samedi 2 mai 2020

GOUVERNER, C’EST AUSSI PRÉVOIR…




5 avr. 2020 [www.lesechos.fr]Le Covid-19, révélateur des exclus du numérique
16 avr. 2020 [www.nouvelobs.com]Le Covid-19, une maladie de pauvres

Des titres comme ceux-là, qu’on pouvait lire chaque jour durant la première quinzaine d’avril, m’ont remis en mémoire un événement auquel j’ai eu le bonheur d’assister en décembre 1991 et auquel j’ai consacré une chronique enthousiaste. Il s’agit du « Forum Santé & développement », qui s’est tenu dans la capitale du Ghana à l’initiative de l’Organisation mondiale de la Santé et du gouvernement ghanéen.
Quelqu’un a parlé de guerre à propos de la crise sanitaire en cours. Ce forum de 1991, c’était, en quelque sorte, un exercice préparatoire à cette sorte de guerre, un Kriegspiel. Il s’agissait de réfléchir à la meilleure façon de nous prémunir contre une éventuelle catastrophe sanitaire et ses inévitables conséquences sociales. Les peuples gagneraient beaucoup à ce que ceux qui prétendent les gouverner s’y adonnent plus souvent, et sérieusement.
A quelque chose, dit-on, malheur est bon. Peut-être Covid-19 enseignera-t-il à Alassane Ouattara et à Emmanuel Macron, son protecteur, que gouverner, c’est aussi prévoir…
M.A.




L’INITIATIVE D’ACCRA[1]

Tenu à Accra du 4 au 6 décembre 1991 à l'Initiative de l'OMS et du gouvernement ghanéen, le Forum Santé et Développement s'est achevé par l'adoption d'une déclaration et d'un programme d'Initiatives qui reflètent bien, à la fois, et les inquiétudes des participants devant la menace d'une crise sanitaire mondiale sans précédent et leur conviction qu'il n'est pas trop tard pour imaginer des politiques de développement qui ne sacrifient pas systématiquement le droit de millions de gens à une existence saine et digne aux objectifs de rentabilité financière des multinationales.
Flagstaff House
Placé sous l'égide de l'épouse du chef de l'Etat ghanéen et des « Premières Dames » d'Egypte, et du Nigeria, le Forum d'Accra avait pour thème central : « La Santé, condition du développement économique ». Il s'agissait de définir les actions susceptibles de « Rompre le cercle de la pauvreté et des inégalités ». En partant des enseignements d’expériences pilotes en cours en Egypte, au Zimbabwe, au Nigéria et au Ghana avec le soutien de l'OMS, les débats s'articulèrent autour de quatre points : le concept de vulnérabilité ; l'état de santé des groupes les plus vulnérables comme indicateur du niveau de développement ; la santé et le rôle des institutions financières ou comment concilier le souci de rentabilité et les besoins des populations défavorisées en matière de santé ; l'alphabétisation fonctionnelle comme moyen d’augmenter la capacité des groupés vulnérables à prendre toute leur place dans la société.
Jerry Rawlings et son épouse
Nana Konadu Agyeman-Rawlings
Dans son allocution d'ouverture, la « Première Dame » du Ghana devait préciser le motif de la réunion en ces termes : « Nous nous sommes assigné pour tâche de trouver des solutions pratiques au problème de la vulnérabilité et nous attendons de ce forum non seulement une déclaration et un plan d'action mais aussi qu'il émette des propositions concrètes en vue de créer des structures capables de jouer un rôle effectif dans la lutte contre le fléau de la vulnérabilité ». Puis ce fut le tour du Directeur Général de l'OMS et du chef de l’Etat ghanéen, présents à la tribune, de donner à l'assistance, chacun à sa manière, un aperçu imagé de l'état de la question.
« Notre souci commun, devait dire le Dr Hiroshi Nagashima, est de préserver la santé de tous les peuples de la planète. C'est  là une préoccupation légitime puisque chaque jour la santé de millions de gens est mise en péril. J'ai prévenu que si nous n'y prenons garde nous allons nous trouver face è une crise sanitaire mondiale d'une grande ampleur. Pour tous les pays, cette crise se caractériserait par un accroissement des risques sanitaires en raison de l'Industrialisation, de l’urbanisation galopante et de révolution des modes de vie et des systèmes de valeurs. Mais les pays en développement supporteraient, eux, un fardeau supplémen­taire du fait des maladies transmissibles associées à la pauvreté ».
Lui faisant en quelque sorte écho, le Président Rawlings com­para d'abord la situation des pays en développement à celle « d'un homme essayant de remonter un escalator au mouvement descen­dant... » : « Les leviers qui comman­dent la vitesse de l'escalator sont entre les mains des nations indus­trialisées, celles qui contrôlent les prix des marchandises et formulent les politiques qui gouvernent le commerce mondial et les relations Internationales ». D'où, conclut-il, l'Importance de « donner à ceux qui en sont venus à accepter la dureté de la vie et les privations comme leur lot, une petite étincelle de confiance dans leur propre capacité, qui leur donnera la possibilité de se libérer eux-mêmes… Il peut s'agir de l’accès à un modeste crédit, d’un cours d’alphabétisation fonctionnelle ou d'une formation en  vue de créer une entreprise rémunératrice… ».
Statue de Kwame NKrumah
Le ton était ainsi donné. Dans leurs rapports introductifs, les « Premières Dames » devaient amplifier et préciser ces notions avant d’avancer des propositions dans le domaine qui leur était imparti.
Le premier thème fut introduit par Mme Rawlings : « Dans son acception la plus large, devait-elle dire en substance, la notion de vulnérabilité inclut la tota­lité des facteurs négatifs ou des causes identifiables qui s'opposent à ce que les individus et les groupes aient une existence socialement et économiquement intéressante… Cette notion peut s'appliquer à toutes les situations où les gens sont victimes de politiques qui ne se soucient pas de la condition des pauvres, de tous ceux qui sont défavorisés par le sort ou par les contingences... Ce qui nous conduits à concentrer notre atten­tion sur les politiques et les projets pouvant le mieux garantir, notamment, une maternité sans risques, une alimentation suffisante, un environnement salubre, l'accès à l'eau potable, aux soins et au crédit, des prix stables, etc... ».
Puis ce fut au tour de Mme Moubarak de parler des rapports entre le niveau de développement d’un pays et l'état sanitaire de sa population : « Si l'importance des revenus, le degré d'instruction, l'espé­rance de vie sont de bons indica­teurs du niveau de développement d'une société, ils se trouvent tous, en dernière analyse, eux-mêmes réfléchis dans l'état de santé... Les groupes les plus vulnérables sont le miroir de la société dont ils réfléchissent tous les aspects de la santé et du bien-être... ».
Mme Babangida évoqua ensuite, avec humour, le caractère houleux que prennent tous tes débats dès qu'il y est question du rôle des banques et des institutions financières parce que « les gens qui ont besoin d'aide financière sont en général ceux dont la voix n'est pas écoutée ou qui ne sont pas assez forts pour se faire entendre »... « Il est grand temps, conclut-elle, qu'on cesse de considérer le développement économique seulement en termes de rentabilité…  Les institutions financières doivent rechercher un équilibre entre l'économique et le social, entre le commercial et l'humanitaire, entre la froide et inhumaine nécessité de la rentabilité et la possibilité pour les gens de vivre une existence plus digne ».
Dans son rapport, Mme Mugabe souligna le fait que l'analphabétisme condamne pratiquement les gens à dépendre d’autrui dans un monde dominé par l’écrit et bientôt par l'ordinateur, et fait ainsi d'eux des incapables sociaux et des poids morts dans le processus d'édification nationale, voire des facteurs d'instabilité sociale et politique. Aussi l'alphabé­tisation fonctionnelle lui apparaît-elle comme le meilleur moyen d'augmenter les possibilités de la société, parce qu'elle est la clé qui permet aux groupes vulnérables de comprendre qu'eux seuls sont capables de se sortir de leur marginalité et de se prendre en charge en matière de santé, de formation et d'emploi, afin de mieux faire face aux difficultés de leur vie.
Vue du parc mémorial Kwame NKrumah
Chacun de ces rapports donna lieu à des débats à la fois exigeants et étonnamment sereins et confiants. Exigence, sérénité et confiance qu'on retrouve dans la déclaration finale, conçue comme un agenda pour les actions futures en vue de réaliser dans les faits les souhaits des participants.
Et le simple observateur que j'étais fut d'autant plus peiné de constater que, quoique représentée par un ministre, la Côte d'Ivoire fut remarquablement absente de ces débats. Mais, n’est-ce pas tout à fait normal, avec les gens qui nous gouvernent ? Car il était question de la dignité des peuples, et ce sont des mots qui n'ont pas de sens pour Houphouët et ses ministres.
Marcel Amondji


[1] - Article paru dans Téré N° 43 du 4 février 1992.

1 commentaire:

  1. Heureusement qu'il y avait Madame Rawling pour préciser les contours de "la vulnérabilité" et par la même occasion de ce que l'on appelle "les populations vulnérables". Aujourd'hui, en Europe - à la faveur du coronavirus - les interprétations de ces deux expressions renvoyaient d'abord à l'Afrique, pour ensuite inclure les personnes de plus de 65 ans. On voit clairement à quel point les contours de la questions ne devaient pas être clairs au départ à l'époque.

    Ceux qui n'ont pas les technologies modernes, qui ne sont pas nourris par les industries européennes ne sont pas forcément vulnérables. Personnellement, j'entends la vulnérabilité - au regard du coronavirus - comme la fragilité devant la maladie. Est-ce que que la famille qui vit dans un coin d'Afrique de ses productions, sans internet, sans les outils modernes et qui ne voit personne durant des mois et des années, est vulnérable sur le plan sanitaire ? Si oui, celui qui vit dans une ville surpeuplée, se nourrissant de produits industriels l'est davantage.

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