Au centre, Gilles Huberson dans son élément |
Le profil
musclé de Gilles Huberson,
nouvel
ambassadeur de France à Abidjan
Le profil sécuritaire du nouvel ambassadeur de
France traduit clairement les inquiétudes françaises sur les menaces de
déstabilisation qui pèsent sur le régime ivoirien
On devine l’embarras du président Alassane Ouattara face à la
proposition de Paris de nommer comme ambassadeur Gilles Huberson pour succéder
à Georges Serre. Lequel était devenu au fil de ses cinq ans de présence à
Abidjan, un quasi ambassadeur de la Côte d’Ivoire auprès de la France, avec une
vision partielle et partiale de la crise qui couve à Abidjan. Sous Hollande et
Fabius comme sous Sarkozy, la France ne refusait rien à Alassane Ouattara.
Georges Serre apparaissait comme un ambassadeur inamovible, comme le furent
jadis Michel Dupuch (quatorze ans de bons et loyaux services) ou Jacques
Raphael-Leygues (seize ans). Ces temps-là apparemment sont révolus.
Gilles Huberson était jadis, dit-on, proche de Brice Hortefeux
et de Michel Roussin, un autre officier de Gendarmerie et fin connaisseur
de la Côte d’Ivoire qui fut l’ancien ministre de la coopération (1993-1994)
d’Édouard Balladur. Le très discret Gilles Huberson est un Saint-Cyrien, devenu
officier supérieur de la Gendarmerie, en terminant au grade de chef d’escadron.
Il fut notamment le commandant militaire de l’Hôtel Matignon sous Balladur puis
Juppé (1993-1996).
Un parcours brillant
Ce
n’est qu’en 1996 qu’il rejoint le Quai d’Orsay d’abord en détachement puis pour
débuter une carrière de diplomate qui le mènera en Malaisie puis au Canada.
Gilles Huberson est ensuite devenu le responsable de la sécurité des ambassades
et des Français de l’étranger. En 2005, il participe à la création d’une
cellule internationale de négociation pour les prises d’otages en liaison avec
le GIGN et le RAID. Après son passage réussi à la Direction des Français de
l’Etranger et à la Direction de la Sécurité, il est nommé, en 2012 responsable
de la Mission Mali-Sahel afin de coordonner les questions politiques,
sécuritaires et de développement. Son passé de militaire et de spécialiste du
renseignement ont été bien utiles pour cette mission novatrice, qu’il a mené
avec succès.
Tout naturellement, en 2013, il est appelé à remplacer
prématurément l’ambassadeur en poste à Bamako où sa proximité avec les
militaires est patente. Dans le cadre d’un large mouvement diplomatique, il est
nommé ambassadeur à Maurice, en septembre 2016.
Le primat des questions sécuritaires
Sa
mission dans l’Océan Indien sera donc écourtée pour cette nouvelle mission qui
le ramène en Afrique où les questions sécuritaires et de lutte contre le
terrorisme dominent le paysage diplomatique.
Le président ivoirien attendait plutôt la nomination de
Jean-Marc Châtaigner, diplomate de carrière au parcours dédié au développement
et à la coopération internationale via le ministère de la Coopération, l’AFD
puis l’IRD. Cet ancien ambassadeur à Madagascar avait été apprécié à Abidjan
lors de son séjour à la mission de coopération de 1992 à 1995. Etant donné la
situation du pays et surtout les perspectives politico-économiques
inquiétantes, Paris a préféré un spécialiste des crises et des questions
sécuritaires à un développeur, fut-il de grande qualité.
NOTRE COMMENTAIRE
Alors, Excellence, toujours fier de
vous ?
Ainsi, pendant que leurs masques et
leurs agents subalternes, les Soro, les Ouattara mâle et femelle, les Bédié,
etc., bavardent, gesticulent et se contorsionnent afin de captiver notre
attention pour la fixer sur des enjeux improbables comme l’émergence, la
réconciliation, etc., les Français eux ne blaguent pas. Ils songent à renforcer
les défenses de leur chasse gardée. D’où le choix de ce Gilles Huberson pour
remplacer Georges Serres à la tête de l’ambassade de France en Côte d’Ivoire.
Impossible en la circonstance de ne pas penser au glorieux architecte de
l’édifice aujourd’hui fort mal en point, que celui-ci va repasser à celui-là,
j’ai nommé l’ambassadeur Jean-Marc Simon (2009-2012). C’est à lui que s’adresse
cette question. Mais n’anticipons pas.
La préférence ainsi donnée à un
« chien de guerre » sur l’un ou l’autre des deux « pékins »
d’abord envisagés pour cette ambassade – qui, décidément, n’en est pas vraiment
une[1]
– donne indirectement raison à ceux qui croient et qui disent qu’il n’y aura aucune
avancée vers une solution définitive de la soi-disant « crise
ivoirienne » aussi longtemps que la France n’y assumera pas, totalement et
en toute honnêteté, sa part immense de responsabilité. Je pense à ce propos
récent de l’exilé Damana Adia Pickas en réaction aux ridicules entreprises
diversionnistes d’un Guillaume Soro très certainement poussé par les mêmes gens
qui avaient déjà fait de lui leur couverture après l’échec de la tentative de
coup d’Etat de septembre 2002 : « Une réconciliation en Côte d’Ivoire
sans la France serait une escroquerie morale… »[2].
Mais cette préférence, c’est aussi
le signe que, pas plus que leurs prédécesseurs, ceux qui gouvernent aujourd’hui
la France ne sont prêts à reconnaître que ce que leurs créatures et eux s’obstinent
à traiter comme une banale « crise ivoirienne » c’est, en réalité, la
crise des relations franco-ivoiriennes telles qu’eux et nous en avons hérité de
la longue complicité de Félix Houphouët et Jacques Foccart. Cette complicité
qui ne fut, quand on envisage ses conséquences sur la vie politique dans notre
pays depuis 1959, qu’un attentat permanent contre la liberté, la dignité et
l’indépendance de notre peuple.
Loin de n’être qu’un banal phénomène
conjoncturel, c’est une crise structurelle affectant en profondeur tous les rouages
de l’Etat ivoirien, ou de ce qui en tient lieu. Car, contrairement à ce que
Houphouët aimait à raconter quand il voulait faire son politicien de génie, ce
qui manque cruellement à la Côte d’Ivoire, notre patrie, c’est un Etat vraiment
digne de ce nom. Un Etat national au service exclusif du pays et de ses
habitants naturels d’abord. Un Etat puisant ses ressources principalement dans
l’intelligence et le travail de ses citoyens. Un Etat capable de créer par lui-même
les moyens adéquats pour résoudre ses problèmes internes, et pour se protéger
d’éventuelles agressions, quelle qu’en soient la nature et l’origine.
Si un tel Etat existait, personne,
même à Paris, n’aurait pu imaginer, plus de 50 ans après la proclamation
solennelle de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, d’y envoyer un ancien chef
d’escadron de gendarmerie – choisi apparemment, qui plus est, en raison de
cette seule qualité – comme ambassadeur. Car, alors, la Côte d’Ivoire ne serait
pas pour ceux qui gouvernent à Paris seulement une base logistique et une tête
de pont pour leurs opérations en cours aux confins méridionaux du Sahara, comme
l’affirmaient récemment le chef des « Forces françaises de Côte d’Ivoire
(FFCI) » et son adjoint[3]
mais, véritablement, la patrie des femmes et des hommes qui « y ont toutes
leurs tombes », c’est-à-dire les descendants directs de ceux qui vivaient
déjà là bien avant 1893, et par conséquent leurs ayants droit légitimes.
* * *
Depuis le commencement de cette
crise, qu’on peut situer à la charnière des années 1989 et 1990, la France – je
veux dire les oligarchies qui la gouvernent – n’a qu’une seule préoccupation
vis-à-vis de la Côte d’Ivoire : y poursuivre la politique qu’elle y a
toujours faite, ce qui implique d’y maintenir inchangé le système qui
permettait cette politique. Félix Houphouët ayant alors largement fait son
temps après 30 années de règne sans partage, il fallait certes le remplacer, mais
en veillant bien à ce que, sous l’angle de la dépendance de la Côte d’Ivoire vis-à-vis
de la France, son remplaçant lui ressemble comme si c’était son clone. D’où les
efforts déployés depuis cette année-là, mêlant selon les circonstances ruses et
coups de force, pour imposer Alassane Ouattara comme chef de l’Etat fantoche.
Objectif atteint le 11 avril 2011, à
la grande satisfaction de Jean-Marc Simon – nous y voilà –, qui à cette époque-là
faisait ici l’office du « gauleiter ». Le 17 juin 2011, lors d’une
cérémonie organisée à la mairie de Port-Bouët « pour célébrer la
coopération ivoiro-française et aussi saluer le rôle joué par la force Licorne
dans le dénouement de la crise postélectorale », il dévoilera
triomphalement le fin mot de cette stratégie criminelle : « Après dix
années de souffrance, voici que la France et la Côte d'Ivoire que certains,
poursuivant des buts inavoués, ont voulu séparer d'une manière totalement
artificielle, se retrouvent enfin dans la joie et dans l'espérance. (...). Nous
avions su inventer vous et nous, sous l'impulsion du président Félix
Houphouët-Boigny et du Général de Gaulle, cet art de vivre ensemble qui
étonnait le monde et qui faisait l'envie de toute l'Afrique »[4].
C’était, croyait-il peut-être, aussi grandiose que s’il avait pour de vrai ressuscité
la momie de Félix Houphouët… Et, naturellement, peu lui importait que ce fût au
prix du massacre de centaines de jeunes Ivoiriens civils et militaires ! Dans
le livre qu’il a consacré à ses prouesses africaines, il écrira à ce
propos : « Il n’y a aucun regret à avoir, la France a fait ce qu’elle
avait à faire… »[5].
Désolé !, Monsieur l’ambassadeur de
France, mais ce n’est pas ainsi que ça se passe. Toute action doit être jugée
non pas uniquement d’après ce qu’elle a rapporté à celui qui l'a faite, surtout
lorsqu’il s’agit d’un homme nanti d’autant de pouvoir qu’un ambassadeur de
France en Côte d’Ivoire, mais aussi, mais surtout d’après les conséquences qu’elle
peut avoir, dans l’immédiat et/ou à plus long terme, pour autrui. Lisant le
récit nombriliste de votre geste ivoirienne, une question n’arrêtait pas de me
titiller : tous ces morts… seulement pour qu’Alassane Ouattara et sa femme
s’arrogent les titres improbables de président de la République et de Première
dame de Côte d’Ivoire ?! Car, tout de suite après cette phrase terrible,
vous écrivez : « Désormais, Alassane Ouattara est véritablement le
président de la Côte d’Ivoire. (…) il peut enfin s’installer dans le bureau de
Félix Houphouët-Boigny, (…). Il va lui falloir réconcilier les Ivoiriens entre
eux, (…). Il va lui falloir restaurer l’Etat, ressusciter l’armée, mis à mal
par dix ans de crise, et consolider la justice »[6]. Ce qui, soit dit en
passant, vous a valu, par ricochet si je puis dire, quelques belles récompenses :
dignité d’ambassadeur de France ; Commandeur de La Légion d’Honneur… Et aussi,
sans doute, un substantiel supplément de revenus… Chapeau l’artiste !…
Sauf que vous avez parlé trop vite. Vous
auriez mieux fait d’attendre de voir de quoi vos créatures étaient capables.
A l’heure où la France missionne un
« Monsieur muscles » pour reprendre en main sa vieille chasse gardée et,
s’il se peut, sauver votre chef-d’œuvre de la ruine complète qui menace, on est
tenté de vous demander : Alors, Excellence, toujours fier de vous ?
Marcel
Amondji (03 août 2017)
[2] - Voir, dans ce blog : https://cerclevictorbiakaboda.blogspot.fr/2017/07/une-reconciliation-en-cote-divoire-sans.html
[3] - Voir,
dans ce blog :
https://cerclevictorbiakaboda.blogspot.fr/2017/02/les-internautes-ivoiriens-tels-des.html
[5] - J.-M.
Simon, Secrets d’Afrique ; p.
329.
[6] -Ibid. ; p.
330/331.
Merci pour ce bel article qui montre bien qu'un ambassadeur français en Afrique n'est rien qu'un vigile, lanceur d'alerte au service de son pays, et s'il le faut, un nettoyeur.
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