samedi 7 janvier 2012

PANEM ET CIRCENCES…

“Une victoire à la Pyrrhus, on connaissait déjà l’expression. Maintenant on pourrait bien parler d’«une victoire à la Ouattara» concernant la Côte d’Ivoire. En effet, le vainqueur de la présidentielle du 28 novembre 2010 se trouve comme assiégé par trois camps. Il y a d’abord celui des vaincus mais irréductibles [...], et ceux des deux faiseurs de roi que sont les Forces nouvelles (ex-rebelles) de Guillaume Soro et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) de l’ex-président Henri Konan Bédié.”  Marcus Boni Teiga

Les ouattaristes avaient commencé l’année 2011 dans l’euphorie d’un remake de la célèbre « marche sur Rome » des bandes mussoliniennes. Moins de huit mois après « leur victoire » remportée grâce à l’intervention armée de la France sarkosyenne, les voilà déjà partis pour finir comme l’éphémère « République de Salo ».

D’abord il y a eu le fiasco monumental de ce qui aurait dû être des élections législatives et qui ne fut qu’une cooptation de prébendiers et de « mangecrates » avides de profiter de la bonne fortune de leur soi-disant coreligionnaire et compatriote du Nord. Les Ivoiriens, eux, ont massivement boudé ce scrutin, signifiant par là aux fantoches et à leurs parrains français, étatsuniens et onusiens leur rejet unanime du coup de force du 11-Avril. Avec seulement 15% à 20% de participation au mieux, probablement aucun des « élus » du 11 décembre 2011 n’a même atteint le taux de 50% des inscrits nécessaire pour l’être en toute légitimité. Mais la leçon la plus remarquable de ce scrutin à l’envers, c’est l´aveu implicite par le président de la Cei lui-même, de sa forfaiture de décembre 2010. Car comment croire encore que ce Youssouf Bakayoko était sincère lorsqu’il proclama le résultat du scrutin présidentiel, quand, après le 11 décembre, on l’a entendu mentir si effrontément sur le taux de participation, à seule fin d’enjoliver les résultats d’un scrutin sans véritable enjeu ?

Ensuite il y a eu les exactions récurrentes des prétendues « forces républicaines » et les vaines gesticulations de leurs patrons civils et militaires pour nous faire accroire qu’ils les tiennent bien en main. Mais, à peine Ouattara, Soro et leur chef d’état-major d’opérette ont-ils poussé leur coup de gueule convenu contre les tueurs de Vavoua, que ceux de Sikensi faisaient de nouveaux morts parmi les manifestants aux mains nues qui protestaient contre un premier meurtre. Il est clair que ces bandes hétéroclites n’ont même pas de chefs capables de se faire obéir d’elles. Ouattara et ses complices ont beau multiplier les pantalonnades, ce n’est pas encore demain la veille – à moins d’un miracle bien improbable – qu’ils changeront des mercenaires livrés à eux-mêmes depuis si longtemps et tellement accoutumés à l’impunité, en gentils petits soldats bien disciplinés. Il faut même s’attendre à voir les désordres actuels perdurer et s’aggraver même, car ce régime n’a pas d’autre force armée sur laquelle s’appuyer que celle-là, et il ne peut donc pas se permettre de se les mettre à dos en exigeant trop d’elle.

Devant leur impopularité grandissante, et dans le vain espoir d’y remédier, les fantoches au pouvoir n’ont rien trouvé de mieux que d’offrir au bon peuple d’Abidjan des jeux et du pain comme cela se pratiquait dans la Rome impériale quand les dominants voulaient endormir la conscience des dominés. C’était la fonction des illuminations du Plateau et du feu d’artifice. Dans son allocution de nouvel an, Ouattara s’est glorifié des dons d’aliments qu’il aurait fait à des familles nécessiteuses. On a pu voir aussi dans la presse la photographie d’un préfet recevant à titre personnel une enveloppe des mains d’un représentant du ministère de l’Intérieur. Ce n’est sans doute pas une première en soi dans l’histoire de la CI que cette distribution d’enveloppes. C’était déjà le ressort secret du prétendu charisme d’Houphouët. Bédié en avait repris la pratique de façon ostentatoire, mais c’était encore devant des publics choisis – ce qui, soit dit en passant, n’empêcha pas que le jour de sa chute, aucun de ses prébendiers ne leva même le petit doigt pour le défendre –. La nouveauté, c’est que cette fois-ci cela s’est fait pour ainsi dire sur la place publique. Signe des temps ! En somme, celui que ses partisans surnomment « warifatchè » – c’est, comme qui dirait, l’homme qui transforme en or tout ce qu’il touche – nous prévient qu’en matière de corruption, non seulement il n’a pas plus de scrupules que ses prédécesseurs, mais il n’a même pas leur pudeur…

A cet égard, Guillaume Soro n’est pas en reste. Pour la nuit du 31 décembre, il s’est offert un petit triomphe dans son fief de Ferkessédougou, avec un spectacle musical à la Woodstock et un feu d’artifice grandiose, probablement le premier jamais tiré dans cette localité. Première mise de fonds pour s’acheter l’assise politique qui lui manquait, et dont sans doute le manque se fait sentir de plus en plus cruellement à mesure que se dissipe l’aura qui enveloppait « le Saint-Just des forces nouvelles » tant que celles-ci ne s’étaient pas montrées sous leur vrai jour comme à Duékoué, Abengourou, Vavoua, Sikensi et autres lieux.

 Le clou de ces réjouissances démagogiques a été l’exhibition de football qui eut lieu au stade Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan dans l’après-midi du 5 janvier. Pour s’attirer la sympathie des Abidjanais qu’ils savent friands de ce port, Ouattara et son gouvernement y affrontèrent la Fédération ivoirienne de football ! Les premiers l’emportèrent par un score de 3 à 0 auquel contribuèrent personnellement le président et le Premier ministre, chacun marquant son but. Le lendemain matin, tous les journaux proches du pouvoir montraient des images d’un « Félicia » archicomble. On se doute bien que des gens qui savent si bien bourrer les urnes et truquer les résultats électoraux n’ont rien laissé au hasard : le spectacle était gratuit… Reste à savoir si remplir un stade de milliers de badauds fanatiques aura suffi pour redorer le blason d’un régime déjà à bout de souffle après seulement huit petits mois d’existence.

 Un qui est aussi en quête de reconnaissance, mais qui peine visiblement à convaincre les Ivoiriens de sa bonne foi, c’est Charles Konan Banny, le président d’une très improbable Commission dialogue vérité et réconciliation qu’on désigne plus communément par l’acronyme : Cdvr. A ce propos, voyez comme parfois les mots nous jouent des tours. Prenez ce sigle, par exemple : « cdvr ». Placez un « a » après le « c » et après le « d », puis un « e » après le « r », et vous obtenez : « cadavre »… Simple coïncidence, certes. Mais, dans un pays comme la Côte d’Ivoire, où il y a encore tant de superstitieux – et Charles Konan Banny en est un notoire ! –, n’eut-il pas été plus sage d’appeler cette commission autrement ? Cependant ce souci-là est loin d’être le seul que notre apprenti réconciliateur aura à affronter. Voici deux anecdotes qui illustrent bien ce qui selon moi constitue le plus gros handicap de la Cdvr : la personnalité de son président, un dangereux cocktail de vanité, de naïveté et d’ambitions souvent déçues avec leurs séquelles de frustrations recuites, sur un fond d’houphouélâtrie familiale et de francophilie atavique... Il y a peu, des jeunes citoyens, partisans de Laurent Gbagbo, qu’il recevait en audience en ont fait la désagréable expérience. Cet « homme de dialogue » ne supportait pas qu’ils lui parlent comme des citoyens responsables libres de leurs opinions et de leur allégeance. Banny étala à cette occasion une conception si mesquine et si sectaire de la Justice comme de son propre rôle à la tête de la Cdvr qu’on pourrait douter de sa compétence pour une telle mission. Quelques jours plus tard, au cours d’une tournée dans l’Ouest martyr, il frisa le ridicule en déclarant qu’il considérait ses activités actuelles comme la poursuite de son programme de gouvernement quand il était Premier ministre. Il serait intéressant de savoir ce que ceux qui lui ont confié cette noble mission ainsi que les éminentes personnalités dont il s’est entouré ont pensé de cette manière égocentrique de comprendre le rôle de la Cdvr.
Chaque fois qu’il a l’occasion de prendre la parole – et il sait l’art de multiplier ces occasions –, Banny s’exprime comme si sa fonction à la tête de la Commission dialogue, vérité et réconciliation avait fait de lui le cogérant de la République. Ainsi, à l’occasion du nouvel an, il s’est lui aussi fendu d’une adresse aux Ivoiriens aussi longue que celle de Ouattara… Il n’est pas impossible que sa fonction lui soit montée à la tête et qu’il considère la présidence de la Cdvr comme une sorte d’apanage ou même comme un butin qu’il se serait acquis par sa contribution personnelle à la victoire de Ouattara. Le risque, c’est que cet organisme qui ne peut fonctionner efficacement que de manière collégiale et en s’ouvrant à la participation responsable de l’ensemble de la communauté nationale en soit bientôt réduit à n’être que le fonds de commerce de son seul président.

Déjà, beaucoup d’Ivoiriens n’ont qu’une confiance limitée dans la Cdvr comme facteur de la réconciliation nationale. Au cours de sa tournée dans l’Ouest martyr, alors qu’il visitait le camp des déplacés de Naïbly dans la commune de Duékoué, Banny a pu l’apprendre de la bouche même de ces malheureux :

« (…) Vous demandez que chacun de nous plante la graine de la réconciliation. Nous sommes d’accord et nous sommes et restons fiers d’être Ivoiriens. Mais monsieur le président du Cdvr, vous avez également dit que toute réconciliation prend sa source dans la vérité. Sur nos terres où vous nous demandez de retourner, les Dozos et les FRCI y ont encore leurs barrages dressés dans de nombreux villages. La quasi-totalité de nos villages sont détruits et ont besoin d’être réhabilités. Nous sommes aussi confrontés au problème foncier qui a toujours été géré avec parti pris par la force des armes. Des hommes en armes ont même pris de force des portions de terres à nos populations. (…). Nous voulons retourner sur nos terres mais les armes se promènent encore partout. Aussi nous sommes indignés de voir des étrangers vêtus dans la tenue de l’armée de notre pays. »

Il est des circonstances où certaines paroles valent des actes. Le discours des déplacés de Naïbly est l’une de ces manifestations de plus en plus fréquentes et massives par lesquelles les Ivoiriens expriment leur ras-le-bol vis-à-vis de ce régime et de ses frci. Ce qu’on a entendu là, et ce qu’on a vu à Vavoua et à Sikensi, notamment, ce sont autant de preuves que le roi est nu... Il faut se rappeler que Vavoua était sous la botte des miliciens ouattaristes depuis 2002, et que les populations martyrisées qui se sont soulevées contre eux sont celles-là même parmi lesquelles et au nom desquelles ils ont été recrutés. Ces événements ont montré que non seulement les gens n’ont plus peur des frci, mais qu’ils sont prêts à prendre les plus grands risques pour en débarrasser le pays. Ainsi se confirme ce que j’écrivais dans mon précédent article : si nous avons bel et bien perdu la longue bataille de 2002-2010, nous n’avons pas encore perdu la guerre qui nous est imposée depuis des décennies par des gens qui se dissimulent de plus en plus mal derrière des prête-noms de plus en plus transparents.

L’avenir, dit Victor Hugo, n’appartient à personne… Je crois surtout qu’il faut seulement savoir qu’il n’y a pas de fatalité et que chacun a seulement l’avenir qu’il s’est mérité… Je souhaite que cette année qui commence sous des auspices aussi prometteurs nous rapproche de la réalisation de notre vieux rêve de liberté. Je sais bien que ce bonheur ne nous sera pas donné sans que nous consentions encore de lourds sacrifices. Je souhaite donc aussi, chers compatriotes et chers amis qui nous faites l’honneur de fréquenter ce blog, que nous ayons le courage de les accepter, afin que notre chère Côte d’Ivoire ait un jour le bel avenir qu’elle mérite.

Marcel Amondji


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire