Souffrant du diabète et dans l'impossibilité d'avoir accès aux soins que nécessite son état de sante à cause du gel de ses avoirs, Awa Ehoura que nous avons rencontrée le week-end dernier à son domicile, nous a confié : « Je suis en train de mourir à petit feu ». Mais tout en restant digne dans la maladie, la consœur, aujourd'hui paralysée d'un membre supérieur, a tenu à faire partager ses peines, tout en mettant les points sur les ''i''.
Avec votre maladie et les déboires auxquels vous êtes confrontée, vous êtes l'un des principaux sujets d'actualité ces derniers temps. Dans quel état d'esprit êtes-vous en ce moment ?
Je vous remercie déjà d'être venu à la source pour avoir l'information. Depuis quelques jours, ma situation, de point de vue santé, attire l'attention du monde entier. Mais c'est à dessein parce que des amis ont estimé que ma souffrance durait bientôt un an pour cause du gel de mes avoirs financiers. Ils ont donc décidé que l'on sache que c'est parce que je n'ai pas accès à l'argent qui m'appartient que je vis une situation difficile où je ne peux rien faire; ni me soigner, ni vivre correctement, ni prendre en charge mes enfants. Enfin, ma vie a basculé du jour au lendemain à partir du moment où on a gelé mes avoirs. Mon état d'esprit ne peut qu'être très bas.
Avec donc cette situation, comment vous portez-vous, du point de vue santé ?
Pendant un an, du fait que je me sois soignée de façon épisodique, que je ne me sois pas nourrie comme il faut, avec le stress de la guerre et des risques concernant ma sécurité et celle de mes enfants, je commence à vivre les complications du diabète qui est en train de me détruire. J'ai déjà fait une paralysie de mon bras gauche il y a trois semaines, j'ai des douleurs dans les jambes, etc. Je me déplace difficilement. Je ne peux pas sortir pour des raisons de sécurité pour marcher pour faire du sport. Donc, vraiment, je suis en train de mourir à petit feu. Heureusement qu'il y a mon Dieu qui me soutient puisque depuis février, c'est Lui qui a permis à un certain nombre de personnes de venir chaque fois apporter un peu d'argent pour que j'achète des médicaments. J'étais même réduite, il y a un mois, à chercher des génériques partout parce que je n'avais pas suffisamment d'argent pour acheter les médicaments spécifiques du diabète.
Vous avez, selon vos proches, menez des démarches auprès des autorités pour le dégel de vos avoirs, mais le porte-parole adjoint du parquet que nous avons joint la semaine dernière se demande si vous avez mené les démarches qu'il faut ?
Il ne faut pas oublier le contexte dans lequel on évoluait. Aujourd'hui, c'est assez aisé, même de parler de ma maladie, raison pour laquelle vous et moi, on se rencontre pour faire une interview. Mais, je vous ramène au mois de mai 2011, juste un mois après que le Président Laurent Gbagbo a été arrêté, aller faire une audition au palais de Justice relevait vraiment d'une audace. Je l'ai fait plus tard parce que dans mon fort intérieur, je n'ai rien à me reprocher et je me suis dis : « Là-bas au moins, on m'expliquera pourquoi mes comptes ont été gelés ». Mais, lorsque je suis allée faire l'audition, on ne m'a rien dit d'autre. Et un jour on m'a dit: « Ok, on transmettra, et on vous appellera ».
Le substitut du procureur Djè Noël affirme que vous n'avez certainement pas joint un certificat médical à votre demande de dégel de vos avoirs ?
Une audition, ce n'est pas le lieu de dire que vous êtes malade. Et pour moi, je n'ai jamais pensé que le gel de mes avoirs aurait duré un an. Pour moi, cela allait durer le temps qu'on se remette du chaos de la guerre, et puis une fois que les choses allaient commencer à se normaliser on allait regarder dans les dossiers et se rendre compte qu'on a gelé mon compte pour rien, et que je n'étais pas un acteur majeur de cette guerre qui m'a autant touchée comme tous les Ivoiriens. Je n'étais donc pas allée là-bas pour exposer ma petite vie. Je me suis donc dit : « Tu fais l'audition et si on regarde dans le dossier et qu'il n'y a rien, on va remettre ton argent en place ». Alors, plusieurs mois sont passés, chaque fois, je demandais au procureur « de quoi il était question parce qu'on dit qu'il aura une liste de dégel ». Il me répondait toujours que « ton nom n'est pas dessus. Attends la semaine prochaine, attends la semaine prochaine ». Puis, un autre jour, lorsque je l'ai appelé, il m'a dit : « Ah, non, non, non !!! Pare ce que quand on dit le nom des autres, on accepte, mais quand on évoque votre nom, on dit : Ah non non, non!!! Et une fois même, il a été demandé que votre dossier soit transmis à la Primature ». Je ne savais plus où j'en étais, jusqu'à ce que je décide que je n'ai plus personne à appeler. Je regarde le Seigneur Jésus-Christ, le jour où il décidera, ça va se faire. Puisque si le procureur même qui est en train de dégeler les avoirs me dit qu'il ne sait pas pourquoi le mien n'est pas fait, je ne sais pas à qui vous voulez que je me confie. Ensuite, il y a presque trois semaines, on m'a dit d'adresser une requête au procureur. J'ai demandé « une requête, c'est quoi », et on m'a dit de faire une lettre au Procureur. J'ai fait la lettre qui est dans le circuit. Aux dernières nouvelles, elle est en train d'aller au cabinet du ministre de la Justice. Peut être un de ces jours, j'aurai un retour. (…) En somme, rien ne justifie tout cela. Je suis journaliste. J'ai, comme ils le disent, le tort d'être à un endroit au lieu de là où ils souhaiteraient que je sois. Voilà, sinon, je ne vois vraiment pas ce que j'ai fait qui peut faire en sorte qu'on m'en veuille autant. Parce qu'il y a des acteurs majeurs, des politiciens, qui ont pris des positions bien claires et tranchées dans ce pays et dont les comptes ont été dégelés. Moi, je n'ai jamais fait de meeting, je n'ai pas de carte de parti politique, je ne vois pas pourquoi on s'acharne sur moi. On dégèle même les avoirs de certains journalistes, certaines personnes de la communication et moi, je suis encore là.
« Des quatre coins du monde, on m'appelle et ça me fait chaud au cœur. »
Vous étiez, dit-on, très liée au président Gbagbo ?
Oui, mais être liée à quelqu'un ne veut pas dire que vous faites des meetings politiques ensemble. Je peux être liée à vous, parce qu'on a des affinités en tant que journalistes, mais lorsque vous allez demain, au meeting du Rdr, je ne suis pas concernée. Voilà, il faut qu'on fasse la part des choses. On ne peut pas me reprocher ce qui est un fait avéré. J'ai été nommée Conseiller spécial de M. Laurent Gbagbo, alors Président de la République. Donc, je ne peux pas renier le fait que je sois proche de lui. Voilà, c'est une querelle qu'on me fait qui n'a pas de sens. Et je ne le renie pas, j'étais proche de lui mais je n'étais pas proche de ses convictions politiques. Je ne fais pas de politique. Devant la nation, je ne peux pas dire que je ne le connais pas et que je ne l'ai jamais connu. Ce n'est pas vrai. On ne peut pas être conseiller de quelqu'un pendant deux ans, le fréquenter, manger à sa table et puis dire qu'on ne le connaît pas. Maintenant, si on me reproche d'avoir accepté la nomination, ça, c'est un autre débat.
Quel bilan faites-vous des actions qui sont menées, tant en Côte d'Ivoire que dans le monde, pour vous venir en aide ?
Aujourd'hui, la réaction est simplement extraordinaire. Les gens sont merveilleux. Ils font beaucoup de dons, des médicaments. Ça fait à peine quelques jours et je suis à peut être quatre à cinq mois de médicaments dont j'ai besoin. Il n'y a pas mal de personnes qui m'ont apporté de l'argent. Il y a également des personnes qui ont donné des cautions dans des pharmacies afin que je puisse me servir en médicaments s'il y a urgence, etc. C'est vraiment merveilleux. Des quatre coins du monde, on m'appelle et ça me fait chaud au cœur. A travers vous donc, je remercie toutes ces personnes, que Dieu les bénisse. Je remercie surtout vous, mes confrères qui ont osé en parler, parce que c'était comme s'il y avait une omerta. Moi, je suis une Ebony et aujourd'hui, je suis traitée comme une criminelle. Pourtant, je suis une des meilleures journalistes de ce pays puisque j'ai été Ebony. Ça aussi, on ne veut pas me le reconnaître. Moi, j'ai des soucis. L'Unjci (Union nationale des journalistes de Côte d'Ivoire : Ndlr) qui est censé me représenter n'a même pas bougé le petit doigt. Même s'enquérir de ma situation, elle ne l'a pas fait. Même pour savoir si j'étais encore en vie parce que cette union était au courant de toutes les menaces qui planaient sur ma vie. Le président de l'Unjci était même à la présentation des vœux au président de la République. J'avoue, franchement, que j'avais espéré secrètement que le Président de l'Unjci allait poser la question concernant mon cas au chef de l'État. Et je suis sûr que le président de la République espérait, lui aussi, cette question. Elle n'est jamais venue. Mais ce n'est pas grave, parce que l'opinion internationale le sait. Quand Reporters sans frontière prend position pour moi et demande qu'on lève le gel de mes avoirs, et m'apporte une aide financière, c'est une grande satisfaction. Lorsque j'étais en activité et que je lisais les dépêches, j'avoue que je disais, parlant de Reporters sans frontières, « mais ces gars-là sont tout le temps, en train de se mêler de ce qui ne les regarde pas ». Mais aujourd'hui, c'est Reporters sans frontières qui prend position pour moi. Je me repens donc de tout ce que je disais et je reconnais que leur combat est noble parce que quand les miens m'ont abandonnée, c'est eux qui ont reconnu que j'étais en train de souffrir. Merci aussi à vous sur place, vous qui avez écrit des articles, vous qui vous êtes déplacés pour venir chez moi. Mais surtout, la section ivoirienne du Cipj (Comité international pour la protection des journalistes) et son secrétaire général Stéphane Goué, qui ont dit : « On vient te voir parce qu'après Hermann Aboa, il faut qu'on s'occupe de toi », et cela m'a fait chaud au cœur. C'est ensemble qu'on a mené cette opération. J'ai d'ailleurs demandé à Stéphane Goué et au Cipj de coordonner toutes les actions en ma faveur. Je veux également remercier des personnes qui vont se reconnaître que je n'ai pas envie de citer, qui ont lancé cette affaire sur Facebook. Notamment une amie qui est au Kenya qui a mobilisé tout son réseau d'amis. C'est vraiment formidable. C'est une grande famille qui s'est développée autour de moi. Je crois que c'est Dieu qui est en train de se manifester. Mais, je répète encore, in fine, ce que nous souhaitons, c'est que les autorités dégèlent mes avoirs. C'est ça le but de l'opération. Ce n'est pas de la mendicité, il ne s'agit pas de demander de l'aumône mais c'est juste qu'on me donne ce à quoi j'ai droit pour mener une vie normale avec mes enfants. Je suis diabétique depuis 1998 et donc s'il n'y avait pas une telle situation, personne n'aurait su que je suis diabétique parce que je n'aurais pas demandé de l'aide. J'ai mon salaire, je paye mes médicaments et je vie avec la maladie depuis longtemps. Mais c'est parce qu'on a gelé mes avoirs et que je n'ai pas d'argent que les problèmes ont commencé. Voilà le but de l'opération. Mais surtout, et j'insiste, je souhaiterais que, dans cette chaîne de solidarité, il n'y ait pas de récupération politique. Je suis en train de payer pour ce que je n'ai pas fait. Donc, je ne peux pas être plus royaliste que le roi, je ne veux pas d'aide politique. L'aide sociale, la compassion n'a pas de couleur politique. Donc, je ne veux pas d'aide d'une organisation qui a une connotation politique. Je ne cite aucun nom mais que celui qui a des oreilles entende. Qu'on laisse les âmes généreuses s'exprimer, venir en aide à leur sœur, à leur fille, en entendant que les autorités dégèlent mon compte car j'ai foi qu'elles font le faire. C'est cela le vrai combat.
Interview exclusive d'Awa Ehoura. Propos recueillis par Claude Dassé - Soir Info 23 janvier 2012
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