soudan français : les pratiques de la conquete
coloniale.
par ibrahim
maïga
« Civilisation, civilisation, orgueil
des Européens, et leur charnier d’innocents. Rabindranath Tagore, le hindou, un
jour, à Tokyo, a dit ce que tu étais poète! Tu bâtis ton royaume sur des
cadavres. Quoi que tu veuilles, quoi que tu fasses, tu te meus dans le mensonge ». René Maran (préface de Batouala)
Les officiers coloniaux qui ont conquis l'Afrique
n'avaient pas que le canon et le fusil. Jeunes, pour bon nombre d'entre eux,
ils sont tombés sous le charme des Africaines qu'ils ont prises comme
concubines. Ils parlaient de « mariages à la mode du pays ».
Léon Faidherbe |
Faidherbe a débarqué sur les côtes sénégalaises en tant que célibataire. Il
n'a pas mis longtemps à se retrouver avec Dioncounda Sidibé, une jeune
Khassonké, la mère de son premier fils né en 1857. Léon sera ensuite confié à la
« vraie » épouse de Faidherbe. Après une scolarisation normale, il est devenu
officier. Mais même étant fils de Faidherbe, il ne pouvait être qu'un
subalterne. Il ne put intégrer l'armée que dans le corps des tirailleurs
sénégalais. À 24 ans seulement, il est mort, victime de la fièvre jaune en
1881. Certains historiens disent qu'il s'est suicidé, n'ayant jamais pu
accepter son statut social. Car il était l'objet d'un double rejet. Pour les
marchands et les militaires français, il n'était qu'un « nègre ». Pour les Métis
de la côte, qu'on appelait « mulâtres », il n'était que l'héritier de son père
qui toute sa vie n'a œuvré qu'à consolider la suprématie économique des
Français.
Quant à Archinard, il partait en campagne quasiment avec un harem. Il avait
une addiction pour les jeunes filles entre 15 et 17 ans. Le lieutenant Thiriet
qui l'accompagnait lors de la conquête de Ségou, est formel dans son témoignage
sur les pratiques fines de son chef. À Ségou, Archinard était devenu le
beau-frère et le gendre de tous les Peuls, parce que sa compagne la plus
célèbre s'appelait Bintou Kanté.
Les conquérants colonisateurs étaient de véritables prédateurs, des
polygames qui n'ont pas pu tous effacer les traces de leur séjour africain. Le
régime tout trouvé était celui des « mariages à la mode du pays », des unions
temporaires. Le Docteur Louis Joseph Barot, médecin au service des troupes
coloniales, a même élaboré en ce sens un manuel intitulé : « Guide pratique de l'Européen dans l'Afrique occidentale : à l'usage
des militaires, fonctionnaires, commerçants, colons et touristes ».[i]
L'ouvrage était tellement précieux que l'auteur a pu compter sur la
collaboration du Commissaire principal Desbordes, du capitaine Meynier,
de l'Armée coloniale, du professeur Chalot, du Jardin colonial, du
vétérinaire en premier Pierre et de Gimet-Fontalirant, ancien chargé de mission
coloniale. Binger, directeur de l'Afrique au ministère des Colonies, en a assuré
la préface.
L'auteur a une forte recommandation : «
Pour ceux qui n'ont pas la force morale nécessaire pour supporter la continence
absolue, il n'y a qu'une ligne de conduite possible, c'est l'union temporaire
avec une femme indigène bien choisie. » Les mots sont bien pesés car il est
attendu de cette « indigène bien choisie » de pouvoir « distraire, soigner,
dissiper l'ennui. Elle devait aussi faire que l'Européen ne sombre dans
l'alcoolisme et la dépravation sexuelle ».
Francis Somonis, de l'université de Provence, a étudié le phénomène dans sa
construction. Il parle de véritables « polygames de la République ». Pour lui,
cette relation entre les Européens d'alors tenait beaucoup plus du droit des
vainqueurs sur les femmes que d'un échange centré sur l'amour. Il est vrai que
pour les militaires en campagne, le partage des « mousso », terme qui désigne
la femme en bambara, était une étape essentielle du partage du butin de guerre.
Le chef récompensait la troupe sur la bête : les femmes et les esclaves. Les
objets de valeur étant réservés au chef lui-même. Il en a été ainsi quand
Archinard a vaincu Amadou, le fils d'el haj Oumar Tall à Ségou, le 6 avril
1890. À son compagnon, Mademba Sy, il a attribué directement Djeynabou, la
fille du sultan vaincu. Il finira par installer Mademba à la tête d'une
principauté viagère à Sansanding. Il va ensuite se mettre à casser
littéralement du Toucouleur partout. Il fait des constats singuliers dans ses
comptes rendus à ses chefs : « Les
soumissions des Toucouleurs sont longues à venir, mais viennent. Je ne peux […]
expulser complètement les Toucouleurs. […] Faites exécuter quand même les 44
Toucouleurs de Ségou qu'on voulait vous cacher. Cela effraiera et poussera les
autres à venir à moi et à se soumettre pour avoir quelque sécurité. […]
Parcourez les villages et si vous trouvez des Toucouleurs […] donnez leurs
biens aux Bambaras et exécutez jusqu'à ordre contraire ».[ii]
Il poursuit : « J'aurai voulu faire
disparaître l'élément Toucouleur fanatique et dangereux [....]. Restait la
guerre d'extermination, elle était possible […], il suffisait de la permettre
aux Bambaras du Bélédougou [....] en dehors de la question d'humanité [.]
quoique l'humanité bien comprise exigerait la destruction des Toucouleurs,
d'autres risques m'ont empêchés de m'arrêter à l'idée de l'extermination.[....]
Il aurait fallu occuper longtemps le pays avec des forces importantes [....] il
aurait fallu soutenir ces derniers [les Bambaras], il aurait fallu par
conséquent n'avoir d'autres soucis que ceux du Kaarta [....] ».[iii]
Quan, après Ségou, Archinard s'attaque à Bandiougou Diarra de Ouéssébougou,
il répétera le même exercice. À Koumi Diossé Traoré de Kolokani, son allié de
circonstance, il donne une fille de Bandiougou. Les autres femmes et les
guerriers pris sont distribués ensuite entre les Européens et les tirailleurs.
Le colonel Bonnier, une fois à Tombouctou, ne fera pas autre chose. Il capture
toutes les belles femmes et tout le bétail des Touaregs, ce qui finira par
causer sa mort à Tacoubao.
La colonisation a aussi favorisé la prostitution avec la prolifération des
bordels militaires de campagne. Ces maisons de tolérance sont suivies par la
hiérarchie militaire qui s'assurait du suivi médical des prostituées.
La République française a prétendu
coloniser l'Afrique au nom de la civilisation, sa civilisation. Dans les faits,
elle n'a produit que des contre-valeurs. En ces temps où l'heure est à la
révision, il importe de situer le centre de la vertu.
Source : lebanco.net 23 novembre 2019
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