Le « gamin en or » (pibe de oro) Diego Maradona est mort d’une crise cardiaque à l’âge de soixante ans, quatre ans jour pour jour après Fidel Castro. Nous rediffusons le billet qu’Olivier Pironet consacrait à ses engagements politiques. « Maradona n’a jamais cherché à dissimuler ses sympathies pour le chavisme comme pour le socialisme latino-américain
https://blog.mondediplo.net 25 novembre 2020
MARADONA,
LA POLITIQUE EN CRAMPONS
L’Argentin
Diego Maradona, figure mondiale du football, fait l’objet d’un nouveau film
documentaire réalisé par le cinéaste britannique Asif Kapadia. Il sera projeté
ce 19 mai au Festival de Cannes. L’ancien joueur, qui s’est souvent
illustré par ses frasques en dehors du terrain, est également un homme très
ancré à gauche. Et qui ne s’en est jamais caché, au risque de… déplaire. Retour
sur trente ans d’engagements.
Extrait
du film « Diego Maradona » (2019) © M2R Films
L’ex-prodige du ballon rond Diego Armando
Maradona, actuel entraîneur de l’équipe mexicaine des Dorados de Sinaloa, a
récemment écopé d’une amende par la fédération de football du Mexique. Il
faisait l’objet d’une procédure disciplinaire pour manquement à la « neutralité
politique et religieuse » qu’impose le code éthique de l’instance
sportive. Son « forfait » ? Le 31 mars dernier, lors de la
conférence de presse organisée après un match remporté par les Dorados, l’Argentin
a tenu à « dédier ce triomphe à
Nicolás Maduro [le président du Venezuela] et à tous les Vénézuéliens
qui souffrent ». Il en a profité pour étriller les États-Unis de
M. Donald Trump, responsables à ses yeux de la crise que traverse
Caracas : « Les shérifs de
la planète que sont ces Yankees croient qu’ils peuvent nous piétiner parce
qu’ils ont la bombe la plus puissante du monde. Mais non, pas nous. Leur tyran
de président ne peut pas nous acheter »[1].
Le « gamin en or » (pibe de oro) — le surnom de Maradona en raison de son génie précoce né sur les terrains vagues du bidonville où il a grandi — n’en est pas à son premier coup d’éclat en faveur de M. Maduro. En tout début d’année, il a publié sur les réseaux sociaux un message de soutien à l’attention du chef de l’État vénézuélien, en butte à la contestation conduite par M. Juan Guaido, autoproclamé « président par intérim » avec la bénédiction de Washington : « Malgré les traîtres et l’impérialisme qui veulent gouverner le Venezuela, le peuple a réélu Nicolás Maduro à la présidence. Hugo Chávez nous a montré la voie et cette voie c’est Nicolás Maduro (…). Ils n’ont pas réussi avec Fidel [Castro], ils n’ont pas réussi avec Hugo, encore moins avec vous. Le Venezuela vaincra ! » Au cours de la campagne présidentielle vénézuélienne de mai 2018, l’ancien numéro 10 argentin est allé jusqu’à « mouiller le maillot » : il s’est rendu en personne au dernier meeting de M. Maduro, à Caracas, et s’est présenté à la tribune comme son « soldat ». En août 2017, alors que le Venezuela connaissait de graves violences, il lui avait déjà témoigné son appui, se disant même « chaviste jusqu’à la mort ».
Extrait du film « Diego Maradona » (2019) © M2R FilmsL’ancien champion du monde n’hésite pas non
plus à s’exprimer sur le conflit israélo-palestinien. Au président de
l’Autorité palestinienne, M. Mahmoud Abbas, qu’il rencontre à l’occasion
de la finale du Mondial de football en Russie, à l’été 2018, Maradona
déclare : « Dans mon cœur,
je suis palestinien ». En 2012, évoquant la lutte des
Palestiniens contre l’occupation israélienne, il confie : « Je les respecte et je les
comprends ». Et lorsqu’un déluge de feu s’abat sur Gaza au cours de la
guerre lancée par Tel-Aviv contre le territoire côtier, en juillet-août 2014
(plus de 2 200 morts, dont 75 % de civils), il donne de la voix
pour dénoncer les massacres : « Ce
qu’Israël fait aux Palestiniens est honteux »[5].
Toutes ces prises de position détonent dans
l’univers du ballon rond, où la plupart des sportifs réfléchissent au moins à
deux fois avant d’afficher leurs préférences politiques, à l’exception récente
de plusieurs footballeurs brésiliens. Lors de la dernière élection
présidentielle au Brésil, de célèbres joueurs — Neymar, Ronaldinho,
Rivaldo, Cafu, etc. — ont ainsi apporté publiquement leur appui au
candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro[6],
élu à la tête du pays le 28 octobre 2018. Le cœur de Maradona,
penche, lui, pour l’ex-président socialiste Luiz Inàcio Lula da Silva.
Emprisonné pour corruption à l’issue d’un procès controversé et banni du
scrutin présidentiel de 2018, dont il était donné grand favori,
« Lula » a reçu son ferme soutien : « Ils ont volé la présidence à Lula ! »[7].
Ce dimanche 19 mai 2019, Diego Maradona devait se rendre au festival de cinéma de Cannes, pour la projection d’un film documentaire consacré à ses années napolitaines[8], mais il a dû annuler sa venue au dernier moment pour raisons de santé[9]. Nul doute que sa présence aurait attiré les foules, en raison de la fascination qu’il continue d’exercer. Il est très probable également que certains auraient surveillé de près ses déclarations et veillé à ce que l’idole des stades ne commette pas de « dérapages idéologiques » : à l’heure où les médias et une bonne partie de la classe politique brandissent la menace du « populisme de gauche », cela aurait forcément fait mauvais genre sous les ors du Palais des Festivals.
Oliver
Pironet - Le Monde diplomatique, mai 2019
Source : https://blog.mondediplo.net 25 novembre 2020
[1] - Lire « Dans mon cœur, je suis
palestinien, a déclaré le footballeur Maradona à Abbas », The Times of
Israël, 16 juillet 2018.
[2] - Sur
Jair Bolsonaro, lire notamment Renaud Lambert et Pierre Rimbert, « Davos applaudit un
fasciste », Manière
de voir, n° 164, « Tous populistes ! »,
avril-mai 2019.
[3] - « Lula, la balle au
prisonnier », Libération,
20 juin 2018.
[4] - Diego Maradona, d’Asif
Kapadia, sortie nationale en salles le 31 juillet 2019.
[5] - Cet article a été modifié
le 19 mai 2019 après l’annulation du déplacement de Diego Maradona.
[6] - Du nom de l’Alliance
bolivarienne pour les Amériques (Alba), une organisation de coopération
régionale lancée en décembre 2004 par Cuba et le Venezuela, puis rejointe
un an plus tard par la Bolivie.
[7] - Voir le documentaire
d’Emir Kusturica, Maradona (2008).
[8] - « Venezuela : Maradona se recueille sur la tombe de Chavez avant la présidentielle », AFP, 13 avril 2013.
[9] - Cf. « Diego Maradona podría ser
sancionado por dedicarle una victoria a Maduro y criticar a Trump », TN,
3 avril 2019. Lire aussi Julia Buxton, « Où va l’opposition au
Venezuela ? », Le
Monde diplomatique, avril 2019.
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