mercredi 22 février 2017

« C’est la réconciliation et la paix qui amèneront l’émergence ». Interview de Gnamien Konan.

Chassé du gouvernement à la veille des dernières législatives, le président de l'Upci n’est pas pressé de revenir dans la combine du RHDP.

Votre parti, lors des dernières élections législatives, n’a pas présenté de candidats sur la liste du Rhdp, comme le souhaitaient les autres membres de l’alliance. Comment en est-on arrivé à cette situation ?
Personne ne nous a invité à fournir la liste de nos candidats afin de les inscrire sur une liste Rhdp. Par la suite, nous avons appris que les hommes forts du Rhdp ont décidé que chaque parti conserve sa position issue des élections législatives de 2011. Nous avons accepté d’appliquer cette règle pour l’élection présidentielle de 2015, mais nous demander deux fois de suite le même reniement, c’est quand même incroyable !

Comment avez-vous vécu votre départ du gouvernement au cours de cette crise ?
Le plus normalement du monde, puisque personne ne m’a jamais dit que je resterais au gouvernement toute ma vie. Et d’ailleurs cela n’a jamais été mon ambition.

Aujourd’hui avec le recul, regrettez-vous d’avoir fait cavalier seul à ces élections législatives ?
Non aucun regret. Car la seule chose qui m’a toujours intéressé, c’est être Président. Je vous rappelle que c’est pour cette raison que je me suis fait débarquer de la Direction générale des Douanes en 2008. Et à présent, je suis heureux à l’idée de poursuivre mon initiation au parlement.

Vous avez décidé de former un groupe parlementaire composé des députés Upci et Updci. Le divorce est-il consommé avec le Rhdp ?
Le Pdci et le Rdr forment déjà le couple parfait. Personnellement je leur souhaite de vivre heureux et d’avoir beaucoup d’enfants.

Y a-t-il eu des contacts entre vous et le directoire du Rhdp pour tenter de recoller les morceaux ?
Non aucun. Je vous prie de me croire, ils n’ont besoin de personne. Donc c’est à nous d’aller demander pardon.

Quel sera l’avenir de l’Upci au sein du Rhdp ?
Nous allons parcourir la Côte d’Ivoire pour exposer notre projet de société qui n’a rien à voir avec une politique assise sur l’aide, l’endettement, le tribalisme et la division. Et pour cela, l’Upci n’a pas besoin du sein du Rhdp.

La situation socio-politique a été marquée par la mutinerie militaire et la grève des fonctionnaires. Comment avez-vous vécu cette situation ?
Tristesse. Nous nous rendons compte qu’on a vraiment embarqué notre pays sur la méditerranée, avec la promesse d’un paradis qui n’existe nulle part.

On ne vous a pas senti durant cette période. Vous n’avez fait aucune déclaration. Qu’est-ce qui explique ce silence ?
On ne savait pas trop quoi dire. On fait croire aux gens que la Côte d’Ivoire est un pays qui sera bientôt émergent, qu’il est même déjà pré-émergent. Alors les gens exigent qu’on leur donne déjà ce qu’on leur a promis ou ce qu’on leur doit, en attendant les salaires de l’émergence. Ce régime est victime de ses propres turpitudes.

Les arriérés de primes ont été payés aux soldats. Était-ce la solution pour vous ?
Tant que le Gouvernement négligera la réconciliation, qu’il organisera des concours dans la Fonction publique à tour de bras pour se faire de l’argent de poche, qu’il multipliera les institutions au nom de je ne sais quelle paix, il ne sera jamais crédible pour négocier avec les syndicats.

Comment jugez-vous les nouvelles nominations opérées dans l’armée à la suite de cette série de mutineries ?
Je me demande si on veut la paix ou si on se prépare à une autre guerre. Je me rappelle même que certains ne voulaient plus de la vie militaire. Ils voulaient se retirer pour mener une vie plus paisible. Il faut tourner la page pour bâtir une autre Côte d’Ivoire de paix et de fraternité, loin des rancœurs. Les feux d’artifices, les routes et les péages ne ramèneront pas à notre pays sa seconde religion. C’est la réconciliation et la paix qui amèneront l’émergence et non le contraire.

Le front social est entré également en ébullition dans le mois de janvier, avec la grève des fonctionnaires. Quelle est votre appréciation de cette grève qui a paralysé l’administration publique pendant trois semaines, en tant qu’ancien ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative ?
Je serai toujours contre la grève dans les services sociaux tels que l’École et la Santé. Je serai toujours opposé à une masse salariale de plus 35% de nos ressources propres dans le budget de l’État. Mais c’est ensemble, avec une vision partagée, avec des sacrifices équitablement repartis que nous construirons notre pays et l’avenir de nos enfants. Mais quand on crée un Senat alors qu’on peut faire sans, quand on crée une Chambre des rois alors que nous avons déjà une Médiature et un Conseil économique et social, on ne sait pas à quoi ils servent et un gouvernement de près de 30 ministres et une Vice-présidence, alors qu’on se débrouille avec les syndicats. Mais nous parlons aussi parce que c’est notre pays et nous tenons à ne pas le perdre.

A quand le retour de l’Upci aux réunions du directoire ?
Comme en politique tout est possible, je dirais quand les poules auront des dents.

Sercom Gnamien Konan
Titre original : « Gnamien Konan : L’UPCI reviendra au RHDP quand les poules auront des dents ».

Source : CIVOX.NET 21 Février 2017

dimanche 19 février 2017

LES INTERNAUTES IVOIRIENS, TELS DES CHATS ÉCHAUDÉS DEVANT L’EAU FROIDE…

Le colonel Jean Luc Kuntz, commandant des FFCI, pendant
sa conférence de presse au 43e BIMA, à Abidjan, le 03/02/2017.
© AFP par Sia Kambou
C’est un exercice bien étrange, celui auquel se sont livré, le 3 février, le colonel Kuntz et le lieutenant-colonel Gélan, chef et sous-chef des « Forces françaises en Côte d’Ivoire ». Notez que, déjà, cette appellation les contredit… Depuis quand la Côte d’Ivoire est un pays souverain ? Est-ce que la France a cessé un seul jour d’y entretenir des troupes et de les y promener sans trop se soucier de tout le sang qu’elles répandaient dans leur sillage ? Mais bon, de la part de « ces gens-là » − comme disait Jacques Brel −, notre pauvre patrie en a vu et en verra bien d’autres…

Il s’agissait, je crois, pour les deux « colons », de démentir plusieurs rumeurs écloses sur le fumier des événements de cause, d’origine et de nature diverses – mais ayant néanmoins la même signification – qui ont récemment chahuté le bel ordonnancement du chef-d’œuvre de leur compatriote, l’ex-gauleiter Jean-Marc Simon.

L’AFP, l’agence française de presse, benoitement relayée par la presse locale, nous a fourni l’essentiel de leurs propos :

« Nous ne sommes plus l’opération Licorne. Les dispositions du traité de partenariat ont changé et les forces françaises ici n’ont aucune vocation à intervenir dans les affaires ivoiriennes. La République de Côte d’Ivoire est un Etat souverain. Sa sécurité, ses affaires politiques sont de son ressort. Elles ne sont pas du ressort de la France et encore moins des Forces armées françaises. Nous ne sommes pas là pour cela. (…). Le cadre général dans lequel s’inscrit les Forces françaises en Côte d’Ivoire est celui du traité de partenariat qui unie les deux pays. [Cette collaboration est] particulièrement équilibrée et se traduit par une vraie coopération dans de nombreux domaines mais surtout dans le domaine militaire. (…). Les Forces françaises en Côte d’Ivoire n’ont pas vocation à interférer dans les affaires ivoiriennes. Ce temps est révolu. Nous ne sommes plus Licorne. Il n’y a eu aucune sollicitation de la part du gouvernement ivoirien. Et il n’y a eu aucune directive particulière de Paris. Il n’y a eu aucun renfort qui a été envoyé ici au sein des FFCI. (…). Dans le cadre de notre mission, on fournit du matériel et des personnels à nos camarades français qui combattent avec nos camarades africains dans le dispositif Barkhane. Donc ne soyez pas étonnés si vous voyez sur les routes de Côte d’Ivoire des convois de véhicules de matériels qui débarquent au port d’Abidjan, qu’on met sur des containers et qu’on achemine plus au nord pour fournir des moyens logistiques à nos camarades sur le terrain ».

Mais dis donc, qui est deuxième gaou pour gober ça ?

Pas les Ivoiriens en tout cas. A preuve ces réactions à chaud de quelques internautes aux élucubrations des deux conférenciers FFCI. Car, tandis que, plus « I’voient rien » que jamais, les soi-disant leaders de l’opposition sont trop accaparés par leurs querelles d’Allemands pour s’intéresser aux choses vraiment sérieuses, les simples citoyens, qui, eux, savent ce qu’ils veulent, n’envoient pas dire à ces enfarineurs français ce qu’ils pensent de leur conte à dormir debout ! Mais, jugez-en par vous-mêmes…

Marcel Amondji


« Poulet n’aime pas amusement où on tord cou… »

Arrêtez votre jeu de caméléon, que la France s'occupe de ses oignons et libère l'Afrique. L'Eternel gendarme de l'Afrique doit savoir qu'il est temps que les Africains se prennent eux-mêmes en charge. L'Afrique souffre trop de votre esclavage économique inavoué.

Si l'armée française n'a pas vocation à intervenir dans les affaires intérieures de la Côte d'Ivoire, alors quelle est donc la raison de sa présence permanente en Côte d'Ivoire depuis la nuit de temps ? Protéger ces apprentis politiciens ivoiriens qui ne roulent que pour les intérêts illégaux français ?

Seuls les chefs d'Etat en exercice peuvent décider du départ de l'armée française. Il y a des accords mais tout peut se négocier. Nos pays francophones ont été vendus à la France. Hélas. Il faut finir avec cette pratique.

La France a presque démantelé toutes ses casernes militaires en France mais, par contre, elle préfère maintenir ses bases militaires dans certains pays francophones dont la seule visée est de protéger certains chefs d'Etat pantins et aussi de consolider son hégémonie sur ces pays afin de pouvoir les piller tranquillement. Sinon comment peut-on comprendre qu'après 57 ans de soi-disant indépendance, la France joue encore la politique néocoloniale en Côte d'Ivoire ?

La politique française éternelle roublardise, que du démoniaque dans tous les domaines !!!

N'oubliez pas que l'armée française nous aide à éteindre les grands incendies à Abidjan aux côtés du GSPM et les pompiers de la SIR. En plus de cela la formation des soldats ivoiriens, il faut tirer le positif et cesser de trop dénoncer. Ces soldats ne bastonnent personne, ne roulent pas en sens interdit, ...

MDRRRR

Yao Silvère, réveille-toi ! L'Afrique a trop souffert de vos raisonnements pessimistes. Mettez-vous à jour maintenant !

Kas Kotofasse · Montréal
Si vous n'avez pas l'intention d'intervenir dans nos affaires, alors rentrez chez vous bandes d'ordures qui empoisonnent nos vies. On n'a pas besoin de votre présence, ou bien c'est tout juste pour intimider les faibles. Allez mouiller dans les eaux du Nigeria ou de la Chine et vous verrez ce qui va vous arriver. Tant que la France sera en Afrique, point d'indépendance pour les pays d'Afrique de l'Ouest, d'Afrique Noire et nous voulons notre indépendance ; je me demande quand est-ce que ce sera clair. Hors de l'Afrique noire, la France n'a aucune influence dans le monde. Elle n'a jamais pesé que sur ces pauvres pays qui eux aussi se complaisent dans leur état de quémandeurs éternels. Quel malheur ! et qu'a-t-on fait au Bon Dieu pour mériter une telle situation avec un tel pays ! Pauvre de nous Africains noirs francophones !

Moi j'ai juste compris que l'armée française représente les intérêts de la France dans ses colonies seulement, nous sommes condamnés à rester les peuples colonisés et ça de nos parents jusqu'aux générations futures. Merci à leurs complices africains.

Tu as bien compris mais ne versons pas dans le désespoir, nous ne gagnerons pas facilement notre indépendance économique !

La Côte d'Ivoire va bientôt installer une base militaire à PARIS. Là, ça va faire UN BUT PARTOUT. Lol

LOL ! Tu sembles oublier certaines conditions élémentaires : avoir les moyens militaires et logistiques d'une part ; la France en fasse la demande et signe un accord avec la Côte d'Ivoire d'autre part. C'est bien comme ça que les choses se sont passées avec l'installation des bases militaires françaises en Afrique. N'est-ce pas ? − Do not reason like Donald Trump !

Elimba Dikalo, C'est la même chose qui va se passer.

Encore faudrait-il avoir des militaires qui ont des couilles, intègres et le sens du bien commun.

Lol
Journalisme n'est pas forcé. En quoi les autres mentent ? Y a-t-il une armée ivoirienne en France ? Qu'y a-t-il de différent entre ce qui est dit et ce qui a été fait en 2011 ? Qu'on n’a rien écrit, on se repose. On crée pas les faits.

Le droit d'ingérence militaire n'est jamais appliqué chez eux. Ils ne nous diront jamais la vérité.

Pourquoi ? Nous sommes un pays souverain et le pays a sa propre armée.

N'importe quoi, nous connaissons leur mode d'emploi !

Ils parlent peut-être à ceux qu'ils ont mis au pouvoir, pas à nous. Nous on veut pas de vous ici. Rentrez chez vous. C'est tout ce qu'on vous demande. Mendiant, son problème est compliqué deh. Où on doit avoir honte, lui il n'a pas honte.

Forces françaises de Côte d'Ivoire ? Un pays souverain ? Depuis 2011 ? Ailleurs, ce sont les journalistes qui informent la population. Ici, ce sont les journalistes qui sont informés, manipulés.

Ne vous moquez pas des enfants d’esclaves que nous sommes. Je ne sais pas si vous vous êtes trompé de chiffres en parlant de 200.000 hommes armés de la France en Côte d’Ivoire. En près de 70 ans (d'indépendance), le pays n’a jamais eu plus de 30.000 hommes toutes forces confondues. S’il s’avère que la France envoie des tueurs chez nous avec des arguments fallacieux pour prendre le pays en otage, il est honteux que l’on raconte des salades. Que l’armée française sorte de nos pays car en plus de 130 ans que la France côtoie notre population, nous avons toujours été leur chair à canon. Poulet n’aime pas amusement où on tord cou…

Alors qu'on nous dise ce que cette force fait en CI. Juste pour notre compréhension.

Nous ne faisons plus jamais confiance dans cette force française basée à BIMA Port-Bouët, qui a réquisitionné l'aéroport, bloqué le port en 2011, bombardé les postions des FDS, bombardé la résidence de Gbagbo pour le « capturer » et le livrer à ses pires ennemis Ouattara Dramane et ses chiens de guerre ; ces forces qui ont convoyé des rebelles armés au cœur d'Abidjan pour faire un carnage, notamment à Duékoué. Cette force armée a été capable de bombarder des camps militaires sans aucune déclaration de guerre, mais comme des lâches en se servant de l'ONU. C'est une Force hostile de destruction massive qui « capture » des leaders politiques au profit de la France et qui aujourd'hui vient raconter quoi ? Si la Côte d'Ivoire est un pays souverain, l'armée française n'a pas vocation à avoir une base militaire et des zones à défendre. C'est un non-sens et c'est inacceptable. Alors on en a assez de nous prendre pour des pigeons pour les intérêts de la France, capable de changer des forces de « coopération » en forces hostiles Licorne grâce à un véto de la France au Conseil de sécurité, sous couvert de l'ONU ! RESPECTEZ la souveraineté de ce pays et quittez-le avec votre arsenal politico-militaire maudit d’ingérence sauvage !


vendredi 17 février 2017

« Pas de réconciliation sans un bilan scientifique et partagé de la guerre. »

Interview de l'anthropologue ivoirienne Titi Eri Aramatou Palé[*].
Vous venez de publier un ouvrage sur une recherche universitaire portant sur les femmes victimes de la guerre civile ivoirienne. De quoi s'agit-il ?
En fait ce livre est l'essentiel de ma thèse de doctorat en anthropologie sociale, que j'ai préparée et soutenue à l'université Paris 8, en France, le 11 février 2016. Bien entendu, ce travail a été dépouillé de ses aspérités académiques pour être accessible au grand public
Quelle est le fil conducteur de l'ouvrage ? 
Dans le livre, je me place sous les grilles de l'anthropologie sociale pour observer patiemment la situation de ceux qui ont été présentés au lendemain de la guerre civile (2002-2011) comme des « Personnes déplacées internes (PDIs) », en me focalisant sur les femmes qui constituaient l'essentiel des victimes classées dans cette catégorie. Mon travail a fait le choix d'une approche ethnographique, qui permet de regarder ces femmes non pas de l'extérieur ou de ce que je pouvais en penser, mais en m'appuyant sur les récits qu'elles donnaient de leur propre situation et de leur propre vécu de personnes meurtries par la guerre et devant faire face aux contraintes de la vie de tous les jours. Le livre a donc une forte dimension biographique, les victimes étant les auteurs de ce que le texte dit de leur sort. Mais il ne s'agit pas d'une compilation de situations et de parcours tragiques et chaotiques : on fait aussi le point sur la volonté des victimes à se battre pour s'en sortir, et le bilan de l'assistance publique ainsi que des apports de la société civile qui ont volé à leur secours. 
Quel est le contenu des parties et des chapitres ? 
L'objectif de la première partie a été de décrire le contexte dans lequel l'étude de terrain a été menée. À cette occasion, nous avons mis en avant les éléments à la base du cadre et des objectifs de l'enquête. Dans le détail, le premier chapitre présente le cadre empirique de la recherche. Le contexte sociohistorique de la crise sociale ivoirienne a fait l'objet du second chapitre, qui propose les clefs de lecture de la lente décomposition du lien social dont le paroxysme a été l'éclatement de la guerre civile, dans un pays dépendant d'une arboriculture qui nécessite l'importation d'une main-d’œuvre abondante. Dans la deuxième partie, nous revenons sur l'histoire immédiate de la décennie de guerre civile (2002-2011). La crise de succession d'Houphouët-Boigny est ainsi mise en résonnance avec l'évolution en crise des rapports ethno-régionaux. La coagulation de ces deux crises de l'après Houphouët en guerre civile a fait des victimes très mal encadrées (chapitre 3). En termes de prise en charge, les balbutiements de l'État et de la société civile autour de ces victimes ont été analysés, mettant en lumière une critique de la solidarité institutionnelle (chapitre 4). Enfin, la troisième partie a mis en exergue la continuité entre la guerre civile et la reconstruction des femmes PDIs. Des récits de vécus de temps de guerre ont été recueillis, complétés par quelques parcours de réinsertion sociale qui montrent que les femmes PDIs mobilisent leurs propres ressources pour s'en sortir (chapitre 5). Complétant ces efforts individuels pour s'en sortir, la théorie de l'anthropologie du nom, proposée par Sylvain Lazarus, a aidé au chapitre 6 à analyser les handicaps et les contraintes de la vie de tous les jours des victimes comme des moments de réinvention de soi « à distance de l'État ». 
Quel accueil a été réservé à cet ouvrage ? 
Je vous avoue que la communication autour de l'ouvrage ne fait que commencer ! Mais je n'ai pas de doute que le texte sera très bien accueilli dans les milieux spécialisés et auprès d'un public plus large. Il y aura une montée en puissance de l'intérêt autour de ce livre, du côté de l'État où un ministère en charge des victimes a été créé et placé sous la responsabilité d'une éminente anthropologue, Mme Mariatou Koné qui m'a d'ailleurs fait l'honneur d'une présence à mon jury de soutenance à Paris comme pré-rapporteur de ma thèse. Les associations de soutien aux victimes, les ONG spécialisées et les organisations spécialisées ont déjà signalé leur intérêt pour cet ouvrage qui permet de comprendre ce pan essentiel de la sortie des conflits qu'est la situation et le point de vue des victimes. Les choses peuvent prendre du temps, mais cette étude ne manquera pas de devenir un support important pour les séminaires sur le conflit ivoirien et les stratégies de sortie de crise. Vous savez, cet ouvrage fait partie des premières − et rares − lectures scientifiques de cette saloperie de guerre qui nous est arrivée. Je tente en fait de voir comment les victimes tentent de se tirer d'affaire, de se sortir du piège de la guerre qui s'est déportée à l'intérieur de chacune d'elles, sous formes de chocs traumatiques et de multiples séquelles physiques et psychologiques avec lesquelles les victimes, malgré elles, sont tenues de vivre. Pour ces victimes, la guerre est toujours là, et il faut expliquer calmement ce qu'il s'est passé dans des travaux universitaires ou relevant de l'expertise, pour que les uns et les autres défassent les liens que le vécu de guerre a noués autour d'eux. Plus largement, on ne refait pas le lien social, si profondément brisé par la guerre civile, sans passer par une analyse froide et objective de ce qu'il s'est passé. La réconciliation nationale ne se fera pas sans un bilan scientifique et partagée de la guerre. 
A vous entendre, il y a encore du boulot !
Oui ! Les chantiers sont nombreux pour recréer le vivre-ensemble, et la pacification et la professionnalisation de l'armée pour que cessent les bruits de bottes, sont un challenge parmi tant d'autres. On doit pouvoir faire l'inventaire de la guerre civile, saisir leur impact sur les gens pour être capable de sensibiliser la société et tenir les générations suivantes à distance de telles folies humaines. Travailler sur les victimes, c'est véritablement prendre le mal de la guerre à partir de la racine, en se concentrant sur le sort de celles et de ceux de nos concitoyens qui sont marqués à vie par cette guerre. Je trouve que trop de préoccupations transversales (élections, constitution, succession, etc.) mais tout aussi importantes, j'avoue, ont noyé et pollué cette tâche essentielle qu'est la prise de parole, universitaire, civile, politique, sur la guerre civile et ses dégâts sur ceux qui l'ont subie dans leur chair. Il faut organiser la maîtrise de la mémoire de cette guerre ; et les universitaires, comme tout le monde d'ailleurs, doivent prendre leur part. Il faut connaître cette guerre civile plutôt que de la gommer. Ne pas considérer la vie des victimes, c'est commencer à gommer cette guerre, et ne me dites pas qu'il est temps de passer à autre chose. Les nations et l'humanité gagnent en grandeur et en progrès chaque fois qu'on prend le temps de comprendre, de disséquer une guerre finie où il a été question de tuer ou d'humilier des gens pour leurs différences raciales, ethniques, etc. L'histoire de la Shoah et le travail autour de la mémoire de cette atrocité sont là pour nous montrer comment fonctionnait la technologie de cette machine atroce, et nous donnent des leçons sur la transmission des témoignages. Nous devons faire pareil avec notre mémoire de la guerre civile ivoirienne : ne jamais se lasser de décrypter, d'analyser, et surtout d'écouter les victimes pour transmettre. Le « jamais plus ça » ne doit pas être un simple slogan, mais un leitmotiv pour regarder en face cette guerre, et ce qu'elle a fait à ses victimes et à ses héritiers que nous sommes.
Quel est votre prochain projet sur le sujet ? 
Depuis ma soutenance de thèse de doctorat, j'ai continué de travailler en anthropologue auprès des femmes PDIs et je dois publier prochainement une étude sur leurs capacités de résilience, cinq ans après la fin de la guerre. Le travail étant en cours, je n'en dirai pas plus. Mais aussi longtemps qu'il existera des victimes de la guerre civile ivoirienne, j'y porterai mes lunettes d'anthropologue. C'est donc un travail de longue haleine. 
Peut-on s'attendre à des ouvrages non universitaires de votre part ? 
Pour l'instant, l'analyse sociale est mon seul champ d'intérêt. Je peux vous assurer que ce n'est pas de tout repos, et c'est déjà beaucoup.

Propos recueillis par Alice Ouédraogo

EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».

Source : Afrikipresse 16 février 2017

([*]) - Palé, Titi Eri Aramatou, « Une anthropologie sociale des victimes de la guerre civile ivoirienne (2002-2012) : témoignages, accompagnement et initiatives des femmes déplacées », sous la direction de Sylvain Lazarus, professeur d'anthropologie, Diss. Paris 8, 2016.

lundi 13 février 2017

"MON CANDIDAT, C'EST L'AFRIQUE"

CASSE-TOI, FRANÇAFRIQUE !

Adresse de la Plateforme panafricaine pour la présidentielle en France

A l’attention de Mesdames, Messieurs, Honorables candidates et candidats à la magistrature suprême,
Notre démarche citoyenne part d'un constat récurrent et tenace : combien de fois n'a-t-on pas entendu telle actrice ou tel acteur de premier plan de la classe politique française affirmer, avec faits et chiffres à l'appui, que "l'Afrique, c'est le continent d'avenir !" ?
La traduction en actes d'une telle phrase devrait conduire à des initiatives fortes pour redonner à la politique africaine de la France un nouveau souffle, des axes concrets de réflexion et d'action avec et en faveur des peuples africains.
Mais rien de tel ne s'est jamais produit ! Car, toujours, ces bons mots se sont noyés dans le marécageux marigot de la Françafrique.
Très vite, cette affirmation péremptoire disparaît toujours du logiciel des comités de rédaction des programmes de la campagne présidentielle quand l'heure arrive de dessiner une politique étrangère française, qui regarde et prend en compte les pays africains, notamment les anciennes colonies françaises, comme des alliés et des partenaires, avec qui on peut/on doit discuter et signer des contrats de coopération gagnant-gagnant, pour ensemble faire face aux nombreux défis de la mondialisation et du réchauffement climatique.
Très vite, chaque candidat à l'Elysée renoue avec les mêmes promesses farfelues et autres "déclarations d'amour à l'Afrique" qui sont vite oubliées... et remplacées par des circonvolutions d'allégeance aux régimes liberticides d'Afrique, au nom de la realpolitik !
En effet, une fois installés à l'Elysée, après avoir pris connaissance, avec faits et chiffres à l'appui, "des réalités, des jeux et enjeux d'alliance assurant la pérennité de la Grandeur de la France dans le Monde", tous les locataires de l'Elysée, de De Gaulle à nos jours, ont repris à leur compte la célèbre formule gaullienne suivant laquelle "La France n'a pas d'amis, elle n'a que des intérêts".
Face à ce constat, notre démarche citoyenne reste cependant empreinte d'un vif optimisme qui se fonde sur les combats acharnés et toujours plus vigoureux des masses fondamentales africaines et des acquis de grande portée historique engrangés (certes encore fragiles) de ces luttes populaires, qui préfigurent, à un horizon pas si lointain, la fin de la Françafrique.
Nous voulons agir résolument, à travers les nombreuses activités de la Caravane Panafricaine 2017, afin que l'affirmation selon laquelle "l'Afrique, c'est le continent d'avenir de la France" ne reste pas un simple slogan de campagne d'Hommes ou de Femmes politiques en manque d’idées alternatives, mais devienne une revendication politique, portée par une large opinion démocratique auprès de tous les candidats de la Présidentielle Française 2017, qui exige, ici et maintenant, l'élaboration et la réalisation d'une Politique Française de Coopération respectueuse de la Dignité et des Intérêts Fondamentaux des Peuples Africains.
A cet effet, le message de ralliement de toutes les citoyennes et de tous les citoyens qui adhèrent à notre initiative "Mon Candidat, c'est l'Afrique", pour bien afficher notre volonté collective de faire de l'Afrique, l'un des thèmes majeurs de cette campagne 2017, et non comme toujours, une question marginale, vite traitée par quelques vagues promesses humanitaires et/ou sécuritaires.
Face à ce statu quo de la politique africaine de la France qui perdure depuis le système de domination néocoloniale pensé et mis en place sous De Gaulle (au prix de quelques ravalements de façade), nous initions ce Questionnaire pour ouvrir, avec vous, et avec tous les citoyens de ce beau Pays des Droits de l'Homme, le nécessaire débat (toujours occulté ou minoré) sur les visions et les ambitions des candidats à la Présidentielle Française de 2017 vis à vis du continent africain, et plus particulièrement la nature des liens à tisser avec les anciennes colonies françaises d'Afrique et leurs citoyens, là-bas sur le continent et ici dans l'Hexagone.
Q1. Le libre choix des dirigeants africains.
Choisir leurs dirigeants est un droit universel et inaliénable des peuples. En Afrique, les dirigeants sont imposés aux peuples au prix d’innombrables vies humaines. Les forces vives africaines pointent du doigt la responsabilité de la France (au vu du déroulement des élections jusqu’à la période récente en Afrique francophone notamment au Tchad, au Gabon, au Congo Brazzaville, en Djibouti, Mauritanie…) ; le mode de tricherie est multiple et varié : la manipulation du corps électoral, la non publication des résultats en temps réel et par bureau de vote, la distribution sélective des cartes électorales, les différentes techniques d’inversion de résultats mises en place, etc.). Dans les autres pays de l’espace anglophone ou lusophone, les élections se passent mieux. Quelles dispositions prendriez-vous pour que cesse cette dérive si vous êtes élu(e) président(e) ?
Q2. La « dette » des pays africains
Les citoyens bien informés savent pertinemment que la prétendue « dette » des pays africains, notamment francophones, est la résultante d’actes engagés par des personnes imposées de force aux peuples africains comme dirigeants. Et ceci, dans une étroite collaboration entre le bailleur instructeur et le débiteur « bon élève ». Qu’envisageriez-vous, pour ce qui est du ressort de la France, afin de mettre un terme définitif à ce non-sens qui étouffe les peuples africains ?
Q3. La monnaie, un outil de souveraineté 
Le franc CFA est, depuis sa création, un outil de domination des pays africains aux mains des autorités françaises. Sans monnaie indépendante, l’économie africaine ne pourra jamais décoller et devenir réellement concurrentielle. Les peuples africains francophones revendiquent la mise en place d’une monnaie commune souveraine. Qu’en pensez-vous ?
Q4. Les accords de défense, la coopération militaire et le terrorisme 
Des accords de défense signés entre la France et ses anciennes colonies au lendemain des indépendances ont connu récemment, pour certains d’entre eux, quelques retouches, sans pour autant modifier fondamentalement la donne. En outre, ils restent toujours inconnus du grand public. L’armée française est omniprésente aux quatre coins de l’Afrique, dans des bases militaires et par le biais de la coopération militaire. Son rôle réel a toujours été et demeure, selon les situations, soit de veiller sur les dirigeants impopulaires et dictateurs imposés, « amis de la France » (Idriss Deby, Sassou N’Guesso, Ali Bongo, Alassane Ouattara, Aziz...), soit d’évincer du pouvoir les dirigeants jugés insoumis aux intérêts de la France (Sylvanus Olympio, Thomas Sankara, Laurent Gbagbo…). Aujourd’hui, au nom de la lutte contre un certain terrorisme instrumentalisé, la présence militaire française se propage un peu partout en Afrique et se pérennise. Et pourtant, parmi ces « amis de la France », un terrorisme d’Etat massacre la population civile dans un silence assourdissant. Quand et comment comptez-vous en finir avec ces accords de défense léonins et cette prétendue coopération militaire qui fait des forces françaises en Afrique une armée d’occupation et de déstabilisation ?
Q5. La coopération économique, les Accords de Partenariat Economique (APE).
Des multinationales françaises font des bénéfices colossaux en Afrique (Bolloré, Total, Areva, Orange, etc.) pendant que les populations sombrent dans la misère. Au travers de multiples accords inégaux, la même exploitation économique continue : on cite les Accords de Partenariat Economique (APE) qui sont pour l’Afrique le pendant de TAFTA (traité de libre-échange transatlantique) pour l’Europe. Quelles dispositions prendriez-vous pour l’instauration de rapports économiques plus équitables et humains ?
Q6. La Justice climatique et les migrations.
La pollution industrielle au Nord crée une instabilité climatique à l’échelle du monde, avec des conséquences dramatiques au Sud (désertification, sécheresse, etc.). Ceci est une des premières causes de la pression migratoire. De façon plus globale, la responsabilité des nations riches vis-à-vis de cette pression migratoire, qu’elles qu’en soient les raisons économiques, politiques et climatiques, est engagée. La moindre des choses pour ces nations, si promptes à mettre en avant les Droits de l’Homme lorsque la défense de leurs intérêts géostratégique est en jeu, serait de s’appliquer ces principes à eux-mêmes pour l’accueil des migrants. Quelles décisions mettriez-vous en œuvre pour apporter des réponses adéquates à cette question ? 
Q7. La France, l’Afrique et les Institutions internationales 
Dans la configuration de notre monde du XXIème siècle, les pays vainqueurs de la seconde guerre mondiale continuent de faire mains basses sur la gouvernance mondiale sans vraiment prendre en compte les autres, notamment l’Afrique, qui a pourtant sa part dans la victoire. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies reste un instrument aux mains de quelques pays, dont la France, qui se sont arrogés le droit de veto et l’utilisent comme bon leur semble. Le droit international et les instruments qui sont érigés pour l’incarner, notamment la Cour Internationale de Justice, pour ne citer que cet exemple, sont à géométrie variable. L’Afrique aspire légitimement à être membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Qu’en pensez-vous ? 
Q8. L’image de l’Afrique, les discriminations raciales et les médias 
Les discriminations frappent très singulièrement en France les personnes d’origine étrangère et plus particulièrement celles issues de l’Afrique ou d’ascendance. Une certaine légèreté de traitement des questions africaines par les médias y compris d’Etat, en est sans doute pour beaucoup dans cette déconsidération envers ces personnes. Entendez-vous y remédier et comment ?
Q9. Les pays africains traités encore comme des colonies.
Plus d’un demi-siècle après les déclarations officielles d’indépendance des pays africains, les relations entre la France et ces pays sont empreintes d’un paternalisme qui rappelle le temps des colonies. En témoigne cette sorte de messe célébrée tous les deux ans que constitue le « Sommet Franco-Africain ». Dans l’actualité, on peut citer le rendez-vous de Bamako en janvier 2017, après celui d’Antananarivo en novembre 2016 sur la Francophonie. Ce dernier pose la question de l’évolution et l’émancipation culturelle de l’Afrique. Pour lever cette ambiguïté, seriez-vous prêt à changer de telles pratiques ? 
Q10. La nécessaire intégration de l’histoire coloniale dans le récit national français
Alors qu’une partie de la République est toujours marquée par les stigmates de la traite des Noirs et de la période coloniale, l’Ecole de la République n’a toujours pas intégré cette dimension didactique historique dans le récit national. De même, l’appui de l’Etat fait défaut à un véritable travail de mémoire, à la recherche et à la diffusion de travaux scientifiques ainsi que la facilitation de l’accès aux archives nationales. 
Quelles mesures comptez-vous prendre pour rétablir la vraie histoire de la France ?
Merci d’avoir bien voulu répondre à nos questions.
Paris, le 07/01/17
Pour La Plateforme Panafricaine, Raymond AYIVI, Référent.
(E-mail : ppanafricaine@gmail.com)