dimanche 30 septembre 2012

Pourquoi brimer des citoyens qui, « de bonne foi », ont cru aux institutions de leur pays ?

Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Aké N’Gbo, après avoir géré le portefeuille de la Fonction publique dans une précédente équipe, Emile Guiriéoulou a été l’un des acteurs majeurs dans la gestion de la crise postélectorale. Il s’exprime ici sur les derniers développements de la situation intérieure, et sur les incohérences de la politique de réconciliation nationale à la mode de ce régime de rattrapage ethnique.

Depuis le début du mois d’août, on constate un regain de violence dans le pays. Les FRCI ont subi plusieurs attaques armées. Comment réagissez-vous à cette situation ?
Je voudrais vous dire que ce n’est pas depuis début août qu’il y a regain de violence. C’est depuis fin novembre 2010 que la trêve que l’on observait dans le pays depuis 2007 a été rompue par le RDR et sa branche armée. Depuis le 11 avril 2011, vous pensez que la violence a cessé en Côte d’Ivoire ? Vous-mêmes, journalistes, ne cessez de nous rapporter quotidiennement les exactions des FRCI à travers le pays avec des dizaines voire des centaines de morts. Ce qui est nouveau, c’est que les FRCI sont maintenant eux aussi victimes de la violence.
Ceci étant, je trouve regrettable tout ce qui arrive aujourd’hui à la Côte d’Ivoire et qu’on aurait pu éviter en acceptant un règlement négocié, pacifique du contentieux électoral plutôt que, fort de soutiens extérieurs, de se lancer dans la voie des armes. On a ouvert une boite de pandore avec la rébellion déclenchée en septembre 2002 et fièrement revendiquée même aujourd’hui encore. Quand Soro Guillaume déclare que son parcours est un modèle pour la jeunesse africaine, faut-il s’étonner de voir des jeunes chercher à avoir le même parcours afin de ressembler à ce modèle ?

Le chef de l’Etat, Alassane Ouattara a effectué en avril dernier une visite d’Etat dans l’Ouest. En tant que cadre et élu de cette région, qu’en pensez-vous ?
Au vu des réactions qui me sont parvenues, cette visite d’Etat n’a rien apporté et n’a pas donné satisfaction aux populations dont aucune des préoccupations n’a trouvé de réponse ni même été discutée, à savoir la question du retrait des dozos de la région, l’épineux problème du burkinabé Amadé Ouérémi qui sévit dans la forêt classée du mont Péko, l’occupation et l’exploitation illégale des plantations, l’envahissement de la région par de nouveaux migrants qui accourent de toute la sous région et qui s’y installent sans aucune autorisation, encadrés par des groupes armés.
A propos d’ailleurs d’Amadé, vous ne trouvez pas curieux que le gouvernement annonce à l’avance qu’il va lancer une opération militaire pour le déloger du mont Péko ? N’est-ce pas une façon de lui dire : « Frère, sois rassuré, on te fera rien et prends tes dispositions pour la mise en scène le moment venu ».
A Duékoué, ville martyre, monsieur Ouattara aurait pu au moins visiter le quartier Diaye Bernard incendié et détruit en janvier 2011 par ses partisans ou encore se rendre sur les ruines du village de Niambly pour montrer sa compassion et sa solidarité avec les populations meurtrie ; et ainsi donner une preuve de sa volonté de réconciliation par les actes. Même ses visites de compassion ont été sélectives. Par exemple à Duékoué, il est allé saluer la famille d’un imam tué pendant la crise. Mais il a ignoré la famille de feu Léhi Paul, chef du village de Diahouin, un des chefs les plus écoutés dans ce département, tué dans son campement par les FRCI en avril 2011.

Mais pour la réconciliation, il a lancé un appel aux exilés originaires de la région que vous êtes, vous demandant de rentrer au pays.
Pour lancer deux mois après des mandats d’arrêt contre le ministre Kahé Eric et moi-même. Vous comprenez donc que cet appel n’était pas sincère. D’ailleurs, s’il était vraiment de bonne foi, M. Ouattara aurait pu, comme gage de sa volonté de réconciliation, commencer à l’occasion de cette visite par libérer le frère Basile Mahan Gahé qu’il maintient en prison uniquement au motif qu’il a demandé, pendant la crise, aux travailleurs ivoiriens de continuer d’aller au travail alors que lui Ouattara le leur avait interdit. Et pourtant, comme Mahan Gahé, de nombreux collaborateurs actuels du pouvoir, y compris ceux qui distribuent aujourd’hui les mandats d’arrêt contre nous, ne se sont pas à l’époque pliés à sa décision.
Mais comme pour ses partisans, M. Ouattara, avec cette visite, a réussi à faire la réconciliation à l’Ouest et que tout est bien dans le meilleur des mondes, je dis Alléluia ! Si vous les écoutez, les populations de cette région qui étaient « manipulées » sont maintenant désenvoutées et heureuses. Pour cela, elles remercient certainement monsieur Ouattara de les avoir débarrassés des « fils indésirables » que nous sommes. Dans cette logique, je crois que Toulépleu a dû saluer le départ en exil des Voho Sahi, Pol Dokoui, Tahi Zoué quand Bloléquin bénit le Seigneur parce que Marcel Gossio et Mahan Gahé n’y seront plus vus. Guiglo ne cessera jamais d’exprimer sa joie de voir Hubert Oulaye et moi-même éloignés du département. Exit Kahé Eric et Déhé Gnahou à Duékoué. Facobly doit maintenant être soulagé par la mort au Togo du maire Gnan Raymond. Comment voulez vous qu’après avoir réussi cette « éradication », la région ainsi « désinfectée et aseptisée », selon la volonté publiquement exprimée d’Amadou Soumahoro, ne soit pas « réconciliée » ? Quel drame ! Mais si cela peut faire le bonheur de ceux qui le pensent, le croient ou le souhaitent, je dis encore Alléluia ! Mais hélas, la réalité est autre et les souffrances des parents sont là qui nous interpellent.

Certains acteurs politiques disent qu’il y a des retombées pour les populations.
Oui, une très grande retombée : le camp de Nahibly n’existe plus et avec lui au moins 230 personnes innocentes parce que ce camp serait «infesté de miliciens». Parlant des jeunes de la région taxés de miliciens, je voudrais rappeler ceci. En 2002, on vivait tranquillement dans la région quand les rebelles, ayant en leur sein des mercenaires libériens et sierra léonais dont le tristement célèbre Sam Bockarie, ont attaqué Toulépleu et ont poursuivi leur avancée jusqu’à Bédi Goazon, village situé à 30 km de Guiglo après avoir pris Bloléquin. Les récits des survivants qui déferlaient sur Guiglo faisaient état de tueries effroyables de meurtres, de viols, de mutilations avec les fameux «manches longues ou manches courtes». C’est alors que des jeunes s’organisent en groupes d’autodéfense pour protéger leurs parents, mettre fin aux massacres et repousser les envahisseurs. Ce sont ceux-là qu’on accuse de tous les maux pendant que les vrais criminels sont encensés.

M. le ministre, vous êtes l’une des figures marquantes de la précédente législature, au niveau de l’Assemblée nationale. Quel regard portez-vous sur l’actuel parlement ivoirien ?
Vous savez, beaucoup a été dit sur cette nouvelle Assemble nationale. Déjà le «désert électoral», le terme est de la presse internationale, qui a sanctionné l’élection qui l’a mise en place, est un indicateur de son déficit de légitimité. Si vous ajoutez à cela l’absence de représentation d’au moins la moitié de la population ivoirienne, vous comprenez que cette Assemblée n’a de nationale que le nom. Et puis, quel crédit démocratique peut-on accorder à un parlement sans groupe d’opposition ? Mais si les tenants actuels du pouvoir sont satisfaits et heureux d’avoir une telle Assemblée Nationale, je leur souhaite bon vent !

Mais en 2000, l’absence du RDR ne vous avait pas empêchés d’aller aux législatives !
Ah non, les choses ne sont pas comparables ! En 2000, le RDR avait décidé de boycotter les législatives au motif que la candidature de Alassane Dramane Ouattara avait été rejetée par la Cour Suprême. Donc par solidarité, les candidats RDR ont décidé de lier leur sort à celui de leur leader. Sinon le RDR n’avait contesté ni la liste électorale d’alors ni les conditions d’organisation des élections encore moins l’organe chargé de les organiser, à savoir la CNE dirigée à l’époque par Honoré Guié. Les candidats issus du RDR avaient le plus normalement du monde déposé leurs dossiers qui ont été validés, à l’exception de celui de Ouattara. Donc en 2000, pour le RDR c’était « si Alassane Dramane Ouattara n’est pas député alors pas de députés RDR en Côte d’Ivoire ». Vous voyez que cela est complètement différent de la situation qui a contraint le FPI à ne pas participer aux législatives de 2010 : insécurité généralisée dans le pays, emprisonnement des responsables du parti, exil forcé de ses cadres, virtuels candidats, gel de leurs avoirs, CEI monocolore avec à sa tête un président à problèmes, découpage électoral scandaleux d’ailleurs dénoncé après coup par le PDCI, etc.

N’empêche que le RDR était absent pendant 10 ans de l’Assemblée nationale.
Oui, cela est vrai mais seulement en apparence, car le RDR n’était pas absent de l’hémicycle pendant la législature passée. En effet, le groupe parlementaire solidarité qui comprenait une dizaine de députés était en réalité RDR. En effet, en dehors de Mel Théodore et Anaky Kobénan, les autres membres étaient tous des militants du RDR qui s’étaient fait élire malgré l’appel au boycott et qui ont décidé de siéger contre l’avis de leur parti sans pour autant se voir infliger des sanctions pour cette «indiscipline».

Comment ça ?
Comment ? C’est simple à comprendre. En effet, non reconnus comme «députés RDR» à l’assemblée nationale, certains d’entre eux ont pourtant été investis candidats RDR pour les élections municipales de 2001 et reconnus «maires RDR» pour ceux qui ont pu être élus. Le RDR était donc présent à l’Assemblée nationale. De plus, la pluralité des opinions politiques qui fait la force d’un parlement démocratique était garantie au cours de notre législature. Le PDCI disposait d’un groupe parlementaire aussi important en termes de membres que celui du FPI. L’UDPCI avait son groupe. Donc face au groupe parlementaire FPI, il y avait trois groupes parlementaires RHDP. Peut-on en dire autant aujourd’hui ?

Cela fait près d’un an et demi que M. Alassane Ouattara est aux affaires. Quelle est votre appréciation de sa gouvernance ?
Avant de répondre à cette question, je voudrais d’abord qu’on pose une autre qui de mon point de vue est capitale, j’allais dire préjudicielle et qu’on y réponde. Voyez-vous, que ce soit la presse proche du pouvoir, les membres du gouvernement ou le chef de l’Etat lui-même, tout ce monde dit que Ouattara n’est au pouvoir que depuis le 11 avril 2011. Alors la question est : qui exerçait donc le pouvoir du 4 décembre 2010 au 11 avril 2011 ?
Je ne veux même pas ici discuter la question de la légitimité et/ou de la légalité de ce pouvoir. Un homme politique ivoirien disait récemment : « Etre président, c’est quand on est assis dans le fauteuil ». Et moi j’ajoute : « Dans le fauteuil qui se trouve au palais présidentiel ». Qui donc était assis dans le fauteuil qui se trouve au palais présidentiel entre le 4 décembre 2010 et le 11 avril 2011 ? Evidemment, c’est Laurent Gbagbo.
Alors si c’est Gbagbo, il faut arrêter de proclamer la nullité des décisions prises sous son autorité et brimer ceux qui ont pu en bénéficier. Il ne faut plus pénaliser des journaux parce qu’ils auront écrit que Aké N’Gbo a été Premier Ministre en Côte d’Ivoire. Il faut rétablir dans leurs droits tous ces jeunes Ivoiriens qui ont pu réussir à des concours dont les résultats ont été proclamés pendant cette période.
Alassane Ouattara, dans son discours lors de la récente rentrée solennelle du Conseil Constitutionnel, a déclaré que ceux des Ivoiriens qui ont cru que la décision du Conseil Constitutionnel proclamant Laurent Gbagbo vainqueur de l’élection présidentielle était juste l’ont fait « de bonne foi ». Pourquoi donc pourchasser, brimer, pénaliser, frustrer des citoyens qui, « de bonne foi », ont cru aux institutions de leur pays ?

Revenons, s’il vous plaît, à ma question précédente.
Oui d’accord. Vous m’avez demandé ce que je pense du pouvoir Ouattara ? Oh, je constate qu’on fait beaucoup de bruits pour rien. En matière d’infrastructures par exemple, je constate que tous les projets qui sont annoncés à grands frais publicitaires sont des projets qui étaient déjà là sous Laurent Gbagbo, avec des financements bouclés ou en voie de l’être. Certains étaient en cours de réalisation : Pont d’Azito, Pont de Jacqueville, prolongement de l’autoroute du nord, pipeline Abidjan-Burkina, troisième pont qui date de Bédié, échangeur de la Riviera 2, autoroute de Bassam, stade de Bassam, approvisionnement d’Abidjan en eau à partir de Bonoua. Pour ce dernier projet, je me souviens parfaitement de la communication faite en conseil des ministres en 2010 par Dagobert Banzio, à l’époque ministre des Infrastructures économiques. On nous a annoncé que les problèmes de l’échangeur de l’Indénié étaient définitivement réglés mais la réalité est là, rien n’a été fait. Au plan social, le chômage s’accroît, le gouvernement est impuissant face à la cherté de la vie et le délai de 3 mois donnés aux Ivoiriens par le Premier ministre Ahoussou Jeannot pour y mettre fin est derrière nous. L’insécurité a atteint des proportions inquiétantes d’autant plus qu’elle est l’œuvre de ceux supposés lutter contre ce fléau. Vous vous souvenez que ce gouvernement avait donné jusqu’au 30 juin 2012 aux FRCI pour libérer les bâtiments aussi bien de l’Etat que des personnes privées ainsi que les plantations qu’ils occupent et exploitent illégalement. Nous sommes fin septembre 2012 et on attend toujours la réaction vigoureuse promise par le gouvernement. En un mot, le pouvoir Ouattara a montré ses limites et son incapacité à offrir aux Ivoiriens le bien-être qu’ils sont en droit d’attendre de leurs dirigeants de circonstance.

Que dites-vous de la conduite du processus de réconciliation nationale ?
La réconciliation ? Comme beaucoup d’autres Ivoiriens, je me pose encore la question de savoir qui on veut réconcilier en Côte d’Ivoire. Parce que quand j’entends ceux qui sont au pouvoir, je ne perçois aucune volonté de réconciliation. Et pourtant, ce sont eux qui ont créé une commission appelée Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR). Vous voyez bien que dans la dénomination de cette commission, « dialogue et vérité » viennent avant « réconciliation ». Or nous avons face à nous des gens qui refusent le Dialogue et ne veulent entendre que leur Vérité. Comment allons-nous alors arriver à la Réconciliation ?

Mais on dit que c’est le FPI qui ne veut pas saisir la main tendue du président pour aller à la réconciliation.
Ah oui ? Nous sommes en Côte d’Ivoire et les événements sont vieux même pas de deux ans. Ce n’est pas Laurent Gbagbo qui, en décembre 2010, a proposé le dialogue pour régler le contentieux électoral par le recomptage des voix ? Ce n’est pas le même Laurent Gbagbo qui, le 11 avril 2011, a demandé qu’après les armes on passe à la partie civile de la crise ? Ce n’est pas Affi N’Guessan qui, en avril 2011, a demandé l’ouverture de discussions politiques en appelant à la fin des violences ? Ce n’est pas le FPI qui le premier a tendu la main au pouvoir en sollicitant une rencontre avec le Chef de l’Etat en août 2011 ? Ce n’est pas Miaka Ouretto qui, en compagnie d’Akoun Laurent, Dano Djédjé et Marie Odette Lorougnon, est allé à Daoukro pour y rencontrer Bédié ? En réponse, que voyons nous sinon menaces, mandats d’arrêt, arrestations, enlèvements, emprisonnements, tortures, assassinats. Le FPI a pris toutes ces initiatives et bien d’autres parce qu’il veut la paix, fidèle à son slogan « Asseyons-nous et discutons ». Sinon, en temps normal, c’est celui qui est au pouvoir qui a intérêt à prendre de telles initiatives. Mais ceux qui sont là aujourd’hui pensent que c’est par la terreur et la répression tous azimuts, par la négation de l’autre qu’ils vont réussir. On les regarde.

Il est dit aussi que le FPI ne veut pas reconnaître le pouvoir de Ouattara.
Ceux qui disent cela peuvent-ils produire une déclaration du FPI affirmant que M. Ouattara n’est pas le chef de l’Etat actuel de la Côte d’Ivoire ? Non. Par contre, nous disons que M. Ouattara n’est pas le vainqueur de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010. (…) Aujourd’hui, c’est un fait, il est assis dans le fauteuil présidentiel grâce à cela. Voici ce que nous disons.

Le pouvoir ne comprend pas que le FPI pose des préalables et tienne à un dialogue direct alors qu’un cadre de discussion existe avec les autres partis pro-Gbagbo.
Mais qu’appelle-t-on préalables ? Le FPI a soumis au chef de l’Etat et au gouvernement les préoccupations qui sont les siennes et autour desquelles il souhaite voir les discussions se tenir et attend l’ouverture du dialogue. Le FPI dit : «Nous sommes d’accord pour le dialogue mais voici nos préoccupations sur lesquelles doivent porter les négociations : libération des prisonniers y compris le Président Laurent Gbagbo, retour apaisé des exilés, dégel des avoirs de ses militants, etc.». C’est çà les préalables ?
Non, ce sont des points de discussion.
Par ailleurs, le FPI demande un dialogue direct avec le gouvernement parce qu’il y a des problèmes qui lui sont spécifiques et qui lui tiennent à cœur. Quand après l’accord politique de Ouagadougou, il a été institué le CPC, seuls le RDR et le PDCI y ont été associés alors qu’ils n’étaient les seuls partis d’opposition. Le MFA et l’UDPCI membres du RHDP n’y  étaient pas, le PIT non plus. Donc si aujourd’hui le FPI en raison de préoccupations spécifiques demande un dialogue direct entre lui et le pouvoir, qu’est-ce que cela coûte à celui-ci d’accéder à cette requête et qui motive son refus ? D’autant que ça n’empêche pas le gouvernement de continuer de discuter avec les autres. Quand on est au pouvoir et qu’on veut la paix, on y  met le prix, on ne compte pas son temps.

Propos recueillis par Saint-Claver Oula


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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenances diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «crise ivoirienne ».


Source : Le Nouveau Courrier 29 septembre 2012
Titre original : « Interview exclusive / Sortie définitive de crise
Emile Guiriéoulou, depuis l’exil : "La preuve que Ouattara ne veut pas de la réconciliation". »

samedi 29 septembre 2012

UNION AFRICAINE, UNE DECENNIE D’ECHECS…

Défaillante en Libye, absente au Mali, dépassée en Côte d’Ivoire, l’Union africaine cristallise les critiques. L’ancien président de l’Afrique du Sud, Thabo Mbeki dresse ici un bilan et fixe une perspective.

Pour tous les Africains de notre continent et ceux de la diaspora, la naissance de l’Union africaine (UA), il y a maintenant dix ans, portait en elle la promesse d’un rêve d’émancipation. Aujourd’hui se pose une question : ce rêve est-il devenu réalité ou bien a-t-il encore été ajourné ? L’UA a fêté ses 10 ans le 15 juillet, à Addis-Abeba [Ethiopie]. On aurait pu penser que l’assemblée profiterait de cet anniversaire pour revenir sur le chemin fait au cours de ces dix ans, évaluer les enjeux actuels et évoquer la route qui reste à parcourir. Malheureusement, cette question d’une importance pourtant décisive n’était même pas inscrite à l’ordre du jour. Non, la priorité était l’élection du président de la commission de l’UA, après l’échec embarrassant de la 18e Assemblée, il y a six mois, dans la recherche d’un consensus. Le message délivré par les échecs répétés de ces assemblées est des plus douloureux
: malgré les espoirs suscités par la création de l’Union africaine, il s’agit en réalité d’un faux départ. Et, à bien des égards, la promesse officielle d’un avenir meilleur pour l’Afrique apparaît comme une simple déclaration d’intention.

Faux départ

En effet, toutes les régressions stratégiques rencontrées par l’Afrique au cours des dix premières années d’existence de l’UA découlent de notre échec à faire valoir notre droit à l’autodétermination, malgré son importance primordiale dans les combats historiques contre l’impérialisme, le colonialisme et l’apartheid, qui ont fait couler tant de sang africain. Sur tout le continent, les peuples ont le sentiment que la force collective du leadership africain s’est considérablement affaiblie, avec la menace d’un éventuel retour en arrière en dépit des nombreuses avancées réalisées.
Nul ne peut nier qu’une grande partie de l’Union africaine a fini par devenir une coterie sans principes, déterminée à profiter du pouvoir politique pour s’enrichir, portée par une idéologie selon laquelle la vocation première du pouvoir est d’enrichir ses détenteurs. Dans une grande partie de l’Afrique, cette conception du pouvoir politique a fait des émules au sein de la soi-disant classe politique, et cette aptitude à s’enrichir au mépris des plus pauvres a été rendue possible par une mainmise unique, exclusive, sur le pouvoir politique. Une grande partie de la vie politique locale n’est désormais qu’une lutte sans merci pour le pouvoir, avec pour objectif l’enrichissement personnel aux dépens du développement national et social que promettait l’adoption, lors de l’Assemblée générale des Nations unies du 14 décembre 1960, de la déclaration fondant l’Organisation de l’unité africaine [ancêtre de l’UA]. La réalité sociale et historique qui a engendré la corruption de cette coalition pour la libération était et demeure le système de valeurs capitaliste, qui voit dans l’accumulation privée des profits et des richesses l’aboutissement de l’existence humaine. Et il s’agit là du premier échec stratégique dans notre combat pour faire valoir notre droit l’autodétermination.
Le deuxième échec stratégique est lié au rejet, notamment par les puissances occidentales, des prescriptions de la déclaration de l’ONU de 1960 selon lesquelles nous aussi, les Africains, devons jouir Librement du droit à choisir notre statut politique et à poursuivre librement notre développement économique, social et culturel. Les faits précités pourraient faire croire que l’UA était vouée à l’échec. Ce serait une conclusion hâtive, car l’UA a accompli de grandes choses au cours de ces dix ans. Les bases de la croissance économique forte et durable que nous connaissons en Afrique depuis quelques années sont le fruit des décisions prises et des actions conduites par l’UA, mais aussi de décisions prises immédiatement avant sa création. En matière de justice et de droits de l’homme, l’UA a créé la Cour africaine des droits des peuples et des hommes, toujours en activité. L’UA a également mis en place le Conseil de sécurité et de paix, et adopté le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), un projet de développement pour l’Afrique conçu par les Africains. Dans ce contexte, l’UA a également réussi à remettre à l’ordre du jour politique et économique mondial le développement de l’Afrique tel qu’il est défini par les Africains.
Nous pensions avoir définitivement mis un terme à cinq cents ans d’esclavage, d’impérialisme, de colonialisme et de néocolonialisme, au cours desquels les Africains n’étaient que des pions déplacés (en grande partie) par les pays européens. Nul ne peut nier que l’UA peine à faire adopter à ses Etats membres, à l’échelle nationale, toutes les décisions prises à l’échelle du continent, et il s’agit sans doute de l’un de ses plus gros échecs, qui a considérablement affaibli l’impact de nombreuses politiques progressistes.
L’impuissance de l’UA à faire valoir les droits des peuples africains face à la communauté internationale s’est illustrée de façon flagrante dans le conflit libyen en 2011, au cours duquel les puissances occidentales se sont arrogé de manière unilatérale et éhontée le droit de décider de l’avenir du pays. Et, suprême humiliation, les trois membres africains du Conseil de sécurité de l’ONU [Maroc, Afrique du Sud et Togo] ont ignoré les décisions de l’UA sur la Libye et ont voté pour la résolution 1973, alibi des puissances occidentales afin de justifier l’imposition d’un dictat impérialiste en Libye et plus généralement en Afrique.

Défis pour l’avenir

Le défi du développement africain tel qu’il est défini par les Africains n’est plus une priorité de l’agenda politique et économique mondial. Il est donc inévitable que l’Occident mette tout en œuvre, par le biais d’un prétendu « soft power », pour cantonner l’Afrique dans la dépendance. Comme l’a démontré le conflit libyen, l’Occident interviendra en Afrique quand bon lui semblera, exploitant délibérément nos faiblesses afin d’évincer tout gouvernement africain qui ne lui conviendrait pas et de se positionner ainsi comme le seul intervenant crédible dans le destin de l’Afrique. C’est pourquoi il ne faut pas avoir peur de défendre le droit à l’autodétermination concrétisé par la création de l’UA.
Et c’est à l’Union africaine qu’incombe la mission sacrée de mobiliser et de fédérer nos forces afin de concrétiser ce rêve, sans laisser des conflits mesquins nous diviser. Car si la réalisation de ce rêve était encore une fois retardée, cela risquerait de finir par une explosion.

Thabo Mbeki (Sunday Times Johannesburg)

EN MARAUDE DANS LE WEB
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  Source : CIVOX. NET 29 Septembre 2012

Le Bêtisier houphouéto-françafricain (suite)

Aujourd’hui, la parole à Tirbuce Koffi

  • « Le sentiment qui m’anime, en ce moment, est un sentiment de colère. Pour deux ou trois raisons. Depuis que j’ai pris la tête de l’Insaac, je crois avoir été le seul Dg à avoir été attentif aux préoccupations des étudiants et du corps professoral. Cela fait près de dix mois que je suis là. Chaque jour, j’ai visité les salles de classe, je discute avec mes étudiants, avec les professeurs. Je considère cette grève comme une rupture de confiance entre mes étudiants et moi. Je leur ai dit qu’ils m’ont trahi et que désormais entre eux et moi, ça sera la politique du bâton. Je suis venu leur servir la poésie et ils m’ont servi les épines. Depuis que l’Insaac a été créé en 1991, il ne s’est pas passé une seule année où les étudiants ne se sont pas mis en grève. C’est sous Tiburce Koffi seul qu’il y a eu une année académique sans grève, c'est-à-dire l’année académique 2011-2012. Peut-être que ce fait gêne certaines personnes. Donc, il faut tout faire pour entacher celle qui commence, l’année académique 2012-2013, avec une grève. » 
 (source : LG Info 28 Septembre 2012)

« …désormais entre eux et moi, ça sera la politique du bâton ». Rappelez-vous : c’était en décembre 2011. Tiburce Koffi raconte avec délectation une aventure qu’il vient de vivre :
  • « Ce week-end, j’ai fait l’expérience du bien-fondé de la répression : feu rouge à un carrefour. Nous sommes tous immobilisés. Un conducteur de wôrô wôrô, au mépris des feux, passe. Comme tout le monde, j’observe, écœuré et impuissant, la scène. Soudain, sortent de l’ombre, cinq éléments des Frci qui suivaient, cachés, les manœuvres des conducteurs indélicats. Ils font sortir le conducteur de sa voiture, lui retirent ses pièces. Je sors, moi aussi, de ma voiture, et je les rejoins. Je leur explique qu’il est inutile de lui arracher ses pièces, car il a les moyens aussi bien légaux qu’illégaux de les retirer et pis, de récidiver ! Que faire alors ? Je leur propose une autre solution : qu’ils ôtent le pantalon du délinquant et qu’ils le flagellent, là, dans l’obscurité, jusqu’à ce qu’il urine sur lui, devant nous ! La méthode leur a paru curieuse, voire douteuse. Je les ai rassurés de son efficacité en leur disant qu’elle s’appelait d’ailleurs MGO (Méthode Gaston Ouassénan – du nom de son illustre inventeur, général d’armée de son état). Après mon bref exposé scientifique sur la question, l’un d’entre eux (ça devait être le chef) a mis en pratique mes consignes. Ensemble, nous nous sommes délectés des cris de douleur du délinquant. Oui, ce fut un agréable supplice ! Puis, celui qui semblait être le chef a dit : "Kôrô, on dirait que tu as raison, dêh ! Ça là, mogo-là ne va plus jamais griller feu dans pays là !" La flagellation publique comme punition légale aux contrevenants ? Songeons-y sérieusement ! »
Héé ! Type-là ment, dêh ! Ce n’est pas « désormais », puisque ça fait longtemps il est pour « la flagellation publique comme punition légale aux contrevenants »…

mercredi 26 septembre 2012

Côte d’Ivoire 2011-2012. Difficile reconstruction dans un pays profondément divisé.

Pour la « doxa » des relations internationales telle que les médias la produisent, la « crise postélectorale » ivoirienne s’est soldée par la victoire du président Ouattara, après que le « mauvais perdant », Laurent Gbagbo, a été arrêté le 11 avril 2011 par les FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire), avec l’appui de la force française Licorne et de l’Onuci (Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire) – tout ceci dans le respect de la résolution 1975 du Conseil de sécurité. Depuis lors, avec quelques turbulences mineures, le nouveau régime est revenu à l’ordre et à la prospérité et, un peu comme du « temps béni d’Houphouët-Boigny », la Côte d’Ivoire redevient un pays « grand ami de la France ». La réalité, quant à elle, semble sensiblement différente, si l’on inclut une information comparatiste et de plus longue durée.

« Guerre humanitaire » ou intervention coloniale ?

Le 11 avril 2011, jour de la chute du régime du président Laurent Gbagbo, marque certes une date charnière dans l’évolution chaotique du post-houphouétisme. La version officielle, à la fois celle de la diplomatie française et onusienne et du pouvoir d’Alassane Ouattara (et de Guillaume Soro), s’oppose aux interprétations plus informées qui rapportent cette crise dite « post-électorale » au nouveau modèle interventionniste qui s’est déjà illustré en Libye. Deux légitimités se sont affrontées au long de la « crise post-électorale » : celle d’un régime populiste, arc-bouté sur la capitale et le Sud ; celle d’un candidat de l’étranger (…), à la fois par les sympathies mandingues et les appuis africains, mais surtout par l’appui du président français, qui s’est fait fort de constituer le « consensus de Paris » comme vérité unique auprès de la communauté internationale.
Si la « guerre des interprétations » fait encore rage, on peut rapporter ce phénomène de « kakisation des esprits » à d’autres crises où journalistes et analystes se trouvaient « embarqués » – quitte à devoir faire ultérieurement leur autocritique : ce fut le cas en Irak, aussi bien pour les médias français qu’américains. Il s’agit donc, pour comprendre le changement de régime, de se référer non seulement aux crises antérieures, mais aussi aux interventions françaises en série depuis un demi-siècle, et de repérer le jeu des alliances et des antagonismes qui donnent leur sens aux événements.

Des élections piégées, continuation de la guerre par d’autres moyens

Dans ce contexte, quelle signification peut-on donner aux élections de fin 2010 ? Rappelons leur non-conformité aux accords de Ouagadougou (2007) sur un point crucial : le désarmement des combattants, en particulier de la rébellion, n’a pas été effectué ; bien plus, un rapport de l’ONU montrant au contraire le réarmement des Forces nouvelles a été occulté volontairement. On apprendra par la suite qu’avant même les élections, mais surtout pendant les quatre mois de la « crise post-électorale », les services français ont depuis le Burkina réarmé massivement la rébellion, fournissant logistique et stratégie de conquête du Sud – confirmant ainsi leur soutien, établi peut-être depuis 2002, aux forces pro-Ouattara. Pluraliste au Sud, mais non sans violences, l’élection a connu des fraudes massives au Nord : nombre d’électeurs supérieur à la population, quasi-absence de votes pro-Gbagbo (dont les scrutateurs et électeurs ont subi des violences multiples) ont donné des scores « à la soviétique » au camp Ouattara. La Commission électorale indépendante (la CEI, composée depuis les accords de Marcoussis à 75 % de pro-Ouattara) n’ayant pu se mettre d’accord « par consensus », selon ses statuts, la proclamation des résultats se fit au Golf Hôtel, QG de campagne du candidat du RHDP (Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix).
Dans une séquence bien réglée par les diplomates occidentaux présents, le président de la CEI proclama hors délais Alassane Ouattara vainqueur (à 54 % des voix), résultat aussitôt « certifié » par le chef de l’Onuci Young-ji Choi (dont le mandat ne comportait pourtant que la « certification des élections »). La présence de Jean-Marc Simon – ambassadeur de France acquis à Ouattara et détestant Gbagbo de longue date – et des médias français (France 24, RFI…) consacra cette « victoire ». La décision contraire du Conseil constitutionnel (qui désignait Laurent Gbagbo comme président élu à 51 %), peut-être contestable politiquement (dans son annulation des votes du Nord) mais juridiquement légitime, n’y fit rien, confirmant la mise sous tutelle progressive du pays et sa sujétion : la présence du 43 BIMA [1] depuis l’Indépendance et celle de la force Licorne depuis 2002 faisaient, comme il se disait jusque dans les milieux militaires français, que la Côte d’Ivoire n’avait plus qu’une « souveraineté limitée ».
Institutions internationales et économie comme assujettissement : un « coup d’Etat franco-onusien » ?

Dans le déroulé des quatre mois de crise, une version canonique, inspirée par l’Elysée et le Quai d’Orsay, donne dans le légalisme le plus pointilleux : les forces françaises sont censées venir « en appui » de l’Onuci, les unes et les autres agissant à la fois dans le cadre de la résolution 1975 des Nations unies et des accords de Ouagadougou. De même, dans ce schéma légaliste, ONU, Union européenne, Union africaine, Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest – l’introuvable «communauté internationale» étant ainsi désignée – ont « unanimement condamné M. Gbagbo et reconnu comme président M. Ouattara ». Si l’on reprend les points cités, la réalité des rapports internationaux oblige à reconnaître un fonctionnement des institutions internationales bien différent.
Le fonctionnement même des institutions européennes et des Nations unies fait que la France sert de « pays référent » pour la préparation des textes ou résolutions concernant ses anciennes colonies ; quant aux instances africaines, les «supplétifs» diplomatiques et militaires des pays vassaux (notamment les dictatures et démocratures du « pré carré ») n’ont rien à refuser à la diplomatie française: quelle autonomie ont en effet les régimes du Congo, du Gabon, du Togo ou du Burkina ? La guerre en Côte d’Ivoire ne constitue d’ailleurs que le dernier épisode en date de la «guerre nomade» qui depuis 1989 a touché le Liberia et la Sierra Leone, notamment sous l’impulsion de Blaise Compaoré, parrain des rébellions successives. La rébellion ivoirienne s’est entraînée dans les camps du Burkina à partir de 2002, et l’articulation avec les forces spéciales françaises s’est encore faite, en 2011, dans ce même pays.
Les trois mois de crise de janvier à mars 2011 ont vu une instrumentalisation de toutes les institutions internationales, politiques et économiques pour abattre le régime d’Abidjan : les finances ivoiriennes mises au ban de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest ; les transferts d’argent des migrants interdits par la fermeture des agences Western Union ; l’interdiction d’importations, y compris de médicaments, et l’occupation hors mandat du port d’Abidjan par les forces françaises ; l’interdiction de voyager et la saisie de comptes pour les pro-Gbagbo, etc.

Sociologie électorale et ethnonationalisme dyoula

Un des enjeux théoriques de la crise était de mesurer le jeu de l’ethnicité dans le processus électoral, et le poids de ce que le monde politique ivoirien appelle spontanément la «géopolitique», à savoir la représentativité des trois grands blocs ethno-régionaux : akan, krou et «dyoula». L’originalité du cas ivoirien est bien qu’à chacun de ces trois blocs correspond un grand parti – et bien sûr un leader politique. Le bloc akan s’identifie au PDCI-RDA (Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain), ex-parti unique, dirigé par Henri Konan Bédié, ex-président renversé en 1999 par les militaires après un calamiteux mandat marqué par l’invention de l’«ivoirité». Le bloc krou, à l’ouest du pays, est un fief du FPI (Front populaire ivoirien) de Laurent Gbagbo, élu à 60 % des suffrages exprimés en 2000 – élection à laquelle Alassane Ouattara n’avait pu se présenter.
Enfin, le bloc dyoula est partagé entre Sénoufos et Malinkés du Nord, et se retrouve depuis deux décennies dans la candidature de Ouattara. Si l’alternance à l’ivoirienne se traduit certainement par l’arrivée successive au pouvoir, dans l’ordre historique, des blocs akan, krou et dyoula, le fait que chacun maîtrise à peu près un tiers de l’électorat les oblige de toute évidence à passer des alliances, le plus souvent selon des combinaisons opportunistes, hors de toute idéologie. Le pari audacieux mais finalement en partie erroné de la «majorité présidentielle» autour du FPI a été de jouer sur une élection où le référent partitaire et idéologique à l’occidentale l’emporterait sur les pesanteurs ethniques.
L’analyse des votes montre que cette thèse s’est en partie vérifiée pour Abidjan : si Laurent Gbagbo obtient dans la capitale 54 % des voix, c’est qu’au-delà du vote krou, la jeunesse et les défavorisés ont voté pour lui; c’est aussi que dans le creuset abidjanais, un tiers des couples sont «mixtes» (interivoiriens d’ethnies différentes ou interafricains) : l’ethnicité se dissout devant l’identification sociale et favorise un vote politique. Il n’en est rien dans les campagnes : au nord avec un vote à plus de 95 % en faveur de Ouattara, et surtout à l’est avec un vote du «bloc baoulé» quasi homogène en faveur de Konan Bédié.
Depuis avril 2011, le « parti dominant » d’Alassane Ouattara, le RDR (Rassemblement des républicains), a laissé la portion congrue à son allié, le PDCI-RDA. Selon le sociologue Marcellin Assi, la construction de l’« Etat dyoula » et même malinké devient un quasimonopole du groupe ethnique du président sur les leviers du pouvoir, et d’élimination physique ou institutionnelle de l’opposition. Cet « ethnonationalisme » se fait même conquérant, prévoyant selon la notion de « rattrapage ethnique » de donner de plus en plus d’importance aux Nordistes dans l’administration ou l’Université – fermée pour deux ans, à la fois comme punition collective d’un milieu pro-Gbagbo à 65 % et pour neutraliser un lieu de contestation permanent.

Massacres d’Abidjan, ethnocide en brousse et gouvernance par la violence

En l’absence d’une réflexion globale des organisations spécialistes des droits de l’homme comme des médias occidentaux, la violence de la Conquête du Sud et de la « bataille d’Abidjan » a été déniée, ignorée ou mal recensée. Mais contrairement à d’autres interventions militaires, la « bataille d’Abidjan » est passée par cette grande première en relations internationales : un (e) violente [opération] « franco-onusien(ne) », au nombre de victimes civiles encore inconnu.
La préparation de la Conquête du Sud s’est faite progressivement depuis au moins 2010 par le non-désarmement de la rébellion, et même par son réarmement depuis les pays sahéliens, en particulier le Mali et surtout le Burkina Faso. La descente des Forces nouvelles, rebaptisées FRCI, a donné lieu à un très violent épisode à Duékoué : la résistance acharnée de l’armée loyaliste et des autochtones guérés, et à l’inverse l’aide des populations dyoulas migrantes (les deux en conflit aigu pour le foncier) aux rebelles pro-Ouattara soutenus par des chefs de bandes burkinabè, ont conduit le 29 mars 2011 à un massacre d’un millier d’habitants considérés, sur leur apparence ethnique, comme pro-Gbagbo. La séparation des sexes, les cartes d’identité trouvées près des corps, la présence d’enfants et de femmes parmi les victimes amènent les juristes à qualifier le massacre d’acte de génocide prémédité, destiné sans doute à terroriser les sudistes loyalistes.
Le plus méconnu est sans doute le bilan de la « bataille d’Abidjan » : si le Comité international de la Croix-Rouge, via la Croix-Rouge ivoirienne, connaît le nombre de civils ivoiriens tués les quinze premiers jours d’avril par la force Licorne et l’Onuci (notamment par les bombardements sur deux camps militaires habités par des familles et contre le « bouclier humain » de jeunes nationalistes protégeant la résidence de Laurent Gbagbo et la présidence), il se refuse à communiquer des chiffres trop « sensibles » que, faute de mieux, l’on peut estimer à plusieurs centaines. Mais les pertes humaines bien plus importantes, sans doute plusieurs milliers, viennent de la répression contre les civils des peuples bété (ethnie d’origine de Laurent Gbagbo), attié et guéré : ces trois peuples, en brousse, ont connu les colonnes infernales des FRCI, et bien plus encore les meurtres particulièrement sanglants des supplétifs « dozos », sorte de milice pro-Ouattara usant d’un arsenal mystico-religieux.
Quant à Abidjan, c’est dans le quartier de Yopougon jugé pro-Gbagbo que la chasse à l’homme dura des mois, particulièrement d’avril à juin. Si au cours du second semestre 2011 le niveau de violence a effectivement baissé, à mesure que la capitale se reconstruisait et que les infrastructures étaient remises en fonctionnement, la situation sécuritaire resta complexe et en partie incontrôlable. Les fameux « com-zone » du Nord se partagèrent Abidjan en «fiefs» ouverts à l’arbitraire et aux pillages systématiques, dans une volonté de détruire la classe moyenne très largement loyaliste.

Revanche ou pardon ? La réconciliation au prix du transfert de Laurent Gbagbo à la CPI

Après les premiers mois de massacres et de répression contre les civils sudistes jugés « pro-Gbagbo », le nouveau régime présidé par Alassane Ouattara chercha à sortir du vide institutionnel qui le caractérisait et à faire oublier son arrivée au pouvoir [avec le concours] de trois armées (Licorne, Onuci et FRCI). Il institua une « Commission dialogue, vérité et réconciliation », qui fut confiée à Charles Konan Banny, ancien Premier ministre PDCI. Comme la plupart du temps en période « post-conflit », cette volonté affichée par le nouveau pouvoir s’opposa dans les faits à une « justice de vainqueur » qui conduisit notamment à la criminalisation de l’opposition (et des responsables exilés), à la déportation en zone nord des responsables du gouvernement de Laurent Gbagbo et de l’ex-Premier ministre Aké N’gbo (y compris Michel Gbagbo, fils du président ayant la nationalité française, non inculpé mais embastillé à cause de sa parenté). Le transfert de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI) coïncida avec les élections législatives auxquelles participèrent, en décembre 2011, les deux rivaux du RHDP : RDR et PDCI.
L’abstention du FPI et les accusations de fraude au profit du RDR aboutirent à une «chambre introuvable», monopolisée par le camp de Ouattara, en passe de retrouver le rôle de l‘ex-parti unique. Le transfert et les déportations s’expliquent aussi par la situation fragile d’un pouvoir divisé, en minorité au sud, craignant les ex-forces loyalistes : FDS (Forces de défense et de sécurité), gendarmerie et police étant désarmées, seuls [l’armée] à base ethnique FRCI et les supplétifs dozos restent des forces militaires actives, s’affrontant régulièrement aux populations sudistes, tant à Abidjan qu’en brousse. Dès lors, le camp pro-Gbagbo semble partagé entre deux stratégies : la participation sous conditions au nouveau pouvoir, en espérant une relative normalisation ou même une cohabitation à terme ; ou le retour à la «guerre nomade» sous forme d’une guérilla à l’ouest, où les Guérés sont dépossédés de force de leurs terres au profit des communautés dyoula et burkinabé.
Ce schéma alternatif et violent s’articule avec un éventuel changement de majorité à Paris et une possible neutralité (ou un retrait) de la force Licorne : il s’agirait bien alors d’une revanche, qui pourrait être sanglante.

Michel Galy – in « L’état du monde 2013 ».


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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenances diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «crise ivoirienne »
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Source : http://www.ladepechedabidjan.info/ 26 Septembre 2012

JUSTIN KATINAN KONE EST LIBRE - TOUS LES DETAILS DE LA DERNIERE AUDIENCE

Dès l'entame du procès le juge a demandé à l'accusation de fournir enfin les preuves contre Katina. A la surprise générale, celle-ci répond qu'elle n'est pas prête parce qu'elle n'a toujours pas pu traduire les documents.

Le magistrat réagit en dénonçant la lenteur de la traduction qui bloque le procès. « Comment peut-on accuser quelqu'un depuis un mois sans être en mesure de fournir les preuves », s'étonne le juge.

Il passe aussitôt la parole à l'avocat de Katina qui lui estime qu'en vérité l'accusation n'a pas de preuves contre son client et demande en conséquence sa libération.

Le juge redonne la parole cette fois à l'accusation de dire exactement quand elle pourra finir la traduction des documents de sorte à ne pas dire ce jour là qu'elle n'est pas prête. L'accusation avance le 11 octobre 2012 comme date raisonnable pour elle. Le juge maintient cette date comme celle de la prochaine séance tout en la mettant en garde pour la dernière fois.

Il fait aussi droit à la demande de liberté sous caution demandée par l'avocat de Katina. Le juge accède à la requête et fixe la caution a 50 thousands Ghana cedis soit (13 Millions de FCFA environ) à laquelle quelqu'un devra tout simplement se porter garant. Katina doit une fois toutes les 2 semaines se présenter dans les locaux du BNI (la DST ghanéenne) jusqu'à la fin du procès.

Remarque du jour: Le procès n'a duré qu'une trentaine de minutes environ.

Autre remarque du jour: le juge ghanéen à notre surprise se débrouille bien en francais et a même beaucoup taquiné Katina. A présent je suis avec Katina et nous sommes en train de remplir les formalités administratives afin qu'il regagne son domicile en début d'âpres midi. 

Merci Dieu pour que demain triomphe de la vérité.

Correspondance particulière du patriote Idriss Ouattara depuis Accra au Ghana
(Transmise par Gnazegbo Liadé)

lundi 24 septembre 2012

Bédié était-il impliqué dans la tentative de putsch du 19 septembre 2002 ?

Les révélations troublantes d’un ancien ministre


Etaient-ils déjà complices dès septembre 2002 ?
Alors ministre dans le gouvernement Affi N’Guessan, Lazare Koffi Koffi se trouvait à Katiola, es qualité, les 18 et 19 septembre 2002. Il se souvient des moments vécus auprès de l’ancien général et ancien ministre Gaston Ouassénan Koné, natif de cette localité. Il évoque la tentative d’atterrissage à Yamoussoukro d’un mystérieux aéronef soi-disant « angolais », dont l’équipage se recommandait du président du PDCI et ancien chef de l’Etat, Henri Konan Bédié. Une révélation qui va certainement relancer la polémique sur l’implication de ce dernier dans la préparation du putsch manqué qui se transforma en rébellion armée.  Mais qui constitue surtout un précieux indice quant à l’identité des vrais commanditaires de ce coup tordu. Voici l’’intégralité de son témoignage.

Septembre 2002. C’était la rentrée scolaire et universitaire. Après Daoukro en 2001, j’avais choisi la ville de Katiola pour abriter la cérémonie de lancement de la rentrée 2002-2003 du ministère de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi dont j’avais la charge. Plus de 300 personnalités, des diplomates, des bailleurs de fonds, les syndicats d’enseignants et bien d’autres partenaires du secteur Formation-Emploi étaient attendus dans la capitale des Tagbana le jeudi 19 septembre 2002. M. François-Albert Amichia, alors ministre des Sports et Loisirs, invité spécial à cette cérémonie, me devança à Bouaké pour présider les phases finales de la coupe des nations de l’UFOA.
C’est le soir du mercredi 18 septembre que j’arrivai à Katiola avec la plupart des cadres de mon ministère dont une partie resta à Bouaké pour y passer la nuit. A Katiola, je fus accueilli avec enthousiasme par le préfet Jean-Baptiste Sam Etiassé et le général Gaston Ouassénan Koné. Ce dernier, député PDCI, m’avait fait l’amitié, en tant qu’élu, de répondre à mon invitation à participer à la cérémonie d’ouverture de l’année scolaire au cours de laquelle, à ma demande, il devait prendre la parole. Il était visiblement heureux du choix de sa ville, car il soupçonnait, à raison, que mon passage allait offrir des perspectives heureuses au département de Katiola. Quelques mois auparavant, en tournée dans ce département, n’avais-je pas fait bénéficier au Centre culturel de Katiola d’équipements informatiques et audiovisuels ainsi qu’une antenne parabolique ? J’avais envisagé déjà, à cette époque, de réorganiser le Centre des métiers de la céramique en le dotant de techniques et moyens modernes pour qu’il soit non seulement performant mais aussi ses produits compétitifs sur le marché. Je rêvais de faire du métier de la céramique un métier noble et attrayant. J’avais également envisagé de créer une unité de formation professionnelle à Fronan. A Dabakala, dans le pays Djimini, j’avais posé la première pierre d’un grand centre de formation aux métiers du traitement et de transformation de l’anacarde, nouveau produit agricole prometteur dans toutes les régions du Nord. J’avais donc décidé d’organiser ma réunion de rentrée à Katiola pour renforcer et achever ce que j’avais déjà commencé dans cette région dans le cadre d’une politique de déconcentration de création des structures de formation adaptées aux métiers locaux. Je devais, en outre, délivrer un message aux jeunes pour rallumer leur espoir en annonçant depuis Katiola que le Président Laurent Gbagbo avait décidé pour eux d’ouvrir de nombreuses perspectives pour leur insertion professionnelle, décision qu’il entendait proclamer lui-même, dès son retour de voyage dans un message solennel radiodiffusé.

Quand l’on parlait de mutinerie

Le mercredi 18 septembre 2002, je fus logé à la résidence du chef de l’Etat, à Katiola. Tard dans la nuit, je fus brutalement tiré de mon sommeil par le préfet Sam Etiassé et mon Directeur de cabinet. Ils m’informèrent qu’Abidjan était devenue, depuis quelques heures, le théâtre d’une attaque de gens identifiés comme des mutins de notre armée nationale. Un coup d’Etat en cours ? Personne n’en savait rien. Le Président Laurent Gbagbo était en visite officielle en Italie. Dans la journée du jeudi 19 septembre, les événements se bousculèrent. Des quatre coins du pays, je recevais des appels qui, pour m’informer de l’évolution de la situation, qui pour me tenir au courant de mouvements dans la région de Séguéla de ceux qu’on qualifiera les jours suivants de « rebelles ». J’apprendrai successivement la mort violente du ministre de l’Intérieur Me Emile Boga Doudou et celle de l’ancien chef de l’Etat, le général Robert Guéi. Ma première réaction fut de repartir à Abidjan. Mais par mesure de prudence et de sécurité, le général Ouassénan, en accord avec le préfet Etiassé et certains de mes collaborateurs, non seulement m’en dissuada mais me recommanda de quitter la résidence du chef de l’Etat pour aller résider chez lui : « Si comme on nous l’apprend depuis Abidjan, les mutins sont des ressortissants du Nord, si jamais ils viennent ici à Katiola, ils n’oseront pas franchir le portail de ma maison. Chez moi vous serez beaucoup plus en sécurité que dans cette résidence », m’a-t-il dit pour me rassurer.
Me voilà donc chez le général avec quelques-uns de mes collaborateurs. Pendant que le Préfet s’échinait à nous trouver des provisions pour notre alimentation, le général me fit visiter sa concession, notamment une chapelle qui surplombe un souterrain conduisant à un caveau qui pourrait nous abriter « si jamais ça chauffe ».

Bédié et Ouassénan dans le coup ?

Dans le courant de la journée, les oreilles tendues vers Abidjan, je devisais seul avec le général Ouassénan dans son salon. Montra-t-il des signes qui trahirent son accointance très tôt avec la rébellion ? Je ne puis répondre avec certitude. Cependant, quelques faits et gestes qu’il posa me rassurèrent et m’intriguèrent à la fois quant à sa loyauté vis-à-vis de la République et des institutions républicaines. Il se montra le temps de mon séjour chez lui à la fois très républicain et mystérieux pour ne pas dire suspect. Tenez ! Lorsque nous apprîmes que le président Henri Konan Bédié s’était enfui de chez lui pour se mettre en sécurité quelque part, il réagit avec un ton empreint de sarcasme et de mépris par ces mots révélateurs de ses sentiments inamicaux et déloyaux vis-à-vis de celui qui était le président de son Parti, le PDCI-RDA : « Dire que des gens peureux comme ça, veulent nous gouverner ! » . Il ne s’inquiéta pas outre mesure de ce qui pourrait advenir de M. Bédié. Puis s’adressant à moi, lorsque nous évoquâmes « ses barbaries » contre les étudiants du temps où il était ministre de la sécurité, il me dit, souriant : « Ce sont "ces barbaries" qui vous ont formés et vous ont forgés à résister à toute épreuve aujourd’hui. Vous du FPI, vous aimez affronter l’adversité ». L’instant d’après, l’on m’informa qu’Abidjan avait été nettoyé et que les mutins s’étaient repliés sur Bouaké. Par la suite, lorsqu’on m’informa que le général Palenfo était introuvable, peut-être tué lui aussi dans la mêlée, le général Ouassénan, à qui je fis part de cette information, devint tout à coup blême. Il arrêta tout brutalement, ne tenant plus en un seul lieu, il passa plusieurs coups de fil. Des heures durant. Jusqu’à ce qu’il localisât « son frère » en Chine où ce dernier était en mission. Je le sentis alors soulagé. Heureux. Alors je m’interrogeai. Pourquoi Ouassénan n’eût-il pas la même attitude quand il s’était agi de Bédié ? Pourquoi ne passa-t-il pas un seul coup de fil pour savoir où était caché le chef de son Parti ? Pourquoi ?
Dans la soirée, le général me quitta pour, dit-il, se concerter avec les populations. Je ne le vis pas revenir. J’ai dû me retrancher dans ma chambre. La nuit, il y eut des bruits suspects avec des coups de feu autour de mon lieu de résidence. Et c’est le préfet Etiassé qui, le matin, m’informa que quelques «rebelles» venus dans la ville ou y résidant, ayant appris qu’un « ministre de Gbagbo logeait chez le doyen Ouassénan, ont voulu faire un forcing pour aller le déloger ». Mais ils se ravisèrent. Toucher Ouassénan était pour eux un sacrilège, m’a-t-on expliqué. Les « rebelles » firent du bruit mais sans jamais oser franchir le rubicon. Etait-ce cela qui expliquait la longue absence nocturne de notre logeur ? On peut l’imaginer. Mais la crainte de mes collaborateurs effrayés depuis la nuit par les coups de feu augmenta lorsque le général quitta à nouveau sa résidence très tôt le matin du vendredi 20 septembre et lorsque nous apprîmes que le ministre François Amichia avait été fait prisonnier à Bouaké par les insurgés. Mes compagnons me demandèrent alors de quitter le domicile du général. Mais où aller protéger nos vies ? J’en parlai alors au préfet qui partagea l’idée et alla donc en ville nous obtenir des lieux de refuge de fortune. Dans la mi-journée, le général Ouassénan revint chez lui pour déjeuner. Avec moi. Il ne me dit rien de ses sorties. Mais au cours du repas, il posera un acte fort appréciable qui atténua mes soupçons de sa collusion avec les « rebelles ». En effet, de l’aéroport international de Yamoussoukro, un agent qui travaillait sur le site m’informa par cellulaire qu’un cargo militaire identifié comme d’origine angolaise cherchait à atterrir. Il me demanda donc l’attitude à tenir. Je n’étais pas ministre de la Défense. Tous les membres du gouvernement en raison de la crise étaient injoignables. J’informai aussitôt Bertin Kadet, alors ministre délégué à la Défense. Celui-ci qui assurait n’avoir pris aucun contact avec le gouvernement angolais, saisit expressément notre ambassadeur à Luanda qui lui répondit qu’aucune démarche n’avait été engagée dans le sens d’obtenir un soutien militaire de l’Angola. Dès que je reçus ces informations, je décidai d’autorité d’empêcher l’atterrissage de ce cargo visiblement ennemi. Le général Ouassénan qui avait suivi tout ce scénario, me donna alors les contacts de son fils militaire à Zambakro qui aussitôt joint, en bon soldat, se précipita avec certains de ses éléments sur les lieux avec pour ordre de détourner ce cargo sur Abidjan ou de l’abattre en cas de refus. 45 minutes plus tard le fils de Ouassénan était au rapport. Le cargo, ayant refusé d’aller à Abidjan avait pris la direction du Nord. Je remerciai vivement le jeune militaire. J’apprendrai plus tard que ce cargo avait été envoyé par des amis angolais à M. Bédié avec des mercenaires à son bord pour tenter un coup de force dans la confusion générale du pays pour réinstaller le président du PDCI au pouvoir. Il devait prendre pied à Yamoussoukro entre la rébellion à Bouaké et les forces loyalistes au sud. Aussi, lorsqu’on le présenta comme un des soutiens financiers du MPIGO – information jamais démentie – cela ne me surprit pas.

Une opération militaire éventée

Après son déjeuner, le général Ouassénan repartit de chez lui. D’Abidjan, sous la poussée des forces loyalistes, les « rebelles » pourchassés remontaient vers le Centre et le Nord du pays. Il me vint alors à l’esprit de leur couper toute retraite en installant une unité de nos forces à Katiola. Par hélicoptère. Je repris langue avec le ministre Bertin Kadet qui accepta ma proposition. Mais avant, il me fallait vérifier l’état de la piste d’atterrissage de l’aérodrome de Katiola. Elle était satisfaisante lorsque je visitai cette piste en compagnie du préfet Etiassé. Mais vers 16 heures, alors que le ministre Kadet avait déjà lancé l’opération, Sam Etiassé vint m’informer que des individus avaient rendu l’aérodrome impraticable juste après notre départ de ce lieu. Partout, des bottes de terre, des fagots de bois, des troncs d’arbres, etc. L’opération fut donc arrêtée et annulée, craignant même une embuscade dans les fourrés aux alentours de la piste. Je compris alors que la ville était déjà infestée de « rebelles » et que, peut-être, toute la population était devenue « rebelle ». Le général Ouassénan Koné y contribua-t-il ? Je ne peux le dire. Mais lorsque je quittai son domicile le jour suivant pour résider chez un fonctionnaire que le préfet Sam Etiassé trouva pour moi, jamais je n’entendis dire que le général me rechercha. Je passai ainsi plusieurs jours caché dans la ville de Katiola suivant les événements à la télé. Katiola, les jours suivants, devint un des bastions de la rébellion.

Lazare Koffi Koffi

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Source : Le Nouveau Courrier 24 septembre 2012

dimanche 23 septembre 2012

Attaque du 19 septembre 2002. Comment l’Ua, la Cedeao et l’Onu ont été manipulées.

Vieille d’une décennie, la crise ivoirienne continue de couler comme un long fleuve tumultueux et capricieux, avec ses incertitudes, sans jamais laisser présager une fin imminente, loin s’en faut. Retour sur le pouvoir français de droite qui a tiré les marrons du feu.

Enclenchée, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, la crise en Côte d’Ivoire s’est compartimentée, avec des acteurs aux intentions, objectifs et raisons diamétralement opposés. Au commencement, des interactions en internes qui ont fait dire à certains réseaux notamment français, qu’il s’agissait d’une «crise entre Ivoiriens». Mais il a fallu juste un peu de temps – « un autre nom de Dieu » dixit Laurent Gbagbo –, pour que par la suite cette crise se révèle comme une grosse arnaque de la communauté internationale. Laurent Gbagbo et le peuple ivoirien dans le rôle de victimes. Faisant le tour du conglomérat de conspirateurs quelle ne fut la surprise des anciennes autorités ivoiriennes de savoir qu’ils ont l’impérieux devoir national de se battre seuls contre tous. La posture de l’orphelin face à des orges.

Mi-septembre 2002, le président Olesegun Obasanjo du Nigeria, selon des indiscrétions, appelé à l’aide par le président Gbagbo, s’active à Abuja pour donner une suite favorable aux autorités ivoiriennes, attaquées par une rébellion armée. Les avions de chasse de l’armée nigériane annoncés pour éradiquer ladite rébellion ne décolleront jamais. Aucun discours officiel ne viendra élucider les raisons du revirement des autorités nigérianes.

A Accra la capitale ghanéenne le 29 septembre 2002, les chefs d’Etat de la Cedeao se retrouvent pour statuer sur la situation. Le point 7 de leur déclaration est particulièrement sans appel pour la rébellion : « Conformément à la Déclaration des principes politiques de la Cedeao du 6 juillet 1991 adoptée à Abuja, au Protocole relatif aux mécanismes de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité en date du 10 décembre 1999, et à la Décision Ahg Dec,142 (xxv) sur le cadre pour une réaction de l’Oua (ndlr : ancienne Union africaine) face aux changements anticonstitutionnels de Gouvernement adoptée par l’Oua à Alger en juillet 1999, les chefs d’Etat et de gouvernement ont réaffirmé la position de la Cedeao aux termes de laquelle aucune reconnaissance ne sera accordée à tout gouvernement qui prendra le pouvoir en renversant un gouvernement démocratiquement élu ou en utilisant des moyens anticonstitutionnels. »

Plus loin notamment en points 12 et 13, il est dit ceci : « Les chefs d’Etat et de Gouvernement ont réaffirmé leur engagement à défendre par tous les moyens, la démocratie, la bonne gouvernance et l’Etat de Droit ; Les chefs d’Etat et de gouvernement ont invité les Etats membres de la Cedeao à apporter immédiatement leur soutien (politique, matériel, logistique) aux autorités légales de la Côte d’Ivoire afin de maintenir l’ordre constitutionnel, la paix, la sécurité, l’unité et la cohésion nationales ».

Mais cinq mois plus tard, la Cedeao se rebiffe. Le 14 janvier 2003 le chef de l’Etat togolais et coordonnateur de la médiation ouest-africaine qui vient de se mettre en place dans la crise ivoirienne, feu Gnassingbé Eyadéma, rend « hommage » aux belligérants ivoiriens pour avoir signé lundi après-midi à Lomé un accord de « cessation des hostilités ». « Je rends hommage à nos amis qui ont fait le déplacement pour qu’ensemble nous puissions trouver une solution à la crise en Côte d’Ivoire », déclare-t-il triomphal à l’issue de la cérémonie de signature de l’accord de « cessation des hostilités ». rappelons que par cet accord, le gouvernement ivoirien et les rebelles du Mouvement populaire ivoirien du grand ouest (Mpigo) et du Mouvement pour la justice et la paix (Mjp), tous deux apparus fin novembre dans l’ouest du pays, « s’engagent à cesser les hostilités pour permettre de débuter les négociations de Paris ». L’accord poursuit que les négociations doivent réunir à partir du 15 janvier les forces politiques ivoiriennes – « au cours desquelles un accord de cessez-le-feu et un accord de paix global seront négociés », dit l’ex-président togolais qui ajoute que : « la guerre ne profite qu’à ceux qui ont des usines d’armes. Nous devons l’éviter par tous les moyens ».

Mais les propos nuancés de l’ex-président togolais ne passent inaperçu aux yeux de nombreux observateurs. Non seulement la rébellion venait d’être reconnue officiellement avec subtilité contrairement à la déclaration du 29 septembre 2002 pondue par les chefs d’Etat de la Cedeao. Mais désormais il faut envisager le renvoi des négociations à Paris. Ce qui signifierait ipso facto, l’échec des négociations dirigées par un chef d’Etat africain qui somme toute, s’échinait à réconcilier « les frères Ivoiriens ». Que vient faire Paris dans une « affaire ivoiro-ivoirienne », s’interrogent alors des observateurs ?

Le mardi 13 janvier 2003, le ministre des Affaires étrangères de France, Dominique de Villepin entame une visite en Côte d’Ivoire et dans certains pays voisins pour « aider à résoudre la crise ». Les pourparlers de paix à Lomé achoppant toujours, lundi, sur les différends. Il faut noter que le chef de l’ex-rébellion à cette époque, Guillaume Soro venait de lancer un pavé dans la marre en indexant ouvertement le Ghana voisin. « 70 à 100 militaires ghanéens » pour « combattre le Mpci », accuse Soro. La réaction des autorités ghanéennes ne se fait pas attendre : « C’est une allégation des plus scandaleuses », dément formellement le ministre ghanéen des Affaires étrangères, Hackman Owusu Agyeman. En fait, l’initiative d’Eyadema venait de connaître un coup d’arrêt et la sortie du secrétaire général du Mpci participe de la réussite du plan de sabotage mis en place par la France. Encore qu’en début de négociations, les autorités togolaises menaçaient d’expulser Louis-André Dakoury-Tabley et Guillaume Soro, pour leur « inconvenance » et « irrévérence » au président Laurent Gbagbo que celles-ci considéraient encore toujours comme le président légal et légitime de la république de Côte d’Ivoire.

Rendez-vous donc en France, précisément dans une banlieue parisienne, Linas-Marcoussis, du 20 au 23 janvier 2003. C’est ici que l’ancienne puissance coloniale entre officiellement en jeu. Mais s’étant très vite aperçue de son erreur de ne pas laisser régler l’affaire entre Africains, la France positionne une médiation qui se décline comme un fourre-tout où tout le monde fait tout et rien à la fois. L’objectif étant de brouiller les pistes de la vraie réconciliation entre filles et fils de la Côte d’Ivoire. En paragraphes 4, 5 et 6 de l’Accord de Marcoussis : « La Table Ronde recommande à la Conférence de Chefs d’Etat que le comité de suivi soit établi à Abidjan et composé des représentants des pays et des organisations appelés à garantir l’exécution des accords de Paris, notamment : le représentant de l’Union européenne, le représentant de la Commission de l’Union africaine, le représentant du secrétariat exécutif de la Cedeao, le représentant spécial du Secrétaire Général qui coordonnera les organes de la famille des Nations unies, le représentant de l’Organisation internationale de la Francophonie, les représentants du Fmi et de la Banque mondiale un représentant des pays du G8, le représentant de la France ».

Le point 5 de l’Accord ne se fait pas plus explicite en indiquant que « La Table Ronde invite le gouvernement français, la Cedeao et la communauté internationale à veiller à la sécurité des personnalités ayant participé à ses travaux et si nécessaire à celle des membres du gouvernement de réconciliation nationale tant que ce dernier ne sera pas à même d’assurer pleinement cette mission. » Ici la France se soucie plus de la protection de ses pions qu’elle a réussi à placer au cœur du pouvoir ivoirien et il s’agira pour ce pays de les protéger afin d’éviter qu’un grain de sable ne vienne à gripper la machine.

Quant au point 6, il dit particulièrement que « La Table Ronde rend hommage à la médiation exercée par la Cedeao et aux efforts de l’Union Africaine et de l’Onu, et remercie la France pour son rôle dans l’organisation de cette réunion et l’aboutissement du présent consensus… » La crise ivoirienne échappe définitivement aux Ivoiriens et s’internationalise au gré des intérêts du conglomérat des conspirateurs. En dépit des déclarations diplomatiques et des vœux pieux la France tire les marrons du feu. Le 7 mars 2003, les chefs d’Etat de la Cedeao se convient encore à un sommet, le deuxième dans la capitale ghanéenne. C’est le sommet d’Accra 2.

« Se référant à l’accord de Marcoussis, la Table Ronde réaffirme la nécessité de préserver l’intégrité territoriale de la Cote d’Ivoire, le respect de ses institutions et la restauration de l’autorité de l’Etat. Elle rappelle son attachement ou principe de l’accession ou pouvoir et de son exercice de façon démocratique. La Table Ronde réaffirme par ailleurs, l’autorité du Président Laurent Gbagbo, en sa qualité de Chef de l’Etat, Chef suprême des Armées, garant de la Constitution et des institutions républicaines. Elle salue la volonté du Chef de l’Etat d’appliquer l’Accord de Marcoussis, notamment par la mise en œuvre, avant le 14 mars 2003, des dispositions pertinentes relatives à :
a) la délégation des pouvoirs au gouvernement ;
b) la formation d’un gouvernement de réconciliation Nationale.
Concernant la formation du gouvernement de réconciliation nationale et en vue de sortir de l’impasse actuelle, la Table Ronde recommande : La création d’urgence d’un Conseil National de Sécurité de quinze (15) membres comprenant, le président de la République, le Premier ministre, un représentant de chacune des forces politiques signataires de l’Accord de Marcoussis, un représentant des Fanci, un représentant de la gendarmerie nationale et un représentant de la police nationale pour concourir à la bonne gestion des ministères de la Défense et de la Sécurité intérieure.

Sur proposition de ce Conseil, le Premier ministre soumettra, dans les plus brefs délais, au président de la République, en vue de leur nomination aux postes de ministre de la Défense et de ministre de la Sécurité, des personnalités choisies sur une base consensuelle. L’attribution au Mpci de deux ministères d’Etat : le ministère de l’Administration du territoire et le ministère de la Communication. Le respect des choix faits par les forces politiques de leurs représentants au gouvernement.

La Table Ronde invite le gouvernement ivoirien, de concert avec les troupes françaises et celles de la Cedeao à, prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection et la sécurité des participants à la Table Ronde de Marcoussis, des membres du gouvernement en particulier et de la population en général… » Même rhétorique, mêmes subterfuges, la France est y omniprésente et semble se satisfaire de la duplicité de la Cedeao. Comme on ne change pas une équipe qui gagne, Accra 3 conclu les 29 et 30 juillet 2004, sera le remake d’Accra 1 et d’Accra 2. La négociation est au point zéro, espérant avoir Laurent Gbagbo à l’usure la communauté internationale joue le pourrissement de la situation, la Côte d’Ivoire elle, continue de sombrer. En avril 2005, la médiation sort de la sous région et échoit à l’échelle continentale.

L’Union africaine (Ua) confie la médiation au président sud-africain. 

Du 3 au 6 avril 2005 Thabo Mbéki et les parties prenantes au conflit ivoirien se retrouvent dans la capitale sud-africaine Twane (Pretoria). L’élément nouveau est que les ministres des Forces nouvelles que Laurent Gbagbo avait démis de leurs fonctions respectives pour « insubordination », « incompétence », « sabotage de la cohésion gouvernementale » sont réintégrés et le processus Ddr subséquemment au point mort est à relancer. Comme à Paris, toujours dans la continuité du dépouillement de Laurent Gbagbo de tout son pouvoir, l’accord fait un zoom sur « l’autorité » du Premier ministre. « Il a été convenu que le Premier ministre du Gouvernement de réconciliation national a besoin d’une autorité exécutive nécessaire pour accomplir convenablement sa mission. Il est convenu que la délégation des pouvoirs dont jouit le Premier ministre est suffisante pour lui permettre d’accomplir sa mission conformément à l’Accord de Linas-Marcoussis. En conséquence, le président de la République réaffirme l’autorité du Premier ministre ».

Mais ce sont les 28 et 29 juin 2005, toujours à Pretoria, que la stratégie d’affaiblissement du pouvoir du président Laurent Gbagbo va prendre un coup d’accélérateur. Cette année-là, le président du Rdr qui coure derrière une première participation à une élection présidentielle en Côte d’Ivoire se voit accorder le précieux sésame. Sans clairement le dire, l’Accord 2 de Pretoria en son point 5 met fin au calvaire d’Alassane Ouattara, en insistant sur la protection des candidats (dont le nom du président du Rdr figure en bonne place) à l’élection présidentielle. « L’Onuci et la Médiation vont accorder la priorité à la mise au point d’un plan de protection et autres mesures nécessaires pour assurer la sécurité du Ministre d’Etat Guillaume Soro et des candidats à la Présidence, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara… »

En facilitant l’éligibilité et la candidature d’Alassane Ouattara à présidence ivoirienne, le médiateur de l’Union africaine le président Thabo Mbéki, notons-le bien, résout un problème vieux de plusieurs années et baisse considérablement la tension sociale. Pour la France qui suit de très près le dossier Ouattara, un pas de géant vient d’être franchi dans le positionnement de son poulain. Dès lors, la France met le cap sur une nouvelle orientation de la manipulation. Elle se joue des coudes et met en branle son réseau diplomatique.

Il faut organiser une «élection présidentielle non exclusive» en Côte d’Ivoire. Alors même que le désarmement des factions rebelles, objet de tous les blocages du processus de paix, peine à connaître un début d’exécution. La moitié nord de la Côte d’Ivoire dite zone Cno (Centre-Nord-Ouest) est aux mains des rebelles, ce qui rend impossible l’organisation desdites élections présidentielles, selon la constitution ivoirienne. Avec sa kyrielle de résolutions – 26 résolutions de 2003 à 2007 –, l’Organisation des Nations Unies (Onu) met la pression sur le président Laurent Gbagbo. Bien que s’étant arc-boute sur la loi fondamentale ivoirienne, le président Gbagbo concède. « Pour ne pas être le va-t-en-guerre qui bloque le processus de réconciliation dans son pays, accusation que la France et la communauté internationale brandissent pour lui mettre la pression», expliquera plus tard un ancien ministre ivoirien des Affaires étrangères. Quatorze candidatures sont validées par la Commission électorale indépendante (Cei) dont celles de Laurent Gbagbo (Lmp), Henri Konan Bédié (Pdci-Rda) et Alassane Dramane Ouattara (Rdr).

Plus de cinq (5,7) millions d’Ivoiriens sont inscrits, plus de 81,12% votent dans 10.719 lieux de vote à travers le pays, dans 20.073 bureaux de vote tenus par 66.000 agents électoraux lors du premier tour. Le 6 novembre 2010 le Pr Paul Yao Ndré le président du Conseil constitutionnel annonce solennellement que le 2 tour de l’élection présidentielle de Côte d’Ivoire se tiendra le 21 novembre et opposera le président sortant Laurent Gbagbo et l’ex-Premier ministre Alassane Ouattara. Après le premier tour le 31 octobre, « un deuxième tour du scrutin sera organisé le dimanche 21 novembre 2010 », déclare le président Paul Yao N’Dré au siège de cette institution à Abidjan. « Les candidats qualifiés pour se présenter au deuxième tour du scrutin sont M. Gbagbo Laurent et M. Ouattara Alassane », a-t-il ajouté dans son rôle de dernier recours. Les résultats sont connus le 28 Novembre 2010, quatre (04) semaines après le premier tour le 31 octobre 2010.

Cette élection constitue le premier scrutin présidentiel organisé dans le pays depuis une décennie faite de crime, de complots contre les institutions et les populations par la rébellion du Mpci rebaptisée Forces nouvelles (Fn). La droite française profitera de l’organisation de l’élection présidentielle du 2e tour, 28 novembre 2010, avec le candidat Alassane Ouattara qui y participe pour la toute première fois de sa carrière politique, pour porter le coup de grâce. Ce pays dirigé alors par Nicolas Sarkozy allié d’Alassane Ouattara détient un élément capital sur lequel il s’appuie pour entretenir le flou juridique. Il s’agit du document portant « certification et validation » de l’élection présidentielle et signé par l’ensemble des candidats. (Nous y reviendrons plus bas).

A l’issue de second tour qui met donc aux prises Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, le Conseil constitutionnel, en dernier recours, déclare « élu président de la République de Côte d’Ivoire » Laurent Gbagbo, le candidat de La majorité présidentielle (Lmp) avec 51,45% contre 48,55% pour Alassane Ouattara du Rhdp déclaré battu. L’Onu, par le truchement du représentant de son secrétaire général, entre en scène. Contre toute attente le Coréen Y. Jinh Choï, fort du mandat de certification des résultats, anticipe et cautionne les résultats considérés provisoires selon le Code électoral, donnés par la Commission électorale indépendante (Cei) et déclare le candidat du Rhdp Alassane Ouattara vainqueur avec 54,10 % des voix et 45,90% pour Laurent Gbagbo.

Choï dira à cet effet : « Le Conseil de sécurité des Nations unies, dans sa résolution 1765 (2007), m’a confié le mandat de « certifier que toutes les étapes du processus électoral fourniront toutes les garanties nécessaires pour la tenue d’élections présidentielle et législatives ouvertes, libres, justes et transparentes conformément aux normes internationales ». Il faut noter que le représentant à cette époque de Ban Ki-Moon en Côte d’Ivoire s’est appuyé sur un certain nombre de critères contenus dans un dépliant de dix questions-réponses et consignés au paragraphe 32 du 16e rapport du secrétaire général des Nations Unies sur l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) (s/2008/250).

Ce document explique en cinq (05) points les mécanismes de « certification». Le cinquième point du mécanisme de validation de l’élection présidentielle qui a semblé prendre au piège les spécialistes de Lmp dit ceci : « les résultats des élections seront certifiés d’une façon explicite » par le représentant spécial du secrétaire général de l’Onu. « Une fois certifiés, le certificateur n’admettra pas que les résultats fassent l’objet de contestations non démocratiques ou de compromissions », peut-on lire. Et pourtant tous les accords de paix signés depuis 2003 au dernier Accord de Ouagadougou le 6 mars 2007 reconnaissent la primauté de la Constitution ivoirienne sur toutes autres règles et résolutions internationales. Ce qui va provoquer la réaction du président du Conseil constitutionnel (Cc) ivoirien le Pr Paul Yao N’Dré, relativement à la validation des résultats donnés par la Commission électorale indépendante (Cei). « La Cei n’est plus à même de décider quoi que ce soit », tranche Paul Yao N’Dré, le 2 décembre 2010. Le président du Conseil constitutionnel rappelle en effet, que la Cei n’avait pas été capable de proclamer les résultats dans le délai légal des 72 heures suivant le scrutin. La barre fatidique de mercredi minuit ayant été dépassée.

Tout près du but, la droite française refuse de lâcher le morceau.

Nicolas Sarkozy réactive son réseau international. Qui se met aussitôt en branle pour voler au secours d’Alassane Ouattara malmené dans la bataille juridique engagée par Lmp, terrain de prédilection des cadres du Front populaire ivoirien (Fpi) le parti créé par Laurent Gbagbo. C’est le secrétaire général de l’Onu qui ouvre les hostilités en volant au secours du candidat du Rhdp. Ban Ki-moon félicite Alassane Ouattara pour son élection. Et contre-attaque en lui demandant de « travailler pour une paix durable, la stabilité et la réconciliation en Côte d’Ivoire ». La pression se fait forte sur Laurent Gbagbo. « Le secrétaire général demande au président Laurent Gbagbo de faire ce qu’il doit faire pour le bien de son pays et de coopérer pour une transition politique sans heurts dans le pays », ajoute le porte-parole de M. Ban, qui n’hésite pas à également appeler les Ivoiriens à « accepter le résultat certifié et travailler ensemble dans un esprit de paix et de réconciliation ». Ensuite Catherine Ashton, chef de la diplomatie de l’Union européenne, emboîte le pas au secrétaire général de l’Onu. Et à son tour reconnaît la victoire d’Alassane Ouattara et appelle « toutes les parties au processus électoral à respecter la volonté du peuple ».

Les heures qui suivent deux communiqués sont rendus publiques. Le premier est du président américain, Barack Obama, et le deuxième du Français, Nicolas Sarkozy. Chacun des deux « félicite » le « président élu » Alassane Ouattara et demande au président Laurent Gbagbo pourtant déclaré vainqueur par le Conseil constitutionnel officiant en dernier recours, de « respecter la volonté du peuple » de Côte d’Ivoire.

Simplice Allard (Le Temps)


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Source : La Dépêche d'Abidjan 22 Septembre 2012

samedi 22 septembre 2012

Et si tout cela n’était qu’un complot pour obtenir l’extradition de Justin Katinan Koné ?

Tout semblait redevenu calme après les attaques du mois d’août dernier contre les FRCI (Forces républicaines de Côte d'Ivoire). Puis, subitement, dans ces dernières 48 heures, tout recommence à exploser! Les FRCI sont attaqués à Port-Bouët, à Vridi et à Noé, à la frontière ivoiro-ghanéenne. L’on annonce par-ci et par-là des morts et des armes emportées. Tout l’art de la guerre, y compris dans une certaine proportion celui de gouverner, étant basé sur la duperie, seul Dieu sait où se trouve la vérité dans les bilans publiés ici et là. Le fait qui suscite interrogation est que ces attaques ont lieu à quelques jours du procès de Katinan Koné au Ghana. Un procès prévu pour le 25 septembre, dans lequel les juges ghanéens auront à trancher la question de son extradition farouchement voulue par les autorités ivoiriennes nées du coup d’Etat du 11 avril 2011. Mais il se dit que, selon les dispositions légales de l’Etat ghanéen, aucun réfugié politique, vivant sur son territoire, ne peut être extradé, sauf s’il constitue une réelle menace pour la sûreté de son pays d‘origine. Les preuves manquant en la matière du côté du régime ouattariste pour obtenir l’extradition du porte-parole du président Gbagbo, qui bénéficierait du statut de réfugié politique au Ghana, ne serait-il pas tenté d’en fabriquer par tous les moyens? La fabrication de preuve la plus cynique et la plus sadomasochiste pour obtenir une tête d’individu, c’est cela la sorcellerie comme pratique occulte, mais aussi appelée Raison d’Etat, quand elle est l’œuvre d’un pouvoir étatique qui cherche à préserver ou défendre les intérêts de la Nation par tous les moyens, si ce n‘est très souvent les intérêts égoïstes des gouvernants. Toute l’histoire qui entoure l’avant et l’après bombardement du camp de soldats français en novembre 2004 à Bouaké devrait donner à réfléchir. En novembre 2004, alors que le pays était sur le point d’être libéré suite aux frappes aériennes de l’armée ivoirienne ayant contraint à la débandade Soro Guillaume et toute sa bande rebelle occupant un peu plus de la moitié du pays, l’élan de libération amorcée par l’armée loyaliste a été stoppé par la France chiraquienne. L’on apprit qu’«un camp de soldats français a été bombardé par l’aviation de l’armée ivoirienne, ayant occasionné des morts de soldats Français.» Il s’en suivit la destruction par la force française Licorne de tous les appareils volants de l’armée ivoirienne. Conséquence : les troupes ivoiriennes loyalistes sont démoralisées. La progression au sol pour bouter la rébellion hors du territoire n’a plus été possible. Les rebelles sortent de leur cachette, reprennent leurs positions et font la grande gueule, comme ils savent si bien le faire…

Nous menons ici une réflexion, c’est-à-dire une distanciation vis-à-vis du tumulte ambiant et des évidences solidement enracinées et vêtues du manteau de vérité apodictique, pour porter la pensée au-delà des faits, sans se fier à ce qu‘ils donnent à voir, mais en interrogeant ce qu‘ils pourraient occulter. Car il y a très souvent dans ce qui apparaît ce qui disparaît, dans ce qui se montre ce qui se cache, dans ce qui se dit ce qui se tait. Il n’y a donc pas de position à défendre, mais des perspectives à parcourir pour cerner la question et tenter de discerner les apparences trompeuses. Tout est question d’interprétation, à défaut de posséder la vérité. Ainsi, pour avoir la tête de Katinan Koné, les attaques de la nuit d’avant-hier pourraient s’inscrire dans un complot, dont le but serait de fabriquer des preuves contre lui. Déjà le pouvoir d’Abidjan a ordonné la fermeture de toutes les frontières du pays avec le Ghana. Il pourra ainsi dire que « le Ghana est le bastion, la base arrière de ceux qui veulent nous déstabiliser, une déstabilisation dont Katinan Koné est le maître d’ouvrage. » Ainsi l’on voudra convaincre le Ghana de n’avoir pas sur son sol de réfugiés proprement dit, mais des déstabilisateurs, des putschistes. La « Communauté internationale », fort soutien du régime ouattariste, pourrait entrer dans la danse en harcelant les autorités ghanéennes par des pressions diplomatiques, afin de livrer Katinan Koné et les autres. Et pour le faire le régime ouattariste, pourra sacrifier 1000 FRCI s’il le faut, pourvu que ce sacrifice serve ses intérêts. Y a plus de travail à Abidjan. Et 1000 FRCI sacrifiés, peuvent être remplacés en une demi-journée, surtout quand les candidats savent que la kalach qu’ils recevront pourra leur permettre de braquer ou de racketter pour arrondir leurs fins du mois, si ce n’est l’unique moyen pour eux de se payer leur propre salaire au montant qu’ils auront fixé eux-mêmes. Ne dit-on pas que plusieurs FRCI sont embauchés au noir par Ouattara, sans fiche de paie ? Mais ses exploités chez qui se plaindront-ils ?

Mais il faudra aussi se demander si les autorités ghanéennes jouent franc-jeu dans cette affaire. Car contrairement aux assurances qu’elles semblent donner quant à la non extradition de Katinan Koné, il ne faut surtout pas perdre de vue la realpolitik. Une realpolitik dont l’un des fondements est l’adage selon lequel « Un Etat n’a pas d’amis mais des intérêts. »

Après tout, il faut donc savoir prudence garder. Il y a lieu de modérer l’enthousiasme quasi-collectif qui s’empare de ceux qui rêvent de la libération de la Côte d’Ivoire, et pour qui ces dernières attaques constituent des prémices ou une étape du processus. Il faudra attendre de voir si ces attaques ne seront pas utilisées contre Katinan Koné et tous les autres réfugiés politiques ivoiriens vivant au Ghana et considérés comme dangereux ou gênants.

ZEKA TOGUI

Source : CIVOX. NET 22 Septembre 2012

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vendredi 21 septembre 2012

19 septembre 2002 : le rôle de la France

Extraits d’un article de Philippe Duval intitulé : « Ce putsch qui a plongé la Côte d'Ivoire dans le chaos » (Source : SlateAfrique 20.IX.2012)

Dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, quelques centaines d'hommes armés venus du nord du pays avaient attaqué plusieurs camps de police, de gendarmerie, de l'armée, avant d'être repoussés et de se replier sur Bouaké (environ 350 km d'Abidjan).
Les combats avaient fait trois cents morts, dont le ministre de l'Intérieur de Laurent Gbagbo et le général Robert Guéi, auteur du coup d'Etat du 24 décembre 1999 qui avait renversé Henri Konan Bédié, le successeur d'Houphouët-Boigny (le premier président du pays).
Refusant de venir au secours de Gbagbo, la France avait déployé une force d'interposition, entraînant une partition du pays, les rebelles au nord, les loyalistes au sud, qui a perduré jusqu'à la fin de la crise postélectorale en avril 2011.
(…) 
«Comment a été montée l’attaque du 19 septembre 2002 ? Qui a financé la rébellion de septembre 2002 ? Comment le syndicaliste Soro Guillaume s’est retrouvé subitement à la tête du secrétariat général des Forces nouvelles… ? D’où l’argent est-il venu ? »… 
Et d’abord, qui a fait le coup ?
(…)
Des incertitudes, mais aussi des évidences. Le coup d’Etat est parti de Ouagadougou, au Burkina Faso, où Soro et IB ont été gracieusement hébergés pendant des mois dans le quartier des hôtes. Et dans leur ombre, deux hommes, Djibril Bassolé, l’éternel ministre des Affaires étrangères burkinabé et Mustapha Chafi, un Mauritanien âgé aujourd’hui de 52 ans.
Entré au service de Blaise Compaoré en 1995, on retrouve ce dernier comme acteur et médiateur dans de nombreuses crises africaines (RDC, Côte d’Ivoire, Niger, Guinée, Liberia). Et aujourd’hui accusé par la justice mauritanienne « d’appui financier au terrorisme » d’Aqmi. Un homme rompu à la technique du pompier pyromane, chère au président burkinabé.
Cette piste burkinabé mène immanquablement au coffre-fort où la rébellion a puisé ses fonds pour s’installer.
(…)
Autre question sans réponse définitive : quel rôle a joué la France de Jacques Chirac et de Villepin ? A-t-elle sauvé Gbagbo en s’interposant pour empêcher l’avancée des rebelles comme le proclame la doctrine officielle? Ou a-t-elle appuyé Gbagbo comme la corde soutient le pendu ?
En lui apportant une aide minimale et en lui savonnant systématiquement la planche pour aboutir à l’objectif final, son départ du pouvoir.
(…)


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