dimanche 31 juillet 2016

« NOS COMPATRIOTES SOUFFRENT ET LE DISCOURS OFFICIEL NE REFLETE EN RIEN LEURS PREOCCUPATIONS »

Interview de Danièle Boni-Claverie, présidente de l’Union pour la République et la Démocratie (URD), opposition.
Danièle Boni-Claverie (2e à partir de la gauche)
Bonjour Mme la présidente, l’actualité sociale est marquée ces temps-ci par la grogne sociale contre le prix élevé de l’électricité. Comment réagissez-vous face à cette situation ?
J’ai déjà eu à mettre l’accent dans mes diverses interventions sur la gravité de la situation. Je n’aime pas jouer au pyromane ni attiser les braises mais en cas de déflagration, nous devons tous être conscients que nous nous trouvons dans le même chaudron. Nous assistons aujourd’hui à un ras-le-bol généralisé, qui se nourrit de la dégradation du quotidien des Ivoiriens. Nos compatriotes souffrent et le discours officiel, en déconnexion totale avec la réalité ne reflète en rien leurs préoccupations. Le gouvernement comme à son habitude se gargarise de chiffres et de projections économiques mirobolantes sans mesurer l’immense détresse sociale de nos concitoyens. L’émergence dont on nous rebat les oreilles devient un repoussoir pour des personnes qui n’ont même pas le minimum vital. D’autre part, nous faire croire que nous serons émergents en 2020 est une tromperie. Les acteurs sérieux du développement n’évoquent une possibilité réelle d’émergence qu’en 2040. C’est ça la vérité. En ce qui concerne plus spécifiquement la CIE, même si cette dernière est seule responsable de sa mauvaise communication, ne nous trompons pas de cible. Contrairement au propos du porte-parole du gouvernement, la faute originelle n’est pas à imputer à la CIE, qui n’est qu’un vendeur d’électricité. C’est le gouvernement qui fixe les prix. C’est donc lui le responsable de cette situation. Il lui revient, après négociations avec la CIE, d’annuler simplement cette hausse si mal gérée qui n’aura été qu’un déclencheur. En effet, à ce mécontentement s’ajoutent beaucoup de frustrations et de rancœurs. Tant que la réconciliation n’est pas faite, nous sommes à la merci d’éruptions plus ou moins contrôlables.

Les partis politiques sont quand même censés contribuer au bien-être des populations, mais on a l’impression qu’elles sont abandonnées à elles-mêmes et que le combat contre la cherté de la vie n’intéresse pas les leaders politiques.
A mon avis, ce n’est pas exact de dire cela. Personnellement, depuis 2 ans, toutes mes prises de position prennent en compte régulièrement la misère sociale des Ivoiriens. En tant que parti politique, l’URD dénonce la politique du gouvernement et son impuissance à lutter contre la cherté de la vie. Faisons attention de ne pas confondre un parti politique avec un syndicat ou une association de consommateurs qui dans le cas présent constitue le cadre idéal pour revendiquer et mener des négociations. C’est ce qu’il se passe actuellement. Chacun a son rôle à jouer et le jour où nous prendrons le pouvoir, nous appliquerons notre programme pour réduire les inégalités sociales, lutter contre l’inflation, augmenter le pouvoir d’achat des ménages, subventionner les denrées de première nécessité, diminuer le coût des médicaments, etc.

Autre sujet de l’actualité, c’est la réforme constitutionnelle. Au-delà de vos déclarations contre le projet, que faites-vous concrètement ? Vous attendez tranquillement le referendum ?
Je me réjouis de ce qu’un débat ait pu s’instaurer malgré tout grâce à l’opposition, grâce à vous, la Presse, et grâce également à d’éminents juristes dont l’éclairage était indispensable. Nous avons ensemble tiré la sonnette d’alarme sur les dérives autoritaires et solitaires du président de la République. C’est vrai que nous faisons beaucoup de déclarations, et elles ne sont pas inutiles. Elles ont permis d’attirer l’attention de l’opinion publique sur un certain nombre d’anomalies qui nous paraissent inacceptables. Mais nous n’avons pas l’intention d’en rester là. Il ne s’agit pas d’un débat entre intellectuels, et nous sommes plusieurs partis de l’opposition à nous organiser pour nous rendre dans les grandes communes d’Abidjan et à l’intérieur du pays afin de sensibiliser nos parents sur l’impact d’une constitution sur le vécu de tout un chacun. Il est indispensable que tout citoyen de ce pays comprenne les enjeux en cours et s’approprie cet instrument fondamental qui lui permet d’exercer sa souveraineté.

Qu’allez-vous faire au cas où le projet tel que pensé par Ouattara est quand même proposé aux Ivoiriens ?
Nous ferons campagne pour le « non ». Ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît car une confusion est en train de s’installer dans les esprits. On entend dire souvent, « oui, nous allons boycotter le référendum ». Dans le cas d’espèce, il ne s’agit pas d’un boycott mais, au contraire, il faut que les Ivoiriens aillent massivement voter pour se prononcer sur leur devenir. De même qu’en 2000, ils ont voté massivement pour le « oui », de la même manière, nous allons les inciter à rejeter massivement ce projet de nouvelle constitution. Il faut que nos compatriotes comprennent qu’une constitution est le fondement sur lequel se bâtit une nation. C’est elle qui organise les pouvoirs publics, qui détermine l’exercice de nos libertés, et les propriétaires de la maison Ivoire doivent comprendre qu’ils ont leur mot à dire. Ce sera « non » à  la démarche solitaire du président de la République qui veut nous imposer sa volonté alors qu’il revient au peuple d’exprimer sa souveraineté.

Que proposez-vous dans le cadre d’une réforme constitutionnelle ?
Nous n’avons pas souscrit au désir du président de la République, qui nous demandait d’envoyer nos propositions au comité des experts, puisque nous récusons son rôle et réclamons la mise en place d’une assemblée constituante ou, à défaut, d’une grande commission consultative comme en l’an 2000, qui réunira toutes les forces vives de la nation. Le Chef de l’Etat, lorsqu’il a reçu l’opposition, n’a présenté aucun texte mais s’est borné à un exposé oral qui nous a situés sur les changements qu’il entend introduire et sur sa volonté d’instaurer une 3ème République. En tant qu’opposition, nous savons exactement ce que nous ne voulons pas. Le ticket président/vice-président ne présente aucun intérêt pour nous car il ne change en rien la nature du pouvoir mais se réduit à de simples préoccupations successorales. Il est également difficilement tolérable qu’au lendemain du référendum, avant les législatives, des mesures transitoires permettent la nomination d’un vice-président qu’on va faire adouber par le Parlement et qui exercera des prérogatives présidentielles déléguées par le chef de l’Etat sans être passé par le suffrage universel. A l’URD, notre réflexion nous amène à rechercher un rééquilibrage entre les pouvoirs publics et le Parlement pour mieux contrôler les activités du gouvernement. Nous souhaitons valoriser la fonction de contrôle de l’Assemblée nationale en augmentant, par exemple, le nombre des commissions permanentes, et en renforçant leurs capacités de régulation.

Comment va votre parti, l’URD ?
Le parti se porte bien. Nous résistons, nos militants sont actifs et nous continuons à animer nos coordinations et nos sections malgré les faibles moyens financiers mis à notre disposition. Nous sommes pénalisés par l’absence d’un siège, qui a été vandalisé en son temps par les FRCI, mais les cadres du parti sont encouragés par la fidélité de nos militants. Après la crise postélectorale, il y avait une chape de peur qui tétanisait nos adhérents et mettait un frein à leurs activités. Je constate aujourd’hui avec satisfaction que la peur est partie, et c’est vraiment un signe encourageant. Je reconnais que nous sommes un petit parti. Nous ne sommes pas forcément bruyants mais je crois pouvoir dire que nous apportons notre contribution et savons nous faire entendre quand il le faut.

Les différents états-majors des partis politiques se préparent activement pour les prochaines échéances électorales, notamment les législatives. L’URD a-t-elle des candidats ?
Oui, nous sommes en train de nous organiser. C’est pour nous une question de survie. Ne seront financés dans la prochaine législature que les partis ayant des élus au Parlement.

Envisagez-vous d’y aller seuls ou en synergie avec d’autres partis ou regroupements de l’opposition ?
Nous avons tout intérêt, au sein de l’opposition, à susciter des alliances pour nous donner le plus de chances de l’emporter. Tout sera étudié en fonction des réalités et nous nous allierons au cas par cas, selon les régions dans l’intention de faire gagner le mieux placé. C’est le réalisme qui doit nous guider.

Vous faites confiance à la CEI pour organiser des élections crédibles ?
Nous avons toujours dénoncé avec force le déséquilibre patent qui existe à la CEI en faveur du pouvoir. Je crois pouvoir dire que l’URD a été de tous les combats, même s’ils n’ont pas abouti. Actuellement, nous sommes très vigilants car le projet de nouvelle constitution a enlevé la commission [électorale indépendante] de la liste des institutions et nous sommes en droit de nous demander ce que cela peut bien cacher. Allons-nous revenir à des élections organisées par le ministère de l’Intérieur ? On ne peut pas effacer d’un revers de la main des acquis obtenus de haute lutte par l’opposition d’alors. Votre question est pertinente mais une lutte est un long processus. L’idéal démocratique se construit petit à petit et les acquis s’arrachent les uns après les autres. Il nous est apparu à l’URD que la solution n’était pas de tourner le dos au jeu politique mais d’y participer cette fois-ci. Nous n’avons pas voulu systématiser la politique de la chaise vide et nous allons appeler tous nos représentants dans les commissions électorales locales à être particulièrement vigilants.

Votre parti a signé avec 22 autres partis une déclaration pour demander le retrait du projet de constitution présenté par le chef de l’Etat. Est-ce le début de la mise en place d’une coalition de l’opposition pour être plus forts ou juste un rassemblement éphémère ?
Se retrouver au sein d’une coalition n’est pas chose aisée ; chaque parti a son agenda et des nuances existent entre les uns et les autres. C’est pourquoi, à mon sens, c’est une belle victoire que d’avoir réussi à ce que 23 partis puissent s’entendre sur une déclaration commune pour dénoncer la volonté du président de la République d’effectuer un passage en force avec son projet de nouvelle constitution. Nous avons la volonté de poursuivre des actions concertées sur des points qui nous rassemblent comme, par exemple, la réconciliation nationale, qui est en panne. Le passif de la crise postélectorale n’a pas été apuré et cela handicape sérieusement la cohésion nationale.

L’URD était membre de l’AFD, l’APN et aujourd’hui le CRED. Qu’est-ce qui explique la multiplicité de ces plateformes ? Dynamisme ou manque de cohésion au sein de l’opposition ?
Il faut plutôt y voir l’expression d’une volonté de se rassembler pour mieux se faire entendre. Comme ce sont des regroupements informels, nous avons toute latitude de créer ce qui nous convient le mieux à un moment précis. Nous avons quitté l’AFD parce que nous étions quatre partis qui demandions qu’une réflexion soit engagée avant la présidentielle, pour déterminer une stratégie électorale discutée et acceptée par tous. Cela n’a pas été fait, nous nous sommes quittés sans nous séparer puisque nous nous retrouvons aujourd’hui dans une même coalition. L’APN, quant à elle, s’est dissoute d’elle-même quand les partis qui la composaient ne se sont pas entendus sur leur non-participation aux municipales. Trois de ces partis se retrouvent maintenant dans le CRED. N’y voyez pas de l’inconstance ou de l’inconséquence mais plutôt la marque d’une vitalité de partis qui s’unissent pour être plus forts.

L’écrivain Bernard Dadié et l’ancien Premier ministre togolais Koffigoh ont initié, depuis le 22 juin dernier, une pétition internationale pour la libération de Laurent Gbagbo. Comment voyez-vous cette initiative ? Peut-elle contribuer à faire bouger les lignes ?
C’est une méthode de mobilisation qui a fait ses preuves dans le monde entier et je salue cette initiative de Bernard Dadié et Koffigoh, appuyée par le FPI du président Aboudrahamane Sangaré, car elle contribue à amplifier la notoriété déjà grande du président Laurent Gbagbo et va aider, nous l’espérons, à réparer l’injustice de sa détention et de celle de Charles Blé Goudé à La Haye. Je suis fière que les membres de mon parti soient associés à tous les démocrates d’Afrique et du Monde qui se mobilisent pour obtenir leur libération. C’est un vaste mouvement de résistance qui s’organise pour les ramener en Côte d’Ivoire, là d’où ils n’auraient jamais dû partir. Et le gouvernement montre sa fébrilité puisqu’il n’hésite pas à emprisonner des personnes dont le seul tort a été de faire signer cette pétition.

Simone Gbagbo est encore devant les assises pour crimes contre l’humanité après avoir été déjà condamnée à 20 ans de prison en 2015. Le constat est que 5 ans après la crise post-électorale, ce sont uniquement les pro-Gbagbo qui sont poursuivis par la justice. Dans ces conditions, peut-on imaginer que la réconciliation puisse être possible ?
La réconciliation telle qu’elle nous est présentée par le pouvoir n’est qu’un leurre. Elle a été mal enclenchée. Peu après son investiture, le président Ouattara s’était engagé à traduire en justice tous les responsables de la crise quel que soit leur appartenance politique ou leurs grades dans l’armée. Etc… Six ans après, la justice des vainqueurs prospère, un seul camp est indexé et les procès se succèdent qui veulent faire croire à l’opinion publique que tous les crimes de la crise reposent sur les seuls pro-Gbagbo. Le sentiment qu’on a est celui d’un acharnement particulier sur Mme Gbagbo et les dernières péripéties médicales qu’elle a subies ne sont pas faites pour nous rassurer sur les capacités de clémence de ce régime. Normalement, l’émergence vise à améliorer les conditions de vie des populations en s’appuyant sur une sécurité dont le rôle n’est pas simplement de réprimer mais aussi de protéger, de rassurer sur une bonne gouvernance, sur la consolidation de l’Etat de droit et sur une justice équitable. Or la détention du président Laurent Gbagbo, de Simone son épouse, de Charles Blé Goudé et de tous ces anonymes qui croupissent dans les prisons ne fait qu’aggraver les divisions, les animosités et un grand sentiment de frustration au sein des Ivoiriens. On aurait été en droit d’attendre d’un homme d’Etat, s’il veut être grand, qu’il ne se soustraie pas à sa fonction d’espérance et de justice.

Propos recueillis par Stéphane Bahi et Emmanuel Akani
Titre original : « Hausse du prix de l’électricité. Boni-Claverie : "C’est le gouvernement qui est responsable" ».


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Source : Le Nouveau Courrier 29 Juillet 2016

jeudi 28 juillet 2016

Leçons d'une semaine chaude

Bouaké, La préfecture de région après les manifestations
contre la hausse du prix de l’électricité.
Une semaine particulièrement chaude vient de passer en Côte d'Ivoire. Semaine du 18 au 24 juillet 2016, au cours de laquelle le régime du RDR a eu des frayeurs. La colère contre le coût exorbitant de l'électricité et des factures qui ne sont vraiment pas les bienvenues. L'adrénaline qui est montée à Yamoussoukro, chez Félix Houphouët-Boigny, s'est emparée, comme du courant électrique, des villes de Daloa et Tiassalé. A ce niveau où il y a eu tout de même des saccages, des pillages et l'incendie de véhicules, le mouvement a pris une proportion marginale. Mais Bouaké qui a commencé timidement, même dans l'hésitation selon des témoins, a pris l’allure d'une rébellion comme des combattants pro-Ouattara savent le faire. Rappelons pour mémoire, que Bouaké était la capitale e la rébellion du Mpci. Un mouvement sanglant devenu plus tard Forces nouvelles (Fn) dirigées par Guillaume Soro, homme de main d'Alassane Ouattara. L'impertinence et la désinvolture de Bouaké est donc rééditée le vendredi 22 juillet 2016. Les automatismes sont si vite retrouvés ! Les symboles de l'Etat sont alors vaincus, mis à sac comme si l'on était en 2002 : commissariat de police, préfecture, Conseil régional, résidence du maire, etc. Puis, comme si également cela manquait cruellement à Bouaké, l'on assiste au casse d'une banque, la Nsia banque. En une seule journée, le contrôle de Bouaké a échappé à Alassane Ouattara. Et selon les sons qui nous sont parvenus du Rhdp, la panique s'est emparée de tous les « pillards » en col blanc, des « boucantiers » et autres arrogants qui ne cessent de cultiver le mépris pour les autres. Au regard de cette quasi débandade, on se rappelle cette boutade sociale : « l'Homme n'est vraiment rien, hein... ». Oui, l'Homme n'est rien, mais bien des gens ne s'en rendent pas compte. Ou alors ils font fi de cette réalité. Si un régime respecte les droits de l'Homme, si les libertés fondamentales sont soignées dans le pays, si la gouvernance se fait avec équité, si l'on ne pratique pas un rattrapage injustifié, bref si l'on ne se reproche rien, pourquoi trembler de tous ses membres au simple constat que Bouaké s'est levée contre la cherté de la vie ? Pendant une décennie, le Rdr, alors parti d'opposition, a imprimé à Bouaké l'esprit non seulement de la contestation, mais du pillage et du casse des banques. Cet esprit est toujours vivant dans la région et porté à agir dès qu'il en a l'occasion. Et cela, quelle que soit la tête de l'exécutif. Car le casse de la banque n'a pas de rapport avec le coût de l'électricité. Mais des individus qui en avaient l'habitude, ou qui enviaient les ex-rebelles devenus impunément riches à partir des casses des banques, dans les régions sous administration de la rébellion de Soro ont franchi le pas. Ils ont saisi ce prétexte pour foncer sur la banque. Voulaient-ils se rattraper ? Peut-être. Le Rdr serait-il effrayé par l'esprit qu'il a créé lui-même dans l'intention de prendre le pouvoir ? Bouaké a ridiculisé le régime en une seule journée de mécontentement. C'est une riche leçon que cette semaine a eu la gentillesse de donner au régime. Il est libre ou non de la retenir.

Germain Séhoué


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Source : Le Temps 27 juillet 2016.

mercredi 27 juillet 2016

Un « Brave Tchè » plus très en forme, ou le système Ouattara vu de l’intérieur par l’un des siens

Alex Soleymane Bamba (à droite) et Marcel Amon Tanoh
J’avais anticipé, autant par conviction que par affection et sentiment pour mon grand frère, Premier ministre, chef du gouvernement, bien-aimé du père fondateur Houphouët-Boigny, devenu lui-même président de la République comme son père spirituel. Je m’astreins, hic et nunc, ici et maintenant, à un exercice que m’impose la situation sociopolitique.
La météo politique n’est pas bonne, en effet. Pour tout dire et, ce n’est un secret pour personne, elle est très mauvaise. Les réactions ainsi que les ingrédients symptomatiques d’une déflagration l’attestent. Ce sont des indicateurs de tendance. Le ciel s’est amoncelé de nimbus, cumulus, cumulo-nimbus. Il faut craindre un orage, que dis-je, un ouragan, voire un cataclysme de la pire espèce
DES POLITIQUES DISQUALIFIÉS
Ce tableau sombre, mais si réel pourtant, justifie que par devoir de fraternité, je clame urbi et orbi, mon amertume et mon objection afin de sauver, si telle en était l’impérieuse nécessité, ce qu’il reste encore et restera toujours du grand rêve des « Solutions » que fit germer dans le cœur des populations Alassane Ouattara. Je n’ai eu de cesse de l’interpeller sur nombre de situations sujettes à caution et mal gérées par des personnes qu’il a ointes de sa confiance mais qui, à l’épreuve, ne s’en montrent pas à la hauteur. De même, souventes fois, j’eusse à attirer son attention sur le murmure du peuple qui sonne plus vrai que les incantations des politiciens carriéristes aux discours méprisants et choquants.
ILS VOUS POUSSENT A LA FAUTE
Des politiciens dont, à la vérité, pour beaucoup le choix n’est pas justifiable. Premièrement : ils n’ont pas de relations d’histoire avec le peuple de Côte d’Ivoire. Deuxièmement : ils ont un discours usé et dépassé. Troisièmement : ils ne sont pas généreux et sont en déphasage avec les réalités vécues par les populations. Quatrièmement : leur arrogance et suffisance horripilent les habitants. Résultat : Ces hiérarques, apparatchiks et oligarques sont rejetés par le peuple. Il en résulte, un rejet total de l’opinion de ces promus qui, pour n’avoir rien été hier, se laissent visiblement griser par les privilèges que leur confère leur position. Une posture égocentrique qui ne peut se targuer que d’être triste, dans un environnement qu’ils mènent à la tristesse des gens tristes. Tryptique ou déclinaison, oserait-on dire, du champ lexical et sémantique de la « tristitia ». Je ne voudrais pas me montrer alarmiste ou jouer les Cassandre. Je regarde avec froideur, la froidure des temps dont les signes s’annoncent peu cléments. Et j’imbibe ma plume dans l’encre de la rage que m’inspire l’observation des faits, pour dire que certains des choix opérés par le chef charismatique sont discutables ô combien.
DES DISCOURS INADAPTÉS
L’on ne peut autrement comprendre, aujourd’hui, les sautes d’humeur auxquelles est en proie le peuple de Côte d’Ivoire, comme si l’on retombait dans les années de la fin de règne du Sage de Yamoussoukro qui plongèrent le pays dans une lente et pernicieuses crise provoquée par la guerre des héritiers et les provocations outrancières d’une opposition insatiable et peu reconnaissante des bienfaits qu’elle reçut du père fondateur, leur permettant de s’instruire et de devenir des cadres et autres leaders d’opinion. Si le front social est en effervescence, nous parlons de celle-là même qui aboutit à l’ébullition, il ne faut guère aller en chercher loin les motifs. Vos hommes ont failli ! Des décisions inopportunes ou mal exécutées en sont la cause patente. Il faut craindre que l’on ne s’engouffre dans le tunnel d’une fin de mandat pour le moins agitée, susceptible d’ouvrir une lézarde à travers laquelle l’adversaire pourrait reprendre du poil de la bête, lui qui n’attend que pareille aubaine et ne prospère que dans le désordre et la démagogie populiste. L’œuvre bâtie s’effondrerait alors comme un château de cartes. Votre réputation en souffrirait. Les ménages ne sont pas contents, parlant de la cherté de la vie (panier de la ménagère, coûts exorbitants des factures d’eau et d’électricité etc.). Lorsque la goutte commence à déborder le vase, l’on ne doit pas être surpris par les événements survenus à Yamoussoukro, à Daloa, à Tiassalé, à Bassam, à Korhogo, dans certaines communes d’Abidjan et ailleurs. Il faut craindre l’effet papillon ou boule de neige. Que les étudiants et les enseignants soient en colère, il faut s’interroger sur les causes profondes de leur mécontentement. Dans le transport, la délivrance des permis de conduire, etc., il y a aussi problème. C’est à s’interroger pour savoir dans lequel des domaines il n’y a pas de problème tant rien ne semble plus aller. Vos obligés ont failli. Je signe et je persiste.
IL NE FAUT PAS SE CROIRE INVINCIBLE
Tout se passe comme s’ils œuvraient à désacraliser votre image, votre autorité, votre intégrité, votre attachement au travail bien fait et au développement, votre vision de l’émergence. Et à cette posture interlope et traitresse, je m’oppose avec véhémence. L’on ne peut pas avoir autant souffert et sacrifier le fruit de tant d’années de lutte sur l’autel d’ambitions mesquines et opportunistes. Le chef souhaite voir refleurir une Côte d’Ivoire réconciliée. Le peuple entier adhère à cette philosophie, témoignant de sa mansuétude qui se traduit en actes avec le retour de nombreux exilés qui ont fini par comprendre qu’il faut laisser le passé enterrer le passé. Nombre de ces enfants prodigues sont revenus, accueillis avec honneur et cordialité. Cela a séduit davantage nos compatriotes qui ont compris la force du pardon qui participe de la volonté du Président de tous les Ivoiriens de faire table rase du passé. Paradoxalement, à l’opposé de cette belle attitude, de son propre camp sont venus des bruits discordants prenant à revers sa vision d’un pays réconcilié. Des propos de nature à réduire à néant les efforts consentis comme si de la Case l’on jetait de l’huile sur le feu. Il y a, faut-il l’admettre ou le confesser, des politiques disqualifiés, car n’étant plus au diapason de la marche de la nation et de la cadence à elle donnée par le président de la République. Ces politiciens carriéristes dont les piliers de la conviction et de l’engagement n’ont été, à la vérité, érigés que sur du sable mouvant, il faut vous en séparer car ils vous poussent à la faute.
IL NE FAUT PAS ÊTRE HERMÉTIQUES AUX SUGGESTIONS
Leurs discours mal inspirés et guerriers font peur aux Ivoiriens et, pire, réveillent en eux les fantômes du passé. Il y a un choix à faire. Certes douloureux, mais c’est ainsi. Agir autrement en tentant de conserver la racine de la gangrène, c’est risquer le conduire le navire à la perdition inévitable. Il ne faut se croire ni invincible ni invulnérable. Seul Dieu est invincible et invulnérable. Libre au chef d’en prendre la juste mesure. Moi, pour avoir été ce que je fus dès le début de cette exaltante aventure, j’aurais pu m’offusquer du traitement dont je suis l’objet et regarder se dérouler sous mes yeux la dégénérescence du système, mais je ne le puis supporter. C’est, encore une fois, l’expression de ma foi et de ma conviction fondée sur le roc qui fonde ma démarche. Je me réjouis de la nomination d’un porte-parole du RHDP qui porte haut la voix de la famille houphouétienne, de ses valeurs inusables, tout comme je me console du fait qu’il subsiste quand même des hommes dignes dans notre république, proches du leader emblématique ou exerçant à d’autres niveaux de responsabilité. Devrais-je les citer ? Oui, car ils méritent de servir de modèle. Soro Guillaume auquel pourrait avec réussite être confié le dossier des Universités, Hamed Bakayoko qui pourrait bien se charger de la concorde sociale, Amadou Gon, Amon Tanoh, Sangafowa Coulibaly, Ahoussou Kouadio, Koné Kafana, Akossi Bendjo, Fofana Siandou et quelques autres que l’on peut aussi mettre en mission sur des questions particulièrement sensibles.
ÉVITER DE LAISSER POURRIR LA SITUATION
Comme quoi, dans la grisaille, ces personnalités représentent l’espoir qu’incarne le premier citoyen ivoirien dont le nom est plus qu’un label, car constituant de véritables rayons de soleil. Eux, comme moi, savent qu’il faut éviter de laisser pourrir la situation. Les clignotants sont au rouge.
C’est le peuple qui fait les rois. Parce que la voix du peuple, c’est la voix de Dieu. Vox populi… Le peuple Ivoirien n’est pas content. Et les manifestations auxquels l’on assiste ces derniers temps au Sud, au Nord, à l’Ouest, à l’Est et au Centre sont révélatrices. Il faut éviter que l’expression du ras-le-bol ne prenne d’autres proportions et surtout ne devienne une habitude. Les faits sont suffisamment graves. On ne le dira jamais assez. Pour autant, la situation n’a pas encore atteint le seuil critique. Il faut agir et réagir promptement et avec efficacité. Vigoureusement. Il faut au peuple donner satisfaction. C’est là le moindre mal et l’ultime remède. Il y va de la sauvegarde du mythe du « Brave Tchè », l’homme des Solutions. Le père de l’émergence de la Côte d’Ivoire. La fin d’une chose vaut mieux que son commencement, dit l’adage scripturaire. Il ne faut pas gâcher tant d’années de dur labeur à cause d’hommes qui, à la moindre brise, prendront la poudre d’escampette et voueront leur bienfaiteur aux gémonies. C’est bien su, l’on n’est mieux trahi que par les siens.
LES FAIBLESSES DU SYSTÈME
Il ne faut en rien éluder les questions sociétales. Globalement, l’Ivoirien aujourd’hui est mécontent. Et pour cause : il a le net sentiment d’être incompris, si ce n’est méprisé tout simplement. Les discours dépassés et incendiaires des politiques en sont le ferment. Il y a eu un laisser-aller qui, de plus en plus, rejailli négativement sur le chef. Des décisions impopulaires sont prises dans le dos du chef. Des actes de mauvaise gouvernance sont posés et passés au silence. Et le peuple, aussi innocent qu’il puisse être, de s’interroger : « Comment le chef peut-il n’être jamais au courant, alors que nombre de décisions sont prises en Conseil des ministres ? » Pourtant il ne peut se résoudre à douter de celui qui a toujours prêché par l’exemple et qui a mis au cœur de son système la compétence comme critère de sélection et de désignation de ses collaborateurs. Le peuple n’est pas dupe qui sait qu’il y a des brebis galeuses qu’il faut extirper du troupeau. Il n’y a pourtant rien d’étonnant à cela. Nombre de ses rapaces et opportunistes ne pensent désormais qu’à l’après Ouattara. C’est une vérité qu’il faut dire, même si elle choque. La nature profonde de certains collaborateurs est en train de faire surface face aux incertitudes de demain. D’où les bourdes qui se multiplient et qui ont tendance à exaspérer le peuple qui croit, lui, à l’émergence dont le chef lui a dévoilé la magnifique lueur. Ceux qui avant son avènement ne représentaient rien à l’échelle nationale et qui aujourd’hui mènent un train de vie dont ils n’avaient jamais rêvé, ont peur de retomber dans l’anonymat et dans leur position antérieure. Ils affichent donc arrogance et sont peu généreux. Ils sont amnésiques de leur passé et oublient que c’est Dieu qui élève et qui abaisse. Les faiblesses du système viennent en partie de là. Ces parvenus sont coupés du peuple et ne présentent pas au chef de l’Etat le vrai visage de ce peuple qui l’a élu, réélu, et qui attend toujours beaucoup de lui. Le ver est dans le fruit.

Bamba Alex Souleymane, Journaliste, inamovible conseiller spécial des Premiers ministres entre Avril 2003 et Mai 2011.

Titre original : « Qui veut briser le mythe du "Brave-Tchê" ? »



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 Source : ivoirebusiness.net 25 Juillet 2016. 

dimanche 24 juillet 2016

Sur le long chemin de l’émergence, …la mort rôde !

Ces 15 dernières années, la Côte d’Ivoire connait une violence de plus en plus grandissante. La mort rôde dans les moindres villes, les moindres quartiers, et les autorités ne s’en soucient point. Analyse.


Qui pour éloigner les Ivoiriens de la mort qui rôde ?

Sur les réseaux sociaux une vidéo a semé l’émoi : on y voit un prétendu voleur à terre, mains nues, torturé par un policier en tenue, lynché par des abrutis déchaînés qui lui fracassent le crâne avec des briques et finalement abattu à bout portant par ce policier d’élite, alors qu’il était déjà inconscient.

Cette scène ordinaire de la vie ivoirienne se déroulait dans le quartier commerçant de Treichville devant une forêt de smartphones qui immortalisaient ce meurtre pour le plus grand plaisir sadique de tout ce troupeau agglutiné. Cependant, l’absence de ces reporters d’un nouveau genre aurait fait passer aux oubliettes ce crime que les autorités auraient taxé de rumeur infondée.

Ces nombreuses images seront naturellement publiées, ce qui obligera le policier meurtrier à rendre des comptes ; si des preuves accablantes n’avaient pas permis de diffuser cet acte odieux, la mort aurait été, comme très souvent, banalisée et sans aucun intérêt.

On devrait s’interroger sur cet amour morbide que l’on croise dans trop de circonstances :
– sur les routes, lors d’un accident grave ou dégouline l’hémoglobine, tous les voyeurs s’arrêtent, bloquent la circulation et prennent des photos, au risque de provoquer d’autres accidents
– les petits microbes (bande de jeunes voyous) tuent sans état d’âme pour voler ou piller ; en réponse, les forces de l’ordre tuent ce qu’ils prétendent être des microbes ; les habitants des quartiers concernés s’érigent en vengeurs et tuent ce qui pourrait ressembler à un vague ennemi ; on en profite, au passage, pour régler quelques comptes !!
– si un voleur est blessé lors d’une tentative, la Police reprochera à la victime de ne pas « l’avoir fini » ; si le voleur gémit de douleur, il n’est pas rare de lui faire boire un verre d’eau glacée pour en terminer plus rapidement.
– des élections approchent : on tue des jeunes enfants au titre des sacrifices … Le commerce des cœurs, cerveaux ou autres sexes, fait fureur ; les marabouts sont en embuscade pour garantir aux grands types une réussite éclatante …mais très onéreuse.

Ne parlons pas des crimes ordinaires perpétrés sur les routes par les chauffards de minibus, aussi inconscients qu’idiots qui se nomment souvent « s’en fout la mort » ! C’est par paquets de 10 ou 15 que se comptent les victimes lors de ces accidents.

La mort rôde donc naturellement dans l’espace ivoirien sans que cela n’émeuve les différentes autorités qui continuent à pérorer et à expliquer que toutes les dispositions sont prises et que le brave peuple peut dormir tranquille – en cas d’incident grave, on dira que c’est Dieu qui a voulu ou encore que c’est la faute à pas de chance !

Ainsi va la Côte d’Ivoire sur le long chemin de l'émergence !

Anonyme


EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».


Source : Afrique sur 7  23 juillet 2016

vendredi 22 juillet 2016

Burkina Faso : Et si le triumvirat avait déjà perdu le pouvoir ?*

Dessin de Glez
Ceci est l’analyse politique d’un début de règne qui ressemble étrangement à la fin de règne d’un autre dinosaure politique qui a été désarçonné par son peuple.
Le mercredi 13 juillet 2016, à la RTB-télé, au moment du point de presse sur les décisions du conseil de ministres, est apparu un ministre de la communication totalement désemparé qui a perdu son enthousiasme et son volontarisme de départ lorsqu’il rentrait pour la première fois au gouvernement.
Mieux, dans un scénario parfaitement bien construit pour faire comprendre au peuple que la sérénité ne régnait plus dans le régime, la RTB a fait suivre l’interview du Président, qui une fois de plus chargeait la Transition, en nous rebattant les oreilles avec cette énième histoire de caisses de l’État vides. C’est une situation qui inspire à tout analyste sérieux la réflexion suivante : le trio Roch, Salifou et Simon (RSS) vient-il de perdre le pouvoir ?
Au début du régime RSS, nous avons fait plusieurs alertes et proposé des pistes de solutions parce qu’il nous semblait évident que l’intérêt supérieur de ce pays devait primer sur tout autre intérêt. Beaucoup d’autres personnes plus avisées des questions politiques, économiques et sociales ont également donné les mêmes alertes. Mais le RSS n’en a eu cure !
On pourrait citer la question sécuritaire, la question de la réforme de la gouvernance administrative, la question de la réconciliation et de la justice, la question de l’économie, la question de la grève du zèle, etc., qui sont passées sans complaisance sous notre plume.
En fait, depuis le début, la vision trop idéaliste de la gestion de l’État qu’a le président du Faso, exposée en grandeur nature dans son projet de société idéaliste et irréaliste, a déteint sur toute la politique du gouvernement, et nous l’avions dit à l’époque lorsque nous avons prévenu que la discours de politique générale de Thiéba était démagogique. À cela on nous a répondu qu’il fallait prier Dieu pour qu’il réussisse tout ce qu’il a promis.
Mais le management public moderne est une science qui se rapproche par ses méthodes et les outils d’aide à la décision, de plus en plus perfectionnés et de haute qualité technique et scientifique, vers la grande famille des sciences exactes qui ne saurait se contenter de telles pensées peu accommodantes et incantatoires, implorant la pitié et la clémence à la limite.
Il s’agit là d’un appel à la clémence qui a été désavoué seulement quelques semaines après par une forte abstention aux municipales, puis l’accentuation de la grève du zèle et un rythme accru des grèves d’agents publics qui laisse entrevoir un chaos à l’horizon si rien n’est fait. Pire, ces derniers jours, le laboratoire politique national, l’Arrondissement 4 de Ouagadougou, vient de donner son verdict. Il est sans ambigüité.
Tout comme avec Blaise, l’Arrondissement 4 reste une citadelle imprenable, même par des méthodes peu orthodoxes. Pour les RSS, le glas semble avoir sonné ! L’Assemblée nationale aussi risque de leur échapper à la prochaine rentrée politique, avec les défections de petits partis alliés, les contestations au sein du PAREN et un UNIR-PS réduit en peau de chagrin qui n’honore guère les idéaux qu’il prétend défendre.
Je ne voudrais pas jouer à l’oiseau de mauvais augure, mais il est grand temps que le RSS se réveille de son sommeil, parce que la réalité du pouvoir est tout autre et la gestion moderne de l’État est loin d’être une science qui se satisfait des approximations. En effet, j’ai toujours dit qu’avec un paquet de ressources informationnelles, temporelles, matérielles, financières et humaines utilisées à des dosages constants, on obtient invariablement le même résultat, quel que soit l’endroit de l’univers dans lequel on se trouve. Le tout dépend de la machine qui va transformer ces ressources, c’est-à-dire de l’appareil administratif. C’est pourquoi, la seule réforme dont a véritablement besoin le Burkina Faso aujourd’hui, c’est la réforme de la gouvernance administrative.
Au lieu de cela, c’est la question inopportune et coûteuse de la réforme constitutionnelle qui est proposée, c’est-à-dire comment conserver le pouvoir dans une dévolution entre amis. À travers les indications données sur l’orientation de cette nouvelle constitution, par Salifou Diallo et le Président Roch, on devine leurs intentions : un régime parlementaire qui concentre le pouvoir entre les mains de Salifou Diallo et Roch Kaboré. Peut-être fait à dessein pour éjecter Tebdjéré, si c’est de façon concertée ! Sinon, il faut craindre encore un autre coup de Salifou, qui a fait de Roch le roi qu’il est.
Dans cette seconde hypothèse, on comprend mieux pourquoi Salifou s’est empressé de prendre le perchoir : faire semblant de ne pas vouloir être roi, puis nous rejouer peut-être le coup de Blaise à Sankara, une espèce de scénario à la turque, version Rejep Taïp Erdogan. De sources généralement bien informées, ce serait bien Salifou Diallo qui aurait vendu cette idée à Blaise en 2013.
Le refus de Blaise d’y souscrire lui aurait alors valu son sort actuel. Peut-être parce que Salifou sentait son heure venir et l’attente trop longue à son goût ! Mais tout ceci n’est qu’hypothèses… Et pourtant, si cela s’avérait, l’explication du refus de Blaise de pardonner à ses anciens copains et le pourquoi de l’asphyxie artificielle de l’économie burkinabè, malgré les efforts des populations, sont trouvés.
S’il est vrai que le numéro 2 lorgne depuis toujours sur la place du numéro 1, comme le prédisait Norbert Zongo, alors que celui-ci ne veut plus d’autre numéro, et que le numéro 3 aimerait bien être à la place du numéro 2 parce qu’il s’estime grugé et qu’on lui aurait confié le costume le plus mal taillé à sa forme et ses capacités politiques et managériales, la solution serait de mettre fin à cette guéguerre et de trouver un cobaye politique pour relancer un pays plus que jamais dans l’incertitude.
Un cobaye politique qui voudrait bien être le mouton du sacrifice, ayant les capacités intellectuelles et politiques pour réformer l’appareil d’État, mais aussi pour rassembler les citoyens autour de l’essence de l’État et de la citoyenneté, afin de mettre en œuvre, de façon consensuelle, les réformes économiques qu’il faut à ce pays. Y a-t-il quelqu’un d’aussi courageux et compétent parmi les hommes politiques burkinabè pour porter un tel costume ?
Peut-être a-t-on vraiment raté le coche avec le rejet du pertinent recours d’Ablassé Ouédraogo contre la candidature de Roch Marc Christian Kaboré à l’élection du président du Faso du 29 novembre 2015. Avec le temps, on s’aperçoit que c’était un recours utile pour rechercher un jeu politique plus équilibré avec des acteurs moins impliqués et moins immergés dans la gouvernance passée. Certes, il est mal de contester une décision de justice, mais ce recours avait les qualités, selon les échos, pour être solide, juste, légitime et juridiquement prospère pour l’avenir de ce pays.
Avec le recul on est tenté de se demander : « Et si Ablassé avait tort d’avoir eu raison trop tôt ? ». Aujourd’hui, la situation politique, économique et sociale nationale est plus que jamais grippée. Les ministres et leur chef sont presque dans une situation de désarroi, avec des paroles inaudibles ou des décisions qui ne sont pas contestées, mais que le peuple refuse d’exécuter : encore de la grève du zèle !


Simon Compaoré, accumule les désaveux flagrants de ses supérieurs hiérarchiques et les railleries de ses administrés
Tout récemment, on l’a vécu dans le dialogue de sourd entre le ministre de la Santé et les commerçants installés aux abords de l’hôpital Yalgado. Pire, et cela est insoutenable, le ministre le plus contesté et le plus décrié du gouvernement Kaba Thiéba, l’un des RSS, Simon Compaoré, accumule les désaveux flagrants de ses supérieurs hiérarchiques et les railleries de ses administrés, comme les Koglweogo qui rejettent les décisions du gouvernement les concernant, dans la gestion de la sécurité de notre pays. Est-ce que le Rubicon n’a pas été allègrement franchi pour que notre Tebdjéré national rende sa démission pour sauver sa dignité et son honneur ?
Il y a eu certes quelques progrès sur la circulation routière, avec beaucoup moins d’enjeux économiques, politiques et sociaux comme l’ont la sécurité intérieure et la souveraineté nationale. C’est justement sur ses terrains de prédilection qu’il a fait l’objet du désaveu de son patron, le président du Faso, avec l’affaire des responsables du CDP empêchés de voyager, ou encore l’affaire Koglweogo où il a suffi d’un simple portevoix du président, le conseiller spécial Tankoano, qui le rappelle vertement à l’ordre par une annonce surprise du démantèlement prochain des Koglweogo sans mort d’hommes. Une actualité récente nous montre qu’il n’a pas fallu autant d’humiliation à Christiane Taubira pour jeter à Hollande son portefeuille de ministre de la Justice.
Lorsque le régime de Blaise atteignait son déclin, c’est cette même situation d’anarchie qui se répandait comme une traînée de poudre dans chaque catégorie socioprofessionnelle, dans chaque contrée du pays. Aujourd’hui, si le gouvernement et le président se confondent presque quotidiennement en excuses pour des actes qu’ils ont posés ou manqués de poser, ou bien s’ils implorent la clémence des uns et des autres c’est tout le pays qui est en danger, parce que de mémoire d’homme, je n’ai jamais vu un pays prospérer sur un tel sentier. Le pouvoir, l’État, doit simplement être fort, comme aux États-Unis, s’il veut être pérenne.


Le pays a d’énormes potentialités
Et pourtant, le pays a d’énormes potentialités. D’abord son appartenance à l’UEMOA et à la BCEAO. Lorsque l’on analyse les résultats économiques de la BCEAO, malgré les dévaluations, l’on n’a aucune souvenance de zones de turbulences traversées par cette banque, contrairement aux banques centrales européennes et américaines. C’est un bon signe ! En outre, les possibilités d’élargissement de l’assiette fiscale sont énormes, et les flux financiers qui échappent au contrôle de l’État, ahurissants.
Mais seule une organisation méthodique de l’État, portée par une réforme de la gouvernance de l’appareil chargé de drainer ses flux vers les caisses de l’État pourrait sauver le pays du chaos et impulser le développement. Mais qui a vraiment intérêt sous ce régime RSS à ce que ce genre de réforme voie effectivement le jour, s’il est vrai que le MPP s’est très bien préparé à prendre le pouvoir, mais pas à le gérer comme le dit le chef de file de l’opposition (CFOP), comme si sa victoire l’avait surpris.
La condition sine qua non pour relancer l’État est le changement de mentalité et de pratique politique des RSS. Le 21ème siècle, ère du numérique, n’est pas celui de l’ignorance qui caractérisait les années 80 et 90, celles de leur apogée ! Les RSS gagneraient par exemple à comprendre que dans cette ère-là, c’est l’information qui est reine.
Naturellement elle précède le droit. Parfois c’est elle qui impose la norme et crée le droit. On l’a vu en 2008 où la crise financière s’est répandue assez rapidement grâce à l’interconnexion des pays, et où le Vatican lui-même s’est impliqué et a exhorté les dirigeants des pays développés à assainir les finances mondiales.
L’information a donc obligé ceux-ci à légiférer sur la gestion des finances mondiales et créer de nouvelles règles de gestion financière pour juguler la crise. Donc l’information est susceptible de faire bouger les normes canoniques, en raffinant leur interprétation, et les normes modernes. C’est pour cette raison que la hiérarchie des pouvoirs au sein des États modernes semble en pratique avoir été bouleversée.


En voulant s’engager dans le bras de fer avec les informaticiens, l’État burkinabè a mis a nu toute son impuissance
Les États modernes ne fonctionnent plus sur la base du droit, uniquement comme des États de droits, mais des États de l’information qui utilisent le droit comme une simple ressource pour organiser la vie, au même titre que toutes les autres ressources, avec l’informatique (information numérique dans sa version soft) comme le seul outil de la gouvernance de l’État.
En voulant s’engager dans le bras de fer avec les informaticiens, l’État burkinabè a mis à nu toute son impuissance. Le régime RSS n’aura probablement que ses yeux pour pleurer parce que la rentrée politique 2016-2017 s’annonce des plus chaudes avec le retard sur la mise en œuvre de la loi 081, les revendications corporatistes et la surenchère des prétentions salariales et indemnitaires qu’il a occasionnés en ouvrant la caverne d’Ali-Baba aux magistrats, sous l’œil intéressé de Bassolma Bazié et ses copains de l’Unité d’action syndicale (UAS).


Même si Zida se résolvait à faire face à la justice de son pays, tout ne redeviendra pas rose pour autant 
En sept mois de vie, le régime RSS, à défaut d’être capable de faire de la gestion de l’État, a fait l’état de la gestion, mais exclusivement de la Transition, à laquelle il était pourtant partie prenante, et même officieusement très impliqué. On n’a pas besoin d’aimer le Zida-politique, pour savoir que le problème du Burkina Faso aujourd’hui n’est pas le général Zida. Je me souviens que personnellement je n’ai pas eu de sympathie pour le Zida-politique, et beaucoup d’occasions m’ont été offertes de lui dire de ne pas accepter d’être reconduit parce qu’il en souffrirait. Aujourd’hui, la justice veut l’entendre et il doit avoir le même courage qu’il a eu lorsqu’il a accepté le poste.
Même si Zida se résolvait à faire face à la justice de son pays, tout ne redeviendra pas pour autant rose, comme on veut nous obliger à le croire. Ce qu’il semble avoir puisé n’est qu’une broutille comparativement à ce que le pays a perdu et continue de perdre dans la crise et son prolongement.
 À l’interne et à l’externe, dans les relations établies et la froideur qui les caractérise, il est plus que probable que les RSS viennent de perdre le pouvoir. Il y a des signes qui ne trompent pas et à chacun de faire maintenant face à son passé avec courage et dignité.
À défaut de trouver d’autres ressources pour organiser d’autres élections plus propres pour sauver le Burkina Faso, il faut lui trouver un cobaye pour faire la vraie réforme de l’État de manière désintéressée, afin que la cupidité, l’incompétence et l’avidité notoires de certains de ses fils ne puissent plus jamais être un joug pesant pour son développement.

Ousmane Djiguemdé
(*) - Titre original : « Et si les RSS venaient de perdre le pouvoir ? »

Source : Burkina24, 21 juillet 2016

jeudi 21 juillet 2016

« Trop, c’est trop »…

Daloa, le 20 juillet 2016. Manifestation contre la hausse du prix de l’électricité.
(Photo : Page Facebook de Spotboxlive.com)
Seuls les Ivoiriens ne s’étant pas prévalus d’une autre nationalité et nés de père et de mère eux-mêmes ivoiriens sont autorisés par la Constitution de 2000 à briguer la présidence de la République ? Il répondra qu’il ne se sent pas concerné ?
Le 19 septembre 2002, le pays, qu’il avait auparavant promis de rendre ingouvernable, est attaqué par une horde de voyous et d’illettrés ? Il n’est pas au courant. L’attaque fait 300 morts et des milliers de blessés ce jour-là ? Non seulement il n’est pas au courant mais il n’a rien à voir avec cette tentative de coup d’État car il se considère comme un démocrate, c’est-à-dire qu’il est pour la conquête du pouvoir par les urnes. Or, au moment où le candidat démocratiquement élu en octobre 2000 prêtait serment, le RDR avait dit à ses militants que le pouvoir était dans la rue et qu’ils devaient y aller pour le ramasser. Or, au cours d’un meeting tenu en 2003 à Korhogo, Koné Zakaria avouait : « Quand on se préparait au Burkina, c’est Alassane Ouattara qui envoyait 25 millions de [F CFA] par mois. On n’a pas pris les armes pour IB [Ibrahim Coulibaly], on n’a pas pris les armes pour Soro mais pour Alassane ». Chérif Ousmane lui emboîtera le pas en révélant à Mankono que « c’est à cause d’Alassane Ouattara qu’ils ont pris les armes et qu’ils ont pris les armes pour qu’il soit candidat ». Or, lors d’une visite à Bouaké en juin 2009, lui-même félicita les rebelles pour « la justesse de leur combat et pour les sacrifices consentis », puis fit remarquer que c’était « un combat indispensable ».
L’ancien ministre Assoa Adou est emprisonné pour avoir critiqué le régime ? Il n’est pas au courant.
Les factures d’électricité sont illégalement gonflées par des agents malhonnêtes ? Il déclarera, le 1er mai 2016, qu’il n’est pas au courant et qu’il veillera à ce que les victimes de ces factures fantaisistes soient remboursées.
La France, « patrie des droits de l’homme », décrète un embargo sur les médicaments ainsi que la fermeture des banques, deux crimes contre l’humanité qui provoqueront la mort de milliers d’Ivoiriens ? Il n’est pas au courant.
Le 29 mars 2011, plus de 800 personnes sont exterminées à Duékoué par les FRCI, selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ? Il n’est pas au courant.
Les microbes, adolescents délinquants et drogués, tailladent et tuent les gens à Adjamé, à Yopougon et à Koumassi ? Il n’est pas au courant. Sinon, il aurait pris des mesures vigoureuses pour que le mal soit jugulé vite et bien.
Des routes devenues impraticables aussitôt après avoir été bitumées ? Il n’est pas au courant.
Des fonctionnaires détournent les deniers publics ? Il n’est pas au courant.
Des familles ivoiriennes, dépossédées de leurs terrains par des étrangers se permettant des choses qu’un Ivoirien n’oserait faire chez eux, sont désormais condamnées à dormir à la belle étoile ? Il n’est pas au courant.
Nous avons ainsi affaire à un individu qui n’est jamais au courant de ce qui se passe autour de lui, du mal et des souffrances que lui et ses hommes font subir aux Ivoiriens depuis 1989. Pourquoi n’est-il jamais au courant ? Parce qu’il n’a jamais voulu assumer, parce qu’il a toujours eu le comportement d’un lâche, comme l’autre qui ignorait qu’il y avait un coup d’État contre Thomas Sankara, qui dormait quand Jean-Baptiste Boukari Lingani et Henri Zongo étaient froidement exécutés, ou qui n’était pas là quand le journaliste d’investigation Norbert Zongo et ses compagnons étaient calcinés dans leur voiture. Pour échapper à la sanction du peuple burkinabè, il est devenu Ivoirien mais pour combien de temps ? Car, pour Roch-Christian Kaboré, « quand on a été pendant 27 ans président d’un pays, il faut assumer ses responsabilités devant son peuple ». Bref, les deux hommes, qui ont toujours rêvé de mettre le grappin sur notre pays, ne savent jamais. Quant à nous, nous savons une chose : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps » (Abraham Lincoln). Nous savons aussi que « 364 jours pour le voleur, un jour pour le propriétaire ». Le jour du propriétaire est-il arrivé en Côte d’Ivoire ? Sommes-nous dans ce que les Grecs appelaient le Kairos, ce temps favorable et opportun ? Quand un peuple se tait, on peut avoir l’impression qu’il a abdiqué, qu’il a renoncé à se battre, qu’il est complice de ceux qui le font souffrir. Mais il suffit d’une injustice de trop, d’une pilule amère de trop, pour qu’il sorte de son silence et de son indifférence. Incontrôlable et indomptable, il est alors en mesure de renverser tout ce qui se trouve sur son chemin. Le peuple ivoirien, qui n’a jamais été autant malmené et spolié, s’est-il réveillé ? Nous ne le croirons véritablement que si les protestations contre la vie chère et la dictature, qui ont commencé à Yamoussoukro et à Daloa, s’étendent à toutes les villes du pays, si les parents d’élèves bravent la peur pour se joindre aux étudiants dont le seul crime est de revendiquer de meilleures conditions de vie et de travail, si toutes les couches sociales, réalisant que « trop, c’est trop » et que la situation est devenue intenable pour la majorité des Ivoiriens, descendent et restent dans la rue jusqu’au départ d’un régime qui, tout bien pesé, aura fait beaucoup de promesses mais n’aura réalisé que peu de choses pour les Ivoiriens.
Jean-Claude Djereke
Titre original : « Le peuple ivoirien s’est-il réveillé ? » 

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 Source : connectionivoirienne.net 21 Juillet 2016