1950-2011
IL Y A SOIXANTE ANS, L'ASSASSINAT DE VICTOR BIAKA-BODA
Par Marcel Amondji
Victor Biaka-Boda est Né le 25 février 1913 à Gagnoa. Après l'obtention du diplôme de l'école de médecine et de pharmacie de l'AOF, à Dakar, il est affecté à N'Zérékoré, en Guinée française. C'est là qu'il s'engage en politique. Militant actif du RDA, il est déclaré persona non grata dans cette colonie et muté en Côte-d'Ivoire, où il continue ses activités politiques au sein du PDCI dont il devient rapidement l'un des principaux dirigeants. Candidat aux élections sénatoriales du 14 novembre 1948 dans la 2e section de la Côte-d'Ivoire pour le compte du RDA, il est élu par 25 voix sur 27 suffrages exprimés.
Dans la nuit du 28 janvier 1950, alors qu'il accomplissait une mission dont ses amis de la direction du PDCI-RDA l'avaient chargé, le sénateur Victor Biaka Boda disparut mystérieusement de la maison où il avait obtenu l'hospitalité après que sa voiture fut tombée en panne à l'entrée de la ville de Bouaflé.
Il était arrivé de Yamoussoukro où son collègue, le député Félix Houphouët, menacé d'arrestation, s'était réfugié, et où tout l'état-major du mouvement – du moins ce qu'il en restait après la rafle du 6 février de l'année précédente – s'était transporté afin de soutenir son courage défaillant.
Quelques semaines auparavant, Biaka Boda avait, au cours d'un meeting dans cette même ville de Bouaflé, prononcé un discours très dur contre les organisateurs de la répression anti-RDA, et la riposte de ces derniers, différée, avait été particulièrement meurtrière : « Six jours avant [la nuit tragique du 27 au 28 janvier], de graves incidents se sont déroulés à Bouaflé coûtant la vie à trois villageois tués au seuil de leur maison par les militaires, ces supplétifs syriens appelés Alaouites. Deux cents membres ou sympathisants du PDCI avaient été arrêtés parmi lesquels on comptera 11 morts à la prison. Bouaflé est en état de siège. » C'est donc dans un véritable guet-apens que le sénateur était venu se jeter cette nuit-là.
Seulement voilà, pour les colonialistes eux-mêmes, l'assassinat d'un tel homme dans de telles conditions était inavouable. Alors on feignit de chercher le disparu jusqu'en Guinée où il avait vécu et travaillé longtemps avant de revenir au pays natal. Puis un jour, peut-être parce qu'il était devenu politiquement opportun de dévoiler que Victor Biaka Boda était bien mort, ses restes furent découverts par hasard dans une clairière, non loin de Bouaflé. En réalité, il ne s'agissait que d'un corps sans tête et dévêtu. Mais on avait aussi découvert à proximité quelques objets ayant appartenu au disparu et qui furent considérés comme suffisant à identifier ce cadavre décapité comme celui de Biaka Boda. Pourtant le parlementaire disparu ne sera officiellement déclaré mort que trois ans plus tard, le 20 mars 1953.
Plus étrange encore, le lieu où le corps identifié comme le sien fut inhumé demeure inconnu à ce jour. Comment expliquer cette autre énigme ? S'il est facile de comprendre que les colonialistes avaient plus d'une raison de cacher ce mort qui les accusait, on s'explique moins les raisons pour lesquelles les autorités de la Côte d'Ivoire indépendante, ses amis, qui l'ont placé parmi les héros de la nation, n'ont rien fait pour lui donner une sépulture digne de lui. Faut-il y voir la preuve que dans cette affaire ses anciens camarades de lutte, notamment Houphouët, et les autorités coloniales étaient de connivence ? Il est fort possible que le sénateur Biaka-Boda commençait à faire de l'ombre à son collègue, le député Félix Houphouët, alors dans une passe difficile, pris qu'il était entre l'enclume du mouvement anticolonialiste en train de se radicaliser et le marteau des colonialistes qui, alors, redoublaient de férocité. C'étaient deux tempéraments diamétralement opposés : Houphouët penchait de plus en plus pour un armistice à la Pétain ; Biaka-Boda était de ceux qui voulaient continuer le combat. A preuve, son audacieuse expédition nocturne dans la prison de Grand-Bassam, quelques jours avant son assassinat, pour se concerter avec les dirigeants emprisonnés sur la suite à tenir au moment où certains commençaient à lâcher pied : « Une nuit de janvier 1950, un contact [fut] organisé entre les dirigeants du PDCI détenus à la prison de Grand-Bassam (depuis l'affaire du 6 février 1949) et une délégation de ce parti qui parvient à s'introduire clandestinement dans la place. Biaka-Boda [participait] à cette dangereuse expédition. Quelques heures plus tard, il [quittait] Abidjan pour la dernière fois. »
Si cet homme-là avait été encore en vie au moment du fameux repli tactique ou du discours du stade Géo-André, il n'est pas certain qu'il eût accepté de suivre Félix Houphouët dans sa logique capitularde. Quant à ce dernier, sans doute ne fut-il pas vraiment malheureux d'être débarrassé d'un camarade si combatif, au moment où lui s'apprêtait à aller à Canossa…
Marcel Amondji
Bonjour M. Amondji
RépondreSupprimermerci pour les efforts que vous faites pour faire remonter à la surface de la mémoire nationale notre héros Biaka Boda.La Côte d'Ivoire vit une crise d’identité et une crise des valeurs depuis 1950, année où une partie de la nouvelle « élite » politique de l’époque fraîchement sortie de l’école coloniale, après moult hésitations et tergiversations capitule et rompt avec la voie de l’indépendance pour emprunter celle de la collaboration avec le colonisateur.
Depuis, la pensée politique et culturelle ivoirienne reste écartelée entre ces deux voies contradictoires ; celle de la liberté et celle de l’assimilation.
Ceci parceque nos dirigeants refusent de regarder en face notre mémoire.
Merci pour ce devoir de mémoire.
Nous sommes un certain nombre à exiger la commémoration d'une journée pour nos martyrs de la révolution nationale de 49/50.
Bon Courage