une maladie de pauvres
Des titres comme ceux-là, qu’on pouvait lire chaque
jour durant la première quinzaine d’avril, m’ont remis en mémoire un événement
auquel j’ai eu le bonheur d’assister en décembre 1991 et auquel j’ai consacré
une chronique enthousiaste. Il s’agit du « Forum Santé & développement »,
qui s’est tenu dans la capitale du Ghana à l’initiative de l’Organisation
mondiale de la Santé et du gouvernement ghanéen.
Quelqu’un a parlé de guerre à propos de la crise
sanitaire en cours. Ce forum de 1991, c’était, en quelque sorte, un exercice
préparatoire à cette sorte de guerre, un Kriegspiel. Il s’agissait de
réfléchir à la meilleure façon de nous prémunir contre une éventuelle catastrophe
sanitaire et ses inévitables conséquences sociales. Les peuples gagneraient
beaucoup à ce que ceux qui prétendent les gouverner s’y adonnent plus souvent,
et sérieusement.
A quelque chose, dit-on, malheur est bon. Peut-être Covid-19
enseignera-t-il à Alassane Ouattara et à Emmanuel Macron, son protecteur, que gouverner,
c’est aussi prévoir…
M.A.
Tenu à Accra
du 4 au 6 décembre 1991 à l'Initiative
de l'OMS et du gouvernement ghanéen, le Forum Santé et Développement s'est
achevé par l'adoption d'une déclaration et d'un programme d'Initiatives qui
reflètent bien, à la fois, et les inquiétudes des participants devant la menace
d'une crise sanitaire mondiale sans précédent et leur conviction qu'il n'est
pas trop tard pour imaginer
des politiques de développement qui ne sacrifient pas systématiquement le
droit de millions de gens à une existence saine et digne aux objectifs de
rentabilité financière des multinationales.
Flagstaff House |
Placé
sous l'égide de l'épouse du chef de l'Etat ghanéen et des « Premières
Dames » d'Egypte, et du Nigeria, le Forum d'Accra avait pour thème central
: « La Santé, condition du développement économique ». Il
s'agissait de définir les actions susceptibles de « Rompre le cercle de la pauvreté et des inégalités ». En
partant des enseignements d’expériences pilotes en cours en Egypte, au
Zimbabwe, au Nigéria et au Ghana avec le soutien de l'OMS, les débats s'articulèrent
autour de quatre points : le concept de vulnérabilité ; l'état de santé des
groupes les plus vulnérables comme indicateur du niveau de développement ; la
santé et le rôle des institutions financières ou comment concilier le souci de
rentabilité et les besoins des populations défavorisées en matière de santé ;
l'alphabétisation fonctionnelle comme moyen d’augmenter la capacité des
groupés vulnérables à prendre toute leur place dans la société.
Jerry Rawlings et son épouse Nana Konadu Agyeman-Rawlings |
Dans
son allocution d'ouverture, la « Première Dame » du Ghana devait
préciser le motif de la réunion en ces termes : « Nous nous sommes assigné pour tâche de trouver des solutions
pratiques au problème de la vulnérabilité et nous attendons de ce forum non seulement une déclaration et un plan d'action mais aussi qu'il émette des
propositions concrètes en vue de créer des structures capables de jouer un rôle
effectif dans la lutte contre le fléau de la vulnérabilité ». Puis ce
fut le tour du Directeur Général de l'OMS et du chef de l’Etat ghanéen, présents
à la tribune, de donner à
l'assistance, chacun à sa
manière, un aperçu imagé de l'état de la question.
« Notre souci commun, devait dire le
Dr Hiroshi Nagashima, est
de préserver la santé de tous les peuples de la planète. C'est là une préoccupation légitime puisque chaque
jour la santé de millions de gens est mise en péril. J'ai prévenu que si nous
n'y prenons garde nous allons nous trouver face è une crise sanitaire mondiale
d'une grande ampleur. Pour tous les pays, cette crise se caractériserait par un
accroissement des risques sanitaires en raison de l'Industrialisation, de
l’urbanisation galopante et de révolution des modes de vie et des systèmes de
valeurs. Mais les pays en développement supporteraient, eux, un fardeau
supplémentaire du fait des maladies transmissibles associées à la
pauvreté ».
Lui
faisant en quelque sorte écho, le Président Rawlings compara d'abord la
situation des pays en développement à celle « d'un
homme essayant de remonter un escalator au mouvement descendant... »
: « Les leviers qui commandent la
vitesse de l'escalator sont entre les mains des nations industrialisées,
celles qui contrôlent les prix des marchandises et formulent les politiques qui
gouvernent le commerce mondial et les relations Internationales ».
D'où, conclut-il, l'Importance de « donner
à ceux qui en sont venus à accepter la dureté de la vie et les privations comme
leur lot, une petite étincelle de confiance dans leur propre capacité, qui leur
donnera la possibilité de se libérer eux-mêmes… Il peut s'agir de l’accès à un
modeste crédit, d’un cours d’alphabétisation fonctionnelle ou d'une formation
en vue de créer une entreprise
rémunératrice… ».
Statue de Kwame NKrumah |
Le ton était
ainsi donné. Dans leurs rapports introductifs, les « Premières Dames »
devaient amplifier et préciser ces notions avant d’avancer des propositions
dans le domaine qui leur était imparti.
Le
premier thème fut introduit par Mme Rawlings : « Dans son acception la plus large, devait-elle dire en substance,
la notion de vulnérabilité inclut la totalité des facteurs négatifs ou des
causes identifiables qui s'opposent à ce que les individus et les groupes aient
une existence socialement et économiquement intéressante… Cette notion peut
s'appliquer à toutes les situations où les gens sont victimes de politiques qui
ne se soucient pas de la condition des pauvres, de tous ceux qui sont
défavorisés par le sort ou par les contingences... Ce qui nous conduits à concentrer
notre attention sur les politiques et les projets pouvant le mieux garantir,
notamment, une maternité sans risques, une alimentation suffisante, un
environnement salubre, l'accès à l'eau potable, aux soins et au crédit, des
prix stables, etc... ».
Puis
ce fut au tour de Mme Moubarak de parler des rapports entre le niveau de
développement d’un pays et l'état sanitaire de sa population : « Si l'importance des revenus, le degré
d'instruction, l'espérance de vie sont de bons indicateurs du niveau de
développement d'une société, ils se trouvent tous, en dernière analyse,
eux-mêmes réfléchis dans l'état de santé... Les groupes les plus vulnérables
sont le miroir de la société dont ils réfléchissent tous les aspects de la
santé et du bien-être... ».
Mme
Babangida évoqua ensuite, avec humour, le caractère houleux que prennent tous
tes débats dès qu'il y est question du rôle des banques et des institutions
financières parce que « les gens qui
ont besoin d'aide financière sont en général ceux dont la voix n'est pas
écoutée ou qui ne sont pas assez forts pour se faire entendre »... « Il est grand temps, conclut-elle,
qu'on cesse de considérer le développement économique seulement en termes de
rentabilité… Les institutions
financières
doivent rechercher un équilibre entre l'économique et le social, entre le
commercial et l'humanitaire, entre la froide et inhumaine nécessité
de la rentabilité et la possibilité pour les gens de vivre une existence plus
digne ».
Dans
son rapport, Mme Mugabe souligna le fait que l'analphabétisme condamne
pratiquement les gens à dépendre d’autrui dans un monde dominé par l’écrit et
bientôt par l'ordinateur, et fait ainsi d'eux des incapables sociaux et des
poids morts dans le processus d'édification nationale, voire des facteurs d'instabilité
sociale et politique. Aussi l'alphabétisation fonctionnelle lui apparaît-elle
comme le meilleur moyen d'augmenter les possibilités de la société, parce
qu'elle est la clé qui permet aux groupes vulnérables de comprendre qu'eux
seuls sont capables de se sortir de leur marginalité et de se prendre en charge
en matière de santé, de formation et d'emploi, afin de mieux faire face aux
difficultés de leur vie.
Vue du parc mémorial Kwame NKrumah |
Chacun
de ces rapports donna lieu à des
débats à la
fois exigeants et étonnamment sereins et confiants. Exigence, sérénité et
confiance qu'on retrouve dans la déclaration finale, conçue comme un agenda
pour les actions futures en vue de réaliser dans les faits les souhaits des
participants.
Et
le simple observateur que j'étais fut d'autant plus peiné de constater que,
quoique représentée par un ministre, la Côte d'Ivoire fut remarquablement
absente de ces débats. Mais, n’est-ce pas tout à fait normal, avec les gens qui
nous gouvernent ? Car il était question de la dignité des peuples, et ce sont
des mots qui n'ont pas de sens pour Houphouët et ses ministres.
Marcel Amondji
Heureusement qu'il y avait Madame Rawling pour préciser les contours de "la vulnérabilité" et par la même occasion de ce que l'on appelle "les populations vulnérables". Aujourd'hui, en Europe - à la faveur du coronavirus - les interprétations de ces deux expressions renvoyaient d'abord à l'Afrique, pour ensuite inclure les personnes de plus de 65 ans. On voit clairement à quel point les contours de la questions ne devaient pas être clairs au départ à l'époque.
RépondreSupprimerCeux qui n'ont pas les technologies modernes, qui ne sont pas nourris par les industries européennes ne sont pas forcément vulnérables. Personnellement, j'entends la vulnérabilité - au regard du coronavirus - comme la fragilité devant la maladie. Est-ce que que la famille qui vit dans un coin d'Afrique de ses productions, sans internet, sans les outils modernes et qui ne voit personne durant des mois et des années, est vulnérable sur le plan sanitaire ? Si oui, celui qui vit dans une ville surpeuplée, se nourrissant de produits industriels l'est davantage.