Maintenant qu'ils font le buzz, je profite pour vous glisser un super article de VICE.COM sur mon dernier roman
toujours disponible dans toutes les bonnes libraires d'Abidjan et ailleurs dans le système solaire.
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PS : je ne porte pas plainte, bonne semaine à tous.
GAUZ
Une discussion avec Gauz, écrivain, né Armand Patrick Gbaka-Brédé en 1971 à Abidjan, peut vite prendre les allures d’un cours d’histoire et/ou d’un meeting politique. Du business des casques bleus en Afrique à la tragédie du Koursk, l’écrivain balaie tous les sujets avec un bagou de prof émérite. Il défend ses idées, calé derrière son ordi portable, un poil bravache et carrément attachant.
Quatre
ans après le succès de son premier roman « Debout-payé », dans lequel il parlait déjà de société de
consommation et d’immigration en faisant s’imbriquer les aphorismes d’un vigile
avec le récit de la décolonisation, Gauz est de retour avec « Camarade Papa ». Le roman aborde
les liens entre la Côte d’Ivoire et la France à travers la voix d’un enfant
noir des années 70 élevé par des parents communistes, et celle d’un colon blanc
de la fin du XIXe.
« Il faut casser les classes sociales. Ce n'est pas une
question de couleur, c'est une question de classe »
« Camarade
Papa », c’est aussi le nom d’un daron
qui a baptisé son fils Shaoshan Illitch Davidovitch Anouman — un peu comme on
appellerait le sien « Kylian N’Golo Pavard Alphonse » si on était fan des
derniers vainqueurs de la Coupe du monde autant que de Lénine et Mao. Gauz
confie : « La voix de l’enfant, ce sont
mes convictions les plus pures. Ce n’est pas du flan, ce n’est pas une posture.
C’est pour ça que j’utilise ce langage particulier. Parce que j’aime bien
fabriquer la langue. En plus, c’est une industrie africaine. Parfois, tu fais
cent kilomètres et tu tombes sur dix dialectes différents ».
Résultat : une
novlangue communiste — hommage à Romain Gary — à base de « bourgeoisie
compradore » et de « Sacriprivilège » que le gamin trimballe des Pays-Bas à la
Côte d’Ivoire en passant par Paname. Bienvenue dans la kolkhoze nation où
« la maison devient camp révolutionnaire
anticapitaliste » et les repas prévus par plans quinquennaux sont
supervisés par le « ministre du Contrôle
de la cuisson des pâtes et du riz ».
Gauz a forgé ses
convictions politiques à la fin des années 80. « J’ai découvert le militantisme en Première. Je mélangeais bouquins et
réflexions sociales. J’ai lu le manifeste du Parti communiste cinquante-deux
fois — un défi avec un pote. Mais tout ça, c’est du folklore. Quand tu veux
comprendre, tu essaies d’aller plus loin. C’est là que je me suis intéressé au
fonctionnement de la Commune. Et ce n’était que le début ».
À la même
époque, en Côte d’Ivoire, un opposant fait son retour d’exil. Il tient des
conférences où son discours marxiste-léniniste fait mouche. « Laurent Gbagbo
était une espèce d’idole underground. On se retrouvait dans ses discours contre
la corruption et le tribalisme. En l’écoutant, tu apprends aussi ce qu’est la
forfaiture de l’indépendance », ajoute Gauz avant de préciser. « En 1960 [7 août, date de l’indépendance de
la Côte d’Ivoire, ndlr], la bourgeoisie a colorisé le pouvoir. Une
administration blanche a été remplacée par une administration noire. Mais le
code civil n’a pas changé. Le code pénal non plus ».
L’auteur insiste
: « Il faut casser les classes sociales.
Ce n’est pas une question de couleur, c’est une question de classe. Un négro
bourgeois, c’est un bourgeois, tu peux enlever "négro". Un blanc
bourgeois, c’est un bourgeois, tu peux enlever "blanc". Ils
appartiennent à une classe qui concentre énormément de pouvoirs et qui
continuent d’en amasser ». Tout en rappelant l’engagement de sa mère « qui parle comme une communiste mais qui
n’en est pas une reconnue », partie soigner des victimes du conflit
rwandais à Goma en 1994.
« Montrer ceux qui réussissent, c’est injurieux, c’est dire
aux autres qu’ils sont des branleurs »
Pour Gauz, le
capitalisme est un système basé sur la loterie. Pire, le storytelling qui
l’accompagne a fini par oblitérer sa vraie nature. « Un pauvre qui réussit, c’est un miracle, pas un exemple »,
assène-t-il. « Montrer ceux qui
réussissent, c’est injurieux, c’est dire aux autres qu’ils sont des branleurs.
Un entrepreneur devrait être rémunéré à la hauteur de ses risques ? Mais ça ne
veut rien dire. C’est de la poésie ».
Il gonfle les
poumons et soupire. « Je te jure, j’ai
mis en parallèle des discours qui justifiaient l’esclavage et ceux qui
justifiaient l’exploitation dans les mines du nord de l’Angleterre et c’est
flippant de ressemblance. Il y a des phrases entières qui sont les mêmes. Moi,
j’encense les idées que je défends. Je n’ai pas les moyens de déconstruire le
capitalisme. Il est là depuis trop longtemps. Mais si tu fabriques un petit
truc, tu peux, par contamination, convaincre quelqu’un ».
Et pour
convaincre, il y a le style Gauz. « Je ne
lance pas le geste de l’écriture tant que je n’ai pas trouvé la langue et la
forme », explique-t-il. « J’ai des idées qui traînent. Mais ça ne sert à rien
de dire : "C’est l’histoire de tatata tatata". Deux voix pour
raconter une seule et même histoire, c’est rare. Quand tu trouves ça, tu te dis
: "Je suis un auteur". Pas parce que tu dis des choses
extraordinaires mais parce que tu as un regard unique sur les choses ».
Dans « Camarade Papa », c’est la voix de Dabilly qui se
superpose à celle de l’enfant et raconte «
comment c’était avant ». Dabilly, jeune français issu de la campagne
profonde pour qui Châtellerault symbolise le « bout du monde ». On est à la fin
du XIXe et, à la mort de ses parents, il décide de tenter l’aventure sur le
continent africain et plus précisément Grand-Bassam, comptoir colonial fondé
par un négociant rochelais, Arthur Verdier.
« Camarade Papa », éditions Le Nouvel Attila, 192 pages |
Gauz s’empare
d’une tablette de chocolat fourré au caramel en guise de carte. « Tu vois, Grand-Bassam, c’est une langue de
terre », dit-il en montrant la plaque. «
Ce n’est pas très grand et c’est juste à côté d’Abidjan. La mère d’un ami était
chargée de l’intendance d’un collège qui était sur la même plage où ont
débarqué les premiers colons. Je m’y suis posé deux mois avant les partiels
pour préparer ma licence de biochimie. Il y a beaucoup d’images de cette
période-là qui sont ancrées en moi ».
L’histoire de
Dabilly permet aussi à Gauz de réécrire le grand roman de la colonisation. « Je suis romancier de fiction. Je reconnais
mon collègue romancier, Jules Ferry, qui dit "On va importer la
civilisation". C’est une fiction qu’on accepte de fabriquer comme celles
qui accompagnent Binger ou Livingstone, ces grands explorateurs qui ont
découvert des coins accompagnés par des gars qui faisaient le même voyage deux
fois dans l’année ».
À la fin de l’entretien, l’auteur dévoile son plan pour en
finir avec les maux du capitalisme. «
L’éducation. Pas l’embrigadement. L’éducation et la fabrication de
l’intelligence. Le ravissement et les arts. Tout ce qui rend les gens bien. La
première des choses que les humains ont fait quand ils se sont mis en société,
c’est de fabriquer de la beauté ». Il se lève, sourit, tend la main et on a
envie d’y croire.
Alexis Ferenczi
Source :
http://www.vice.com 10 Septembre 2018
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