mardi 13 décembre 2011

Un symbole national disparaît



Présidente fondatrice de la Nouvelle COCOPROVI, membre du Conseil économique et social, vice-présidente du Conseil général de Zuénoula, Irié Madeleine Zamblé-Lou nous a quittés dans la nuit du 27 novembre 2011. Celle qui était, depuis 1996, un véritable monument national sera inhumée à Manfla, département de Gohitafla, le 17 décembre.

A la fin de chaque année, le quotidien gouvernemental Ivoir'Soir, aujourd'hui disparu, invitait ses lecteurs à désigner « l'homme de l'année », c'est-à-dire la personne qui s'était particulièrement signalée au cours de l'année soit par son civisme, soit par un exploit sportif particulièrement remarquable. Pour 1996, à la surprise des organisateurs, leur choix se porta sur une femme, disait ce journal, « courageuse quoique analphabète ».
Cette femme, c'était Madeleine Zamblé-lou Irié, la présidente de la Coopérative de commercialisation des produits vivriers (COCOPROVI), et la principale animatrice du « marché gouro » d'Adjamé. Un marché qu'elle avait fondé presque seule, en 1983, sur un terrain public concédé à l'amiable par le maire de l'époque et qui, au fil des ans, était devenu une véritable institution nationale.
Ce qui lui valut cette distinction, c'est la victoire qu'elle avait remportée quelques semaines plus tôt sur un certain Kalil Farès, Ivoirien d'origine libanaise et commerçant cossu – c'est presque un pléonasme –, qui prétendait déguerpir le « marché gouro » de l'espace qu'il occupait en brandissant, outre un titre de concession en bonne et due forme à lui attribué par le ministère de l'Environnement, de la Construction et de l'Urbanisme, un alléchant « projet d'investissement » dans lequel devaient participer, selon lui, des bailleurs de fonds basés en Suisse et en France… Le genre d'argument auquel les soi-disant décideurs ivoiriens profilés Houphouët étaient incapables de résister !
L'affaire était déjà aux mains de la Justice et menaçait de mal tourner pour la COCOPROVI, qui ne pouvait produire aucun titre légal d'occupation, quand, devant la détermination des coopératrices soutenues par la population, l'Etat en la personne de son chef, alors Henri Konan Bédié, se vit obligé de prendre position : « le « marché gouro » restera à sa place, pour le moment, et on trouvera un autre terrain pour les mirobolants « projets d'investissement» du citoyen Farès… ». Ce qui s'appelle couper la poire en deux !
Recevant une délégation des marchandes venues le remercier au lendemain de son arbitrage, Bédié leur intima l'ordre de ne plus « faire de la politique au marché ». Le choix des lecteurs d'Ivoir'Soir était au contraire un encouragement à en faire. « Il est important, précisait l'un d'eux, à l'heure où l'on crie : ivoirité, patriotisme, que l'Ivoirien puisse choisir la personne qui incarne le mieux ce modèle». Ce sont de ces petits faits qui montrent qu'une opinion publique informée, vigilante et indépendante des appareils politiques, commençait à faire sentir son influence sur les attitudes et les décisions des hommes au pouvoir.
Cependant, l'affaire ne prit pas fin avec l'arbitrage ambigu de Bédié. Le nommé Kalil Farès revint souvent à la charge sans toutefois réussir à déguerpir le « marche gouro ». Bien après la chute de Bédié, quand Charles Konan banny devint Premier ministre, un Premier ministre dont apparemment beaucoup d'affairistes espéraient toutes sortes de faveurs, Farès lui adressa une missive dans laquelle il se plaignait amèrement de ce qu'il considérait toujours comme une injustice dont il était la victime : « C'est moi qui suis le propriétaire du terrain sis à l'ilôt n° 82 à Adjamé-Nord, lopin de terre appelé communément « marché gouro ». Mon affaire a défrayé la chronique en 1996. En effet, j'ai acquis en 1992, sous l'ère du ministre de la Construction M. Ezan Akélé, l'arrêté N° 265 M.E.C.U D.CU SDAHPC m'accordant le permis de construire et inscrit au journal officiel N° 23 du jeudi 8 juin 1995 puis légalisé par le secrétariat général du gouvernement. Et un conseil des ministres a prouvé que le terrain m'appartient. » Rien n'indique que ce processif opiniâtre Libano-Ivoirien eut plus de succès avec C. Konan Banny qu'avec ses prédécesseurs. Et c'est la meilleure preuve que la résistance des femmes du « marché gouro » n'avait pas été vaine.
Quant à Madeleine Zamblé Lou Irié, après l'épisode glorieux de 1996, elle connut quelques déboires sérieux, qui n'étaient sans doute pas sans rapports avec sa fonction et son rôle d'animatrice du « marché gouro ». En effet, peu de temps après sa consécration, sa maison brûla avec tout ce qu'elle contenait. Elle-même et sa fille faillirent y perdre la vie. Mais ce ne fut pas assez pour lui faire perdre courage ni pour la faire renoncer à son combat.

Madeleine Irié, ton histoire nous rappelle que seule la lutte paie.
Repose en paix.
Marcel Amondji

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