jeudi 28 février 2013

LA LOI DES VAINQUEURS

Le titre du rapport qu'a publié l'ONG Amnesty international, mardi 26 février, est sans ambiguïté : "Côte d'Ivoire : la loi des vainqueurs". L'organisation a recueilli de nombreux témoignages "de première main" qui prouvent des "violations généralisées des droits humains perpétrées par les forces armées à l'encontre de partisans de l'ancien président Laurent Gbagbo". Interview de Salvator Saguès, chercheur sur l'Afrique de l'Ouest à Amnesty international.

 

Dans votre rapport, vous accusez les FRCI (Forces républicaines de Côte d'Ivoire) d'Alassane Ouattara d'être responsables notamment d'actes de tortures, d'arrestations et de détention arbitraire envers des personnes supposées être des partisans du camp Gbagbo. La réconciliation est encore loin...
- Les FRCI (regroupement des Forces nouvelles et des ralliés des Forces de défense et de sécurité de Côte d'Ivoire créé par Alassane Ouattara en 2011, ndlr) se comportent encore comme vainqueurs. Tant qu'ils se considèrent ainsi, le risque est grand d'entretenir une idéologie de guerre civile. Pour réconcilier, il faut reconstruire un appareil d'Etat impartial, des forces de sécurité impartiales, une justice impartiale. Rien de tout cela n'a été fait. Il y a une sécurité et une justice à deux vitesses. Deux ans après la crise post-électorale, les policiers et les gendarmes, issus du pouvoir de Laurent Gbagbo, ne sont toujours pas armés. En face, il y a les FRCI armés. Aux check points d'Abidjan, il y a des soldats, des gendarmes et des policiers. Mais ceux qui contrôlent, ce sont les FRCI. Cela créer une grande frustration dans la population qui nuit à toute réconciliation. Par ailleurs, il faut savoir que la criminalité au sein des FRCI a été telle que les autorités ont été obligées de créer une police militaire, fin 2011, chargée de réprimer les soldats qui se conduisaient mal. Or, cette dernière a été utilisée à des fins totalement politiques. C'est elle qui arrête les gens dans les bars, dans la rue, au domicile sans mandat d'arrêt.

Vous accusez aussi la "milice" composée des chasseurs traditionnels "dozo" d'être derrière de nombreuses exactions...
- Nous avons, en effet, axé notre travail sur les Dozo. Au départ c'est un groupe de chasseurs traditionnels qui durant les huit années de division du pays, ont protégé les Dioula contre les autorités de Laurent Gbagbo. Ils avaient une fonction de protection d'une population sans défense. Mais maintenant, ils se sont autoproclamés responsables du maintien de l'ordre. On raconte qu'ils exigent le paiement de 300.000 francs CFA par mois, l'équivalent de 450 euros pour la protection des populations. Ils nous ont dit clairement qu'ils bénéficiaient du soutien des autorités, qu'ils recevaient des armes de leur part, et qu'ils leur remettaient les hommes qu'ils arrêtaient. Le ministre de la Défense, Paul Koffi Koffi, nous a dit qu'il était conscient du problème et qu'un décret avait été promulgué en juillet 2012 interdisant aux Dozo de maintenir l'ordre. Or, en octobre, ça continuait et de manière totalement ouverte. Au nom de quoi des chasseurs traditionnels sans formation, sans fonction, vont assurer l'ordre ?

Quel est l'intérêt pour Alassane Ouattara d'utiliser ces hommes ?
- Les Dozo sont arrivés avec les Forces nouvelles. Est-ce une situation de fait que les autorités n'osent pas déranger ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr c'est que sur le terrain, les Dozo ne se cachent pas. L'exemple de l'attaque du camp de déplacés de Nahibly est, de ce point de vue-là, bouleversant. Ce camp était considéré comme un repère de bandits et utilisé pour stigmatiser l'ensemble des résidents du camp considéré comme des partisans de Laurent Gbagbo. L'assassinat de quatre personnes près de Duékoué a été l'occasion pour les Dozo d'attaquer le camp qui aurait, selon les autorités ivoiriennes servis de refuge aux auteurs des assassinats. Les Dozo, aidé par la population et les FRCI ont alors encerclé et détruit le camp. Les survivants racontent que les hommes jeunes et costauds ont été arrêtés par les FRCI et qu'ils ont ensuite disparu.

Pourquoi l'Onuci, qui devait protéger le camp, n'a rien fait ?
- Ce qui est évident, c'est que les soldats de l'Onuci sont peu nombreux. Une dizaine de personnes à l'intérieur et une vingtaine à l'extérieur. On dit qu'ils ont été surpris et étonnés par l'attitude des FRCI. Des vidéos montrent le préfet en train de regarder le camp brûler, ne donnant aucun ordre pour s'interposer. Cela faisait des mois qu'on disait que ce camp était dangereux et que des menaces planaient sur ses résidents. L'attaque n'est pas arrivée par hasard et l'Onuci aurait pu augmenter ses effectifs.

Votre mission a duré un mois de septembre à octobre 2012. Quelles ont été vos conditions d'enquête sur le terrain ?
- Avant de partir, Amnesty a envoyé des lettres aux autorités pour rencontrer des détenus. Mais une fois que nous sommes arrivés sur place, il a été très difficile d'obtenir les autorisations demandées. Lors de notre visite au Génie militaire (quartier général de la police militaire utilisé comme lieu de détention, ndlr), nous avons eu la preuve que des détenus nous ont été cachés. Des personnes ont été déplacées temporairement lors de notre venue, un procédé déjà utilisé lors d'une visite de l'Onuci dans un camp militaire des FRCI en août 2012. C'est inquiétant.

Avez-vous rencontré des responsables politiques ?
- Oui, nous avons rencontré Paul Koffi Koffi, le ministre de la Défense, le ministre de la Justice et le ministre de l'Intérieur, Hamed Bakayoko. Nous leur avons présenté notre rapport d'enquête. Nous avons agi en toute transparence.

Que peut faire Alassane Ouattara ?
- Donner des signes de bonne volonté. Enquêter et arrêter les personnes responsables de crimes très graves en 2011, proches des Forces nouvelles de l'époque. Nous mesurons la difficulté qu'il y a, à répondre aux attaques contre les casernes militaires, les postes de gendarmerie, les centrales électriques. Mais ce n'est pas en arrêtant des personnes de manière arbitraire qu'on va assurer la sécurité et calmer le ressentiment de la population. Le pire qui puisse arriver à la Côte d'Ivoire, ce n'est pas une nouvelle guerre, c'est la justice des vainqueurs. Et c'est exactement ce qui se passe. Celui qui juge, c'est celui qui a gagné.

Comment la Côte d'Ivoire peut sortir de l'impasse ?
- Je suis pessimiste et sidéré par l'attitude de la France et des Etats-Unis qui assurent que tout est réglé. Certes économiquement, beaucoup de choses se sont améliorées mais les bases sont fragiles. Une moitié de la population a peur. De même que j'ai pensé que la politique de Laurent Gbagbo était suicidaire, je pense ici qu'Alassane Ouattara doit arrêter avec ses promesses sans lendemain.

La Commission réconciliation et vérité était une fausse solution, selon vous ?
- Elle n'a aucun pouvoir, aucun mandat, aucune autorité. Ce n'est pas en faisant des rapports que cela va apporter la justice. Il y en a beaucoup qui pensent que Laurent Gbagbo doit répondre de ses actes devant la justice internationale, mais il ne doit pas être le seul.

La CPI a promis de continuer à enquêter dans les deux camps...
- On nous dit que les enquêtes se poursuivent concernant Laurent Gbagbo et sa femme Simone Gbagbo. Mais, à notre connaissance, il n'y a aucune enquête sur les proches d'Alassane Ouattara. Pourtant, il semble facile, par exemple de savoir qui sont les responsables du massacre de Duékoué... Personne n'a été relevé de ses fonctions. La CPI ne peut pas continuer ainsi, sa partialité va devenir éclatante. Personne ne nie qu'il y a eu des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité des deux côtés. Combien de temps vont-il tenir à n’enquêter que d'un seul côté ? On ne jette pas d'huile sur le feu, on tire la sonnette d'alarme.

Par Sarah Diffalah
  

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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenances diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 
(Source : Le Nouvel Observateur 27/02/2013)

samedi 23 février 2013

“Cette affaire est en fait non seulement une affaire ivoirienne, mais aussi une affaire française”


Nous vous proposons ci-dessous l’intervention de Me Altit, le conseil principal du président Gbagbo, lors des propos liminaires de sa défense.

Maître Altit
Mme la Présidente, Mme et MM. les juges, vous vous souvenez certainement que depuis le déclenchement de la crise postélectorale en Côte d’ivoire, le procureur n’a cessé de proclamer qu’il poursuivrait les auteurs de tous les crimes quels que soient leurs camps. Mais ici ne se trouve que le président Gbagbo. Pourquoi ?
 
Est-ce parce que les auteurs de ces crimes sont inconnus ? Bien au contraire, ils sont connus de tous et leurs crimes sont documentés. Documentés en détail par toutes les organisations de défense des Droits de l’Homme. Ils sont bien connus, ceux qui se sont approprié et mis en coupe réglée le nord du pays depuis le 19 septembre 2002. Ils sont connus, ceux qui sont soupçonnés d’avoir ordonné l’assassinat des gendarmes de Bouaké en 2002. Le meurtre et le viol des civils à Man en 2003, le meurtre de civils à Korhogo et juin 2004 lors d’un conflit entre Soro et IB. Les massacres de Bouaké en 2007. Le meurtre des opposants et de civils lors d’un conflit sanglant entre rebelles en 2008, entre autres atrocités. Ils sont connus, tous ceux qui sont soupçonnés d’avoir fait torturer et tuer à Yopougon en mai 2011. Ceux qui, depuis le 19 septembre 2002, organisent pratiquement le pillage, l’extorsion à grande échelle et se livrent à toutes sortes de trafics en violation des lois ; ceux qui font du viol systématique une politique ; ceux qui utilisent les mercenaires et les miliciens dozos pour terroriser les populations et ceux qui continuent aujourd’hui encore à commettre des crimes, notamment dans l’ouest ivoirien. Ils sont cités dans les rapports des Nations unies, d’Amnesty International, de Human Rights Watch, de l’International Crisis Group, de Global Witness, du département d’Etat américain et bien d’autres encore.
 
Alors serait-ce parce qu’ils se cachent qu’on ne saurait où les trouver ? Pourtant l’un est préfet, l’autre dirige l’armée, un troisième le groupe de sécurité de la Présidence, un quatrième la Garde républicaine ou bien encore la Garde spéciale. Tous nommés à ces postes par Alassane Ouattara entre 2011 et 2012. D’autres encore sont des hommes politiques de 1er plan et ne se cachent pas. Alors pourquoi ne sont-ils pas là ? Pourquoi ne sont-ils pas poursuivis ? Car ne s’agit-il pas ici de déterminer les responsabilités d’un conflit long et douloureux ? Tout se passe comme si le procureur près la Cour pénale internationale avait été convaincu depuis le début qu’il n’y avait qu’un seul responsable au drame que vit la Côte d’Ivoire. Notons que, depuis le 2nd tour de l’élection présidentielle, le 28 novembre 2010, pas une fois, il n’a essayé de prendre contact avec le président Gbagbo et son gouvernement, alors qu’il était en contact avec Alassane Ouattara et ses représentants. Pas une fois il a mis en garde de façon claire et précise les responsables de la rébellion et les chefs de guerre d’Alassane Ouattara soupçonnés de crimes de masse, réservant ses flèches et ses menaces au seul camp gouvernemental. Dans ces conditions, comment s’étonner que le document des charges ne soit que le reflet des accusations portées par les chefs rebelles et la presse pro-Ouattara au moment de la crise ? Ce document n’est qu’une revue de presse, la revue d’une presse engagée contre le président Gbagbo. Il est vrai que le procureur mentionne un certain nombre de rapports d’organisations de défense des Droits de l’Homme. Mais vous aurez noté que le procureur en fait un usage partial. Passant sous silence les éléments gênants pour ses thèses. Ces rapports eux-mêmes auraient mérité de la part du procureur des investigations complémentaires.
Nulle trace ici d’enquête à proprement parler. Nulle trace d’enquête à charge et décharge. Le procureur n’apporte aucun élément probant à l’appui de ces documents. Il est frappant de constater le faible nombre d’attestations qu’il présente, leur caractère vague et le flou qui les caractérise. Sans compter le fait qu’elles soient souvent en contradiction les unes avec les autres. Il est frappant aussi de constater que, nulle part, il n’y a de trace d’un acte quelconque du président Gbagbo ou de responsables politiques ou militaires qui corroborerait ne serait-ce qu’en partie au moins l’une des allégations. Il n’y a rien comme nous le montrerons. Absolument rien qui soutienne non seulement les allégations, mais encore le récit même du procureur. A fortiori rien pour discuter d’une éventuelle responsabilité du président Gbagbo. D’ailleurs, le procureur a tellement conscience des insuffisances de son document qu’il entretient lui-même à dessein le flou, confondant les évènements et les protagonistes. Plus même, il a, au dernier moment, changé son fusil d’épaule, se fondant sur un mode de responsabilité plus limité, sans apparemment prendre garde que, ce faisant, il affaiblissait sa propre démonstration.
La défense démontrera que le procureur n’apporte aucun élément de preuves suffisant qui permette d’établir des motifs substantiels de croire que les quatre éléments choisis par lui ne se sont pas déroulés comme il le prétend. Elle démontrera qu’il n’existe donc aucune base factuelle aux accusations du procureur. Elle démontrera, en conséquence, qu’il n’est pas possible d’établir l’existence de motifs substantiels de croire que le président Gbagbo aurait commis les crimes qui lui sont imputés. Elle démontrera qu’il n’existe pas de motifs substantiels de croire que le président porterait une quelconque responsabilité dans les faits visés comme co-auteur indirect et a fortiori comme contributeur. Parce qu’à aucun moment, le procureur ne parvient à démontrer l’existence d’un lien entre le président Gbagbo et les quatre événements allégués. Le récit du procureur est parcellaire, lacunaire pour une raison simple : la réalité ne cadre pas avec les accusations. Il lui faut tenter de la transformer et, pour cela, il lui faut en occulter certains aspects. Mais les faits sont têtus et nous allons les rappeler sans omettre d’éléments importants pour la compréhension des événements.
Le récit du procureur est biaisé pour deux raisons : l’une, nous l’avons dit, est qu’il dépend des éléments qui lui ont été transmis par les autorités ivoiriennes. L’autre, plus fondamentalement, est que, pour faire peser la responsabilité du conflit sur les seules épaules du président Gbagbo, il lui faut adhérer au narratif construit par les adversaires du président Gbagbo à l’époque de la crise pour les délégitimer et pour convaincre la communauté internationale de soutenir un camp contre l’autre. Et c’est ce qui explique le choix des quatre événements qui structurent son document contenant les charges aussi floues, discutables, contradictoires soient-il comme nous le montrerons. Parce que ces événements constituent autant de tournants dans la crise postélectorale, autant d’étapes dans la délégitimation du président Gbagbo et parallèlement dans l’engagement de certaines puissances dans le conflit. La prétendue répression de l’attaque de la Rti en décembre 2010 a entraîné, au plan international, la condamnation du régime du président Gbagbo. Les allégations concernant la manifestation des femmes au début du mois de mars 2011 ont entraîné l’immédiate suspension des négociations de paix en cours. Les puissances ne voulaient pas d’une paix négociée et nous le montrerons. Le bombardement allégué du marché d’Abobo le 17 mars 2011 a conduit, quelques jours plus tard, à l’adoption de la résolution 1975 du Conseil de sécurité et au déclenchement de l’offensive terrestre préparée en sous-marin et de longue date par les forces françaises et l’Onuci. Et que dire des accusations de combats à Yopougon après la chute du président Gbagbo ? Elles permettent d’occulter les rafles et violations systématiques des Droits de l’Homme commises après leur victoire par les forces pro-Ouattara.
 
Ces quatre événements donnent donc à lire un récit, à croire en une histoire qui légitime ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui. Ils peignent à grands traits un camp du bien et un camp du mal.
De ce point de vue, ils ont donc une signification politique ; ils ont construit une réalité légitimante qui a servi de fondement à la prise de pouvoir par le camp Ouattara.

Plutôt que de vérifier la véracité même de ce récit, plutôt que d’enquêter pour en déterminer la réalité, le procureur l’a tenu pour acquis. Et le problème, c’est qu’il ne peut plus maintenant s’en écarter sous peine de remettre en cause tout l’édifice. Or l’édifice ne tient pas.

 
L’attaque de la Rti, tous les éléments en notre disposition le prouvent, ce ne sont pas les forces pro-Gbagbo qui auraient attaqué les foules désarmées, mais bien au contraire les miliciens pro-Ouattara qui ont lancé une attaque préméditée et préparée contre les forces de maintient de l’ordre. La répression de la marche des femmes, la presse ivoirienne elle-même s’est fait l’écho des incohérences de l’accusation. Le procureur, lui, a tenu pour acquis que la version d’un seul camp était la bonne. Sans la remettre en question, sans enquêter, sans vérifier différentes hypothèses. Le bombardement du marché d’Abobo, le moins que l’on puisse dire, c’est que le dossier présenté par les autorités ivoirienne n’est pas convaincant et que le procureur n’a rien fait pour éclaircir les choses. Comment d’ailleurs ne pas s’étonner que ceux que le procureur présente aujourd’hui comme les relais du président Gbagbo dans la mise en œuvre de la prétendue politique qu’il lui reproche aient été promus et récompensés par Alassane Ouattara ? Il n’est pas difficile de comprendre que la réalité est tout autre ; et ce n’est pas une thèse que nous exposons, c’est un constat que nous posons. Car la réalité est têtue et se dvine à travers les éléments de preuve à la disposition des parties.
 
Tout le problème est là. Trop occupé à prouver la responsabilité du président Gbagbo, le procureur n’a visiblement pas eu le temps d’examiner, d’analyser, d’évaluer les éléments à charge. Il n’a même pas regardé les vidéos tournées à l’époque. L’aurait-il fait ? Il aurait vu les combattants pro-Ouattara lourdement armés se diriger vers la Rti. Il aurait vu des combats entre miliciens et les forces de l’ordre. Il aurait pu attendre les appels à la violence, à donner l’assaut aux institutions de l’Etat et à la Présidence lancés la veille du 6 décembre par les rebelles et par Guillaume Soro, le Premier ministre d’Alassane Ouattara, et renouvelés le soir même de l’attaque. Il se serait interrogé sur les conditions de la prise du pouvoir des groupes pro-Ouattara à Abobo en janvier et février 2011.
 
Les attaques contre les populations civiles d’Abobo. Ce sont les policiers qui ont été attaqués, tués et brûlés vifs par les membres des milices pro-Ouattara. Tandis que les populations civiles toutes origines confondues fuyaient les miliciens pro-Ouattara et le Commando invisible. Elles ne fuyaient pas les forces de maintien de l’ordre qui tentaient de les protéger. S’il avait lu la presse ivoirienne, le procureur n’aurait pas manqué d’enquêter de manière impartiale sur les circonstances dans lesquelles aurait eu lieu la marche des femmes. Il aurait examiné le peu de témoignages qu’il présente avec peu d’esprit critique. Il aurait examiné avec la plus grande circonspection les témoignages concernant le bombardement du marché d’Abobo et il aurait procédé aux analyses nécessaires. Il n’a rien fait.
Quant aux attaques des pro-Gbagbo à Yopougon, attaques alléguées, le moins qu’on puisse dire, c’est que le procureur ne les documente pas ou pas suffisamment. Alors que nombre d’organisations de défense de Droits de l’Homme se sont fait l’écho des rafles, des assassinats perpétrés par les forces rebelles dans la commune de Yopougon exactement au même moment.
 
S’il avait réellement enquêté, le procureur n’aurait pas transmis à la défense comme preuves à charge des images de violences s’étant déroulées au Kenya. S’il avait enquêté, il aurait dû prendre en compte la réalité de la situation et prendre en compte les éléments innocentant le président Gbagbo. Mais il a préféré lire la réalité ivoirienne à travers un prisme simplificateur. Il est plus simple d’être manichéen, de se représenter des foules désarmées, mitraillées lorsque l’on veut distinguer entre le camp du bien et le camp du mal. Cela parle d’emblée à l’imagination. Cela est déjà inscrit dans la conscience collective. Parce qu’il n’a pas enquêté lui-même. Parce qu’il s’est reposé sur ce que lui confiaient les autorités ivoiriennes, le procureur n’est pas à même de saisir quelle a été la réalité du terrain et, par conséquent, ne peut la donner à voir à la Chambre.
 
Nous montrerons, au cours des débats, que cette tentation de la facilité, de la simplification a des conséquences graves et a conduit le procureur à mal interpréter les événements dont il parle. Ainsi, pour écrire un scénario susceptible d’entraîner la mise en accusation du président Gbagbo devant la Cpi, le procureur a-t-il dû forcer la vérité et réinventer une réalité.Pourtant la vérité, tous les spécialistes et tous les habitants de la Côte d’Ivoire la connaissent. La chute du président Gbagbo a été organisée et planifiée. Nous verrons que le scénario écrit a posteriori, écrit à la va-vite ne résiste pas à l’analyse. Il y résiste d’autant mois qu’il repose sur deux propositions aussi fausses l’une que l’autre qui vous ont été rappelées hier par le procureur. L’une est que le pays était en paix jusqu’au lendemain des élections de 2010. Nous venons d’entendre le contraire. L’autre, que le responsable de la crise postélectorale serait le président Gbagbo du fait de son refus prétendu d’accepter le verdict des urnes. Mais ce n’est pas lui qui a refusé le verdict des urnes, ce n’est pas lui qui s’est autoproclamé, ce n’est pas lui qui a refusé la décision du Conseil constitutionnel, ce n’est pas lui qui a refusé les tentatives de médiation. Nous reviendrons en détail sur tous ces points, car ils sont au cœur des présents débats. Ces deux propositions sont les deux piliers sur lesquels repose la pseudo-démonstration du procureur. Lorsque l’on oublie la vérité, l’on oublie tous ceux qui ont souffert, toutes les victimes qui réclament en ce moment-même justice et qui, après avoir entendu le procureur, se sentent aujourd’hui un peu plus abandonnées. Il convient ici d’avoir une pensée pour toutes les victimes non seulement pour celles qui se sont manifestées, mais encore pour celles qui souffrent en silence, abandonnées, mises à l’indexe parce que ne faisant pas partie du camp des vainqueurs. Je mentionnerai les habitants de la cité martyre de Duékoué, victime de massacre en 2005 et en 2011 sous les yeux des forces de l’Onuci. Je mentionnerai les populations guéré de l’ouest du pays, victimes d’une opération de purification ethnique qui a conduit et conduit encore aujourd’hui des dizaines de milliers d’habitants à fuir leur pays. J’ai une pensée toute particulière pour les femmes martyres brutalisées, violées, certaines mêmes devant leurs familles qui attendent avec espoir que justice leur soit rendue.
 
La Côte d’Ivoire est un pays traumatisé. Traumatisé par des coups d’Etat à répétition ; par la mise en coupe réglée par les chefs-rebelles à partir de septembre 2002 du nord du pays, par une guerre terrible infligée aux populations par ces mêmes rebelles en 2010 et 2011.
 
Mme le Président, Mmes et MM., c’est une partie risquée que joue le procureur en adhérant à un récit élaboré par d’autres. En effet, si le récit sur lequel il s’appuie était remis en cause, toute la construction intellectuelle visant à accuser le président Gbagbo et parallèlement tout l’édifice visant à légitimer Alassane Ouattara s’écroulerait. Apparaît alors en toute lumière ce qui est le fond des accusations, la recherche d’un bouc-émissaire qui n’est en réalité qu’un homme coupable d’avoir préféré la liberté à la servitude.
 
C’est bien une partie risquée que joue le procureur en se focalisant sur les quatre incidents les plus médiatiques, ceux qui ont eu des conséquences politiques internationales. Car, ce faisant, il oublie les crimes innombrables qu’ont subis les populations ivoiriennes. Le peuple ivoirien aurait mérité que ses souffrances soient prises en compte ; il aurait mérité un autre procès qu’un procès politique. Il aurait mérité que soit instruit le procès des vrais responsables de la destruction depuis une décennie du pays. Et la Cour aurait mérité de pouvoir se pencher sur ce qui s’est réellement passé en Côte d’Ivoire pendant toutes ces années. Elle aurait alors joué un rôle bénéfique pour la réconciliation nationale.
 
Vous savez, cette affaire est en fait non seulement une affaire ivoirienne, mais aussi une affaire française. Permettez-moi de rappeler qu’en 50 ans, la France est intervenue militairement une quarantaine de fois en Afrique. Penser pouvoir saisir les tenants et les aboutissants de la crise ivoirienne sans se pencher en profondeur sur les vraies raisons de cette crise, c’est se fourvoyer et c’est fourvoyer la justice. La réalité est là, sous nos yeux. Et c’est la tâche combien noble et essentielle de la Chambre de la dévoiler. Merci !

Propos retranscrits par Augustin Kouyo. Coll : Boga Sivori.

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Source : Notre Voie 22/02/2013

Arrêtons les frais !



Les juges de la Cour pénale internationale de La Haye examinent en ce moment les preuves rassemblées contre Laurent Gbagbo afin de décider s’il y a lieu de poursuivre l’ancien président ivoirien pour crime contre l’humanité. Ne devrions-nous pas en profiter pour examiner de notre côté les preuves accumulées contre la CPI et juger si cette cour mérite, oui ou non, de poursuivre son travail ?
Frédéric Taddéi
  • Depuis sa création, en 2002, dans le cadre du Statut de Rome, la CPI ne s’attaque qu’à des Africains. Racisme ? Impuissance ? Aveuglement ? Chacun peut en déduire ce qu’il veut. Toujours est-il qu’au cours des dix dernières années, selon la CPI, massacres et crimes de guerre ont été, comme par hasard, l’exclusivité de la Côte d’Ivoire, de la Libye, du Darfour, de la Centrafrique, de la République démocratique du Congo et de l’Ouganda… Le reste du monde ? Rien à signaler. L’Irak et l’Afghanistan ? Cool ! Le Tibet ? La Syrie ? Pas de problème…
  • Non contente d’invoquer un soi-disant droit international qui, en réalité, ne s’applique pas de la même manière à tous les Etats puisque des pays comme la Russie, la Chine ou les Etats-Unis n’ont pas signé ou ratifié le Statut de Rome et que les pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU peuvent mettre un veto à la saisine de la CPI, celle-ci ne s’en prend jamais aux vainqueurs, seulement aux vaincus. Prenant exemple sur le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, créé en 1993, qui condamne tous les Serbes lui tombant sous la main et blanchit systématiquement leurs adversaires, qu’ils soient Croates ou Bosniaques, la CPI incrimine ce pauvre Gbagbo, mais se garde bien d’enquêter du côté des partisans d’Alassane Ouattara, soutenus par les grandes puissances. De même avait-elle attendu que Kadhafi soit sur le point de perdre la guerre contre les Français, les Anglais et les Américains pour l’accuser de crime contre l’humanité… Peut-on encore parler de justice quand on se montre à ce point faible avec les forts et fort avec les faibles ?
  • D’ailleurs, depuis dix ans, la CPI n’a cessé de dévoyer le concept de crime contre l’humanité. Né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour punir et rendre imprescriptibles des crimes d’une atrocité exceptionnelle, celui-ci se retrouve aujourd’hui confondu avec n’importe quel massacre. Comme si le camp d’extermination d’Auschwitz, le bombardement de Dresde et le massacre de Sétif, c’était la même chose! Comme si une tentative de génocide et la répression d’une manifestation devant la télévision ivoirienne revenaient exactement au même!
Les preuves de forfaiture étant nombreuses et répétées, ne devient-il pas urgent de mettre un terme à cette parodie de justice internationale qui agit comme un instrument de domination supplémentaire au service des pouvoirs en place et finit par déshonorer les 121 pays ayant ratifié le Statut de Rome ? 

Frédéric Taddéi - www.newsring.fr 21 février 2013

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mercredi 20 février 2013

Le parti socialiste français au secours du régime ouattariste

Une libre opinion de Deuxer Céi Angela

Sur le plan idéologique, il est de notoriété publique qu’un gouffre insondable sépare le Parti socialiste français du socialisme scientifique. Mais ceux qui ne veulent pas désespérer de ce parti – il en existe encore – continuaient de vivre sur l’illusion qu’il n’avait pas encore opéré de reniements sur l’attachement à la justice et aux droits de l’Homme proclamé dans sa Charte éthique et sa Déclaration de principes. Comme si la conception du monde du socialisme scientifique admettait l’érection métaphysique de cloisons étanches entre tels ou tels aspects de la théorie et de la pratique.

J.-C. Cambadélis (au premier plan)
Jean-Christophe Cambadélis, député de Paris et « secrétaire national à l’Europe et à l’international » du Parti socialiste, a fait voler ces illusions naïves en éclats. Dans une interview accordée à Christophe Boisbouvier sur les antennes de Radio France internationale (Rfi), le vendredi 15 février 2013, ce théoricien social-démocrate a apporté la preuve que, sur les questions de la justice et des droits de l’Homme comme sur beaucoup d’autres, le parti de François Hollande a atteint un état de putréfaction idéologique avancée.

Point n’est besoin de s’attarder outre mesure sur les professions de foi mensongères de Jean-Christophe Cambadélis sur la « réconciliation » en Côte d’Ivoire. Dès le déclenchement de rébellion fomentée par l’impérialisme français en septembre 2002 avec le concours servile de son homme de main Blaise Compaoré pour installer Alassane Dramane Ouattara au pouvoir en Côte d’Ivoire, le Parti socialiste a soutenu mordicus les rebelles jusqu’au renversement du président Laurent Gbagbo par les forces spéciales dépêchées par Nicolas Sarkozy, le 11 avril 2011. Ni hier ni aujourd’hui, ce parti n’a œuvré par des actes à la réconciliation en Côte d’Ivoire. Il a toujours jeté de l’huile sur le feu.

Sur cette question, la théorie et la pratique du Parti socialiste français sont donc frappées d’une tare rédhibitoire. Le soutien massif de Cambadélis à Alassane Dramane Ouattara et à Soro Kigbafori Guillaume pour réaliser la réconciliation en Côte d’Ivoire trahit le caractère démagogique de sa phraséologie. La réconciliation ne peut être l’œuvre de deux hommes qui en sont quotidiennement les machiavéliques fossoyeurs.

Ci-après, l’extrait de l’interview de Cambadélis consacrée à la Côte d’Ivoire qui nous intéresse davantage. 

Christophe Boisbouvier. En échange de sa participation aux prochaines élections locales, le Front populaire ivoirien (Fpi) de Laurent Gbagbo demande l’amnistie pour tous les prisonniers du parti. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Jean-Christophe Cambadélis. Il y a des fautes et elles doivent être jugées. On verra après si le temps de l’amnistie sera venu, ce que je souhaite.

Christophe Boisbouvier. Certains disent que cette justice est à sens unique ?

Jean-Christophe Cambadélis. Dans le processus qui a traversé la Côte d’Ivoire, c’est souvent à sens unique. Nous avons tous connu cela dans d’autres phases historiques en France. Il y a évidemment les vainqueurs, mais l’idée fait son chemin et que le président Ouattara a cela en tête. Il faut penser à une réconciliation. » (Radio France internationale, 15 février 2013).
La question de l’amnistie révèle que Jean-Christophe Cambadélis est frappé d’amnésie. Il convient donc de lui rappeler que le Parti socialiste n’a pas désapprouvé l’amnistie générale au profit des rebelles imposée à Linas-Marcoussis au président Laurent Gbagbo et au peuple ivoirien par le gouvernement de Jacques Chirac, sous la houlette de Pierre Mazeaud, le constitutionnaliste français de service, le 24 janvier 2003. (Cf. Accord de Linas-Marcoussis). Aujourd’hui, le Parti socialiste se contente d’un mièvre et hypothétique « On verra après si le temps de l’amnistie sera venu (sic), ce que je souhaite. » Pour les rebelles criminels en mission commandée pour le compte de l’impérialisme français et de son valet Ouattara, le temps de l’amnistie était venu. Pour les dizaines milliers d’Ivoiriens qui vivent les affres de l’exil forcé ou croupissent dans les goulags de Ouattara, on attendra « si le temps de l’amnistie sera venu. » C’est un reniement idéologique honteux pour le Parti socialiste.
Crétinisme et volonté délibérée de propager l’obscurantisme se le disputent dans les propos de Jean-Christophe Cambadélis sur les questions fondamentales de la « justice à sens unique » et de la « justice des vainqueurs » cyniquement exécutées en Côte d’Ivoire par Alassane Dramane Ouattara. Les contorsions intellectuelles auxquelles il se livre pour blanchir Ouattara – il est même dans sa « tête » – ne reposent sur aucun fait indubitablement établi. Cambadélis ne détermine pas le « processus traversé par la Côte d’Ivoire » et ne désigne pas le coupable qui est mis en cause dans le bout de phrase « c’est souvent à sens unique ». Plus grave, il évoque subrepticement « d’autres phases historiques en France » au cours desquelles la « justice des vainqueurs » et la « justice à sens unique » étaient mises en œuvre avec l’aval des socialistes français. Quelles sont « ces phases historiques » ? Cambadélis n’aura pas inventé le tripatouillage de l’Histoire pour des desseins inavoués. Dans ce domaine, il ne fait que grossir les rangs du révisionnisme.

Quid de la revendication par le Parti socialiste de « l’abolition de l’esclavage » et « des grandes batailles politiques et intellectuelles pour la liberté et la justice, de l’affaire Dreyfus à l’abolition de la peine de mort. » ? Quid de la proclamation des valeurs de la « Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 » ? Quid de l’attachement du Parti socialiste « aux grands principes de la Justice », à la « protection des libertés tant publiques qu’individuelles. La justice (…) une valeur et une institution (…) garante de la réalité des droits de chacun » qui « doit être accessible, indépendante et égale pour tous » ? (Déclaration de principes du Parti socialiste français). A l’évidence, des mots, rien que des mots qui s’effacent devant les intérêts de la bourgeoisie impérialiste française.

Alassane Dramane Ouattara, Soro Guillaume et les chefs de guerre aux mains à jamais maculées de sang peuvent jouir de la « justice à sens unique » et s’empiffrer impunément sous les lambris du régime installé par les bombes de l’impérialisme international. Ils bénéficient de l’onction et du parapluie idéologiques du Parti socialiste. C’est un véritable blanc-seing donné à Ouattara par le parti de François Hollande, là où même les organisations humanitaires (Amnesty international, Human rigths watch, le Comité international de la croix rouge, la Fédération internationale des droits de l’Homme, etc.) exigent une justice égale pour tous en Côte d’Ivoire.

Sous le rapport de la justice et des droits de l’Homme dans la crise qui déchire la Côte d’Ivoire depuis 2002, Jean-Christophe Cambadélis a étalé la putréfaction idéologique du Parti socialiste français, cet adepte impénitent de la social-démocratie à l’eau de rose. 

Par Deuxer Céi Angela.

Titre original : « Putréfaction idéologique : le parti socialiste français soutient la "justice des vainqueurs" et la "justice à sens unique" de Ouattara ». 

en maraude dans le web
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».

 Source : www.ladepechedabidjan.info/ 18/2/2013

TELS QU’ILS NOUS IMAGINENT…



Cet article non signé glané dans Le Pays, « quotidien burkinabé indépendant d’information générale », mérite d’être lu, relu et médité par tous les patriotes et démocrates ivoiriens. Pourquoi ? Parce que c’est une anthologie de tous les préjugés et de tous les stéréotypes qui habituellement font obstacle à la bonne intelligence des processus politiques ivoiriens. Tout n’y est pas faux; pourtant rien n’y est vrai. La peinture de la société ivoirienne est très ressemblante ; en revanche, le décor dans lequel elle est représentée n’est que pure fantasmagorie. Cet article est en effet un magnifique exemple de travestissement de l’histoire des rapports des Ivoiriens avec la politique, et avec leurs dirigeants politiques, et en particulier avec le plus célèbres d’entre eux : Félix Houphouët. Mais ce n’est pas le premier exemple du genre.  Tandis que je lisais cet article, le souvenir d’une ancienne lecture m’est revenu à la mémoire : « Ce qui a fait la nation ivoirienne dans les années 50 et 60, c’est le consensus entre les Ivoiriens, forgé par le pouvoir politique, sur l’idée d’un pays ouvert sur l’extérieur, économiquement libéral, où chacun trouverait son compte en termes de revenus et de bien-être. Le miracle ivoirien, la cohésion nationale, se sont faits autour de ce projet de développement dans lequel on acceptait que la richesse soit redistribuée entre catégories sociales et entre régions. Ils ont été renforcés par un discours politique unitaire, martelé par l’ancien président Félix Houphouët, père de l’indépendance et symbole de cette idée de nation. » (Bruno Losch, Le Monde des débats, décembre 2000 ; p. 8.) Ainsi, s’agissant des ressorts de la vie politique ivoirienne – c’est ce que j’ai appelé « le décor » –, la plupart de ceux qui écrivent sur (ou qui parlent de) la Côte d’Ivoire, que ce soient des étrangers ou des Ivoiriens pur jus, n’en tiennent aucun compte, soit qu’ils les ignorent de bonne foi – tel est peut-être le cas de l’auteur burkinabé de cet article –, soit que, à l’instar de B. Losch, ils participent en toute connaissance de cause au vaste et inlassable labeur de dépersonnalisation et de dépossession des Ivoiriens, qui semble avoir été le but suprême de ceux qui, pendant trente-trois ans et plus, sous le masque d’un autocrate de paille, ont façonné ce pays et cette société bizarres ! Car il est une chose que nous savons bien aujourd’hui, depuis la terrible confidence d’un ancien chargé de mission au cabinet d’Houphouët rapportée par le journaliste Didier Dépry : « Le véritable Président de la Côte d’Ivoire, de 1960 jusqu’à la mort d’Houphouët, se nommait Jacques Foccart. Houphouët n’était qu’un vice-président. C’est Foccart qui décidait de tout, en réalité, dans notre pays. Il pouvait dénommer un ministre ou refuser qu’un cadre ivoirien x ou y soit nommé ministre. C’était lui, le manitou en Côte d’Ivoire. Ses visites étaient régulières à Abidjan et bien souvent Georges Ouégnin lui cédait son bureau pour recevoir les personnalités dont il voulait tirer les oreilles » (Notre Voie 10 septembre 2011).

Comme l’auteur anonyme de cet article, qui prétend donner des leçons de civisme et de patriotisme aux Ivoiriens, est probablement un fier citoyen du Burkina Faso, il est fortement recommandé, avant de lire son article, d’imaginer ce qu’il aurait écrit s’il s’était agi non de la Côte d’Ivoire mais de sa propre patrie, envisagé sous le même angle et avec les mêmes préjugés.

Qu’est-ce en effet que le Burkina Faso, aujourd’hui ? C’est le pays où Thomas Sankara, jugé trop indépendant selon les critères françafricains, fut brutalement éliminé afin que le très Françafrique compatible Blaise Compaoré gouverne seul.  C’est le pays où dans la suite de ce forfait, deux autres personnages importants liés au pouvoir furent brutalement éliminés. C’est le pays où, pour le faire taire à jamais, un journaliste gênant fut peut-être brûlé vif dans sa voiture sur une route déserte. C’est le pays où, liés à ce crime odieux et pour protéger ses auteurs, plusieurs autres crimes furent ordonnés par des personnes très proches du chef de l’Etat, et sont restés également impunis. C’est le pays d’où, avec la complicité des Salif Diallo, Gilbert Diendéré et autres Ablassé Ouédraogo, le Français Jean Mauricheau-Beaupré, ce barbouze jamais repenti, pilotait les « rébellions » libérienne et sierra léonaise. C’est le pays où un ancien ministre d’Houphouët, qui avait sans doute cessé de plaire à ses employeurs françafricains, fut massacré à l’arme blanche dans le secret de la villa où il était l’hôte de l’Etat burkinabé. C’est le pays d’où partirent les hordes mercenaires qui tentèrent, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, le coup d’Etat qui, après son échec, se transforma en une « rébellion » soutenue à bout de bras par …le président du Faso. Etc… Le tout sous l’œil impassible de millions d’« hommes intègres », dont pourtant aucune « épouvante » ne se serait encore emparée…

C’est l’éternelle histoire de la poutre et de la paille…



Marcel Amondji

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La malédiction par les « pro » et les « anti »
Source : Le Pays 18 février 2013

[Avec des commentaires intercalés de M. Amondji]

De nos jours et chaque jour qui passe, il paraît de plus en plus difficile, voire impossible, de parler de la Côte d’Ivoire sans admettre qu’il s’agit d’une nation au bord de l’épouvante. Qu’est-ce que l’épouvante ? Comme l’a si bien défini le philosophe danois Sören Kierkegaard, « l’épouvante est un pouvoir étranger qui s’empare d’un individu sans que celui-ci puisse s’en arracher ni même ait la volonté de le faire car on redoute cela même que l’on désire » [C’est tout à fait ça ! Du 6 février 1949 jusqu’au 11 avril 2011, en passant par l963-1964, l’« épouvante »  était à l’œuvre… Mais il est faux de dire que si nous ne pouvions pas nous « en arracher », c’était faute de le vouloir. Sinon, qui aurait pris la peine d’écrire un article tel que celui-ci].

Dans la société ivoirienne d’aujourd’hui, fruit des crises sociales et militaro-politiques, il semble interdit à tout un chacun d’être neutre. Les Ivoiriens sont devenus étrangers à eux-mêmes depuis la mort de l’aristocrate autoritaire, Houphouët [Ce n’est pas « depuis… », mais « bien avant… ». En effet, dès 1982, Jean-François Médard remarquait : « La population étrangère non africaine comprend une centaine de milliers de Libano-Syriens et une cinquantaine de milliers d’Européens dont la plupart sont Français. (…). Alors qu’ailleurs elle se fait plus discrète, ici, elle s’affiche sans complexe ; elle semble tellement chez elle que cela devient gênant. (…). Comme de plus ces étrangers occupent des places importantes, les Ivoiriens semblent largement étrangers dans leur propre pays. Comment peuvent-ils supporter une telle situation ? » (Y.-A. Fauré et J.-F. Médard, Etat et bourgeoisie en Côte d’Ivoire, p. 81). Quant à la définition d’Houphouët comme « l’aristocrate autoritaire », elle relève aussi du préjugé. Car, d’une part, la chefferie de canton dont Houphouët hérita de son oncle Kouassi Ngo était une création des Français pour le récompenser des services qu’il leur avait rendus et, d’autre part, « autoritaire », si Houphouët l’était sans aucun doute, l‘imagine-t-on pour autant exerçant son autoritarisme, par exemple, sur Jacques Foccart ?]. Après lui, quand la Côte d’Ivoire s’est réveillée de son rêve, c’est pour se retrouver dans un cauchemar éveillé.

Pour comprendre une telle situation, il faut aller au fond des choses. Car, même si tout le monde clame ici une volonté commune d’avancer ensemble, en vérité, ce pays manque de but fédérateur [La formulation est un peu ridicule, mais il y a beaucoup de vrai dans cette remarque. « L’un des effets les plus néfastes de l’houphouétisme, écrivais-je pour ma part dès 1995, c’est cette absence de tout sens à la vie des gens qui leur soit commun ; l’idée de quelque chose à construire ensemble ; non pas seulement une économie développée, etc., qui est à la portée de quiconque s’en donne les moyens qu’il soit du pays ou non, mais un projet humaniste. Au lieu de cela, chacun s’occupe surtout de faire sa propre pelote, au besoin en association avec des étrangers, comme faisait Houphouët lui-même. » (M. Amondji, Spicilège, p. 75)]. Les Ivoiriens disent chercher les clefs de la démocratie, de la réconciliation et du développement. Mais peuvent-ils les trouver ? Non, ils ne le peuvent pas puisqu’ils continuent à se mentir à eux-mêmes. Et, ils ne sont pas encore une nation d’hommes libres et éclairés. Toujours, jusque-là, au plus profond de lui-même, chaque Ivoirien semble encore compter sur la vengeance, l’intimidation, l’injure et le désir de meurtre de l’Autre. Et chaque Ivoirien semble désirer tout. Or, le désir est un démon inquiet et flottant, qui mène à l’illusion. Rappelons ici cette vérité simple et élémentaire : la paix et la stabilité de Houphouët ne se fondaient nullement sur le fonctionnement d’institutions républicaines et démocratiques véritables, mais sur la prétendue sagesse d’un individu.

Avec Houphouët, le peuple ivoirien a donc été infantilisé et il n’a pu bénéficier d’aucune éducation et culture politiques qui lui auraient appris à débattre, à délibérer et surtout à gérer rationnellement ses contradictions [Cela aussi est vrai ; mais, dit comme cela, on ne peut pas comprendre à quel point !]. Ce pays continue à payer chèrement un lourd tribut à cette logique « houphouëtienne » de la divinisation politique. L’ivoirité, cet arsenal idéologico-politique forgé par Henri Konan Bédié pour combler son déficit de légitimité et surtout barrer la route du pouvoir à Ouattara, n’a fait qu’accentuer le processus d’autodestruction du pays.

L’ivoirité a profondément brisé le corps social ivoirien et fragilisé l’Etat [Oui. Mais, pourquoi ? Mais, comment ? Si on ne prend pas la peine de le préciser, c’est une affirmation presque gratuite !]. En ouvrant cette boîte de Pandore, Bédié signait du coup lui-même l’acte de son suicide politique : il ne pouvait plus appliquer, après Houphouët, sa politique dite de continuité dans le changement. Après le dénouement violent de la crise post-électorale, une nouvelle idéologie a vu le jour en Côte d’Ivoire, l’idéologie dite de la trahison [Si cela veut dire que la majorité des Ivoiriens rejettent le régime que la France leur a imposé le 11 avril 2011, c’est vrai ; et c’est tant mieux !]. C’est elle qui sous-tend entièrement cette malédiction des « pro » et des « anti ». Dans le camp de Ouattara, comme dans le camp Gbagbo, on retrouve des extrémistes et des radicaux, prêts à manipuler tous les alibis et prétextes pour en découdre. Entre ces deux camps, chaque Ivoirien est sommé de se déterminer et de choisir : aucune neutralité n’est ici de mise.

Le camp de Ouattara ne veut pas reculer. En face, ce qui reste du camp Gbagbo ne veut pas aussi reculer. Quid donc de la paix et de la réconciliation ?

Etrangement, la situation ivoirienne actuelle nous fait penser à celle de la France, juste après la libération. A ceux qui imploraient sa clémence et son pardon face aux écrivains collaborationnistes comme Dieu la Rochelle et Robert Brasillach, le général De Gaulle aimait répondre : « Ils ont joué, ils ont perdu, ils doivent payer ». Appliquée à la Côte d’Ivoire, cette terrible formule pourrait refléter la position actuelle du pouvoir ivoirien. Et pour le camp Gbagbo, l’essentiel consiste à la subvertir par cette autre formule : « Ils ont gagné, ils gouvernent et nous leur rendrons la tâche difficile ». Bref, nous avons affaire à une nation imbibée de slogans [Si cela veut dire que la vie politique en Côte d’ivoire est faite de beaucoup d’esbroufe, c’est assez vrai aussi, non ?]. On imagine mal actuellement, qu’en chantant leur hymne national, l’Abidjanaise, les Ivoiriens songent ensemble à l’unité, à l’amour entre eux, à l’intérieur comme à l’extérieur de leur pays.

Les récentes manifestations de jeunes proches de l’ancien président Gbagbo, interdites par le pouvoir ivoirien, ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Ces jeunes eux-mêmes le savent mieux que quiconque, même s’ils n’arrivent pas encore à comprendre ce qui arrive à leur pays. L’histoire politique de la Côte d’Ivoire, c’est aussi l’histoire d’une jeunesse longtemps embastillée et surtout idéologisée [« embastillée » et « idéologisée » : une association bien étrange…]. Et c’est là qu’il faut bien distinguer l’idéologisation qui mène au nihilisme et la vraie politisation qui prépare à la citoyenneté. Mais, la jeunesse ivoirienne surtout estudiantine, doit renoncer à la tentation messianique perpétuelle, c’est-à-dire à cette fausse idée selon laquelle seuls les jeunes peuvent et doivent sauver la Côte d’Ivoire.

Quant au pouvoir ivoirien, il doit faire preuve d’imagination et d’audace politiques pour faire revivre pleinement les valeurs républicaines et démocratiques. Le régime Ouattara ne doit pas chercher à instrumentaliser les erreurs et fautes politiques du camp Gbagbo, encore moins à jouer sur les rivalités au sein de ce qui reste du FPI. Il n’est pas de l’intérêt politique de Ouattara d’assécher totalement l’opposition politique.

Certes, le FPI, c’est cette belle dame qui se fait indéfiniment désirer. Mais ce parti semble n’avoir pas encore tiré tous les enseignements de sa stratégie post-électorale suicidaire. Historiquement, personne ne peut nier sa contribution essentielle à l’avènement de l’âge démocratique en Côte d’Ivoire. En accédant au pouvoir dans des circonstances très défavorables, le FPI a découvert brutalement qu’il souffrait d’une crise de cadres compétents, intègres et patriotes. A la génération des fondateurs de ce parti d’« intellectuels » une nouvelle génération de dirigeants sensible aux mœurs ostentatoires et son univers baalique s’est mise en mouvement, dépourvue de toute vision stratégique, et de toute vision morale.

Ce parti commet une faute politique et morale en continuant à voir en Ouattara un traître à la nation ivoirienne. Non, Ouattara n’est pas le chef d’un d’Etat sous occupation étrangère et qu’il s’agirait de libérer [C’est donc là Ce Qu’il Fallait Démonter ? Mais, si cela est vrai, que deviennent Kierkegaard et son « épouvante » ? Ou bien devons-nous croire qu’après avoir été porté au pouvoir par les ambassadeurs de France et des Etats-Unis et le représentant du secrétaire général de l’ONU, Ouattara a « arraché » les Ivoiriens à l’emprise du « pouvoir étranger » dont, avant son avènement le 11 avril 2011, ils étaient les proies plus ou moins consentantes ?]. Comme l’a si bien écrit Séry Bailly, « la logique politique a, hélas, beaucoup à apprendre encore de l’éthique sportive comme de la conscience religieuse et esthétique ». Le sport est compétition, mais dans l’amitié, le respect mutuel et la fraternité. La religion, suppose la transcendance qui renvoie toujours à « l’humanisme de l’Autre homme ». Quant à l’art, il est d’abord et avant tout, grâce et générosité. En Côte d’Ivoire, personne ne semble s’opposer à la paix, à la démocratie, à la réconciliation, à la justice, mais en même temps, personne n’est d’accord sur les modalités de leur réalisation. Alors, quel chemin reste-t-il encore à emprunter pour arriver à la Côte d’Ivoire nouvelle, malgré les tensions et convulsions de toutes sortes ? Comment bâtir ici une démocratie et une république, sans démocrates et sans républicains ?

On pourra tout dire, l’équation ivoirienne n’est soluble que dans un seul concept : la confiance. Sans elle, on ne peut vaincre ici l’intolérance idéologique et politique. Sans elle, l’opposant, le dissident, seront toujours vus comme des ennemis qu’il faut exclure de la nation, voire combattre par les moyens les plus extrêmes. Or, l’opposant, le dissident sont des concitoyens avec qui il faut débattre et coopérer pour faire de la Côte d’Ivoire une nation unie, prospère vivante et pacifique. Les Ivoiriens doivent avoir confiance les uns dans les autres. Le politologue américain, Francis Fukuyama a bien raison de dire que « la confiance agit comme un lubrifiant qui fait que tout groupe ou toute organisation fonctionne avec plus d’efficacité ». Décidément, selon la formule bien consacrée en Eburnie, « tout près n’est pas loin ».