jeudi 29 janvier 2015

Je suis convaincu que sans le peuple, l'élite d'un pays ne saurait avoir de justification à sa propre existence.


J.-B. Mockey
1915-1981
29 janvier 1981-29 janvier 2015. Il y a 34 ans, Jean-Baptiste Mockey, ancien Secrétaire général du PDCI-RDA, alors ministre d'État, ministre de la Santé, trouvait la mort dans un étrange accident de la circulation dans sa bonne ville de Grand-Bassam dont il venait à peine d'être réélu maire. Jean-Baptiste Mockey fut l'un des huit prisonniers du gouverneur Péchoux incarcérés à la prison de Grand-Bassam suite à l'affaire du 6 février 1949, et jugés en cour d'assises en mars 1950. Le document ci-dessous est le texte de la déclaration qu'il adressa à ses juges avant une condamnation dont il ne doutait pas qu'elle était décidée d'avance.
La Rédaction
 
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DÉCLARATION DE MOCKEY DEVANT LA COUR D’ASSISES DE GRAND-BASSAM LORS DU PROCÈS DU 6 FÉVRIER 1949.
 
Parlant des événements du 6 février survenus lors d'une conférence publique organisée par D..., M. le Ministre des Territoires d'Outre-Mer Coste-Floret avait, le 13 février 1949, déclaré à Abidjan : « Les responsables seront châtiés ».
Mieux, avec une satisfaction non dissimulée, M. Coste-Floret pré­cisait dans les milieux officiels de la Métropole : « Cette fois, je tiens le RDA. Nous avons le dossier qui désormais établira d'une définitive les crimes du RDA en Côte d'Ivoire ». Cette appréciation symptomatique formulée par ce membre du gouvernement français d'alors, sur un dossier dont l'instruction n'était même pas commencée à cette époque révèle :
·      Premièrement, le caractère spécifiquement politique de cette affaire surtout lorsqu'on considère, d'une part, les conditions de notre arrestation et de notre longue détention pour « sécurité de l’ordre public » et d'autre part, la provocation ourdie dans la prison de Grand-Bassam par l'administrateur Beretta le 8 décembre dernier.
·      Deuxièmement, le but délibéré de l'Administration qui était de créer une certaine psychose dans les populations africaines et de jeter l’anathème sur son grand mouvement d'émancipation : le RDA, ceci afin de permettre de poursuivre le programme rétrograde d'une politique de tragédies coloniales instaurées par Coste-Floret, deux ans après la défaite de l'Allemagne hitlérienne.
L'ensemble de ces faits nous amène ainsi à examiner les conjonc­tures politiques qui ont abouti à cette provocation du 6 février d'autant plus que l'Eglise catholique n'a pas manqué, cette fois encore, de mêler sa voix à ce concert de politique anti-RDA.
En janvier 1949 s'achevait à Abidjan, précédé d'une école des cadres, le 2e Congrès interterritorial du RDA. L'événement politique, de portée considérable, qui s'est dégagé de ce congrès est l'affirmation solennelle de l'alliance de notre magnifique mouvement de lutte avec le grand parti de la fière et laborieuse classe ouvrière française : le Parti communiste français. Ainsi, au moment même où le chantage atomique battait son plein, au moment même où l'antisoviétisme et l'anticommunisme étaient savamment orchestrés, le RDA montrait à la face du monde qu'il avait pris résolument position dans le camp démo­cratique et anti-impérialiste, c'est-à-dire le camp de la Paix, ayant à sa tête l'Union Soviétique contre le camp impérialiste et anti-démocratique, le camp des fauteurs de guerre dirigé par les Etats-Unis d'Amérique.
La signature du Pacte Atlantique par le Gouvernement français venait d'inclure aussi, dans le plan stratégique anglo-américain, l'immense étendue de l'Afrique Noire avec son immense réservoir d'hommes et de matières premières, offrant ainsi des bases et des relais relativement sûrs sur la route qui unit Casablanca en passant par Dakar. Le Système de Défense de l'Afrique Centrale sera ainsi créé ; sa première réunion présidée par Coste-Floret se tiendra – et pour cause – à Abidjan le 14 février 1949, c'est-à-dire huit jours seule­ment après les événements de Treichville.
Un autre fait important ne doit pas être omis. L'Afrique Noire française, par l'application du plan Marshall rentrait également dans le 4e point Truman qui n'eut autre chose que l'investissement des capitaux américains dans les « pays politiquement sûrs » pour un rendement économiquement rentable. Et le Bureau Minier, cette société française, sous auspices américaines, confirmera par son président Barthes, ancien haut-commissaire en A.O.F., l'idée combien justifiée que l'administration française est composée d'hommes d'affaires, dégui­sés sous des titres divers : gouverneurs, administrateurs, ingénieurs, etc. C'est pourquoi nous persistons à croire que ces derniers confondent leurs intérêts personnels avec les intérêts permanents de la France. Hier, Barthes faisait octroyer les mines de Yomboéli de Guinée fran­çaise à une société franco-américaine. Aujourd'hui, en Côte d'Ivoire, non seulement les bitumes d'Eboinda sont inscrits au plan Marshall, mais ce sont aussi les riches sous-sols des régions convoitées d'Agboville, Man-Sassandra et Séguéla qui sont prospectés, inventoriés simultanément par le Bureau Minier et une mission américaine pour des buts stratégiques incontestables. Pendant ce temps, le haut-commissaire Béchard refuse systématiquement l'autorisation personnelle des recherches minières à l'autochtone, aux collectivités africaines, marquant ainsi sa volonté déterminée de respecter le vieux Pacte Colonial.
D'autre part, la campagne de cacao 1948-1949, récolte principale, revêtait pour la première fois une phase jusqu'alors inconnue du fait même que pour la première fois des administrateurs tels que Gorolowski, des militaires comme le colonel Lacheroy parcouraient les villages pour obliger les populations non seulement à quitter le RDA, mais aussi à vendre leurs produits à un prix inférieur au cours officiel­lement fixé. Une fois de plus, cette campagne révélait l'alliance de l'Administration avec les trusts coloniaux, alliance que nous n'avons jamais cessé de dénoncer.
Enfin l'Assemblée Territoriale de la Côte d'Ivoire, lors de sa session de novembre 1949, avait pris d'importantes résolutions que le « Bulletin » de M. Ply, organe politique semi-officiel de l'Administration locale, qualifia de révolutionnaires. Les principales de ces résolutions sont :
·      la non-augmentation de l'unique impôt de capitation ;
·      la non-aliénation des terres de Côte d'Ivoire suivant le cynique décret des terres vacantes et sans maître ;
·      le rejet des permis miniers type A ; et des concessions fores­tières qui ont un caractère essentiellement spéculatif.
Ces résolutions, ainsi que ce qui précède, plaçaient la Côte d'Ivoire au centre des conversations diplomatiques et de celles non moins négligeables des hommes d'affaires. Bien plus, le fait même que le 2e Congrès Interterritorial du RDA après le refus administratif opposé pour Bobo-Dioulasso, ait pu se tenir avec sérénité à Abidjan, indiquait la Côte d'Ivoire à la vindicte des impérialistes. Mais, parler de la Côte d'Ivoire, c'est parler du RDA, symbole et défenseur des intérêts permanents de l'Afrique qui ne peuvent pas être dissociés des intérêts permanents de la France. Et c'est pourquoi une réaction colonialiste aveuglée et une Administration dépassée s'inquiéteront de la montée sans cesse croissante du RDA et surtout du développement considérable de sa forte section de Côte d'Ivoire. Il faut donc, à tout prix, tuer le RDA, qui, insinue-t-on, est un virus communiste. La conférence des Administrateurs organisée par le gouverneur Péchoux en janvier 1949, arrêtera les directives expresses en Côte d'Ivoire de sa répression féroce. 
 
Le signal de la provocation anti-RDA
 
C'est dans ce cadre et dans ce cadre seulement qu'il importe de placer les événements du 6 février 1949 qui amenèrent notre arrestation, décapitant ainsi, de huit membres, le Comité directeur du Parti Démo­cratique de la Côte d'Ivoire.
D'ailleurs, le 2 février 1949, D... claironnait cette campagne anti-RDA par un télégramme expédié d'Abidjan aux Secrétaires généraux des sous-sections de notre Parti et aux délégués régionaux du Syndicat Agricole Africain. Ce message était ainsi libellé : « Bataille destruction RDA soviétique déclenchée - Stop - Bloquez toute activité suppôt Kominform. Vive France ».
Tel était le signal de la provocation anti-RDA sous la bannière de l'antisoviétisme et de l'anticommunisme. Tel était aussi le caractère véritable des événements de février qui ne se situent ni sur le plan particulier de la Côte d'Ivoire, ni sur le plan national français. Ceux-ci se placent plutôt sur le plan international car c'est dans l'arène inter­nationale de l'anticommunisme et de l'antisoviétisme qu'ils ont été fermentés, déclenchés et enregistrés.
Le gouverneur Péchoux déclare le 7 février 1949 n'être pas au courant de ce télégramme qui, cependant, avait été diffusé par le service des PTT d'Abidjan. Cela est très paradoxal quand on sait que le chef de ce service a reçu l'ordre impératif de Péchoux de lui pré­senter tout message qui paraîtrait de nature à troubler l'ordre public. Tout le monde connaissait ce télégramme sauf M. Péchoux et son très zélé service de sûreté. Par contre, ces derniers suivaient avec minutie les réunions du RDA tenues à Treichville les 1er, 2 et 5 février. Ces faits sont très significatifs, car pour nous, le télégramme provocateur du 2 février de D... constitue la pièce angulaire de cette affaire dite du 6 février.
Or, qui dit provocation, surtout quand celle-ci est officiellement annoncée, dit préméditation et organisation. Averti de l'esprit agressif des partisans du Bloc Démocratique Eburnéen et des bruits selon lesquels les organisateurs viendraient armés à la conférence, le Comité directeur de notre Parti, par une lettre en date du 5 février, saisissait les autorités locales : judiciaire et administrative. Dans la matinée du 6 février et quelques heures avant la conférence, nous mettions encore M. Péchoux devant ses responsabilités. Mais aucune solution n'interviendra jusqu'à la conférence, où une partialité policière confirma nos justes appréhensions.
« Le RDA, avait dit le commissaire Lefuel en interdisant l'entrée de la salle le 6 février, ne rentrera que lorsque les socialistes, les progressistes et les partisans du BDE seront installés ». Telle était la déclaration de cet agent de l'ordre public qui, prévenu de l'esprit agressif des organisateurs de la conférence ne fouillera ni les progres­sistes, ni les partisans du BDA, ni les socialistes. L'aveu d'une partialité policière à cette conférence publique ne pouvait être mieux exprimé et la coalition anti-RDA mieux définie. La provocation aussi était manifeste. Devant cette attitude, les militants et sympathisants RDA demandèrent à être fouillés. Et mon co-inculpé Paraiso avait dû insister pour que cette formalité fût remplie par le commissaire Lefuel, afin qu'il n'y eût point d'équivoque dans les responsabilités.
Cette partialité de la police se traduisit par toute l'insistance que nous avons mise pour obtenir, dans la salle de COMACICO, le désarmement des membres de la coalition anti-RDA. Mieux, elle se manifestera par une intervention tardive de la police lorsque les militants RDA seront agressés. Ces faits ne pouvaient qu'indigner les membres du RDA à qui nous avions prêché le calme pour leur éviter de tomber dans la provocation qui nous était préparée. En effet, la coalition anti-RDA avait escompté, d'une part, sur des bagarres éventuelles à l'intérieur de la salle, et, d'autre part, sur notre nombre et notre intransigeance à ne point tolérer aucune transgression de la légalité pour tuer certains dirigeants et militants dont la liste avait été précédem­ment arrêtée et ceci, sous le prétexte fallacieux d'un prétendu état de légitime défense. La non-arrestation et le non-désarmement du secrétaire général du PPCI porteur d'un revolver et qui blessa au surplus un militant RDA : Sidibé Souleymane, est le trait le plus caractéristique de cette partialité policière. – Que dire aussi de l'attitude du commis­saire Lefuel qui, L cette occasion, nous répond de façon péremptoire : « Je n'ai pas d'ordre à recevoir de vous. La police prend ses respon­sabilités ». Nous savons comment elle a pris ses responsabilités.
Je suis d'ailleurs très surpris que la police et l'Administration locale, qui usent à tout propos du témoignage de leurs agents n'aient point, dans cette affaire, fait citer tous ces gardes de cercle, tous ces agents de police qui ont assisté aux événements du 6 février. En ne le faisant pas, la police et l'Administration avouent leur partialité, leur complicité.
Je ne reviendrai pas sur cette thèse combien recherchée de l'accusation d'une blessure faite par ricochet, d'une balle tirée par le sieur K... en état de légitime défense. Toutefois, il importe de souligner la similitude des coups de feu tirés en cette journée du 6 février par …, …et …, tous trois dirigeants du Parti Progressiste, similitude d'une action concertée, préméditée, dont le signal avait été donné par …. Cette partialité de la police sera sinon confirmée du moins consacrée par le gouverneur Péchoux qui déclara le 7 février 1949 : « J'ai suivi heure par heure les événements de Treichville – J'ai en mains le rapport de police – Les responsables seront châtiés ». Mais est-ce sur le rapport de police que le ministère public nous fait comparaître au banc des accusés ? – Non !
Alors, comment ne serait-elle pas significative cette déclaration du juge d'instruction : « J'ai reçu l'ordre de vous arrêter ». Comment n'existerait-il pas de complicité administrative lorsque le sieur B..., socialiste SFIO, assiste au commissariat de police à l'interrogatoire de première comparution de ceux qui ont été pris dans la rafle opérée le 6 février 1949 par la police ?
Comment n'existerait-il pas de complicité administrative lorsque des fonctionnaires sont traqués, mutés, licenciés, parce que RDA ?
Comment n'y aurait-il pas de complicité administrative lorsque des vieillards de plus de quatre-vingts ans sont traînés devant la Justice parce que RDA, des chefs de village, de canton, révoqués et emprison­nés parce que RDA ?
Comment n'existerait-il pas de complicité administrative quand la chicote s'abat, implacable, sur le dos des militants RDA enchaînés et cela, sous l'œil très satisfait des administrateurs ?
Comment n'y aurait-il pas de complicité administrative lorsque M. Péchoux fait payer sur le budget local et distribuer dans les orga­nismes de ses services La Vérité de D..., le journal circonstanciel des événements du 6 février ?
Comment n'existerait-il pas de complicité administrative quand M. Péchoux tire une traite sur nous en faisant payer à nos accusateurs des acomptes à valoir sur des dommages et intérêts éventuels à nous infliger, alors que les sinistrés de Toumodi attendent encore de recevoir la subvention qui leur a été octroyée par l'Assemblée Territoriale.
Comment n'y aurait-il pas de complicité administrative lorsque les mois qui précédèrent les événements du 6 février sont riches d'événements similaires ? En effet, durant la période décembre 1948-janvier 1949, le haut-parleur socialiste SFIO en chair et en os, Rigni... Fé... disait, au su et au vu de tout le monde et sur toutes les places publiques de Treichville et d'Adjamé : « Le gouverneur est pour nous. Nous pouvons tuer les membres du RDA. Il n'y aura pas de jugement parce qu'ils n'aiment pas les Blancs. » Rigni... Fé... a-t-il été une seule fois inquiété ? A-t-il été poursuivi pour propagation de fausses nouvelles ?
Durant la même époque, alors que j'étais en tournée dans le cercle de Dimbokro, une compagnie de tirailleurs mandée de toute urgence de Bouaké, commettait le 29 janvier 1949, des exactions sur la paisible population de Bocanda. Dans les nuits des 30 et 31 janvier, un village situé à 3 km de ce centre connaissait le même sort et des jeunes filles étaient violentées.
Le 3 février 1949, vers 19 heures, la même compagnie de tirailleurs cernait et pillait le village tranquille de Guinou de la Subdivision de Bongouanou. L'administrateur Gorolowski et le colonel Lacheroy diri­geaient cette expédition de vandales au cours de laquelle le comman­dant de cercle de Dimbokro voulait obliger les populations, non seulement à quitter le RDA mais aussi à vendre leur cacao à 35 francs au lieu de 55 francs, cours officiellement fixé. Et alors M. Yao Kpri, chef de canton de Toumodi, Samba Ambroise de Dimbokro, Joseph Nanan Kabran de Bongouanou et Toto Albert de Bocanda, tous délégués du Syndicat Agricole Africain seront inquiétés. Le premier se verra retirer, sans motif aucun, ses permis de port d'armes, les autres seront arrêtés et emprisonnés durant la première semaine de février. « M. Gorolowski, dira M. Péchoux le 7 février, a eu tort de faire sa tournée en compagnie du colonel Lacheroy ». C'est un aveu éloquent qui, s'il relève une erreur dans l'exécution des consignes données, souligne à la fois et l'alliance administrative avec les trusts locaux et la complicité administrative dans les nombreuses provocations qui aboutirent à celle du 6 février.
J'ajoute que durant la tournée que j'ai effectuée dans le cercle de Dimbokro du 12 janvier au 5 février 1949, l'Administration me refusa les places publiques pour mon compte rendu du mandat.
Quoi qu'il en soit, le moins que l'on puisse dire, est que les événements du 6 février devaient amener une intervention armée afin de justifier une politique de répression à outrance. Mais, dès le 7 février, nous précisions notre position à M. Péchoux. « L'atmosphère de provocation, disions-nous, qui règne dans le pays nous oblige à penser que l'Administration voudrait à tout prix faire de la Côte d'Ivoire un second Madagascar. Ceci, le peuple ne le permettra jamais. »
Et quels sont les hommes dont s'est servi l'Administration dans cette affaire dite du 6 février ? Il existe en Côte d'Ivoire deux magasins anti-RDA.
Nous intitulerons le premier « Consortium des laquais ». Là, on trouve des hommes faits, psychologiquement dégénérés par leurs ambitions personnelles, des individus sans honneur, ennemis du peuple, et en compagnie desquels il faut s'habituer à tromper sa propre conscience et à être l'instrument de sa propre méchanceté, des hommes qui ne veulent rien de plus que la satisfaction de leurs désirs de vengeance et de haines personnelles.
 
« Battez-les, j'en prends la responsabilité, ce sont des femmes »
 
Le second que nous appellerons les « archives des curiosités anti-RDA » est formé d'hommes, captifs des conceptions périmées, pourris du pourrissant colonialisme, des hommes qui ont quitté le RDA pour choisir une soi-disant liberté. Ce sont des individus qui au RDA souffraient de ne pas être mis en vedette, des individus qui ont un goût particulier de l'éclat, de la parade, une volonté de se singulariser à tout prix. Il est arrivé tout simplement, qu'à un moment donné, l'aventure personnelle de ces hommes a semblé coïncider avec le programme de notre mouvement de lutte. Mais décou­verts et dénoncés par le Comité directeur de notre organisation, ils sont partis de notre mouvement vers la solitude, vers un destin sans espoir, seuls dans leur orgueil et dans leur vanité, plus seuls chaque jour et chaque jour plus prêts au pire, ajoutant l'hypocrisie au cynisme de leur évangile. La curiosité la plus révélatrice de cette clique est D..., l'homme qui se grise au seul son de sa voix, l'homme qui le 30 jan­vier 1949, incitait ses partisans à la provocation : « Battez-les, j'en prends la responsabilité, ce sont des femmes », criait-il du haut de la tribune. Depuis ce jour-là, la provocation fomentée couvait, se dévelop­pait à Abidjan. Et l'Administration, en n'interdisant pas la conférence du 6 février 1949, se rendait délibérément complice des événements de Treichville d'autant plus que :
·      1° Le 30 janvier, la police avait assisté, dans la salle COMACICO, à la provocation des membres du RDA par les partisans de ….
·      2° Les autorités locales avaient été tenues au courant par le Comité directeur de notre Parti des bruits selon lesquels les organisa­teurs de la conférence du 6 février seraient armés.
·      3° Quelques heures avant la conférence, le Comité directeur de notre Parti, au cours d'une entrevue avec le gouverneur Péchoux, mettait celui-ci devant ses responsabilités.
Je n'insiste pas sur les tournées politiques de M. Péchoux entre­prises dès notre arrestation. A travers la Côte d'Ivoire, ce sont des états-majors de répression. Des administrateurs-dragons sont toujours aux aguets pour tuer le RDA. Mais tuer le RDA, c'est s'attaquer à un peuple qui dit non au travail forcé, un peuple qui ne veut plus vivre comme par le passé. Aussi ce peuple s'est-il vigoureusement secoué pour se débarrasser de ces puces que s'empressent de ramasser M. Péchoux et Cie, victimes de leur propre propagande entreprise sous le couvert de la démocratie. Mais quelle démocratie ?
Démocratie, quand les élus du peuple se voient refuser les places publiques pour des comptes rendus de mandat, pendant que l'Adminis­tration Péchoux les accorde à des hommes comme Marc Rucart, qui ne représente rien dans le territoire ?
Démocratie, quand l'Administration Péchoux fait fi des justes reven­dications des populations en faisant arrêter arbitrairement ses repré­sentants légitimes ?
Entre la démocratie Péchoux et la démocratie telle que nous la concevons, il y a un grand fossé, le fossé qui sépare le maître de l'esclave. De cette démocratie-là, le peuple n'en veut pas. Le peuple a réagi fortement contre cette démocratie Péchoux. Et l'afflux massif d'adhésions montre le désir ardent des masses populaires de combler le vide créé par l'emprisonnement des membres du Comité directeur.
Ainsi, comment ne pas saluer avec émotion ces multitudes de races, de tribus, jadis ennemies légendaires, vivant aujourd'hui dans une fraternité complète :
Comment ne pas saluer avec ferveur ces centaines de milliers de volontés éparses, émiettées, disséminées dans l'immense étendue de l'Afrique Noire, aujourd'hui groupées en une volonté unique : le RDA.
C'est ce phénomène qui va nous permettre de liquider le colonia­lisme devenu enragé et assassin. Car il faut bien se persuader que lorsqu'une administration, un gouvernement décrète une répression féroce contre les légitimes aspirations d'un peuple qui a pris conscience de son rôle historique, la fin de cette tragédie, quel que soit le tour des événements, est toujours marquée par la victoire sinon acquise, du moins inévitable du peuple opprimé.
[…]. On a souvent parlé des SS comme des prototypes de la bestialité humaine. Mais que dira-t-on de ces administrateurs qui, revolver au poing, le jour comme la nuit, et surtout la nuit, à la tête de bandes armées, violent les domiciles, arrêtent les militants RDA, pillent et saccagent leurs maisons ?
[…]
Aujourd'hui, c'est la France de Coste-Floret, c'est la France de Bidault qui, dans l'Union Française poursuit la sale guerre du Viêt-Nam et intente, à l'instar du nazisme, des procès d'opinion. Et quand nous réclamons un peu de fraternité, c'est un code de répressions que ces hommes-là nous imposent.
Il m'est pénible de constater aussi que ce sont les collaborateurs zélés du régime hitlérien en Côte d'Ivoire, ceux-là mêmes qui, rassem­blés fièrement, défilaient dans les rues d'Abidjan qui se rassemblent aujourd'hui pour accomplir la même et avilissante besogne. Je pense que le conseiller général Josse, hier avocat en renom à la Légion fran­çaise, aujourd'hui chef de file de la réaction, ne peut que s'associer à cette triste constatation.
C'est pour ces différentes raisons qu'il me sera difficile de séparer désormais la politique des Coste-Floret, Bidault, Béchard, Péchoux and Co et le régime de Vichy, tous deux étant recouverts du manteau de l'anti­communisme, de l'antisoviétisme et pratiquant la même politique de répression.
[…].
Des enquêtes administratives étaient menées, dès notre arrestation, contre les camarades Amadou Bocoum et Jérôme Alloh afin de préciser le lieu où ceux-ci se trouvaient lors des événements du 6 février. Pendant ce temps, au stade de Bouaké, un magistrat dont la bonne foi ne peut pas être mise en cause, déclarait à notre ami Coffi Gadeau : « Je vous croyais arrêté ».
Etant donné l'insistance toute particulière manifestée le 9 février par le juge d'instruction sur les activités d’Amadou Bocoum et de Jérôme Alloh, nous pouvons dire que les événements du 6 février n'ont servi que de prétexte à l'arrestation des militants RDA dont la liste semble avoir été primitivement établie par l'Administration.
D'autre part, lors de sa prise de service, M. le procureur de la République Delamotte, dans la cour de la prison, avait dit au régisseur : « Je vais bientôt mettre les détenus du 6 février en liberté provisoire ». Mais quel ne fut notre étonnement lorsque M. Delamotte, quelques semaines plus tard, s'opposait systématiquement à cette mise en liberté provisoire. Mieux, « La chambre des Mises n'a pas que ça à faire », nous avait-il dit le 11 décembre 1949, lorsque nous lui exprimions notre indignation devant le silence opposé à l'appel que nous avions interjeté à l'ordonnance de refus de mise en liberté provisoire. Cepen­dant, quatre jours après, M. le procureur de la République devait, à cet effet, nous faire notifier la décision de la Chambre des Mises du 12 novembre 1949.
 
Je suis convaincu que sans le peuple, l'élite d'un pays ne saurait avoir de justification à sa propre existence.
 
Je me dois, Messieurs, de vous signaler ces faits dans l'espoir qu'ils aideront à former votre conviction sur cette affaire dont l'instruc­tion a duré près de neuf mois.
Mes fonctions de vice-président de la Commission permanente de l'Assemblée territoriale m'ont amené très souvent à discuter avec M. Péchoux des affaires relatives à la gestion de ce pays. Je dois dire que la plupart du temps, les arguments que je présentais étaient contraires à ceux de l'Administration. Cela ne pouvait plaire à M. Péchoux qui avait promis de me mettre à la prison. Pour moi, la force d'un pays réside avant tout dans la conviction qu'ont ses enfants à défendre les droits et libertés chèrement acquises et qui leur appar­tiennent tous et non point dans celle qu'ils peuvent avoir à se faire les complices du maintien de privilèges de classe. Bien plus, je suis convaincu que sans le peuple, l'élite d'un pays ne saurait avoir de justification à sa propre existence. C'est dans cet esprit que j'ai modes­tement, jusqu'à mon arrestation, assumé ma tâche et ce, au nom et dans l'intérêt des deux millions de travailleurs et paysans de ce Territoire.
A notre première entrevue qui date de novembre 1948, M. Péchoux avait nettement défini son programme : « Je ne reconnais plus, avait-il dit, ce pays que j'ai quitté il y a quelques mois. On y fait trop de politique. Je vais y mettre bon ordre, car je suis venu pour faire une politique économique ».
Paroles trumaniennes : mais qui éclairaient certes, d'un jour cru, la complicité administrative dans les événements actuels qui se déroulent en Côte d'Ivoire. Car, comment expliquer, depuis cette date, le retrait systématique des permis de port d'armes aux militants RDA alors que M. Péchoux les distribue, sans demande, aux éléments anti-RDA ?
Comment expliquer les procès intentés contre les militants RDA pour avoir, dans leurs régions respectives et dans le cadre de la loi, perçu une souscription lancée et organisée par notre Parti ?
Comment expliquer les procès systématiques intentés contre les militants RDA et Réveil pour propagation de fausses nouvelles et diffamation ?
Comment expliquer la violation délibérée par l'Administration, de nos coutumes alors que celles-ci ont été consacrées par la Constitution, violation qui aboutit à la révocation administrative des chefs de village, des chefs de canton sans que les populations intéressées aient été consultées ?
Comment expliquer cette grande escroquerie morale faite à l'endroit du vénérable chef N'Gbon Coulibaly, quand il croit exprimer son attachement à la France alors qu'on lui extorque une démission [du] RDA ?
Comment expliquer ces nombreuses remises d'argent à des indi­vidus à qui M. Péchoux demande soit de se détacher du RDA, soit de faire de la propagande anti-RDA ?
Comment expliquer les incidents de Guinou, Ferkessédougou, Zuénoula, Bouaflé, Agboville, Dimbokro et Séguéla ?
Comment expliquer cette véritable chasse à l'homme RDA, cette tentative d'arrestation du président du RDA, le député Houphouët-Boigny ?
Comment expliquer l'ostracisme gouvernemental qui frappe le RDA tant dans ses réunions que dans ses manifestations publiques et ce, en violation de la Constitution ?
Comment expliquer enfin ces témoignages officiels de satisfaction décernés par M. Péchoux aux administrateurs qui se sont montré les plus sanguinaires dans les répressions féroces anti-RDA ?
La politique économique de M. Péchoux a consisté à envoyer des administrateurs comme M. Gorolowsky et des militaires tels que le colonel Lacheroy pour obliger les populations de Toumodi, Daoukro et Guinou non seulement à quitter le RDA mais à vendre leur cacao à 35 francs alors que le prix officiel était 55 francs. Cette politique a été de spolier les populations africaines en faisant acheter par les trusts locaux le cacao à la qualité « courant » pour expédier la qualité « supérieur ». Elle a consisté à procéder à des arrestations arbitraires et à intenter des procès contre les délégués du Syndicat agricole africain, afin de permettre de frustrer les populations de la commission intermédiaire.
La politique économique de M. Péchoux, c'est d'utiliser l'essence, les véhicules et les chauffeurs payés sur le budget du Territoire pour faire de la politique anti-RDA.
La politique économique de M. Péchoux a consisté à diffuser, aux frais des contribuables de ce pays, des télégrammes sur commande, à des partis politiques qui ne représentent rien dans ce Territoire, alors que M. Péchoux garde un silence religieux sur les nombreux messages qui lui parviennent du monde entier et qui condamnent sa politique antipopulaire dirigée contre les 800 000 membres du Parti démocratique de la Côte d'Ivoire.
Enfin la politique économique de M. Péchoux, c'est de construire des prisons, toujours des prisons pour une répression plus féroce. C'est ainsi qu'au cours de l'année 1949, plus de 3 200 détenus ont défilé dans la seule prison de Grand-Bassam contre 1 700 en 1948 et 1 020 en 1947.
Mais cette politique de répression, croyez-moi, n'est pas le ciment qui scellera l'Union Française, car la France n'est-elle pas comptable devant l'Histoire à l'égard des peuples d'outre-mer ? Qu'adviendrait-il lorsqu'il s'agira d'établir le bilan d'une gestion ? Les véritables respon­sables, à ce moment-là ne seront certainement pas ceux qui ont subi cette politique de répression, mais bien ceux qui l'ont imposée. C'est pourquoi il serait dangereux, Messieurs de la Cour, que vous laissiez perpétrer une telle politique qui déshonore la France et compromet grandement son avenir.
D'ailleurs, j'ai la conviction profonde, que personne, dans cette salle, ne peut pas ne pas condamner cette politique de répression qui engendre la haine et non l'amour qui unit les peuples. Car autant certains ont à cœur d'accomplir partout et à tout moment leur devoir de Français, celui de contribuer à conduire la France et l'Union Fran­çaise à de radieuses destinées, autant les centaines de milliers de membres du Rassemblement Démocratique Africain dont je suis, ont conscience de bien servir leur pays et les intérêts permanents de la France.
C'est en raison de cela que jamais je ne dévierai du chemin du RDA qui est celui du pain, de la fraternité, de la liberté et de la paix. 

Source : « Carnet de prison » de Bernard Dadié (pp. 222 à 233).

mercredi 28 janvier 2015

28 janvier 1950, 65e anniversaire de l’assassinat de Victor Biaka Boda


Nous invitons nos amis lecteurs à faire plus ample connaissance avec l’un des tout premiers martyrs du mouvement anticolonialiste et de libération nationale ivoirien, à travers ce résumé de la biographie de V. Biaka Boda extrait de l’ouvrage de son parent Devalois Biaka : Côte d’Ivoire. La « disparition » du patriote Victor Biaka Boda. Plaidoyer pour libérer sa dépouille mortelle, L’Harmattan 1993 ; pages 17-19.
La Rédaction
 
 
 
Fils de Gagnoa et militant du RDA 

Victor Biaka Boda est né en 1913 à Dahiépa (région de Gagnoa) dans une famille de Chefs qui ne tiennent pas leur autorité de l'administration co­loniale mais de la tradition guerrière précoloniale. En effet, les ancêtres de Victor Biaka Boda sont réputés avoir été de braves guerriers au cours de leurs péripéties migratoires à partir des terroirs du Sud-Ouest ivoirien jus­qu'à la formation de la Fédération de Kéhi-Toutou[1], non loin de la Sous-Préfecture de Ouragahio.
Certes, la généalogie de la famille Boda Biaka est une et indivisible. Ses membres sont descendants du patriarche Ani Hito (Ani le Grand), de son fils Boda Menetché et de son petit-fils Biaka Daugoré mais le même arbre a en­gendré deux branches à Dahiépa, caractérisées par des luttes d'influence.
L'ancêtre Ani Hito fut originaire du village de Djédjédigbepa. Issu d'une famille noble, celle de Tchéby Agré, il fuit son village à la suite d'un acci­dent de chasse pour s'installer définitivement à Dahiépa. La famille Boda Biaka se présente donc sous trois branches : l'une à Dahiépa, l'autre à Djédjédigbepa dont le membre influent (après le décès du vieux Anatole Kobéa) est l'Abbé Robert Atéa (premier prêtre bété à Gagnoa) ; une autre dans le village de Bodocipa (canton Gbadi-Nord).
Devenu très tôt orphelin de père et de mère, l'enfant est recueilli et élevé par ses parents maternels à Biakou, village situé à environ douze kilomètres de Dahiépa, dans la région de Gbadi-Est.
En 1920, Dakaud Guimené est représentant de l'administration colonia­le à Dahiépa où a été créé un poste administratif pour le Gbadi-Est. C'est par ce village que transitent les produits d'exportation et vivriers destinés aux colons blancs basés à Ouragahio. Lorsque les colonisateurs demandent à Da­kaud Guimené des enfants à scolariser, il ne désigne pas les siens, mais en­voie chercher Victor Biaka Boda dans son village maternel. L'enfant est ra­mené à Dahiépa et livré à l'administration. Ses tantes pleurent car à l'époque, l'école est considérée comme une « sinistre prison d'où un enfant ne revient pas vivant ». Les colons ne veulent pas de cet enfant chétif et fragile. Ils lui préfèrent un garçon vigoureux et résistant. Dakaud Guimené répond : « C'est le seul que vous pouvez emmener ». Il pense ainsi le condam­ner à un mauvais sort par ce choix irrévocable.
C'est donc en 1920, que Victor Biaka Boda fréquente les premières écoles primaires publiques de Gagnoa jusqu'à l'obtention du Certificat d'Etudes en 1927. Frondeur, ne tolérant aucune injustice, il est classé par­mi les élèves rebelles mais il est cependant admis, en raison de sa vive intel­ligence, à l'Ecole [primaire]supérieure de Bingerville où il fait de brillantes études.
Après obtention en 1930 du Brevet d'Etudes Primaires Supérieures, il accède à l'Ecole de Médecine de Dakar dont il obtient en 1936 le diplôme qui lui confère le titre de médecin africain.
Le jeune médecin est alors affecté en Guinée française, au Service de la trypanosomiase. Il épouse (coutumièrement) deux Guinéennes. De leurs unions, sont nés six enfants dont l'aîné des deux garçons, Guy Biaka, est mort dans les conditions que l'on évoquera plus loin. Victor Biaka Boda, se lie d'amitié avec Sékou Touré, président de la section RDA de Guinée, leader charismatique qu'il admire pour sa combativité et son nationalisme. Le RDA est un Mouvement panafricain créé à Bamako en Octobre 1946. Son principal objectif est de libérer l'Afrique noire de la domination des puissances colo­niales. Victor Biaka Boda n'hésite pas à adhérer à ce Mouvement d'émanci­pation politique, dont les idéaux sont conformes à ses aspirations profondes. En effet, comme tout homme de l'Ouest, il est par nature attaché à la liberté de pensée et d'action. Admis au Comité directeur du RDA (Section Guinéenne), il participe aux grands meetings politiques au cours desquels il apporte un ferme soutien aux populations et fustige le colonialisme.
En 1947, ayant obtenu un congé administratif, Victor Biaka Boda rentre en Côte d'Ivoire où il va demeurer. L'Administration coloniale de Guinée ne veut plus de ce « révolutionnaire » qui a galvanisé tout le peuple guinéen par sa fougue oratoire. A l'issue de son congé, il sert successivement à Soubré et à Bouaké avant d'effectuer un stage de principalat à Abidjan.
En Côte d'Ivoire, Victor Biaka Boda continue de militer au sein du R.D.A, toujours en tant que membre du Comité directeur mais il constate ici que le R.D.A, empreint de l'esprit du P.D.C.I, manque d'ardeur militante. C'est en vain que ses frères de l'Ouest — Djédjé Capri, Dignan Bailly, Etienne Djaument et Jean Dacoury Tabley — le pressent de quitter le RDA pour former une coalition autonome, bref un parti d'opposition. Il leur ré­pond que, contrairement à ce qu'ils pensent, il n'est pas au service d'un homme, c'est-à-dire Houphouët, mais de l'Afrique qui lutte pour son indé­pendance immédiate. A Bouaké, le Dr Dia Koffi, anti-RDA viscéral, sème la terreur. Il a la réputation d'être un homme violent, giflant certains militants RDA qui viennent le consulter. Lui aussi ne réussit pas à convaincre Victor Biaka Boda de démissionner du RDA.
Le RDA est déjà un grand mouvement de masses populaires. Victor Bia­ka Boda se distingue par des déclarations empreintes d'un nationalisme ex­trême. Après le stage d'Abidjan, il prend service à Zuénoula. En 1947, c'est un militant engagé.
Son militantisme à toute épreuve lui vaut d'être élu le 14 Novembre 1948 conseiller de la République pour la Côte d'Ivoire, c'est-à-dire sénateur dans le cadre de l'Union Française. Alors commence une brève mais brillan­te carrière politique marquée en Côte d'Ivoire par un militantisme exemplai­re et en France par une belle éloquence. Claude Gérard, biographe des « Pionniers de l'indépendance », célébrant son militantisme, le présente comme un « excellent orateur ».
C'est un homme sobre, presque végétarien. Selon des témoignages éma­nant d'hommes de sa suite, il ne prenait souvent pour tout repas du jour qu'un peu de bouillie de riz et du jus de citron. Pour être toujours dispos, car selon lui, la bonne chère alourdit l'esprit et entrave la libre expression des idées. Il a banni depuis longtemps de ses repas l'alcool et tout autre excitant.
Conscient de sa mission fondée sur la capacité de persuasion, il affine son art oratoire. D'après M. Maurice Irigalé, l'un de ses « gardes du corps », il avait l'habitude de s'enfermer dans une chambre où il soliloquait plusieurs heures durant. Il lisait beaucoup pour se cultiver. Ses lectures préférées : la biographie des grands hommes d'Etat.
Au plan régional, Victor Biaka Boda lutte depuis son retour en Côte d'Ivoire pour l'avenir de la ville de Gagnoa qu'il veut faire ériger en Com­mune de Moyen Exercice. Jean Papoué le félicite pour ses efforts, par lettre datée du 30 août 1948. Il installe et organise à Gagnoa la sous-section du PDCI-RDA placée sous sa responsabilité directe. Son ami Augustin Sibailly en est élu Secrétaire général. L'action de son meilleur ami Koudougnon Ballet lui est d'un grand appui pour la mobilisation autour du PDCI-RDA que combat avec virulence le parti SFIO de Dignan Bailly.
[1] - Kehi-Toutou : Grand Kéhi comprenant huit villages qui se sont dispersés à la suite des guerres tribales. Ils se regroupent aujourd'hui par affinités dans l'actuelle région de Kéhi.

dimanche 25 janvier 2015

« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »*

La responsabilité est le pilier sur lequel repose la liberté. Sans responsabilité, il est illusoire de parler de
F. Hollande, M. Valls et A. Hidalgo, maire de Paris,
lors des obsèques officielles, aux Invalides,
des trois policiers tués lors des attentats de Paris.
liberté. Tout le monde connaît le proverbe qui dit que « La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres. ». Ces mots doivent être pris au sérieux si l’on ne veut pas, dans un modèle exempté de toute limite, vider la liberté de sa substance. Ainsi, les tristes évènements qui ont endeuillé l’hebdomadaire français Charlie Hebdo nous interpellent. Peut-on, au nom d’un rejet de toute foi, injurier, provoquer gratuitement et intentionnellement ? Cette attitude dénuée de responsabilité exprime-t-elle la liberté d’expression au nom de laquelle la France s’est levée comme un seul homme ? 

Ne pas ériger les victimes en symbole de liberté

Condamner les épouvantables attentats que la France vient de subir est un devoir, comme celui de s’unir dans une conscience citoyenne. Il est cependant permis de ne pas transformer les victimes du journal, en symbole de la liberté. Il n’y a certes pas de commune mesure entre l’assassinat d’un journaliste et son attaque, aussi grossière soit-elle. Cependant, celui qui blesse les consciences, humilie les intimités, est aussi un vecteur de violence. Une communication responsable implique une analyse contextuelle qui permettra de doser les propos. Même s’il est en marge des religions, l’athée doit chercher à comprendre les cordes intimes qui animent la profondeur de la foi dans toutes les religions et cela d’autant qu’il est journaliste. C’est une démarche responsable socle de sa liberté d’expression. Au-delà du droit qui, en France, ne semble pas punir le blasphème, il y a l’éthique, la morale et simplement le bon sens.  

Auto-évaluer la liberté d’expression dans une volonté d’harmonie sociale

Le bon vivre ensemble, en famille, avec les voisins, dans le travail, exige un usage "civilisé" de la liberté d'expression. Celui qui ne respecte pas les règles de bien séance, de politesse finira par se retrouver seul. Ce n'est pas de l'autocensure, mais un comportement social responsable, une volonté de vivre en harmonie avec les autres. L’Etat ne devrait d’ailleurs pas s’ingérer dans ce processus naturel. La liberté d’expression ne devrait relever que du libre arbitre des individus. C’est le cas aux États-Unis et le système fonctionne sur une base responsable. La liberté d'expression est mise au service de l'harmonie familiale, de la réputation individuelle et donc de la cohésion sociale. La retenue volontaire dans l'usage de la liberté d'expression fait partie de la vie courante. Si de simples individus font cela, les intellectuels, les journalistes, les responsables politiques doivent pouvoir s’y astreindre.  

La liberté d’expression : outil de progrès

Rappelons que la liberté d'expression est fondamentale. Elle a en effet permis la prospérité et la civilisation. Autrement dit, on parle de liberté d'expression constructive, qui permet d'enrichir le débat, de faire émerger de nouvelles idées, des innovations. À ce propos, il est opportun de rappeler que sans cette liberté de pensée et d’expression, la civilisation européenne n’aurait pas pu renaitre de ses cendres et se mettre définitivement sur la voie du progrès. La liberté d’expression est le socle d’une démocratie, mais aussi est le vecteur de [la] prospérité. Sans elle il ne peut exister de contre-pouvoir. Lorsque la liberté d'expression est fondée sur la provocation stérile, ce n’est plus un vecteur de progrès, mais au contraire un facteur de recul car cela empêche un débat serein en société ; car on se sent visé, stigmatisé, touché dans son identité.  

Assumer les conséquences de ses actes

Soulignons que si chacun a le droit de faire des choix libres, il doit en assumer les conséquences. Il ne s’agit pas de dire que l’équipe de Charlie Hebdo a eu ce qu’elle mérite. Rien ne justifie son sort mais le journal, au lieu d’être érigé en symbole de liberté, devrait assumer ses erreurs stratégiques qui ne sont pas dépourvues de conséquences fâcheuses. D’ailleurs, le déclin du nombre de lecteurs de Charlie Hebdo [était] la preuve que son humour n’était pas du goût [de tous les] Français. Quand une entreprise pollue, elle doit réparer et prendre des mesures pour stopper le danger. Il doit en être de même pour les communications polluantes. L’absence de responsabilité dans l’usage d’une liberté quelle qu’elle soit génère des effets indésirables au reste de la société car cela pervertit les incitations. Les plaies de la crise des subprimes ne sont pas encore guéries pour témoigner du fait que la liberté économique en l’absence de mécanismes de responsabilisation a incité les banques, avec la complicité des politiques (encore d’autres irresponsables) à créer une bulle de crédit dont le dégonflement a créé un désordre économique mondial.
 
Par ailleurs, ceux-là mêmes qui plaident pour une liberté absolue oublient que ce genre d’épisodes est du pain béni pour les politiques et les gouvernements afin d’accroître leur contrôle sur la société et asseoir davantage leur pouvoir au nom de la lutte contre le terrorisme, comme ça [été] le cas aux États-Unis avec le « Patriote Act ». En effet, il est à prévoir que les libertés individuelles va encore être restreintes en France pour répondre aux nouvelles exigences sécuritaires, et les Français vont devoir payer la note du dispositif de sécurité renforcé. Parler de liberté dans ce contexte est sournois et injustifié. La liberté ne peut s’assortir de l’irresponsabilité.
G. Dutheuil
 
Ce qui est encore plus inquiétant, des voix s’élèvent désormais pour proposer de légaliser le blasphème. Provocation illimitée légalisée. Pendant qu’on y est, pourquoi ne pas légaliser la vulgarité, l’insulte, l’insanité ? Alors, la liberté deviendrait la permissivité. L’État français, au nom de sa spécificité, le principe de laïcité, est en train de légaliser les abus à l’égard des religions et l’on qualifie cela sournoisement de liberté. Ce n’est pas de la liberté. La lourdeur du droit asphyxie déjà le pays. La lourdeur du droit tente désormais d’anéantir la responsabilité.
 
Pendant ce temps une partie du monde musulman se soulève contre Charlie, avec une violence que l’on ne peut que condamner, et la liste des morts s’allonge inexorablement (ce n’est d’évidence que le début). Désormais, on est face à deux réactions extrêmes des deux côtés qui ne peuvent qu’apporter de l’eau au moulin des chantres du clash des civilisations. D’où la nécessité d’apaiser les esprits et rappeler les fondamentaux de la liberté d’expression, mais aussi de la responsabilité d’expression. Retombons sur terre. « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », disait Bossuet.  

Gisèle Dutheuil et Hicham El Moussaoui - Libre Afrique 20/01/2015
(*) - Titre original : « Charlie Hebdo : Peut-on injurier et provoquer au nom de la liberté ? » 
 
 
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».  

Source : connectionivoirienne.net 21 janvier 2015

mercredi 21 janvier 2015

LES 10 ARMES SECRETES DE L'ARMEE FRANCAISE EN AFRIQUE

Le ministre et les chef de l'opération Serval
Alors que l´armée française est stationnée à quelques mètres du théâtre des opérations, les Russes s´apprêtent à venir en aide au Cameroun dans la guerre contre Boko Haram. Il y a quelques mois, les manœuvres militaires de la chine s´effectuaient dans le golfe de Guinée. Les récentes déclarations de l´ambassadrice de France au Cameroun révèlent très bien l'incompétence des politiques incapables d'anticiper sur les changements que connaissent nos sociétés et surtout sur les nouvelles donnes d'une économie mondialisée. En fait, dans cette zone, l´armée française se considère comme la plus puissante du monde et les différents généraux d´armées de ces pays, l´ont si bien intégré qu´ils ne s'y sont jamais opposés. Bien que classée 6eme puissance du monde en terme d´efficacité, dire que la France est la première puissance de feu du monde ne fait pas du tout sourire les autres grandes puissances, car ils ont du mal à comprendre les secrets de cette réussite en Afrique francophone. Jugez en vous-même, les Russes avaient vite fait de quitter l´Afghanistan. Les forces armées américaines ont déployé plus de 70 000 soldats et en ont perdu des milliers en Afghanistan et en Irak, rien que pour installer un gouvernement instable qui leur soit favorable. Noter qu´après une dépense de plus de 1000 milliards de dollars, ils ont [de] la peine à tirer un litre de pétrole gratuitement de ces zones et sont sur le départ. Les forces armées Israéliennes perdent des centaines de soldats dans leur guerre biennale contre les hommes aux mains nus de la fine bande de gaza et doivent vite se retirer pour ne pas perdre plus d'homme. Alors que l´armée française, elle, financée par les revenus du CFA, fait la guerre aux pays francophones d´Afrique, sans la déclarer, et impose un ordre dans ces pays avec en général moins de 1000 hommes/pays et sans pertes de soldats. Ce qui lui assure quasiment le contrôle de la respiration de ces pays. Les secrets de cette puissante armée foudroyante résident dans sa composition, la qualité de ses hommes, et le commandement. 

Aéronefs ivoiriens détruits sur ordre de J. Chirac (2004)
Arme secrète 1, les guerres non déclarées : 

Depuis la proclamation des indépendances, la France mène une guerre sans merci dans ses anciennes colonies pour leur faire respecter les accords d´esclavages que les dirigeants marionnettes en place sont chargés de mettre en œuvre. Le nombre de coup d´Etats dans ces pays témoigne bien que ces pays n´adhèrent pas à ce modèle. Les interventions de l´armée française se multiplient et sont de plus violentes. 

Arme secrète 2, les bases militaires : 

Les résistants et les nationalistes n´ayant jamais capitulé, la France doit veiller pour ne pas se laisser déborder et les bases militaires sont une présence d´appoint pour ne pas se faire prendre au dépourvu. En fait ce sont les vraies capitales de ces zones francophones et les pays qui hébergent de telles bases ne peuvent pas prétendre être des panafricanistes. Il faut s'en méfier comme face à des crocodiles dans l'eau. 

Arme secrète 3, la légion étrangère : 

Ce corps spécifique, qui a encore la réputation de refuge pour les criminels du monde, même si cela devient de moins en moins vrai, atteste de facto que la France est toujours un pays colonial. Ce corps lui donne la possibilité de mettre en place toute sorte de scenario du pompier pyromane. Cette force, grâce à sa composition multiraciale, multilingue et multiconfessionnelle, peut intervenir dans tous ces pays, à n´importe quel titre choisi pour la circonstance. Ainsi ses soldats peuvent vous créer un conflit Nord-Sud, Est-Ouest, chrétiens contre musulmans, croyants contre non croyants, en quelques jours. Leur action crée chez les Africains des difficultés à comprendre le chaos dans lequel ils sont plongés. 

Arme secrète 4, les médias : 

Avec à leur tête certains qui se passent pour panafricanistes, entrent en jeux pour assurer le discours unique en faveur d'une intervention française pour protéger et ses ressortissants et son droit colonial. Ainsi RFI, France 24, Afrique 24, Africa N°1, Jeune Afrique, sont invités à nous présenter des scénarios incroyables afin de préparer l'entrée triomphale de l'armée française dans la danse. 

L'ambassadeur-barbouze Jean-Claude Simon convoyant
des vivres destinés à ses protégés retranchés dans l'hôtel du
Golf pendant la crise consécutive au scrutin truqué de 2010.
Arme secrète 5, les personnels diplomatiques : 

Secondés par les sectes, ceux-ci constituent des agents de liaisons entre les bases militaires et les gardes présidentielles de ces pays pour parer au plus pressé. Le programme diplomatique de l´esclavage étant clair, ce personnel est composé d'agents de communication auprès des autres diplomaties pour ne pas dénoncer la guerre sans nom. Enfin ils ont la lourde tâche d´identifier aussi bien les nationalistes à combattre et les gentilles marionnettes à adouber pour la bonne cause. Une de leurs spécialités remarquables est l'enrôlement des généraux de l'armée de ces pays. A coup de scolarisation des enfants en Europe, naturalisation, menace d'assassinat ou de traduction à la CPI, ces généraux sont invités à déposer les armes. Ainsi, après une opération militaire française, ces généraux perdent l'amour de la tenue militaire et deviennent soit président, soit ambassadeur dans une île perdue quelque part loin du théâtre des opérations. 

Arme secrète 6, le secrétaire général de l'ONU : 

Dans la stratégie coloniale de la France, le secrétaire générale de l'ONU est un des grands généraux de l'armée française. En une seule opération, celui-ci peut voter des résolutions pour mettre tout ou une partie du pays sous la tutelle de la France, pour donner l'autorisation à la France d'intervenir ou de renforcer l'armée française par les casques bleus. L'ONU peut aussi décider une série d'embargo sur le pays pour affaiblir les résistants, nationalistes ou souverainistes qui tiennent tête à la France. 

Arme secrète 7, Les accords militaires de défense: 

Si l'entrée dans l'OTAN a permis à la France d'intervenir dans des zones jusque-là non accessibles comme la Libye, les liens les plus utiles sont les accords militaires avec les anciennes colonies. Ce ne sont des accords que de nom, car ils ne s´interprètent qu´en la faveur de la France qui peut l´utiliser à tout moment pour renverser un président, anéantir toute une région ou soutenir une pouliche ou des rebelles qui rapportent gros à la France. Ces accords sont une prudence de la France afin de pouvoir passer outre les consignes de l´ONU si celles-ci s´opposaient à son action. Ce qui peut arriver en cas de veto de la Russie ou de la Chine. Le droit d'ingérence et l'exfiltration des ressortissants Français viennent compléter cet arsenal. 

Confrontation devant l'hôtel Ivoire entre les chars
du colonel Destremau et une foule de jeunes Ivoiriens
aux mains nues. Bilan : 60 morts.
Arme secrète 8, les armées Africaines : 

Ces armées sont très attachées à la France. Cette relation d'amour, peut-être forcée mais réelle, empêche ces armées de combattre la France. Ainsi, même dans les plus pires des moments, les soldats africains se sont toujours abstenus de tirer sur les militaires Français. L'armée française le leur rend très bien car elle ne dégaine que lorsque la situation est vraiment difficile comme en Côte d'ivoire ou au Cameroun. Par contre l'armée française manœuvre bien pour se faire remplacer par un Etat voisin ou par les casques bleues le cas échéant. Ainsi on voit des armées africaines se déployer dans d'autres pays pour servir de chair à canon, ou d'ouvreur pour l'armée française. La Côte d'Ivoire, le Burkina Faso, le Sénégal et le Tchad sont les principaux rouages de cette machine. La France n'intervient que pour occuper, sans un coup de feu, les zones préalablement sécurisées par l'armée africaine de service, selon le plan préétabli. 

Arme secrète 9, les directeurs des banques centrales de la Zone CFA (BEAC et BCEAO). 

La France est jalouse de sa Francophonie et souhaite aussi la préserver, c'est pourquoi elle préfère éviter des confrontations avec l'armée de ses colonies. Elle fait donc appel aux directeurs de la BEAC ou de la BCEAO, qui s'avèrent être des généraux de la dernière chance de l'armée françaises car en une seule signature ils peuvent mettre à plat l'économie de tout un pays et organiser la disparition de façon spectaculaire de ses réserves monétaires. Elle n'est appelée qu'en dernier essor quand toutes les autres infanteries n'ont pas permis d'atteindre l'objectif qui est de briser l'ardeur des souverainistes. 

Arme secrète 10, les soldats Français : 

L'un des atouts les plus enviés par les alliées à l'armée française est la qualité de ses hommes, héritage d'une longue tradition des écoles militaires de qualité et de nombreuses batailles qu'a livrées la France. Les militaires de l'armée française, une fois achevée leur mission de consolidation du statu quo de la colonisation ou de l'esclavage, se transforment en une force humanitaire incroyable. Même la Croix Rouge et les forces de l'ONU, pourtant formées à ces fins, doivent parfois faire appel à la France pour ce genre de mission. Elle arrive à bien manœuvrer pour garder le mythe d'une armée invincible aux soldats immortels et d'une efficacité déconcertante. Elle ne combat jamais mais se fait aider pour combattre. Elle a toujours rapatrié tous ses ressortissants sans aucun mort. En réalité, elle ne rapatrie presque jamais les colons de luxe qui constituent la communauté française dans ces pays. Leur fait de guerre le plus remarquable est l'organisation de leur entrée dans les capitales africaines. Alors que Londres, Washington, Moscou annoncent les victoires de leur guerre sur les perrons de leur dépendance, l'armée française fait tout pour arriver dans les capitales politiques ou économiques africaines en armée de libération alors qu'elle vient occuper le pays pour rétablir les droits coloniaux de la France. C'est là une autre version de la « french touch » que les autres grandes puissances envient à la France. Aucun autre pays que la France n'a réussi à se faire applaudir dans les pays qu'il vient aider, pardon, occuper. En général, après la bataille livrée soit par l'armée tchadienne, soit sénégalaise ou burkinabè, l'armée française entre donc dans la ville, drapeau français au vent, sous les applaudissements de la foule massée sur le bord des pistes qui font office des Champs-Elysées. Cette foule qui a tant souffert sous les feux du chaos créé par cette armée. Pour compléter le barnum, le président français n'hésite pas à se joindre à la fête.
 
No Comment...
On peut constater cependant que si tous ces secrets ont toujours permis à l'armée française d'être accueillie en liesse dans les rues des capitales des pays francophones, la pilule devient de plus en plus dure à avaler et il n'est pas rare qu'au lendemain d'un accueil chaleureux, survienne une marche contre la France avec une demande du départ des soldats français. On constate aussi que le chef d'Etat français, après une visite triomphale sur le terrain des opérations, n'est plus le bienvenu dans les semaines qui suivent. En effet, ces secrets autrefois bien gardés ont été progressivement mis à nus par l'incompétence des politiques incapables d'anticiper sur les changements que connaissent nos sociétés africaines et surtout sur les nouvelles donnes d'une économie mondialisée. Les errances de l'armée française, en Côte d'ivoire, en Centrafrique, au Mali, au Niger et au Cameroun actuellement, ne sont pas dues à l'affaiblissement de l'armée française mais plutôt au fait que cette politique coloniale n'est plus adaptée aux africains d'aujourd'hui. Si les politiques feignent d'être aveugles, ils s'en rendent de plus en plus compte sur le terrain. Et l'heure est grave ! Comment sont-ce les Russes qui proposent une aide au Cameroun (Celle-ci étant une province française, disons non consentante) contre Boko Haram ? Bref, et en d'autres termes, l'armée française à travers le Tchad vient d'entrer au Cameroun. 

Ngando Douala 
 
 
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Source : Ivoirenewsinfo.net 19 janvier 2015