vendredi 31 août 2012

L’INJUSTICE & L’ORDRE HOUPHOUETISTE



La nouvelle vient de tomber : un tribunal siégeant soi-disant au nom de notre peuple a condamné ce matin Laurent Akoun, le secrétaire général par interim du Fpi à six (6) mois de prison ferme pour trouble à l`ordre public. Mais le vrai motif invoqué par le procureur, ce sont « des propos tenus par le responsable du FPI lors d`une réunion avec des militants, et repris dans la presse ». C’est pour cela qu’il demandait cinq (5) ans d’emprisonnement ! 

 

Rappelons que c’était déjà à propos de Laurent Akoun, alors secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement secondaire (Synesci), qu’Houphouet prononça la fameuse sentence qui fait donc désormais jurisprudence dans les tribunaux ouattarites : « Je préfère l’injustice au désordre ». Ainsi, une fois encore dans notre malheureux pays, injustice est faite

 

Mais l’écart vertigineux entre le verdict et l’attente du procureur représentant du pouvoir fantoche est un signe : ce tribunal, qui a condamné, avec une précipitation suspecte, et manifestement sur ordres, Laurent Akoun non pour des actes contraires à la loi, mais pour ses opinions et pour son appartenance, a aussi jugé quelqu'un d'autre : contrairement au procureur, les juges du siège n'ont pas estimé que  la réputation du commandant en chef des Frci valait si cher.

 

Nous reviendrons plus longuement sur cette affaire dans les prochaines semaines. En attendant, nous proposons à nos amis lecteurs un article prémonitoire paru dans un journal burkinabé la veille de ce verdict révélateur.  

Marcel Amondji

 

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Procès Akoun: la justice ivoirienne face à elle-même

par Alain Saint Robespierre - L’Observateur Paalga (Burkina Faso) 30 août 2012

Procès-miroir. Laurent Akoun face à ses juges, c’est après tout la justice ivoirienne face à elle-même. Dans le contexte politique de ni paix ni guerre qui est celui de la Côte d’Ivoire, juger le numéro un du principal parti d’opposition revient, pour le pouvoir judiciaire, à mettre dans la balance sa propre crédibilité.
Celle-ci va-t-elle conduire le procès du secrétaire général par intérim du Front populaire ivoirien (FPI) en toute impartialité, levant du même coup les soupçons d’inféodation à l’exécutif de certains, ou va-t-elle plutôt faire dans la justice des vainqueurs, comme le craignent les ouailles de l’ex-président, Laurent Gbagbo ? On attend de voir.
En tous les cas, l’affaire Laurent Akoun qui sera audiencée en principe à partir d’aujourd’hui vendredi 31 août 2012, aura valeur de test pour la magistrature sous la présidence de Ouattara.
Confronté à une grave situation sécuritaire avec les attaques répétées contre des camps militaires, le nouveau régime semble céder à la fébrilité. Au risque d’instaurer ou de laisser instaurer, comme le redoutent certains, un climat de terreur sur l’opposition politique.
Face à ces soubresauts qui menacent la stabilité du pouvoir, l’on ne peut faire grief aux nouvelles autorités d’interpeller tous ceux qu’elles suspectent d’intelligence avec les fauteurs de troubles. Si leur culpabilité venait à être établie au terme d’un procès équitable, alors qu’ils soient punis à la hauteur de leur forfait.
Mais dans cette affaire Akoun, à la lumière des charges retenues contre le prévenu, il est difficile de distinguer l’acharnement politique de la justice républicaine, car ce qui est reproché à l’actuel secrétaire général du FPI n’est ni plus ni moins que du délit d’opinion. Arrêté le dimanche 26 août dernier alors qu’il se rendait à un meeting à Adzopé puis placé sous mandat de dépôt, Laurent Akoun est poursuivi pour «propos diffamants à l’égard du chef de l’Etat». Synonyme pour la justice ivoirienne de «troubles à l’ordre public».
On sait que cette arrestation est intervenue après que l’intéressé a déclaré que le «régime installe un modèle totalitaire», que «les hommes du pouvoir ont attaqué le siège du FPI et brûlé le siège du quotidien Le Temps», que «tous les Ivoiriens n’ont pas droit à la parole».
Franchement, si un opposant ne peut pas djafoule de cette manière sur un pouvoir sans être inquiété, c’est qu’il y a dérive totalitaire. Du Maccarthysme à la djoublé. Et en embastillant de la sorte l’auteur des «propos diffamants à l’égard du chef de l’Etat», le pouvoir ne fait que confirmer la critique qui lui est adressée.
Les juges sauront-ils s’élever au-dessus de cette guéguerre politique en rendant une justice au nom du peuple ivoirien et non de celui des forts du moment ?
Une fois de plus, on attend de voir.

en maraude dans le Web
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
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source : Connectionivoirienne.net 31 août 2012


LA TRAGÉDIE IVOIRIENNE


Libre opinion de Jean Kipré, militant écologiste.


Depuis la période mouvementée de l’élection présidentielle faite finalement à la place des Ivoiriens, l’insécurité croissante de ces derniers mois démontre de la profondeur, de l’authenticité de la tragédie ivoirienne. Force est donc de croire que dans une guerre, même la victoire peut être une défaite.
La vie en Côte d’Ivoire continu ainsi d’être rythmée par des tueries et une insécurité qui hier étaient mises sur le compte des escadrons de la mort et autres sympathisants de l’ancien régime. Aujourd’hui avec les mêmes méthodes, elles font l’objet d’une mise en scène douteuse de l’action politique où les uns sont coupables de tout et les autres responsables de rien. Dans ce spectacle allégorique, nous savons que dès le départ, les premiers ont été mis en détention dans les goulags du Nord sans une décision de justice et parfois même pour lien de parenté, tandis que les seconds n’ont pas ménagé leurs efforts de déguisement dans des costumes avec pour objectif d’obtenir une immunité qui les protège de toute poursuite pénale ou qui efface de la mémoire collective, leur image de bourreaux dans cette période ignoble de notre histoire. L’exemple le plus frappant fût l’élection du président de l’assemblée nationale qui ne pouvait être possible qu’à partir de 40 ans suivant notre loi fondamentale. Cet arrangement qui a permis au président actuel de l’assemblée nationale (Guillaume Soro) d’occuper ce poste, était la manière la plus subtile de lui donner satisfaction en prolongeant son pouvoir et son statut comme une carapace de protection face à la menace d’une éventuelle procédure de poursuite par la CPI (Cour Pénale Internationale).
Face à cette vague de violence acharnée où même des casques trouvèrent la mort, nous sommes terrés dans les profondeurs de l’étonnement de voir que la stratégie reste toujours à l’accablement systématique des partisans ou sympathisants de l’ancien régime suivie d’une chasse à l’homme sans merci y compris dans les pays voisins. Les méthodes d’arrestation ou d’enlèvement de ces personnes ne sont pas sans rappeler celles qui étaient reprochées par le passé aux « escadrons de la mort » ; à ce point que même la Commission dialogue, vérité et réconciliation de Konan Banny a dû les dénoncer dans un article publié le 22 juin 12 sur RFI en parlant « d’interpellations faites de manière illégale par des soldats en civil et suivies de détentions parfois dans les camps militaires ».
Mais alors, pourquoi ces « imbéciles d’apatrides » comme les nomme si élégamment notre éditorialiste national Venance Konan (Directeur de Fratmat) dans son article sur le cynisme anti-Ouattarra, s’en prendraient-ils tout particulièrement aux populations de leur propre bord politique ? Cela parait tellement grotesque vu l’état de désorganisation dans lequel ils se trouvent et les difficultés vécues au quotidien qu’on ne peut s’empêcher de se poser cette question toute simple : Ces accusations répétées et permanentes des autorités ne traduisent-elles pas en réalité un cri de peur enfoui au plus profond de leur âme ? Quoi qu’il en soit, cette stratégie d’accusation manque de tranchant si on se réfère à l’expertise de la ligue des droits de l’homme en Côte d’Ivoire qui rejoint celle de l’ancien président de l’Assemblée nationale, monsieur Mamadou Coulibaly. Suivant les conclusions établies, les frustrés pro-Ouattara, les bandits profiteurs du désordre ainsi que des membres du commando invisible dont le chef IB (Ibrahima Coulibaly) a été lâchement assassiné par les forces favorables à monsieur Ouattara, ont également de fortes raisons d’en finir avec le régime du président en exercice. Alors, emboucher dans la précipitation les trompettes médiatiques pour imposer l’idée que les coupables de ces agissements ne sont que des pro-Gbagbo est une mauvaise idée, car elle inscrit l’action politique des autorités dans la manipulation. Ce n’est donc pas étonnant qu’elle ait beaucoup de mal à résister à la réalité des faits tels qu’ils se produisent au quotidien sur le terrain. Le comble, c’est que même le principal allié du parti au pouvoir au sein du RHDP par la voix de son secrétaire général monsieur Djédjé Mady se désolidarise de ces accusations de tous ordres en faisant du rétropédalage dans une déclaration publiée le 03 août dernier : « Le PDCI-RDA dit-il, s’inquiète vivement des informations persistantes tendant à accréditer le convoyage d’immigrants clandestins armés pour l’occupation intempestive de nos forêts et plantations au mépris du droit des propriétaires terriens et des exploitants qu’ils expulsent et assassinent ».
Le PDCI-RDA réalise t-il subitement que la lâcheté n’est pas d’avoir peur mais de se taire face à une réalité ? Dans tous les cas, ces propos confirment ce que le FPI (parti du président Gbagbo) avait déjà dénoncé lors d’une conférence de presse organisée à Abidjan-Riviéra Attoban le 15 juin dernier en ces termes : « Ce qui se passe à l’Ouest est une terreur orchestrée par le pouvoir pour accélérer l’expropriation des paysans autochtones dont déjà des milliers d’entre eux ont été froidement exécutés ou se sont exilés. Les maîtres d’oeuvre de cette sale besogne au profit du pouvoir et de la colonisation des terres de l’Ouest sont connus de l’ONUCI et des FRCI. Leur chef de file Amadé Ouérémi qui a participé à la guerre pour la prise du pouvoir par Alassane Ouattara, contrôle au vu et au su du pouvoir, toutes les forêts classées du Cavally et de Goin Dedé à la frontière du Libéria, où il a été installé des milliers de planteurs originaires de la CEDEAO. L’autre chef de guerre burkinabé, lui aussi lourdement armé Issiaka Tiendrébéogo, contrôle quant à lui, l’axe Taï – Grabo – San Pedro où il exproprie les paysans autochtones par la terreur et installe ses compatriotes qui arrivent chaque jour par convois sur les terres de l’Ouest. Ils sont donc connus et jamais interpellés parce que en mission commandée, les acteurs des expropriations des terres orchestrées par le pouvoir Ouattara dans le cadre de cette troisième guerre du cacao qui a commencé aux confins de l’Ouest du pays et qui est destinée à s’étendre sur l’ensemble du Sud de la Côte d’Ivoire ».
Faut-il comprendre par là que le problème ivoirien va au delà de deux personnes qui ont la prétention d’être chacun président de la République pour atteindre à celle d’un grave danger qui confronte la Côte d’Ivoire à un destin pire que la mort ? La meilleure façon de le savoir, c’est de s’intéresser aux véritables raisons qui ont conduit à la mort de l’ancien ministre d’état Balla Kéïta…
Dans la gravité du moment, il faut avouer que cette déclaration du PDCI-RDA lève le voile sur le fond de son amitié et de son alliance avec le RDR qui pourrait n’être que la haine de Mr.Gbagbo que ces deux partis partagent en commun. Comme c’est une question de point de vue, c’est à chacun d’apprécier si oui ou non le RHDP est une sorte de cadre servant de rejet aux ordures de l’âme où ils n’ont accepté de se retrouver que pour vider le péché de la haine ressentie envers Mr. Gbagbo.
Contrairement à la déclaration du premier ministre Ahoussou Jeannot, il ne suffit pas de construire un troisième pont (baptisé du nom de Konan Bédié), une autoroute sur l’axe Abidjan-Bassam, favoriser l’accès à l’eau potable dans telle ou telle région, ou même boucher les trous de quelques tronçons de route pour espérer satisfaire les Ivoiriens et les entrainer vers la paix. Celle-ci ne peut se construire que sur trois piliers :
1 -   La vérité de la crise depuis le 19 septembre 2002 (qui a fait quoi ?)
2 - La justice pour tous et non celle des vainqueurs qui consiste à arrêter uniquement des présumés coupables du camp adverse
3 - La réconciliation, car quelle que soit notre communauté notre religion ou notre sensibilité politique, nous sommes tous condamnés à vivre les uns avec les autres.
Hors, ce que ces combattants récalcitrants voient en ce moment, c’est que certains de leurs frères d’armes ou de leurs compagnons de lutte ont réussi avec leurs armes à se faire un chemin pour se retrouver aujourd’hui à des postes de responsabilité. L’exemple le plus frappant est celui de Guillaume Soro, président de l’assemblée nationale qui a réussi à tracer sa voie avec du sang comme encre.
Notons enfin pour bien comprendre toute la dimension des problèmes actuels du pays, quelques actes politiques du régime en place qui affiche ouvertement un traitement inégal des communautés en faisant craindre le pire le moment venu : on se rappelle encore la déclaration préliminaire du Centre Carter, organisme d’observation indépendant qui a estimé lors du dernier découpage électoral que celui-ci devait être revu à la lumière du principe de l’égalité du suffrage (ce qui allait dans le sens des contestations du principal parti de l’opposition face à ce qui lui apparaissait dès lors comme une manipulation évidente à l’égard de tous). Nous avons là un parfait exemple d’actes qui se couvrent mal du masque de la démocratie que les autorités actuelles invoquent à grands cris pour se justifier quand, dans les faits, elles ne se privent pas de la violer.
Il faut préciser que ce découpage électoral pose en effet quelques problèmes d’éthique mathématique qui fait qu’avec beaucoup moins de populations, le regroupement de l’ensemble des régions du grand Nord favorables au président en exercice, son parti politique disposera désormais du plus grand nombre de députés à l’assemblée nationale. Cette manière de façonner le paysage politique pour se garantir une domination « permanente » sans avoir besoin de l’appui majoritaire du peuple tout entier est un danger réel pour la démocratie : elle déstabilise les autres partis et entraine une inégalité des communautés régionales face au vote de leurs représentants. Il faut reconnaître que le président en exercice ne s’est jamais caché sur ses réelles intentions en affirmant haut et fort devant la presse, qu’ayant été tenu pendant longtemps à l’écart de la gestion des affaires de ce pays, c’est maintenant au tour des personnes de sa communauté de tout contrôler en occupant les postes de responsabilité ; d’où sa fameuse politique de rattrapage mise en place. Comment peut-on s’étonner qu’après ça, certaines personnes réagissent comme elles le font en ce moment par toutes ces attaques ? Le propos ici est moins de juger que d’attirer l’attention sur le fait qu’il n’y a pas meilleure façon de renvoyer le pays aux incertitudes de son identité alors que la majorité des Ivoiriens aspirent à en sortir désormais.
C’est pour cette raison que contrairement aux annonces faites ici et là, cette arrivée fracassante au pouvoir est loin d’être celle d’un sauveur dont la mission serait de bannir l’injustice ou de niveler les inégalités dans la cité d’Houphouët-Boigny. Comme il est souvent dit, « on reconnaît un arbre à ses fruits » ; et celui-ci a tout l’aspect d’un qui a plutôt été cultivé, taillé, traité en Occident puis implanté en Afrique pour consolider en tant que président, le système libéral au profit des grandes puissances et des multinationales qui doivent tout contrôler. Nous en avons eu la preuve évidente avec l’élection de l’Américain Jim Young Kim à la tête de la banque mondiale malgré un profil d’universitaire nous dit-on, avec comme expérience dans le développement de services médicaux. Et pourtant tout indiquait la désignation comme présidente de cette institution, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala qui, dotée d’une expérience exceptionnelle sur les questions de développement, a brillamment tenu des postes au sein de cette banque mondiale où elle a travaillé à tous les niveaux de la hiérarchie. Ce n’est donc pas exagéré de dire que depuis Breton Woods, ces grandes puissances se sont arrangées pour mettre la main sur la finance mondiale. Ainsi, aux Américains le contrôle de la banque mondiale, sachant que c’est un Américain qui doit être à la présidence de cette institution tandis que celle du FMI (Fond monétaire international) revient aux Européens. Alors, l’idée même d’une monnaie unique africaine non indexée sur le Franc français pouvait remettre en cause le contrôle des Etats dont la France héberge les réserves et les comptes d’opération. le danger que cette idée faisait ainsi courir à cette organisation mondiale dont les plus puissants sont toujours les grands profiteurs, ne laissait aucun autre choix à la France de Mr. Sakozy d’intervenir dans la crise ivoirienne avec autant de brutalité en délaissant son costume de pays de droits de l’homme pour endosser celui de tueur impitoyable.
Si certains lecteurs pensent le contraire comme je le crois, alors quel sens donner au risque pris par les voltigeurs du hasard que sont devenu les diplomates de ces puissances étrangères au point d’extirper le président du Conseil constitutionnel des locaux de la CEI afin d’assurer la victoire de Mr. Ouattara, finalement installé grâce à cette croisade punitive de Sarkozy contre Gbagbo ?
Cette anomalie qui fait désormais partie de l’histoire de la Côte d’Ivoire combinée à ce début de gouvernance surprenant de brutalité et de violence, a créé une situation qui fait flamber les passions. Alors face à cette offensive néo-colonialiste feutrée au nom de la nouvelle théorie de « guerre de protection des populations civiles », de plus en plus d’Ivoiriens adoptent une posture défensive. Pour eux, vivre dans des conditions de moindre mal passe maintenant par un accès à la liberté de façon plénière. Et ce rêve de liberté continu de les poursuivre même dans l’infortune.

Source : Connectionivoirienne.net 27 août 2012

(Titre original : La Côte d’Ivoire baigne toujours dans l’eau bouillante)

 

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jeudi 30 août 2012

Qui prendra le risque ?


M. Laurent Akoun, Secrétaire Général par intérim du Front Populaire ivoirien (FPI) sera jugé le vendredi 31 Août 2012 pour trouble à l’ordre public. Ce vendredi donc, il sera en face des juges et ceux-ci seront face à la loi et à leur intime conviction. Le procès qui s’annonce n’est pas celui du seul Akoun Laurent, mais celui de tous les démocrates épris de justice. Il sera le procès de ceux qui pensent avec raison que dans un Etat dit de droit, le glaive de la justice tranche aussi bien les gouvernants que les opposants. Lorsque ce glaive ne s’abat que sur ceux qui ne sont pas au pouvoir, alors il n’y a plus de justice. Dans un tel cas la dénonciation de l’injustice est la seule alternative qui s’offre. Mais qui prendra le risque de le faire ? 

La justice ivoirienne a en face d’elle M. Akoun Laurent. Les critiques à l’endroit de cette justice ne faiblissent pas. Une justice partiale, une justice politique, une justice des vainqueurs, une justice aux ordres, entend-on souvent. Voici donc une occasion qui s’offre à elle pour dire le droit. Il faudra qu’elle nous explique ce que c’est que le « trouble à l’ordre public ». Est-ce le fait de dire que le régime installe un modèle totalitaire ? Est-ce le fait de dire que ce sont les hommes du pouvoir qui ont attaqué le siège du FPI, brûlé une partie du siège du quotidien le Temps ? Est-ce le fait d’avouer qu’une partie des Ivoiriens n’a pas droit à la parole ? Si c’est cela un trouble à l’ordre public alors, démocrates de tous les pays, craignez pour votre liberté. Doit-on penser que le fait de dénoncer la dictature, le tribalisme, la corruption et la violence du régime peut amener les citoyens à troubler l’ordre public ? Si oui, c’est que les rédacteurs de la déclaration universelle des droits de l’homme ont travaillé en vain. Peut être que la justice révélera que M. Akoun a érigé des barricades sur la voie publique, qu’il a incendié des pneus et a empêché les citoyens de vaquer tranquillement à leurs occupations. Certainement qu’elle nous rappellera que dans ce pays, les manifestations politiques de l’opposition sont interdites depuis le 11 Avril 2011. Nous attendons de voir. 

On nous dit que la justice est juste, que le juge se fonde sur son intime conviction. Alors notre juge, se fondant sur son intime conviction, prendra-t-il le risque d’avouer que le pouvoir a préparé, par une opération de communication, l’arrestation de Laurent Akoun ? Prendra-t-il le risque de dire que le parti dont est issu M. Akoun a été qualifié de parti terroriste, de cancer, de plaie, par les tenants du pouvoir et leurs relais ? Ce qui veut dire que le secrétaire général de ce parti est un terroriste, un cancer, une plaie à éradiquer. Osera-t-il dévoiler que Soro Guillaume, dans un sondage sur son blog a posé la question suivante : « Attaques contre la Côte d’Ivoire : Croyez-vous que Laurent Akoun veut renverser les rôles ? » Prendra-t-il le risque de dire que le résultat de ce sondage a dû précipiter l’arrestation du secrétaire général ? En un mot, la justice ivoirienne prendra-t-elle le risque d’innocenter M. Akoun Laurent ? Chacun pourra deviner une réponse.

Si le secrétaire général du FPI est condamné, qui prendra le risque de porter plainte contre Amadou Soumahoro ou contre Soro Kigbafori Guillaume ? Le procureur de la République, pour une question d’équité, jugera-t-il que le fait pour Amadou Soumahoro d’avoir appelé à la mort est un trouble à l’ordre public ? Il serait intéressant qu’il s’occupe du dossier du secrétaire général du Rdr, celui qui a affirmé que ceux qui s’opposent à Ouattara vont au cimetière. Et quant on sait que seuls les morts reposent au cimetière, le procureur ne devrait pas hésiter à prouver que nous sommes dans un Etat dit de droit. Se taire et emprisonner ceux qui se battent pour la liberté et la démocratie, c’est confirmer que la justice ivoirienne n’est pas libre. Prendra-t-il le risque de s’autosaisir pour inviter Soro Guillaume à expliquer devant le juge qu’est-ce qu’un parti terroriste et que signifie éradiquer un parti ? Le parti étant une personne morale, comment peut-on l’éradiquer ? Pour que règne la justice, il y a lieu que ces cas soient examinés à la loupe par la justice ivoirienne. 

Dans ce pays qu’on sait peu soucieux des droits de l’homme et des libertés individuelles, quel est ce citoyen qui prendra le risque de se menotter, ou d’arborer une pancarte dénonçant l’injustice ? Qui prendra le risque ce vendredi 31 Août 2012, de se présenter devant le tribunal la bouche bâillonnée, en signe de protestation ? Evidemment personne ; parce que l’Etat de droit se trouve au niveau des idées. Ni les forces de l’Onuci, ni les Frci n’empêcheront que des militants du Rdr ou tout simplement des loubards se ruent sur ces personnes pour les rouer de coups. Les Frci ne se retiendront pas de prendre le risque de brutaliser ces manifestants. Les membres du FPI, déjà terrorisés par le régime, attendront que le glaive frappe Akoun Laurent parce qu’ils sont convaincus que la justice ivoirienne est dépendante du pouvoir politique. Le régime voit ce procès comme une belle occasion pour arrêter d’éventuels manifestants qui tenteront de croire que nous ne sommes pas dans une dictature. 

Aucun leader politique de l’opposition (hormis ceux du FPI) ne prendra le risque de dénoncer la mascarade qui se prépare. Mêmes ceux qui ont des agrégations en droit, ceux qui ont parlé au nom de la Lidho hier. Ceux qui, hier étaient dans les fers du parti unique, ceux qui hier jouissaient des mains magnanimes du Président Gbagbo, ceux là, ne prendront aucun risque. Certains ne prendront pas de risques tout simplement parce qu’ils se sont reniés. D’autres, se tairont parce que leur poste est plus important que l’avènement d’une société libre. C’est malheureux mais c’est ainsi que sont les choses dans notre petit univers traversé par la terreur.
Que Dieu nous soutienne.

Les pamphlets d’Alain Bouikalo

Source : CIVOX. NET 30 Août 2012

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mardi 28 août 2012

De l’affaire Etté (1992) à l’affaire Katinan (2012)


Vingt ans après, le même scenario…

Qui donc tient tant à nous brouiller avec le Ghana ?

 

La tentative d’enlèvement de l’ancien ministre Justin Katinan Koné à l’aéroport d’Accra en vue de le livrer aux sbires du régime fantoche d’Abidjan, ressemble comme une goutte d’eau à une autre tentative de la même nature survenue vers la fin de l’année 1992, une année particulièrement riche en traquenards ourdis par le gouvernement alors dirigé par Alassane Ouattara contre l’opposition légale. Il s’agit de l’enlèvement du professeur Marcel Etté. Planifié à partir de la Côte d’Ivoire ­– ce qui ne veut pas nécessairement dire : « planifié par des Ivoiriens pur jus ! » –, ce complot aussi fut déjoué in extremis, grâce notamment à la vigilance des autorités frontalières ghanéennes.
J’ai retrouvé l’article que « Téré », l’éphémère organe du Parti ivoirien des travailleurs (Pit), consacra en son temps à cette rocambolesque affaire ; je le livre à nos lecteurs comme une pièce à conviction et comme un indice pour orienter la recherche des éventuels commanditaires de ces actes de piraterie.
Il est particulièrement intéressant de comparer l’article de « Téré » traitant de l’affaire Etté avec celui que « Le Nouveau Courrier » vient de consacrer à l’affaire Katinan. A vingt ans de distance, l’histoire semble vouloir se répéter à l’identique. C’est que, très probablement, ceux qui étaient à la manœuvre en 1992 et ceux qui sont à l’œuvre aujourd’hui, sont des gens la même sorte, agissant pour les mêmes intérêts, et n’ayant rien à voir avec les Ivoiriens ni avec la Côte  d’Ivoire, même s’ils poussent toujours devant eux des Bakayoko, des Ahoussou, des Kouadio, des Konan et des Ouattara comme au temps du gouverneur Angoulvant.
Marcel Amondji

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Koné Katinan, un enlèvement illégal qui a fait pschitt ?

Le Nouveau Courrier 26 août 2012

Koné Katinan Justin, porte-parole du Président Laurent Gbagbo, accompagné de l’avocate Lucie Bourthimieux, a séjourné en Afrique du sud du 19 au 24 août 2012, muni d’un visa régulier. Il y a eu des contacts très fructueux dans le cadre de la mission que lui a confié Laurent Gbagbo. A l’issue de son voyage il est arrivé à l’aéroport International d’Accra Kotoka par un vol régulier de la compagnie aérienne South African Arways. C’est à sa sortie de l’aéroport, après toutes les formalités usuelles et dans l’attente de son chauffeur que Koné Katinan a été interpellé par des policiers dont découvrira par la suite qu’ils sont de Interpol Ghana. Ces derniers, notoirement dans un deal avec le pouvoir Ouattara, à l’insu des autorités ghanéennes, ont voulu remettre Katinan dans l’avion pour le livrer à Abidjan comme ce fut le cas du Commandant Anselme Séka Yapo depuis l’aéroport de Lomé.
L’avocate Lucie Bourthoumieux s’y est opposée de manière très ferme et a clairement indiqué aux que la destination finale de son client était Accra et non Abidjan. C’est sur ces discussions que l’affaire atterrit à la police de l’immigration de l’aéroport et ensuite au BNI (Bureau National d’investigation )… DST ghanéenne. Là-bas, tout le monde est surpris par ce qui apparait visiblement comme un enlèvement organisé par le pouvoir ivoirien avec la complicité manifeste de certains policiers du Ghana. On parle même d’une affaire de gros sous.
L’on comprend pourquoi c’est précisément d’Abidjan qu’on apprendra en «exclusivité» l’arrestation de Katinan et son extradition imminente sur Abidjan comme le signale Le Patriote, journal porte-voix du pouvoir dans son édition du Samedi 25 août 2012. On a même signalé une grande effervescence faite de joie, d’affrètement d’avion spécial et de l’avènement du doyen des juges d’instruction du Tribunal d’Abidjan pour finaliser à Accra, les formalités judiciaires pour l’extradition illico presto de Koné Katinan, présenté comme un « activiste pro Gbagbo pour qui sonnait la fin de cavale ». Cette fausse information relevant purement de l’intoxication gouvernementale a malheureusement été reprise par les médias internationaux AFP, BBC, RFI et autres. Aucun avion, aucun juge n’a été aperçu dans la capitale ghanéenne. Le Ghana qui est un pays respectueux du droit et particulièrement jaloux de son indépendance et de sa souveraineté ne s’est jamais senti ni concerné ni influencé par les agitations du pouvoir Ouattara.
Après le week-end, Koné Katinan sera surement libre de ses mouvements bénéficiant de la protection constitutionnelle de l’Etat ghanéen en sa qualité de réfugié politique. En effet la Constitution ghanéenne, renforcée par des lois pertinentes, interdit formellement et de manière explicite l’extradition d’un réfugié surtout pour des motifs politiques.
Après le coup foireux de Katinan présenté en son temps par Ouattara himself comme étant au centre d’une négociation avec le président camerounais Paul BIYA en vue d’une extradition, voici de nouveau une rocambolesque affaire d’enlèvement crapuleux qui échoue une fois de plus de la manière la plus lamentable.
(Source : Connectionivoirienne.net 26 août 2012)


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Etté Marcel enlevé par qui ? et pourquoi ?
Téré n°14, 3 novembre 1992

La Côte d'Ivotre est un Etat bien curieux qui se permet d'enlever d'honnêtes ivoiriens en territoire étranger. Au mépris de toute clause d'extradition. Au moment où le Ghana vit à L'heure des élections présidentielles ; qu'il a d'autres chats à fouetter qu'à livrer des armes à l'opposition ivoirienne pour déstabiliser un régime aux abois, l'enlèvement d'Etté Marcel à Accra relèved'un non-sens . Dans cette ridicule mais rocambolesque affaire pilotée de main de maître par James Scott, l'agent double, il faut savoir raison garder.
Que s'est-il passé ?
Le 12 Juillet 1992, Monsieur Paul Tedga écrit au professeur Etté Marcel, secrétaire général du Synares pour une participation à la rédaction d'un ouvrage collectif sur les universités africaines du XXIe siècle. Cet ouvrage qui sera édité par les éditions L’Harmattan et qui est actuellement suivi par Mme Monique Chasmovian, directrice littéraire. Pour cela Etté Marcel a reçu la mission d'écrire le chapitre 07 du livre sur les rapports entre les universités africaines et les pouvoirs politiques africains, en tant que universitaire et grand dirigeant syndicaliste. Le communiqué de Presseadressé au journaux par le Pr. Etté Marcel souligne bien qu'il y est pour des interviews et des enquêtes dans le but de finaliser son chapitre. Le livre doit être  prêt avant fin 1992 et doit paraître en 1993. Voici les faits !
James Scott : un agent double
Le 04 Octobre 1992, James Scott, espion ghanéen à Abidjan, celui-là même qui a dirigé l'orchestre de la RTI et qui est en réalité un agent double, puisqu'il s'est fait racheter par la Côte d'Ivoire, donnant des informations au Ghana, à Rawlings (son ami d'enfance) et à Houphouet, intervient. A bord d'une peugeot 205 immatriculée AN 5225 CM, et avec l'aide d'une cammarilla à la solde du Pdci, (policiers ghanéens ? ou loubards ?) au nombre de 5 personnes, ils enlèvent Etté Marcel pour le ramener en Côte d'Ivoire. A la frontière la police ghanénne les coince et saisit le gouvernement ghanéen qui les fait ramener à Accra. Il faut signaler que d'Accra à Elubo il n'y a pas de poste de police pendant la journée. Un malfrat réussit à prendre la fuite. James Scott, l'espion double visage, et les autres sont emprisonnés et l'ambassadeur des Etats-Unis au Ghana son excellence Kenneth Brown est saisi aussitôt de l'affaire. Etté Marcel aux mains et sous la protection de Rawlings, les agents de la sécurité ivoirienne qui attendaient à la frontière rentrent bredouille. Que se serait-il passé si la bande à James Scott avait pu ramener Etté Marcel en territoire ivoirien. Encore un complot qui aurait été sûrement et rondement mené. N'est-ce pas là une intrigue pour salir Jerry Rawlings en cette période d'élection ou le Pdci, semble-t-il, soutient un candidat opposé à Rawlings ?
L'opposition n'a pas intérêt à ne pas ouvrir les yeux. Le complot guette. Si l'opposition doit s'armer, ce nest sûrement pas un homme aussi connu et aussi populaire qu'Etté Marcel qui s'en ira chercher les armes au Ghana.
N'Guetta Kouamé
(source : Archives personnelles de Marcel Amondji)


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Une bien étrange circulaire

Lors de l’affaire Etté, il y eut en France un début de campagne d’intoxication de l’opinion publique visant à reproduire l’effet Biafra, c’est-à-dire : à dresser les milieux progressistes de France contre le gouvernement ghanéen et le président Rawlings comme on avait réussi, en 1976, à les dresser contre les autorités légitimes du Nigeria contre lesquelles la France menait une guerre non déclarée sous le masque d’une soi-disant révolte nationale des Ibos. On trouvera, ci-dessous, la très étrange lettre-circulaire qu’une certaine Catherine Choquet diffusait à l’époque avec le même zèle que les propagandistes de Foccart… Il faut lire ce texte avec la plus grande attention ! C’est une autre pièce à conviction et un autre indice précieux pour qui veut vraiment chercher à connaître les tenants et les aboutissants de l’affaire en cours. On y voit, inscrite en toutes lettres, l’intention pernicieuse de détourner l’attention des vrais coupables et de leurs commanditaires en accusant le président Rawlings et son gouvernement d’avoir ordonné l’arrestation de Marcel Etté pour d’obscures raisons politiciennes, et même de l’avoir peut-être déjà « liquidé »…
Marcel Amondji

Catherine CHOQUET
Fax 1.42.72.34.59
Tel 42.78.33.22 bureau
Tel 42.02.54.92 domicile

Paris, le 23 octobre 92

Hier matin, j'avais contacté Mme Etté en lui demandant que son fils m'appelle le plus tôt possible d'un autre endroit que leur domicile. Hier soir vers 19 h., j'ai reçu deux appels de Michel Etté (fils de Marcel et frère de Jean) actuellement à Abidjan.
Je lui ai demandé qu'il nous fasse parvenir le maximum d'informations sur son père et son frère, par fax. J'ai donc reçu ce matin, une lettre de Madeleine Etté dont vous trouverez le texte ci-dessous. (J’ai dû refaire la dactylographie, l’original reçu étant peu lisible.)
Les discussions que j'ai eues avec Michel Etté donnaient les informations qui figurent dans la lettre de sa mère. Il évoquait certaines possibilités : Actuellement le Ghana est en pleine campagne pour les élections présidentielles. La Côte d'Ivoire finance les opposants à Rawlings. Marcel et Jean Etté pourraient donc être en résidence surveillée « sous protection » de Jerry Rawlings soit parce que ce dernier souhaiterait obtenir des informations sur la pénétration de son armée par les services ivoiriens, puisque des complicités semblent avoir joué entre la FIRPAC et des militaires ghanéens pour l'arrestation des deux hommes ; soit une négociation pourrait être en cours entre autorités ghanéennes et ivoiriennes, du genre « je vous remets ces hommes, et vous arrêtez de financer mon opposition ». Bref tout est possible, y compris le fait que ces personnes aient déjà été liquidées...
Dans sa lettre Mme Etté fait allusion aux notables de la région de Niablé qui sont intervenus pour empêcher que Marcel et Jean Etté soient remis à la FIRPAC. Michel Etté m’a précisé que la région de Niable était sous contrôle du FPI (Front populaire Ivoirien).
Il est absolument vital d'intervenir auprès des autorités  ghanéennes pour obtenir des informations sur l'état de santé de ces personnes, sur les raisons de leur « arrestation » et de leur maintien en détention ou résidence surveillée.
Si vous faites une déclaration (télégramme, télex ou autre) merci de m'en transmettre copie pour que je puisse passer l'information à Mme Etté. Si vous entrez en contact avec elle, attention son téléphone est sous surveillance et il y a des risques pour elle et sa famille. Je rappelle que toute la famille Etté a la double nationalité française et ivoirienne.
Avec mes remerciements pour votre aide.
(source : Archives personnelles de Marcel Amondji)


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Vingt ans ! Beaucoup de nos concitoyens aujourd’hui majeurs n’etaient que de très jeunes enfants au moment de ces faits et sans doute la plupart ignorent-ils qui est Marcel Etté et ce qu’il représentait ;  et ceux qui étaient déjà en âge de le savoir l’ont peut-être oublié ; un bref rappel me paraît donc nécessaire.
Au moment du « Printemps ivoirien », au tout début des années 1990, Marcel Etté était la figure emblématique de l’opposition au système de parti unique. L’année précédente, lors des Journés nationales du dialogue, au nom du Syndicat national de la recherche et de l’Enseignement supérieur (Synares) dont il était le secrétaire général, il avait prononcé un véritable réquisitoire contre le régime. Ce qui l’avait rendu très populaire. Mais cela lui avait aussi valu la haine implacable de nos ennemis. Personnalité éminemment consensuelle et universellement appréciée pour son intégrité, Marcel Etté apparaissait comme le candidat idéal de l’opposition au moment où la formation d’un vrai gouvernement d’union nationale apparaissait à tous comme le seul moyen de sortir définitivement de la crise du système politique issu de la soi-disant décolonisation. Il n’est pas interdit de penser que ceux qui tentèrent d’enlever Marcel Etté et, peut-être, de l’éliminer physiquement, visaient avant tout à empêcher qu’un tel processus puisse être conduit jusqu’à son terme.
Les circonstances, ainsi que l’histoire personnelle de Justin Katinan Koné sont certes différentes. Mais l’avantage que se procureraient ses persécuteurs est du même ordre que celui qu’escomptaient les ravisseurs de Marcel Etté : le capturer en vue de le réduire au silence, c’est, pour les vainqueurs du 11-Avril 2011, éliminer un témoin des plus gênants. Souvenez-vous de Désiré Tagro, de Phillipe Rémond, d’Yves Lambelin…, tous lâchement assassinés non pour ce qu’ils avaient fait, mais pour ce qu’ils savaient du vaste complot ourdi par leurs assassins en vue d’installer Alassane Ouattara au pouvoir.
Pour conclure (provisoirement) ce dossier, voici un extrait de l’article que j’avais consacré à l’affaire Etté dans Le Nouvel Afrique Asie N°40 de janvier 1993.
Marcel Amondji

UNE TENEBREUSE AFFAIRE

Bien curieuse affaire que celle au centre de laquelle se trouve le professeur Marcel Etté, le secrétaire général du SYNARES, depuis le 20 septembre dernier. D’autant plus que cette affaire ne semble pas avoir soulevé beaucoup d’émotion dans les milieux politiques et syndicaux d’un bord ou de l’autre. D’autant plus, aussi, qu’elle eut lieu dans une période où on pouvait constater de très nombreux signes de détente entre le pouvoir et d’autres opposants dont pourtant on le dit proche. Parti au Ghana le 20 septembre « dans le cadre d’une enquête pour la rédaction d’un ouvrage collectif » sur les universités africaines du XXIè siècle – une idée de Paul Tedga, dit-on –, son absence ne devait pas d’abord excéder le temps d’un week end ; mais, à l’heure où ces lignes sont écrites, le professeur Marcel Etté n’a toujours pas rejoint son domicile. On sait néanmoins qu’il se trouve à Accra et qu’il est, en principe, hors de danger.
Dès le début du mois d’octobre, la rumeur d’une tentative d’enlèvement du leader syndicaliste pendant son séjour à Accra envahissait Abidjan. Pourtant, ce n’est qu’à la fin du même mois, dans sa livraison du 31 octobre-1er novembre, que l’officieux Fraternité Matin donna corps à cette rumeur dans une manchette ambiguë en forme d’affichette : « "Tentative d’enlèvement" du S. G. du SYNARES ? Marcel Etté jamais inquiété. Le S. G. du SYNARES déclare à l’AFP s’être réfugié au Ghana suite à une tentative d’enlèvement. Le gouvernement dément et déclare que M. Etté est libre de tout mouvement en Côte d’Ivoire et ailleurs. » Restée muette jusque là, la presse d’opposition s’empara alors de l’affaire, mais avec une sobriété et un détachement qui peuvent surprendre, quand on se rappelle les nombreuses chroniques passionnées que, à peine un mois plus tôt, les mêmes journaux et parfois les mêmes journalistes consacraient à la ténébreuse « affaire Drobo II », du nom de ce guérisseur ashanti qui prétendait détenir le secret de guérir le SIDA !
Dans ses livraisons des 3 et 4 novembre, le quotidien La Voie (proche du FPI) publia une interview du professeur M. Etté dans laquelle ce dernier dément le démenti du gouvernement en faisant le récit détaillé de sa mésaventure des 4, 5 et 6 octobre à Accra et à la frontière ivoiro-ghanéenne, face à la localité de Niablé. Attiré d’abord dans un guet-apens à l’intérieur d’une villa discrète, séquestré ensuite dans un local du centre-ville par des hommes armés, il fut emmené le lendemain jusqu’à la frontière, en un point où s’étaient rassemblés des « policiers, gendarmes et militaires » ivoiriens assez peu discrets et même provocants. Là, le voyage fut interrompu parce la méfiance des autorités frontalières ghanéennes avait été alertée par cette activité inhabituelle, et par l’impossibilité où se trouvèrent les ravisseurs de prouver par des pièces officielles qu’ils exécutaient un ordre d’une autorité ghanéenne. C’est à cela que le secrétaire général du SYNARES doit aujourd’hui d’être encore au Ghana, libre, retenu seulement, assure-t-il, pour les besoins de l’enquête diligentée par les autorités ghanéennes. Quant à ses ravisseurs, ils auraient été emprisonnés.
On doit rapprocher de cette affaire un incident survenu à l’aéroport d’Abidjan le 27 septembre dernier, et qui alimenta des rumeurs d’après lesquelles l’un des fils du professeur M. Etté avait été arrêté alors qu’il transportait une bombe dans sa valise. Ce jour-là, l’appareil d’Air Ivoire en provenance d’Accra fut fouillé de fond en comble. L’un des passagers fut sauvagement malmené ; c’était un Métis, mais ce n’était pas un Etté… A quelques jours près, le coup était réussi pour autant, bien entendu, que ce fût lui qu’on chercha à piéger : l’un des fils du professeur M. Etté était allé au Ghana avec son père le 20 septembre, puis il était revenu à Abidjan, mais c’était avant le 27…
Le professeur M. Etté n’écarte pas l’hypothèse d’une machination tramée autour de sa personne. Il paraît au moins vraisemblable que, entre le 20 septembre et le 6 octobre, quelqu’un a bel et bien tenté de l’impliquer à son insu dans une situation compromettante, et que l’entreprise ne manqua son but que grâce à une série de hasards. Encore que, hypothèse la moins sauvage, si le but n’était que d’écarter momentanément un personnage gênant sans nécessairement attenter à sa vie, ce résultat puisse s’analyser comme un succès : la prolongation sine die du séjour du secrétaire général du SYNARES à Accra n’équivaut-elle pas à un exil forcé ? Et c’est à ce moment où, de toute évidence, la vie politique aborde un important virage, peut-être vers la formation d’un gouvernement intégrant des personnalités de l’opposition politique et syndicale.
(…).

Marcel Amondji
(source : Archives personnelles de Marcel Amondji)

dimanche 26 août 2012

Katinan est libre ! Ouattara encore une fois bredouille...



Alassane Ouattara mord la poussière à Accra. Le Ghana lui a officiellement signifié qu’il ne livrera pas l’ex-argentier de Gbagbo, Koné Katinan, refugié politique. Fin donc du poker-menteur de ce dernier samedi d’août 2012. 

Justin Katinan Koné
En refusant de livrer KATINAN ce samedi, le Ghana ouvre une relative tolérance vis à vis de ses exilés Ivoiriens, mais exprime surtout une option politique soutenue par ses populations, des Ghanéens de plus en plus hostiles à la politique du gouvernement Ouattara. C’est la marque d’une réelle réserve face à l’attitude du gouvernement Ouattara, relativement à la réconciliation nationale et au sort reservé au Front Populaire Ivoirien [FPI]. Le Ghana bénéficie dans cette rébellion contre Ouattara du soutien de l’Afrique du Sud et de plus en plus de pays africains. Même la France et les USA se sentent désormais poussées à prendre des distances d’avec ADO, si le dialogue républicain direct ne prend pas forme.

Katinan Koné qui était contesté, jalousé, redevient un héros dans le camp Gbagbo !

Le FPI, et c’est son plein droit légitime, trouve dans cette résistance internationale contre Ouattara, un ferment de mobilisation fourni par le pouvoir Ouattara lui-même. Désormais, la communauté internationale devient impatiente et pourrait manifester publiquement une mauvaise volonté, si le pouvoir Ouattara maintient la ligne intransigeante actuelle face à l’opposition FPI et l’opposition ivoirienne en genéral.

Dans cette situation, le PDCI semble fuir ses responsabilités. Oubliant qu’il est comptable aussi bien des échecs que des succès, Bédié ne réagit que lorsque Ouattara le consulte. Ce que ce dernier fait de moins en moins. Quand on l’interpelle, le président du PDCI s’en remet à Ahoussou [premier ministre sans réels pouvoirs], lorsqu’il [Bédié] ne lève pas les bras au ciel en disant : « Alassane voulait être président, qu’il montre ce dont il est capable. » Le Ghana et le monde entier savent tout ça, et sont décidés à empêcher Alassane Ouattara de n’en faire qu’à sa tête avec cette justice vindicative, sans aucune sanction pour les abus et criminels de son propre clan politico-militaire mono-ethnique.

Plus 16 mois après le 11 avril 2011, seuls les pro-Gbagbo sont victimes des poursuites de Ouattara. Ce qui n’est plus acceptable pour les Ivoiriens dans leur écrasante majorité, ni pour les Ghanéens, ni pour les Africains, encore moins pour l’ONU et l’Union européenne.

Alassane Ouattara le sait désormais.

On peut affirmer ce samedi soir que l’entêtement de Ouattara dans le dossier Katinan, sonne les débuts de son isolement diplomatique.

en maraude dans le Web
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
le-cercle-victor-biaka-boda

SOURCE : Connectionivoirienne.net 25 août 2012

mercredi 22 août 2012

MES RENCONTRES AVEC HOUPHOUËT

  Parmi les Ivoiriens de ma génération, je suis l’un de ceux qui ont approché du plus près l’homme véritable qu’était Félix Houphouët. Je l’avais rencontré déjà plusieurs fois avant qu’il ne devienne tout puissant, et encore plusieurs fois après qu’il le fut devenu. A la différence des auteurs collectifs de « Ma première rencontre avec Houphouët-Boigny », jamais je ne me suis trouvé devant lui en solliciteur, en quémandeur, en obligé ou en pénitent, mais toujours en homme libre, qui ne lui devait rien, ne lui demandait rien et n’attendait rien de lui sinon ce que tout notre peuple, dont le suffrage et la ferveur avaient fait de lui ce qu’il était, était en droit d’espérer de lui en retour. Et c’est l’occasion de tordre le cou à une rumeur qui a circulé sur mon compte dans le milieu des étudiants ivoiriens de France, au début des années 1960, suite à des insinuations d’Houphouët qui, pour me compromettre aux yeux de mes camarades sur lesquels mon insoumission faisait alors grand effet, fit croire à je ne sais quels liens affectifs qui auraient existé entre lui et moi, et en vertu desquels il se faisait fort de me retourner quand il le voudrait.
Certes, des liens de cette nature existaient bien entre son fidèle ami, le président Auguste Denise, et moi depuis ma naissance ; par exemple, c’est à lui que je dois mon prénom de Marcel, qui était son deuxième prénom, ainsi que quelques objets extraordinaires dans notre milieu et à cette époque : un berceau en fer avec sa garniture, un parc, un landau et sans doute des tas de vêtements et de chaussures d’enfants… Mais pour moi – et je précise, à tout hasard, que je suis le portrait craché de l’homme dont je porte le nom –, ce fut toujours une légende familiale plutôt qu’une réalité tangible. Du moins, jusqu’à ce jour de 1959, où l’une des filles du président Denise vint de sa part dire à ma sœur Suzanne de m’avertir de la menace qui planait sur moi… Cependant, avant comme après cette démarche qui signalait chez lui un intérêt certain pour ma petite personne, jamais je ne me suis prévalu de cette histoire. De toute ma vie, je ne vis le président Denise de près qu’une seule fois. C’était à Créteil, à l’hôpital Henri-Mondor, le 26 juillet 1990. Il était couché dans sa bière…
Quant à Houphouët, qui, étant donné sa très vieille amitié avec le président Denise, avait probablement eu vent de notre étrange « secret », il n’y a jamais eu, que je sache, aucun lien particulier entre lui et moi, ou entre lui et ma famille.
1949. Treichville
La première fois que j’ai rencontré Houphouët, c’était en 1949, pendant mes premières vacances au pays depuis notre odyssée sur la frégate L’Aventure et le paquebot Médie II à l’automne 1946. A notre arrivée à Port-Bouët, mes parents m’attendaient sur le wharf et ils m’ont emmené dans notre village tout proche après un bref arrêt à Abidjandjèmin chez ma sœur aînée. Mes camarades, eux, étaient invités à déjeuner avec « le député » – ainsi appelions-nous Houphouët en ce temps-là – à sa résidence de Treichville, avant de se disperser dans leurs familles. Frustré de ne pas avoir pu être de cette fête, je profitai de mon premier retour à Abidjan pour aller, avec ma sœur Suzanne et à l’insu de nos parents, rendre visite au député. Ce fut son épouse d’alors – née Kadija Sow – qui nous ouvrit et qui nous introduisit auprès de lui. Visiblement notre arrivée avait surpris Houphouët dans un moment de lassitude et d’abandon. On voyait qu’il sortait juste de dormir alors que l’heure approchait de midi. Son accueil n’en fut pas moins empreint d’une grande gentillesse. Il nous reçut alors qu’il ne portait pour tout vêtement qu’un pagne baoulé drapé en toge. Je ne me rappelle pas nos paroles ni les siennes, mais il nous a longuement interrogés sur nous, et il s’est enquis de nos parents. Quand nous avons voulu prendre congé, il nous a demandé si nous ne voulions pas rester pour partager son déjeuner – il allait être l’heure –. Nous avons répondu que nos parents ignoraient où nous étions et qu’il fallait que nous rentrions pour ne pas qu’ils s’inquiètent. Et nous sommes partis.
1951. Paris, la Mutualité
La deuxième fois, ce fut à Paris, à la Mutualité. Il y avait une réunion avec tous les élus RDA encore fidèles à ce mouvement. Après les discours de Gabriel d’Arboussier et d’autres orateurs qui ont tressé des lauriers à Houphouët, Fodéba Kéita a donné une saynète de son cru où il jouait à lui seul tour à tour le rôle d’Houphouët et celui des dirigeants du RDA qui avaient déjà abandonné la lutte sous la pression du parti colonial. Houphouët cherchait à les retenir, mais il n’y réussissait pas. A la fin il restait seul. « S’il n’en reste qu’un… » ! Je crois que l’intention de Fodéba était de convaincre Houphouët que l’honneur lui commandait de ne pas abandonner la lutte comme d’autres l’avaient déjà fait. C’était en 1951, précisément l’année où Houphouët aussi abandonna pour entamer ce qu’il appellera son repli tactique. A la tribune, à côté des Ouezzin, D’Arboussier, Chikaya et d’autres, Houphouët gardait son regard continuellement baissé, comme si ce qui se passait là ne le concernait pas ou ne l’intéressait pas vraiment. Il n’arrêtait pas de griffonner je ne sais quoi (ce qui est sûr, c’est que ce n’étaient pas des notes qu’il prenait) sur les papiers qui se trouvaient devant lui.
1952. Le fiancé de Thérèse…
La troisième fois, ce fut encore à Abidjan, en 1952. Un pur hasard. J’étais allé, en compagnie de Marcel Etté, visiter notre camarade Paul Brou, le jeune frère de Thérèse, la fiancée d’Houphouët. Comme Paul était absent, nous rebroussions chemin quand une Chevrolet grise vint se ranger devant la villa de la famille Brou. C’était Houphouët qui venait faire sa cour à Thérèse Brou. A peine descendu de sa voiture, il s’est avancé vers nous et il nous a tendu la main. Ce fut une rencontre très brève, et silencieuse, mises à part les formules convenues. Cette même année, un jour que nous marchions sur la route qui relie notre village à la route de Bingerville, mon père me demanda brusquement :
– Comment se fait-il que cette année tu ne sois pas encore allé voir le député ?
– C’est que, répondis-je, mon opinion sur lui est changée depuis qu’il a fait sa paix séparée avec nos ennemis.
Sur ce, mon père dit, à la cantonade :
– Hélas ! Quand les affaires d’un homme vont se gâter, c’est toujours ainsi que ça commence.
La suite à largement démontré que mon père n’était pas un très bon prophète, mais sur le moment sa réflexion me fit forte impression. Ce n’est pas la seule explication de mes choix politiques ultérieurs, mais cette manière d’approbation de ma nouvelle opinion d’Houphouët par mon père les a certainement influencés.
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J’ai eu encore plusieurs occasions de rencontrer Houphouët, mais beaucoup plus tard. A Abidjan, trois fois en 1959, en tant que l’un des responsables de l’Union générale des étudiants de Côte d’Ivoire chargés d’organiser notre traditionnel congrès estival de cette année-là. A Paris, deux fois en 1960, en tant que président de l’Union générale des étudiants de Côte d’Ivoire. Rien à voir par conséquent avec une rencontre personnelle comme celle de 1949.
1959. Extraits de mon journal de vacances.
11/08 – On daigne nous recevoir demain, le 12/08 à 11 heures. L’épreuve la plus dure… Hier, les chômeurs ont été reçus par Houphouët. On raconte que le conseil de cabinet du même jour avait pour but de trouver une solution provisoire au problème du chômage… « qui n’existe pas » ! Simple acte de démagogie ? Peut-être se souvient-on des incidents de 1958. A moins qu’Houphouët n’ait voulu s’attirer la sympathie et le soutien d’une partie de la population désœuvrée d’Abidjan au moment où certaines explications sont devenues inévitables. En tout cas, que signifie ce conseil de cabinet juste la veille du retour de J.-B. Mockey ?
12/08 – Dans le bureau du patron à 11 heures pétantes. Mockey devait nous y retrouver. Il apportait la copie d’une circulaire interne (et confidentielle) de l’UGECI signée de son secrétaire général, Michel Goly… En raison de quoi notre congrès est interdit, ainsi que toute réunion de plus de vingt (20) personnes. (Tiens ! Mais que devient alors le congrès extraordinaire du RDA ?). A part ça, Houphouët a encore fait la bouche sur Kwame Nkrumah, Sékou Touré, le Liberia et l’Union soviétique. Tout ça pour démontrer que la « sagesse » qu’il prétend incarner est la meilleure science politique. Dans le feu de son discours, il a tout de même reconnu qu’une réussite de la Guinée ou du Ghana (qu’il appelle « les abcès de fixation ») rendrait service à la Côte d’Ivoire. Or nous prétendons que les deux G sont bel et bien sur la voie de la réussite. Décidément, c’est un parieur : s’adressant particulièrement à moi, il dit : « Je parie qu’à votre sortie vous changerez d’idées ». Houphouët avoue que le succès de sa politique dépend de la confiance que les capitalistes privés mettent en lui. C’est aussi une chose que nous savions déjà… Mockey nous apporte une preuve que cette confiance ne règne pas précisément : aucun médecin français ne veut des conditions contractuelles proposées par le ministre de la Santé, Amadou Koné, nous informe-t-il.
(…)
02/10 – Depuis le 24 septembre, nous sommes assignés à résidence à Abidjan, Tanoé, Koné et moi. Chaque matin, à 9 heures, nous devons aller signer une feuille de présence à la Sûreté, où nous avons été identifiés le 24/09. L’histoire mérite d’être contée : introduits dans le bureau d’Houphouët par J. Bony, nous écoutons d’abord une engueulade du patron qui nous dit que nous ne pourrons plus continuer à saper son autorité au frais du trésor public. « Apprenez à souffrir comme nous ! ». Ou encore : « Je n’emprisonnerai ni ne poursuivrai plus personne ; mais, dans trois mois, il n’y aura plus de double jeu ni de fantaisistes dans mon Etat. » Comme nous ne disions rien pour notre défense, J. Bony croit devoir nous suggérer de nous désolidariser des positions de principe de l’UGECI. A quoi nous répondons que seule l’Union peut décider de sa propre conduite, et que nous n’avons pas qualité pour faire cela à sa place. Sur ce, nous prenons congé et sortons du bureau, puis de la cour d’entrée… Mais à peine sommes-nous dans la rue qu’on nous rappelle. Brève attente d’abord dans un petit local vide, sans doute réservé aux sous-flics d’Houphouët (puisque nous y voyons arriver le fameux Pierre Goba qui ne fait d’ailleurs que d’entrer et sortir) puis dans la véranda sur laquelle donnent les bureaux du Premier ministre et de son directeur de cabinet ; puis J. Bony apparaît par la porte du bureau du directeur de cabinet Guy Nairay et nous y fait entrer. Guy Nairay est assis à son bureau. Debout, outre le Premier ministre et le ministre J. Bony, Wilt, le superflic du cabinet, et le nouveau directeur de la Sûreté, un vieux bonhomme un peu surréel dans son complet rose ! aux bons soins duquel le Premier ministre nous confie aussitôt d’un ton impérieux, avec l’ordre de faire procéder immédiatement à notre identification, et de prendre toutes dispositions en vue de nous maintenir à Abidjan. Nous apprendrons plus tard que c’est notre attitude devant lui qui l’a rendu si versatile soudain ; il ne lui en faut pas plus ! Sur ce, le chef de la Sûreté nous emmène dans ses locaux dans sa propre voiture. C’est un petit homme bien mis, vieux ou vieilli ; un peu voûté. Pas du tout le physique du métier ; mais je ne m’y connais guère ! De midi et demie environ à 3 heures, nous sommes gardés par trois agents dont deux sont venus spécialement du commissariat central. Pour passer le temps, nous mangeons des sandwiches que nous avons fait acheter au Bardon. A 3 heures, nous sommes entraînés vers les formalités ; puis on nous relâche, non sans nous avoir invités à repasser chaque matin pour nous faire voir. Il paraît que la nouvelle a indigné la JRDACI ; mais cela n’aurait pas été plus loin. Quelques jours plus tard, nous sommes invités à témoigner dans une affaire de tract pour laquelle plainte aurait été déposée contre X… Nous sommes donc désormais à la merci du juge d’instruction qui peut nous identifier à X d’un moment à l’autre selon son bon vouloir, ou pour obéir à un ordre venu d’en haut. Conclusion : au mieux, une année de perdue ; au pire, impossibilité définitive de poursuivre nos études. En soi cela n’est rien. Il sera sans doute malaisé de s’adapter à une situation qui ne m’est pas familière ; mais qui peut avaler une couleuvre, peut en avaler deux ou plus… Les ralliés et les prudents que j’ai revus depuis triomphent : « Je l’avais bien dit, mais on ne m’a pas écouté ! » Triomphe facile ! Si nous sommes sacrifiés comme cela est probable, cela ne sera pas inutile dans tous les cas ; et c’est cela seul qui compte. Sans les individus qui la composent, l’UGECI n’est rien ; son honneur, c’est surtout le nôtre. Il n’y a pas de loterie de l’honneur ; et il n’y a pas d’âge pour commencer à être fier.
Les billets d’avion mis à notre disposition par l’Union depuis Paris ont été mystérieusement décommandés le même jour. J’ai averti Abdoulaye ; il me dira si c’est lui, ou bien les services d’Houphouët qui ont fait le coup. I. Koné penche pour cette dernière hypothèse qui semble en effet plus plausible. Mais il me semble que j’ai moi-même demandé à Abdoulaye de surseoir à l’exécution de son plan, en attendant les développements futurs de l’affaire. Le télégramme était ainsi libellé : « Renvoyer billets faveur Anoma, inutilisables. »
06/10 – Nouveau fait depuis le samedi 3 octobre. On nous a appris à l’identité judiciaire que « ce n’est plus la peine de venir signer ». Le même jour, nous avons appris que la PJ menait une vaste enquête pour connaître les noms des délégués présents à notre assemblée générale du 20 août. Des camarades ont été interrogés dans les locaux de l’Inspection d’Académie. I. Koné a lui-même dû répondre à une ou deux questions indiscrètes. Nous ne connaissons pas encore de cas d’indiscrétion…
Aujourd’hui, déjeuner-causerie au domicile du Dr Amadou Koné, le ministre de la Santé, qui est aussi le président (ou le secrétaire général) de la Jrdaci. Excellent repas de poisson auquel ont pris également part Siaka Coulibaly et François Kamano. C’est après le repas que nous avons causé dans le bureau. A. Koné voulait connaître notre version de l’affaire ; mais il est probable qu’il voulait plutôt connaître l’état de notre moral avant d’entreprendre une éventuelle démarche auprès du Premier ministre.
(Ici s’arrête mon journal… Dans la crainte d’une perquisition toujours possible du domicile de mon frère chez qui je logeais cette année-là, j’avais planqué le cahier où je le notais dans la garçonnière d’un de mes neveux, et je n’y avais plus touché jusqu’au jour de mon départ.)
Quelques jours après le déjeuner chez Amadou Koné, il nous donna rendez-vous pour le lendemain devant les bureaux du Premier ministre. Dès que nous fûmes introduits dans le bureau d’Houphouët, Koné prit la parole. Je ne me souviens absolument pas de ce qu’il a dit ; tout ce que je me rappelle, c’est qu’il parla peu, qu’il parla en son nom ou au nom de la Jrdaci, mais pas au nôtre, c’est-à-dire sans engager notre parole et sans nous demander de nous dédire comme l’avait fait son collègue J. Bony. Curieusement, cela suffit quand même pour satisfaire Houphouët, qui se montra paternel et fit même preuve d’une gentillesse vraiment surprenante quand je repense à la tournure dramatique de notre entrevue précédente. S’adressant à moi, comme j’étais déjà en retard pour ma rentrée, il se proposa de faciliter ma réservation si je le désirais. Je lui répondis que j’avais prévenu le secrétariat de la Faculté et qu’il n’y avait pas d’urgence. En fait j’avais besoin de prolonger mon séjour car ma sœur Suzanne et son époux, le dirigeant syndicaliste Joseph Coffie, venaient d’être emprisonnés. J’avais à peine pu échanger quelques mots avec eux dans un couloir de la Sûreté quand ils y avaient été amenés ; je ne voulais pas partir sans les avoir revus. Ma sœur Clémentine, qui alors résidait à Tiassalé, était descendue à Abidjan à la nouvelle de l’arrestation de Suzanne et de son époux ; et elle m’avait demandé de lui obtenir un billet de visite. Je me suis présenté à cette fin au bureau du procureur Nanlo Bamba, qui me reçut à la fois avec une extrême froideur et une grande courtoisie, et refusa mordicus de me délivrer le précieux « sésame ».
1960 (12 juillet). Avenue Foch…
De passage à Paris avant de s’envoler pour les Etats-Unis, Philippe Yacé, qui n’était encore que le président de l’Assemblée territoriale, manifesta le désir de s’entretenir avec les responsables de l’Ugeci. Nous allâmes, le vice-président Désiré Tanoé et moi, le rencontrer dans l’appartement d’un immeuble neuf du 16e arrondissement où il résidait. Son intention était de nous faciliter une rencontre avec Houphouët. Il dit qu’il comprenait notre position sur la question de la scission qui avait été suscitée contre nous au lendemain de notre congrès de décembre 1959. Lui-même avait à se plaindre de nos adversaires qui lui avaient manqué de respect et l’avaient calomnié auprès d’Houphouët. Et il avait aussi à se plaindre de la Délégation de la Côte d’Ivoire à Paris, alors remplie de Toubabs à la mentalité non « décolonisée », qui lui avait refusé la voiture avec chauffeur à laquelle il avait droit de par sa fonction ! Cependant, insista-t-il, c’est à vous de faire le premier pas car c’est votre aîné… Il se proposa de nous obtenir un rendez-vous avec Houphouët dès son retour de Suisse. La rencontre eut lieu le 12 juillet 1960, avenue Foch.
Lors de notre réunion de bureau pour nous préparer à cette entrevue, nous avions décidé que moi seul, en ma qualité de président de l’Union, prendrait la parole pour donner la réplique à Houphouët. Nous ignorions alors combien notre décision était sage ! Lorsqu’on nous introduisit dans la salle où Houphouët nous attendait, nous trouvâmes, assis à sa gauche, une quinzaine de personnes dont certaines nous étaient bien connues, et qui toutes avaient en commun d’être plutôt hostiles au courant dominant de l’Ugeci dont nous étions les représentants. Au cours de l’entretien, à plusieurs reprises, Houphouët essaya de mêler ces « irresponsables » à la conversation, mais je me gardais bien de leur répondre quand ils s’adressaient à nous et, très ostensiblement, je ne m’adressais qu’à lui, commençant toujours mes phrases par un « Monsieur le Premier ministre » bien appuyé. Quand Houphouët comprit qu’il ne réussirait pas à nous entraîner dans une foire d’embrouille avec ses « mercenaires », il se fâcha. Le prétexte qu’il trouva était que dans le texte que nous lui avions soumis au nom du Conseil d’administration de l’Union qui le félicitait pour sa déclaration du 3 juin 1960, il y avait l’expression « sursaut de conscience »… Sur ce, nous nous retirâmes sous ses imprécations.
1960. Salon d’honneur d’Orly…
Ma dernière rencontre avec Houphouët eut lieu la même année, en automne. Un jour, je reçus un télégramme de mon ami Abdoulaye Fadiga qui me prévenait d’un coup de téléphone que je devais aller attendre à la poste de mon quartier. Au téléphone il me demanda instamment d’être à Paris le lendemain matin parce qu’il voulait recueillir mon avis avant une décision importante qu’il devait prendre. Quand je le vis à Paris, boulevard Poniatowski, il m’apprit que Robert Léon, le conseiller de l’Union française, lui avait proposé de se porter candidat à la députation ; que ça consistait à lui remettre en mains propres une feuille blanche signée !… J’opinai que la chose me paraissait difficile à accepter. Abdoulaye en convint.
– Mais, me dit-il, comment faire pour m’en tirer sans grabuges ?
Je lui suggérai de trouver un autre diplôme à préparer, histoire de se rendre indisponible pour l’élection de la nouvelle assemblée. Quand nous allâmes rejoindre R. Léon dans un café de la place d’Italie, Abdoulaye n’avait pas sur lui la feuille blanche avec sa signature qu’il attendait. En le voyant arriver avec moi, il dut s’en douter. En tout cas il n’en fut pas question devant moi. Tandis que nous bavardions avec « Monsieur Léon », Bissouma Tapé vint lui remettre une enveloppe. Etait-ce sa candidature à la députation ? Toujours est-il qu’il fut l’un des députés de la première législature de la Côte d’Ivoire indépendante.
Quoi qu’ayant fait chou blanc en ce qui concerne Fadiga, R. Léon nous emmena tout de même à Orly, où Houphouët devait prendre l’avion pour Abidjan dans la soirée. Dans le salon d’honneur, au début, nous faisions plutôt vraiment tache ; les Ivoiriens présents nous évitaient ; Guy Nairay nous observait à la dérobée en souriant malicieusement. Mais quand Houphouët entra, on aurait dit qu’il n’y avait qu’Abdoulaye et moi dans ce vaste salon. Il s’élança littéralement vers nous en nous interpellant et en nous félicitant d’avoir passé nos examens avec succès. Et il ajouta tout en paraissant chercher quelqu’un des yeux :
– « Combien sont-ils ? Il faut rétablir les bourses… »
Aussitôt, nos compatriotes présents nous entourèrent ; et l’un d’eux, l’agrégé Assoi Adiko, qui venait juste d’être nommé à l’Unesco, croyant sans doute que nous aussi étions devenus quelque chose dans son genre, nous proposa même un rendez-vous chez lui, le lendemain, pour nous montrer la documentation qu’il avait déjà réunie… ; etc.
Telle fut ma dernière rencontre avec Houphouët. Ô ironie ! Ce fut, comme on voit, un beau malentendu : Houphouët ignorait qu’il n’avait pas obtenu de Fadiga ce qu’il espérait ; il nous a rétablis dans nos bourses sans que nous ayons cédé sur ce que nous considérions essentiel : notre liberté et l’indépendance de notre mouvement. Est-ce de cela qu’il a voulu se venger l’année suivante quand, en juillet 1961, il demanda à la France, et obtint d’elle, que, au mépris de ses lois, elle lui livre 15 dirigeants ou anciens dirigeants de l’Ugeci ?
1963. Port d’Alger…
J’eus une fois encore – la toute dernière – l’occasion de croiser le chemin d’Houphouët, mais dans les conditions de l’époque, il n’était évidemment pas question de le rencontrer. C’était à Alger, en août 1963, quand le paquebot qui le ramenait au pays après la conférence d’Addis Abéba et un crochet par la France y fit escale pour la journée. Le président Ben Bella avait offert à son hôte de passage et à sa suite, après déjeuner, une visite des vestiges romains de Tipaza. J’espérais, lorsqu’il rejoindrait le bateau, apercevoir dans son sillage quelque connaissance avec qui je pourrais m’entretenir un peu des choses terribles qui se passaient au pays depuis le mois de janvier. A cette fin, je m’étais glissé dans le port, alors très accessible, et, posté derrière des containers, je guettais le passage du cortège. Je vis passer Houphouët, suivi d’un Germain Coffi Gadeau un peu penaud – sans doute le pauvre savait-il qu’il serait jeté en prison dès leur arrivée à Abidjan – au milieu d’officiels algériens. Je ne me découvris que lorsque j’aperçus, non sans surprise, mon vieux camarade du sanatorium de Neufmoutiers-en-Brie, Tahiri Zagré, que je ne savais pas si bien en cour ; il me rendit mon salut, mais ne s’arrêta pas car, me dit-il, le temps leur était compté. Je revis aussi Joseph Diomandé, à cette époque « LA VOIX » de notre Radio-Télévision nationale ; c’était un ami très proche quand nous étions lycéens et je croyais qu’il serait content de me voir là ; mais dès qu’il m’aperçut il se mit à courir – à reculons ! – vers le quai tout proche, où, me cria-t-il pour s’excuser, son métier de grand reporter l’appelait impérativement. C’était d’ailleurs vrai…
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Cette évocation de mes rencontres avec Félix Houphouët est à considérer comme une manière de préface à une série de courts essais sur l’homme et sur les ressorts de sa politique que j’ai l’intention de publier ici au cours des prochains mois. Je sais – je le constate tous les jours quand je lis la presse abidjanaise – que très peu de nos compatriotes ont sur l’homme et sur son « œuvre » un regard aussi critique que le mien. Mais, en raison de cette liaison très particulière que l’histoire m’a imposée, je me crois tout à fait fondé à parler d’Houphouët comme je le fais depuis que j’écris des livres. Ce n’est peut-être pas la seule façon ni la plus exacte de traiter un sujet aussi complexe que celui-là ; mais c’est du moins celle qui est la plus cohérente avec mon expérience. Et je crois que cette expérience est réelle, et qu’elle est au moins aussi riche que celle de certains auteurs que j’ai lus récemment, qui s’annonçaient comme des « disciples » d’Houphouët, qui l’ont certes vu de fort près, mais peut-être de trop près pour le connaître vraiment.
Marcel Amondji (22 août 2012)