lundi 7 août 2017

Indépendance ou La fin de la longue nuit

Un seul homme peut-il porter sur ses seules épaules la destinée d’un peuple si grand ? Un soir d’aout 1960, le peuple d’Eburnie quittait enfin la longue nuit du colonialisme.
22 octobre 1946, ils étaient 148 à embarquer sur la frégate F707 de la marine nationale Française. Ces 148 jeunes sélectionnés parmi les meilleurs élèves de la colonie ivoirienne s’apprêtent à poursuivre leur formation en métropole. Premier député de la colonie à siéger au parlement français, Dia Houphouët vient de tenir une promesse de campagne : former une génération de cadres ivoiriens. Visionnaire, il vient de poser les premières fondations de cette nation en devenir. Ces 148 jeunes devront être prêts lorsque le Soleil des indépendances se lèvera sur la terre d’Eburnie.
La Frégate L'Aventure photographiée le 7 avril 1955
Alcide Dioulo, Alphonse Bissouma Tapé, Bakary Coulibaly, Marie-Thérèse Brou, Camille Adam, Ernest Boka, Gervais et faustin Coffie, Jean Konan Banny, Jean-Baptiste Pango, Joseph Aka Anghui, Memel Fôte, sont du voyage. Arrivés le 8 novembre 1946 en métropole, les 148 premiers boursiers de Côte d’Ivoire débutent leur quête de connaissances pendant que sur leur terre natale règne un parfum de révolte.
LE TEMPS DU COMBAT
1945, Alexandre Douala Manga Bell, Gabriel d’Arboussier, Jean-Félix Tchicaya, Yacine Diallo, Fily-Dabo Sissoko, Sourou Migan Apithy, Lamine Guèye, Léopold Sédar Senghor et Dia Houphouët rentrent au palais Bourbon pour représenter les peuples colonisés d’AOF et d’AEF.
Pionniers du combat pour l’indépendance, l’abolition du travail forcé et du code l’indigénat, l’attribution de la citoyenneté française à tous les ressortissants d’Outre-mer, la liberté de réunion et d’association de la presse seront leurs premières victoires face au système colonialiste. Ils créent également le Rassemblement Démocratique Africain à Bamako en 1946, parti qui rassemblera sous un même étendard tous les mouvements africains luttant pour l’émancipation des colonies.
Le combat pour l’indépendance prend un tournant décisif avec la création du rassemblement démocratique africain (RDA). Dia Houphouët futur ex-leader nationaliste mène la fronde contre l’administration coloniale qui ne pourra pas résister longtemps à la pression de l’histoire. Soutenu dès sa création par le parti communiste, le RDA et sa branche ivoirienne, le PDCI ne vont cesser d’être combattus par l’administration coloniale qui ne tolère par les accents indépendantistes de ce mouvement.
Les dirigeants du RDA subiront brimades, humiliations, licenciements, emprisonnement, intimidations. Le RDA ploie sous les coups de butoir du colon qui ne se ménage pas pour réprimer ce mouvement soutenu par les masses africaines.
Dans la colonie ivoirienne, la répression contre le RDA et son chef se fait intense. La colonie est en ébullition.
Ainsi trois ans après le départ des 148 « Aventuriers », l’administration coloniale dirigée par le gouverneur Péchoux arrête, le 6 février 1949, plusieurs dirigeants du PDCI-RDA : Bernard Dadié, Mathieu Ekra, René Séry-Koré, Jean-Baptiste Mockey, Albert Paraïso, Philippe Vieyra, Jacob Williams. Seul manque à l’appel …Dia Houphouët.
« Ils nous braquaient de leurs fusils et nous ont demandé qui était armé. J’ai levé le doigt. Ils m’ont demandé de sortir mon arme. Je leur ai brandi le stylo que j’avais dans la poche. Ils ont ri, les crétins ! C’est avec ce stylo que, de l’intérieur de la prison de Bassam, j’ai écrit mes « Carnets de prisons » et les articles qui ont mis le feu à l’administration coloniale ». (Bernard Dadié)
Enfermés à la prison de Grand Bassam, les prisonniers entament une grève de la faim. Dehors le peuple se soulève pour demander la libération de leurs leaders. Les femmes prendront la tête de ce mouvement. Le 24 décembre 1949, elles marchent sur la prison pour demander la libération des membres du PDCI-RDA et lancent le boycott des commerces français. Elles subiront les foudres d’un régime aux abois. L’histoire se souvient d’Anne-Marie Raggi, Marie Koré, Maguerite Sackoum, Odette Yacé et de Mme Ouezzin Coulibaly.
Le 22 mars 1950 le procès des dirigeants débute, Dia Houphouët, leader du PDCI, ne viendra pas soutenir ses compagnons. Prétextant une maladie, il préfèrera se réfugier à Yamoussoukro, se contentant d’un simple télégramme de soutien.
« Regrette absence côtés vaillants camarades, victimes colonialistes aux abois- STOP mauvais état santé m’a empêché exprimer vive voix solidarité avec sublimes défenseurs peuple opprimé d’Afrique… Sommes… entièrement d’accord sur but à atteindre émancipation Afrique… Union avec forces démocratiques métropolitaines groupées autour avant-garde Parti communiste français, union avec forces démocratiques monde entier sous-direction grand socialisme Union soviétique guidé par chef génial le grand Staline en vue créer par lutte commune condition réaliser avènement, ère liberté, paix, Fraternité ». (Dia Houphouët)
REPLI TACTIQUE OU TRAHISON
La répression contre le RDA devient sanglante et meurtrière. Le colon tue à Bouaflé, à Séguéla, à Dimbokro… On compte plus d’une centaine d’innocents tombés sous les balles du colon. Les réunions du PDCI-RDA sont interdites. L’étau se resserre autour du chef du RDA. La rumeur de son arrestation couve. Un mandat d’arrêt est lancé contre lui le 26 janvier 1950. Acculé par le gouverneur Péchoux, il craint pour sa vie.
Un homme sera le symbole de la violence et de l’acharnement du colon : le 29 janvier 1950, le sénateur Victor Biaka Boda, membre actif du PDCI et fervent nationaliste, meurt en martyr dans des conditions troubles.
La mort du sénateur est un tournant dans le combat pour l’émancipation de la colonie ivoirienne. Dia Houphouët se réfugie en France, loin du tumulte, et s’apprête à céder sous la pression de l’occupant. Le 18 octobre 1950, le RDA publie un communiqué qui acte son désapparentement au parti communiste.  Cet acte de reddition marque la fin des idéaux nationalistes du RDA. A partir de cette date, le PDCI-RDA ne sera plus qu’un faire-valoir. C’est le début de la collaboration de Dia Houphouët.
 «Oui mes frères, un vent de nationalisme souffle sur le monde entier- la mystique de l’indépendance qui ne règle rien, qui ne règle pas les rapports entre les hommes. Avec foi, nous africains et j’entends tous ceux qui travaillent ici pour un avenir meilleur blancs et noirs nous tous nous devons unir nos efforts dans un esprit de compréhension mutuelle et de confiance totale afin que nous puissions opposer victorieusement à cette mystique : celle de la Fraternité ». (Dia Houphouët)
Les idées indépendantistes et anticolonialistes trouvent un écho puissant dans le Paris des années 50. Les 148 étudiants ivoiriens baignent dans ce foisonnement idéologique et se préparent à rentrer pour servir leur pays.
La décennie 50 sera calme ; les soubresauts de la fin de la décennie 40 sont loin. La collaboration avec le colon se passe sans encombre. Sékou Sanogo, Dignan Bailly, Kacou Aoulou, Ouezzin Coulibaly, Victor Djedje Capri, Auguste Denise, Etienne Djaument animeront la vie politique pré-indépendance.
L’union Française, la loi cadre, la communauté Française, finiront par accoucher d’une indépendance factice, octroyée sans combattre. Le 7 août 1960, Dia Houphouët devient le premier président de la nouvelle République de Côte d’Ivoire. Les 148 « Aventuriers » prennent, pour certains, le chemin du retour pour participer à la construction de ce nouvel Etat. Fort des compétences acquises, ils sont prêts à relever le défi du développement. Mais leurs espoirs seront vite étouffés…

Joël Nandjui


EN MARAUDE DANS LE WEB
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Source : http://ayidjrinkaaba.mondoblog.org 7 juillet 2017

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