Un seul homme peut-il porter sur ses seules épaules la destinée d’un peuple
si grand ? Un soir d’aout 1960, le peuple d’Eburnie quittait enfin la longue
nuit du colonialisme.
22 octobre 1946, ils étaient 148 à embarquer sur la frégate F707 de la
marine nationale Française. Ces 148 jeunes sélectionnés parmi les meilleurs
élèves de la colonie ivoirienne s’apprêtent à poursuivre leur formation en métropole.
Premier député de la colonie à siéger au parlement français, Dia Houphouët
vient de tenir une promesse de campagne : former une génération de cadres
ivoiriens. Visionnaire, il vient de poser les premières fondations de cette
nation en devenir. Ces 148 jeunes devront être prêts lorsque le Soleil des indépendances se lèvera sur
la terre d’Eburnie.
La Frégate L'Aventure photographiée le 7 avril 1955 |
Alcide Dioulo, Alphonse Bissouma Tapé, Bakary Coulibaly, Marie-Thérèse Brou,
Camille Adam, Ernest Boka, Gervais et faustin Coffie, Jean Konan Banny,
Jean-Baptiste Pango, Joseph Aka Anghui, Memel Fôte, sont du voyage. Arrivés le 8
novembre 1946 en métropole, les 148 premiers boursiers de Côte d’Ivoire
débutent leur quête de connaissances pendant que sur leur terre natale règne un
parfum de révolte.
LE TEMPS DU
COMBAT
1945, Alexandre Douala Manga Bell, Gabriel d’Arboussier, Jean-Félix
Tchicaya, Yacine Diallo, Fily-Dabo Sissoko, Sourou Migan Apithy, Lamine Guèye,
Léopold Sédar Senghor et Dia Houphouët rentrent au palais Bourbon pour
représenter les peuples colonisés d’AOF et d’AEF.
Pionniers du combat pour l’indépendance, l’abolition du travail forcé et du
code l’indigénat, l’attribution de la citoyenneté française à tous les
ressortissants d’Outre-mer, la liberté de réunion et d’association de la presse
seront leurs premières victoires face au système colonialiste. Ils créent
également le Rassemblement Démocratique Africain à Bamako en 1946, parti qui
rassemblera sous un même étendard tous les mouvements africains luttant pour
l’émancipation des colonies.
Le combat pour l’indépendance prend un tournant décisif avec la création du
rassemblement démocratique africain (RDA). Dia Houphouët futur ex-leader
nationaliste mène la fronde contre l’administration coloniale qui ne pourra pas
résister longtemps à la pression de l’histoire. Soutenu dès sa création par le
parti communiste, le RDA et sa branche ivoirienne, le PDCI ne vont cesser
d’être combattus par l’administration coloniale qui ne tolère par les accents
indépendantistes de ce mouvement.
Les dirigeants du RDA subiront brimades, humiliations, licenciements,
emprisonnement, intimidations. Le RDA ploie sous les coups de butoir du colon
qui ne se ménage pas pour réprimer ce mouvement soutenu par les masses
africaines.
Dans la colonie ivoirienne, la répression contre le RDA et son chef se fait
intense. La colonie est en ébullition.
Ainsi trois ans après le départ des 148 « Aventuriers »,
l’administration coloniale dirigée par le gouverneur Péchoux arrête, le 6
février 1949, plusieurs dirigeants du PDCI-RDA : Bernard Dadié, Mathieu
Ekra, René Séry-Koré, Jean-Baptiste Mockey, Albert Paraïso, Philippe Vieyra,
Jacob Williams. Seul manque à l’appel …Dia Houphouët.
« Ils nous braquaient de
leurs fusils et nous ont demandé qui était armé. J’ai levé le doigt. Ils m’ont
demandé de sortir mon arme. Je leur ai brandi le stylo que j’avais dans la
poche. Ils ont ri, les crétins ! C’est avec ce stylo que, de l’intérieur de la
prison de Bassam, j’ai écrit mes « Carnets de prisons » et les articles qui ont
mis le feu à l’administration coloniale ». (Bernard Dadié)
Enfermés à la prison de Grand Bassam, les prisonniers entament une grève de
la faim. Dehors le peuple se soulève pour demander la libération de leurs
leaders. Les femmes prendront la tête de ce mouvement. Le 24 décembre 1949,
elles marchent sur la prison pour demander la libération des membres du
PDCI-RDA et lancent le boycott des commerces français. Elles subiront les
foudres d’un régime aux abois. L’histoire se souvient d’Anne-Marie Raggi, Marie
Koré, Maguerite Sackoum, Odette Yacé et de Mme Ouezzin Coulibaly.
Le 22 mars 1950 le procès des dirigeants débute, Dia Houphouët, leader du
PDCI, ne viendra pas soutenir ses compagnons. Prétextant une maladie, il
préfèrera se réfugier à Yamoussoukro, se contentant d’un simple télégramme de
soutien.
« Regrette absence côtés
vaillants camarades, victimes colonialistes aux abois- STOP mauvais état santé
m’a empêché exprimer vive voix solidarité avec sublimes défenseurs peuple
opprimé d’Afrique… Sommes… entièrement d’accord sur but à atteindre
émancipation Afrique… Union avec forces démocratiques métropolitaines groupées
autour avant-garde Parti communiste français, union avec forces démocratiques
monde entier sous-direction grand socialisme Union soviétique guidé par chef
génial le grand Staline en vue créer par lutte commune condition réaliser
avènement, ère liberté, paix, Fraternité ». (Dia Houphouët)
REPLI TACTIQUE
OU TRAHISON
La répression contre le RDA devient sanglante et meurtrière. Le colon tue à
Bouaflé, à Séguéla, à Dimbokro… On compte plus d’une centaine d’innocents
tombés sous les balles du colon. Les réunions du PDCI-RDA sont interdites.
L’étau se resserre autour du chef du RDA. La rumeur de son arrestation couve. Un
mandat d’arrêt est lancé contre lui le 26 janvier 1950. Acculé par le
gouverneur Péchoux, il craint pour sa vie.
Un homme sera le symbole de la violence et de l’acharnement du colon :
le 29 janvier 1950, le sénateur Victor Biaka Boda, membre
actif du PDCI et fervent nationaliste, meurt en martyr dans des conditions
troubles.
La mort du sénateur est un tournant dans le combat pour l’émancipation de
la colonie ivoirienne. Dia Houphouët se réfugie en France, loin du tumulte, et
s’apprête à céder sous la pression de l’occupant. Le 18 octobre 1950, le RDA
publie un communiqué qui acte son désapparentement au parti communiste.
Cet acte de reddition marque la fin des idéaux nationalistes du RDA. A partir
de cette date, le PDCI-RDA ne sera plus qu’un faire-valoir. C’est le début de
la collaboration de Dia Houphouët.
«Oui mes frères, un vent de nationalisme souffle sur le monde entier-
la mystique de l’indépendance qui ne règle rien, qui ne règle pas les rapports
entre les hommes. Avec foi, nous africains et j’entends tous ceux qui
travaillent ici pour un avenir meilleur blancs et noirs nous tous nous devons
unir nos efforts dans un esprit de compréhension mutuelle et de confiance
totale afin que nous puissions opposer victorieusement à cette mystique : celle
de la Fraternité ». (Dia Houphouët)
Les idées indépendantistes et anticolonialistes trouvent un écho puissant
dans le Paris des années 50. Les 148 étudiants ivoiriens baignent dans ce
foisonnement idéologique et se préparent à rentrer pour servir leur pays.
La décennie 50 sera calme ; les soubresauts de la fin de la décennie
40 sont loin. La collaboration avec le colon se passe sans encombre. Sékou Sanogo,
Dignan Bailly, Kacou Aoulou, Ouezzin Coulibaly, Victor Djedje Capri, Auguste
Denise, Etienne Djaument animeront la vie politique pré-indépendance.
L’union Française, la loi cadre, la
communauté Française, finiront par accoucher d’une indépendance factice,
octroyée sans combattre. Le 7 août 1960, Dia Houphouët devient le premier
président de la nouvelle République de Côte d’Ivoire. Les 148 « Aventuriers »
prennent, pour certains, le chemin du retour pour participer à la construction
de ce nouvel Etat. Fort des compétences acquises, ils sont prêts à relever le
défi du développement. Mais leurs espoirs seront vite étouffés…
Joël Nandjui
EN MARAUDE DANS LE WEB
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crise ivoirienne ».
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