« Une armée à réformer », tel est le titre d’un
article de notre compatriote, Arthur Banga[1]. Si le sujet de l’article est intéressant, le texte nous a paru
un peu trop aseptisé. Chose que nous ne saurions reprocher à l’auteur, surtout
s’il souhaite voir un autre de ses papiers publiés par Béchir & Co. Ayant
une plus grande marge de manœuvre dans l’expression que notre auteur, nous nous
permettrons de commenter certaines parties de ce texte.
En parlant d’armée, je suppose que l’auteur y incluait la police
et la gendarmerie, dans la lorsqu’il affirme que « les tensions liées aux
élections peuvent déboucher sur des situations de maintien de l’ordre (marches
non autorisées, arrestations) lors desquelles les forces de sécurité devront
agir de manière prudente et mesurée, sous peine d’entamer davantage la
confiance – déjà mise à mal – entre l’armée et la nation ». Entendre
l’auteur dire : « …sous
peine d’entamer davantage la confiance – déjà mise à mal – entre l’armée et la
nation » donne l’impression qu’il
s’agit de la population dans sa totalité. Ce que nous trouvons excessif car, s’il
y a une partie de la population qui lui fait encore confiance, pour une autre,
il n’existe plus rien entre elle et cette armée.
Par le passé, le point de friction entre la population et son
armée se résumait à cette image du policier et du gendarme racketteurs sur nos
routes. Depuis 2011, certains faits semblent indiquer qu’entre une frange de la
population et son armée, la confiance relève du passé. Une raison de cette perte
de confiance est liée à l’image qu’elle-même et ses dirigeants renvoient
d’elle. Cette armée renvoie d’elle plus l’image d’une milice que l’image d’une
armée nationale, tant elle s’identifie au parti au pouvoir et à la région à
laquelle ce dernier lui-même semble vouloir s’identifier : « le Grand
Nord ». En effet, la majorité des noms des admis aux concours d’entrée
dans les écoles des forces de sécurité, tout comme les patronymes dans les listes
d’officiers promus qui circulent sur la toile, sont majoritairement originaires
du Nord du pays. Même si cette situation est une traduction de la politique
assumée de rattrapage ethnique chère à son chef suprême, cela n’est pas fait
pour inviter les non originaires du Nord à se reconnaître dans cette armée.
Comme pour justifier le caractère d’armée ethnique, nous avons eu droit à des
faits très peu honorables pour elle. Parmi ces faits figure en bonne place,
cette vidéo encore présente sur la toile, dans laquelle nous voyons Issiaka
Ouattara, alias Wattao, parler en Bambara à des soldats, en plein camp de la Garde
républicaine de Treichville. Peut-être aurais-je partagé l’optimisme d’Arthur
Banga si, de retour de ses meetings lors des municipales 2018 à Madinani et à Séguelon
(où sa femme, Djénéba Touré, était la candidate du RHDP), Zacharia Koné avait
écopé d’une lourde sanction, voire d’une radiation de l’armée après les propos
en bambara qu’il a tenus sur la place publique. Mais il ne fut point inquiété, tout
comme en 2012 quand il se présenta en tenue de dozo aux côtés du ministre de l’Intérieur en plein quartier du
Plateau. Cerise sur le gâteau, quelques
mois avant les sorties électorales du sieur Zacharia Koné, précisément en Mars
2018, celui qui fait office de chef de l’Etat ivoirien avait donné l’ordre au
chef d’état-major de l’armée et au commandant supérieur de la gendarmerie,
de procéder à la radiation d’éléments de nationalités étrangères de leurs rangs
respectifs. Vous rendez-vous compte ? Après pareil aveu, n’avons-nous pas
là l’explication de la disparition, depuis l’arrivée de cette équipe aux
affaires, du « N » de Nationales
dans le sigle originel de l’armée ivoirienne, qui a fait de nos Forces Armées
Nationales de Côte d’Ivoire (FANCI) d’antan leurs Forces Armées de Côte
d’Ivoire (FACI) d’aujourd’hui ?
Une autre cause de cette profonde crise de confiance entre l’armée
et la population, c’est la dévalorisation de sa fonction première, celle
d’assurer la sécurité des biens et des personnes. Cette dernière est mise à mal
par ses dirigeants. Comment avoir confiance en des forces de sécurité, dont
l’activité principale, la sécurité, est sous-traitée à des dozos ou à des civils armés, dans certaines zones du pays, avec la
bénédiction de ceux qui en ont la responsabilité ? La dernière histoire
invraisemblable dont j’ai eu vent en est une parfaite illustration. Il s’agit
de la situation sécuritaire de la sous-préfecture de Sérihio[2],
dans la région de Gagnoa. D’après les propos tenus le 11 Juin 2019 par le chef
de ce village, la sous-préfecture est, depuis 2011, sous le contrôle de
personnes armées originaires de l’Afrique de l’Ouest qui, tellement à l’aise, y
ont interdit depuis un an l’accès de cette zone à la police et à la gendarmerie
au nez et à la barbe du sous-préfet et du préfet de région. Ces derniers se
contentant de demander aux populations de prendre leur mal en patience.
Depuis 2011, les Ivoiriens ont pris l’habitude d’écouter ce genre
d’histoire, qui ne semble plus les choquer. Comment alors demander à des
populations de mettre leur confiance en des forces de sécurité dont l’image et
l’autorité sont aussi abimées ? Ne comptons même pas les cas où des
citoyens ayant des différends avec des militants bien en cour du parti au
pouvoir, sont intimidés par des « hommes en tenue » envoyés par ces
derniers.
Une conséquence de cette situation, est le développement d’actes
de justice populaire dans le pays. Aujourd’hui, plus besoin d’aller au Nigeria
pour voir des scènes de lynchage à mort de vandales ou d’immolation de ces
derniers par les populations. Un tour dans des quartiers comme Attécoubé,
Yopougon, Abobo, ou la lecture de la rubrique faits divers des journaux
nationaux, sont suffisants pour vivre ces horreurs. Ces actes, qui traduisent,
de la part des populations, un déni du rôle sécuritaire des forces dites de
sécurité, s’accompagnent aussi d’actes de défiance publics auparavant
impensables. Le 23 Juillet 2019, une policière de l’Unité de Régulation de la
Circulation se faisait agresser par un monsieur alors qu’elle était dans
l’exercice de ses fonctions. Ce 4 Août 2019, la brigade de gendarmerie de
Djékanou était saccagée par les populations des villages de N’dakouassikro et
Gbankokro parce que les gendarmes avaient arrêté un des leurs, qui avait précédemment
agressé un gendarme… La violence subie par cette brigade de Djékanou vient
s’ajouter à la longue série des violences qu’ont subi d’autres brigades et des commissariats
de police dans le passé. Nous avons encore en mémoire, les cas de la brigade de
gendarmerie de Bouna et des commissariats de police de Yamoussoukro et de
Katiola, en 2016 et 2017, pour des actes plus ou moins similaires. Dans le cas
de Katiola, il a même fallu procéder à la délocalisation de tout le
commissariat, car le commissaire et ses agents n’étaient plus en sécurité dans
cette ville.
Nous avons essayé, à travers ces faits non exhaustifs, de montrer
que pour une frange de la population, plus besoin de penser que quelque chose
pourrait «…entamer davantage la confiance ». Car, cette dernière a
depuis longtemps fait place à l’indifférence et, même, à la défiance.
Poursuivant son développement, Arthur Banga affirme que : « la
prolifération et la dangerosité des menaces sécuritaires liées à la poussée des
groupes terroristes sahéliens vers le sud du Burkina et du Mali, avec son
corollaire de conflits intercommunautaires, rappellent que la Côte d’Ivoire est
dans l’œil du cyclone jihadiste ». En lisant ces lignes, j’ai cru lire un de ces nombreux
« experts » des médias dominants d’Occident. Tenir pareils propos,
voudrait dire que l’auteur croit en la pensée dominante, qui veut que le
terrorisme soit devenu, depuis un certain 11 Septembre 2001, une fin et non
plus un moyen comme par le passé. Partir de ce postulat, on arrive logiquement
à : « … la Côte d’Ivoire est dans l’œil du cyclone jihadiste ».
Par contre, si nous prenons le terrorisme pour ce qu’il a toujours été, à sa
savoir un moyen, l’analyse de la situation sécuritaire de notre région
changerait. Le terrorisme jihadiste, est un moyen, une carte de politique
interne et externe, entre les mains de puissances étrangères, via leurs
services de renseignements. Vu sous cet angle, on se rend compte que la Côte
d’Ivoire n’est plus « …dans l’œil du cyclone jihadiste », mais
pourrait l’être selon le bon vouloir des mandants des jihadistes. Le
développement des entreprises terroristes, s’inscrit dans un contexte mondial
caractérisé par un surendettement, voire une quasi faillite des puissances
occidentales, anciennes puissances coloniales, et une montée en puissance de
l’Inde et de la Chine avec sa politique du chéquier. Quand le terrorisme
jihadiste et les images de migrants en direction de l’Europe ont pour rôle de
tenir coites leurs populations, que ces puissances occidentales ont financièrement
fragilisé, elles utilisent cette terreur jihadiste à l’extérieur, surtout en
Afrique, pour occuper physiquement des zones curieusement riches, et donc
potentiellement exploitables, par d’autres puissances montantes. La subite
floraison de bases militaires américaines, françaises, allemandes, italiennes,
dans le sahel, après la destruction du « bouclier » Kadhafi et
l’« apparition » des Jihadistes, en est un exemple. Du coup, il n’est
désormais plus possible de prévoir l’exploitation de ces richesses sans elles.
En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, tout est une question de météo politique.
Le jour où la situation politique semblera échapper à la France, le pays
connaîtra, une véritable attaque terroriste. Loin de moi l’idée que les
attentats perpétrés ici et là ne sont pas vrais. Je dis en même temps que les
personnes fragiles et manipulables existent et qu’au passage, ces grandes
puissances ne verraient pas d’un mauvais œil la mort de certains de leurs
propres soldats ou compatriotes, si ces morts peuvent faire plus de «
croyants » à leur discours de lutte contre le jihadisme. Un rappel
historique pourrait m’aider à illustrer ma position. Pendant la guerre
d’Algérie, il y avait un mouvement opposé au départ des Français de ce pays. Il
s’appelait, la Main Rouge. Il
commettait des attentats, en France, en Algérie, dans le Maghreb, et en Europe.
Il y a eu des « spécialistes » de ce mouvement, des livres et des
articles, des émissions sur lui, etc. Résultats des courses, il est aujourd’hui
établi que cette organisation était une unité créée, composée et pilotée par
des éléments du SDECE[3]
français sous la direction du général Paul Grossin. Inutile donc de jouer à se
faire peur, les Ivoiriens doivent plutôt travailler à construire de façon
indépendante de véritables instruments de sécurité.
Quelques lignes plus loin, notre Arthur Banga écrit : « Les
promotions exceptionnelles résultant des accords de 2007 ont miné les efforts
accomplis pour parvenir à une pyramide des grades plus conventionnelle ». Je
n’ai pas pu m’empêcher de marquer ma surprise et même de douter de la bonne foi
de l’auteur. Comment peut-on imputer à une politique précédente l’échec de la
présente politique, surtout quand on sait que l’implémentation de la présente
politique s’est faite en pleine connaissance de l’existence de la
précédente ? Avait-on besoin de faire Polytechnique pour prévoir qu’il
serait difficile pour l’ancien patron de Chérif Ousmane de voir son chauffeur
d’hier en train de faire aujourd’hui une réunion d’état-major avec lui ? Qu’est-ce
qui empêchait le pouvoir actuel à remettre en cause ces « promotions
exceptionnelles » pour ne pas annihiler les effets de sa propre
« bonne » politique ? Et qui était le Premier ministre et
ministre de la Défense après le 11 Avril 2011 ? N’est-ce pas bien Soro, secrétaire
général du MPCI et signataire des Accords politiques de Ouagadougou en
2007 ? Ces grades, dans le passé, n’étaient-ils pas souvent appelés
« grades-Soro » ? Alors, qui était donc mieux placé que cet
individu pour appliquer son propre accord ? L’argument est franchement
spécieux. A vouloir forcément trouver des raisons atténuantes aux échecs des
actuels tenants du pouvoir, on finit par produire pareilles arguties.
"A ce carrefour, je vis une voiture de la Gendarmerie
nationale au volant de laquelle il y avait un homme blanc,
en tenue d’officier de la gendarmerie ivoirienne" |
Par contre, je suis d’accord avec Arthur Banga quand il dit : « Il doit
aussi prévoir la mise en place d’outils stratégiques – institut plus
fonctionnel et école de guerre ». Seulement, je pense que ces
propositions ne pourront pas se faire avec les présentes
« autorités », du fait de leur trop grande dépendance de la France. D’ailleurs
n’est-ce pas à cette dernière qu’ils doivent le pouvoir ? Au début de l’année
2012, j’ai revu, au carrefour dit « de la vie », une image que je
croyais ne plus jamais revoir. Ceux qui ont grandi à Bouaké, sauront de quoi je
parle. A ce carrefour, je vis une voiture de la gendarmerie nationale au volant
de laquelle il y avait un homme blanc, en tenue d’officier de la gendarmerie
ivoirienne. Ce monsieur ne pouvait être qu’un Français car, au lendemain du 11
Avril 2011, les hommes qui géraient les forces de sécurité ivoiriennes étaient
le général français Claude Réglat depuis la présidence, assisté du colonel Marc
Paitier qui, lui, agissait depuis la Primature. Cette image, tout comme la
prise en main de l’« armée » ivoirienne par ces officiers français, généra
en moi un mauvais pressentiment.
Malheureusement, cette angoisse allait se
renforcer avec l’annonce, en 2017, de la création d’une école contre le
terrorisme à Jacqueville par la France, et avec les actuelles négociations avec
les autorités étatsuniennes pour l’ouverture en Côte d’Ivoire d’une base américaine
de lancement de drones[4]. Pour
ce qui est de cette future académie avec la France, il est prévu que l’unité
des forces spéciales ivoiriennes y ait sa base. Pourquoi mettre cette unité stratégique
de l’armée ivoirienne en contact permanent avec une puissance étrangère ? Loin
de moi l’idée de ne pas vouloir établir des relations avec des puissances
militaires étrangères. Seulement, ces questions de sécurité nationale ne doivent
pas être traitées avec légèreté et sans stratégie. Cette mesure de prudence est
émise au regard de la sensibilité du sujet et de la faiblesse de certains
Etats. Aborder cette question sécuritaire sans précaution, peut hypothéquer dangereusement
l’avenir des générations futures. Un pays comme le Niger a déjà à lui seul, sur
son territoire, quatre (4) bases américaines, deux (2) bases Françaises, une
(1) base Allemande et un (1) embryon de base italienne. Avec pareille
configuration, serait-il exagéré de se demander si, dans les années à venir, le
choix des futurs dirigeants de ce pays ne se fera pas au siège de la Commission
Européenne à Bruxelles et/ou au Secrétariat d’Etat à Washington ?
Heureusement que la variable peuple garde toujours son caractère imprévisible. Aux
peuples de savoir en faire bon usage !
Nous avons voulu, à travers ces lignes et en
nous appuyant sur des citations d’Arthur Banga, montrer qu’il y a, pour un pays
comme le nôtre, une autre façon d’aborder les importante questions qu’il a
soulevées. Nous sommes dans un monde violent, dans lequel les intérêts pèsent
plus que l’amitié, et la gratuité relève de la gageure. Fort de cette réalité, la
compréhension et l’analyse les problèmes des autres pays, pourront nous être
d’un grand secours, dans la définition des approches de nos propres problèmes.
Habib Kouadja
[1]. Voir dans ce blog :
https://cerclevictorbiakaboda.blogspot.com/2019/07/une-armee-reformer-par-arthur-banga.html
[2]. Voir l’article « Serihio
abandonné aux bandits de grand chemin », in La Voie Originale
n°403 du Lundi 17Juin au Dimanche 23 Juin 2019 ; p. 5
[3]. Service de documentation extérieure et de contre-espionnage.
[4]. La Lettre du Continent, N°805 du 24 Juillet 2019.
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