dimanche 31 juillet 2011

Le cas Mamadou Koulibaly. De l’autre côté des apparences – par marcel amondji


"Nous sommes là où nous sommes parce que la France a opéré un coup d'Etat au profit de Ouattara, (…) Si nous ne reprenons pas courageusement le combat, ils vont nous exterminer. Il faut arriver à vaincre la peur ; il faut sortir pour s'organiser."
Justin Koua, secrétaire national par intérim de la Jeunesse du Front populaire ivoirien (Jfpi).


La démission surprise de Mamadou Koulibaly de la présidence du Fpi qu'il occupait de facto depuis la déportation de Pascal Affi N'Guessan, a été l'objet de commentaires très contrastés, et même contradictoires souvent. Mais, chose étonnante – pour moi du moins –, tous ces commentaires convergeaient pour dresser le portrait d'un personnage universellement estimé. Pour les uns, qui semblent avoir toujours su que Mamadou Koulibaly n'était pas à sa vraie place dans ce parti-là, sa démission était à prévoir et par conséquent elle ne constitue pas une vraie surprise. Pour d'autres, c'est une trahison ; ce qui suppose que jusqu'alors Mamadou Koulibaly était à leurs yeux un militant Fpi discipliné et absolument fiable. Pour d'autres encore, non seulement cette défection, qui enlevait au Fpi « le meilleur dirigeant qu'il ait jamais eu » – le plus intelligent, le plus honnête, le plus moderne, le plus consensuel, bref, le plus rassembleur –, sonne le glas de ce parti et de ce qu'ils appellent « le camp Gbagbo », mais elle marque aussi la fin de toute résistance face à ce gouvernement de naçarafôtigui, comme les gens de Kong appelaient, vers 1895, les premiers d'entre eux qui se mirent volontairement au service des conquérants français.
La principale image qui se dégageait de ces commentaires, c'était celle d'un Mamadou Koulibaly idéalisé au point d'apparaître, à lui tout seul, comme la seule alternative possible au parti moribond qu'il voulait sauver. Que dis-je ? Qu'il aurait certainement sauvé, si ses anciens et bien indignes camarades ne l'en avaient pas empêché ! En tout cas, pas un seul de ses commentateurs ne lui soupçonnait de desseins cachés, de mobiles, sinon le noble souci de jouer, de la plus citoyenne façon possible, sa partition dans le triste concert politique du moment !


Dans ma précédente chronique déjà consacrée au cas Mamadou Koulibaly, je me demandais s'il fallait prendre au sérieux cette histoire de démission et de création, dans un seul et même mouvement, d'un parti baptisé « Lider ». Et je répondais que j'en doutais. Mais, alors, je n'avais pas conscience d'une des principales dimensions de cette affaire, à savoir cette image mystifiée de Mamadou Koulibaly dans de larges secteurs de l'opinion publique, disons : éclairée. Ceux que naguère on appelait les « évolués ». En effet, depuis le 11 juillet, j'entendais partout dire de Mamadou Koulibaly que c'est un esprit brillant, une immense intelligence, une montagne de vertus civiques, etc.… Troublé par cette vision que, à ma connaissance, rien – absolument rien ! – ne justifiait, je me rapprochai, par téléphone, de deux de mes amis qui sont aussi deux grandes figures du Cnrd, afin de connaître leur avis sur les derniers actes publics de Mamadou Koulibaly et les déclarations par lesquelles il les a justifiés. A ma grande surprise, mes amis m'ont parus fort loin de partager la défiance que, pour ma part, je cultive à son encontre depuis que j'ai lu son maître livre : « Le libéralisme, un nouveau départ pour l'Afrique » (L'Harmattan, Paris 1992). L'un regrettait sincèrement cette défection parce que « c'est un garçon capable de brillantes analyses ». Comme si, avec lui, l'opposition à ce gouvernement de Versaillais perdait un grand stratège… L'autre était, quant à lui, resté parfaitement « zen » devant les gesticulations de l'ancien président par intérim du Fpi. Il me dit, en substance : il a créé son parti, c'est son droit, et la porte du Cnrd ne lui est pas fermée pour autant. S'il décide de rejoindre le Cnrd avec son parti, il y sera le bienvenu…
Le plus jeune de mes deux amis est déjà plus qu'octogénaire, et l'autre se trouve à moins d'un lustre de son centième anniversaire. C'est dire qu'ils ont tous les deux une expérience quasi charnelle de notre histoire tourmentée. Ils en furent même des acteurs du premier plan. Tous deux sont en outre des patriotes éprouvés, ils l'ont largement démontré pendant cette crise dans la crise commencée le 19 septembre 2002. Et, j'en mettrais ma main au feu, leur opinion de Mamadou Koulibaly ne doit rien à la complaisance ; seulement à la générosité. Elle dénote chez eux une vertu assez rare et d'autant plus précieuse. Cette disposition, je l'appellerais la confiance citoyenne. C'est l'ouverture spontanée à ton concitoyen, parce que, fils comme toi de cette cité que l'ennemi menace de détruire, tu jurerais que, comme toi, jamais il ne voudrait la trahir. Fusse pour tout l'or du monde.
Le problème, c'est que d'une part tous tes concitoyens ne méritent pas nécessairement cette confiance citoyenne, et que d'autre part beaucoup d'entre eux, s'ils sont suffisamment habiles, sont parfaitement capables de nous persuader – au besoin en s'aidant de relais qu'ils possèdent chez l'ennemi – qu'ils la méritent.
Souvenez-vous, mes bons amis, vous qui en portez les stigmates dans votre chair et dans votre âme, du règne de l'immense imposteur que, par la volonté des colonialistes impénitents, nous dûmes supporter durant près d'un demi-siècle, et dont le nom sert aujourd'hui d'emblème, d'étendard et de cri de ralliement aux vainqueurs par procuration du 11 avril 2011. Même vous, quand vous parlez de lui, il y a un mot que vous vous interdisez de prononcer. Et c'est pourtant le mot le plus juste pour le décrire. C'est le mot : « traître »… Car c'est tout ce qu'il fut ! Je veux dire qu'en définitive cette qualité-là pèsera plus au tribunal de l'histoire que toutes les vertus dont s'orne sa légende fabriquée d'ailleurs, pour l'essentiel, par nos ennemis afin de nous le vendre plus sûrement. Cette poudre aux yeux aveugla des millions de femmes et d'hommes trop confiants, faute d'être correctement informés de ce qui se jouait. Des millions de femmes et d'hommes croyaient sincèrement que Félix Houphouët ne voulait que leur bien, qu'il ne travaillait que pour eux, tandis que lui ne songeait qu'à sauver sa peau pour continuer à vivre dans l'opulence sous la protection des armes françaises.
Le symbole de cette imposture, c'est ce tunnel qui reliait la résidence officielle du chef de l'Etat ivoirien à celle de l'ambassadeur de France. Il était fait pour la fuite… Mais un tunnel a forcément deux bouts : s'il peut servir pour s'enfuir, comme Houphouët l'espérait, et comme Bédié l'a fait, il peut aussi servir pour envahir la résidence du chef de l'Etat, l'enlever et le jeter en pâture à la soldatesque ennemie, comme Laurent Gbagbo l'apprit à ses dépens le 11 avril 2011. Oui, un tunnel a toujours deux bouts ; et par conséquent la seule existence de celui-là montre à quel point, sous ses faux airs de « libérateur », de « père de l'indépendance » ou de « père de la nation », Houphouët était en réalité le captif des Français !


Un de mes amis, aujourd'hui disparu, un Capverdien, ancien étudiant en RDA, qui représentait le Paigc dans le pays d'Afrique du Nord où je vivais à cette époque, avait sans cesse à la bouche cet adage : « la confiance, c'est bien ; mais le contrôle, c'est mieux ». Appliquons ce précepte au cas qui nous occupe.
Quel socialiste était Mamadou Koulibaly quand il militait dans le Fpi, un parti membre de l'Internationale socialiste, et en gravissait avec aisance les échelons, jusqu'à mériter de devenir le deuxième personnage de l'Etat une fois ce parti parvenu au pouvoir ? Et quel libéral est-il aujourd'hui quand, alors qu'on vient de nous imposer à coups de canon un régime dont le chef visible est notoirement un ardent partisan de l'ultralibéralisme d'inspiration étatsunienne, il prétend jouer face à lui les opposants radicaux ? – N'a-t-il pas dit qu'il avait rompu avec le Fpi parce que ses camarades l'empêchaient d'en changer le nom et le programme afin de le transformer en un puissant contre pouvoir face à ce gouvernement ? –. Bref, « Quel intérêt y a-t-il à créer un parti d'opposition libéral alors que le parti présidentiel est déjà un parti libéral ? » Cette question, qui contient en elle-même sa réponse, a été posée à l'ancien président par intérim du Fpi par le philosophe Alexis Dieth dans son article : « Questions sur le libéralisme de Mamadou Koulibaly ». C'est se demander ce qui fait courir Mamadou Koulibaly.


Avant de proposer des réponses, examinons la teneur de la profession de foi du 11 juillet, en gardant constamment à l'esprit le fait que ce déclarant est le même homme qui cosigna une espèce de pamphlet intitulé : « La guerre de la France contre la Côte d'Ivoire » (La Refondation, Abidjan 2003), et le même qui s'était donné pour mission d'en finir avec le système CFA tel qu'il fonctionne depuis sa création.
Or que constate-t-on en lisant cette déclaration bavarde ? D'abord, qu'elle ne contient pas la moindre allusion à cette fameuse guerre que son auteur dénonçait naguère avec ses compères Antoine Ahua Jr et Gary K. Busch, alors que leur libelle vient de s'enrichir d'une magistrale illustration. Ensuite, que le programme annoncé de « Lider » ne tient aucun compte de la situation historique et politique tragique de la Côte d'Ivoire, de la société ivoirienne, de la nation ivoirienne, aujourd'hui, après le dernier paroxisme sanglant de l'interminable crise de la décolonisation à la sauce foccarto-houphouëtienne. Ce que j'avais déjà constaté en lisant « Le libéralisme, nouveau départ pour l'Afrique » se confirme : la principale caractéristique de Mamadou Koulibaly, c'est sa parfaite indifférence vis-à-vis de la situation concrète des gens comme de leurs préoccupations réelles, ici et maintenant.
Les recettes qu'il brandit aujourd'hui devant nos yeux, il aurait pu les proposer il y a dix ou vingt ans si, alors, il avait eu le courage de se lancer dans la compétition politique avec sa propre « entreprise » ; car, pour lui, un parti politique n'est rien d'autre qu'une entreprise comme toutes celles qui sont en concurrence dans le vaste monde sous l'arbitrage du « marché » ! Il aurait pu mêmes les proposer aux Libériens, aux Zambiens, aux Mongols, aux Guatémaltèques, etc., sans presque rien y changer. Dans cette longue et pompeuse profession de foi, il n'y a absolument rien qui soit spécifique à la situation dramatique actuelle des Ivoiriens : rien en tout cas qui puisse nous aider à trouver la solution dont nous rêvons tous, même si trop d'entre nous manquent du courage nécessaire pour le reconnaître et pour y conformer leur comportement civique. Ce qui préoccupe les Ivoiriens, particulièrement aujourd'hui, ce n'est pas de savoir ce qui vaut mieux du « libéralisme » ou du « dirigisme », du « capitalisme » ou du « socialisme », ou bien encore du « marché » ou de la « planification », mais comment se délivrer du joug qu'on leur impose, de manière ouverte ou déguisée, depuis plus d'un siècle. Dans ces conditions, qu'est-ce que « Lider » ? Juste un miroir aux alouettes. Que peut-on attendre d'un parti estampillé « libéral », dans un pays où c'est cette doctrine qui a cours depuis toujours, et où elle a produit ls résultats que nous voyons ?


Pour le savoir, il suffit de regarder d'où vient Mamadou Koulibaly, à quelle école de pensée il se rattache, depuis quand et de quelle manière il s'est acquis la réputation de brillantissime penseur dont il paraît jouir jusque parmi ceux qui ont fait échouer son raid sur le Fpi et le Cnrd.
J'ignore pourquoi, comment et quand Mamadou Koulibaly, un vrai croisé du libéralisme, adhéra au Fpi. Et, d'ailleurs, cela n'a pas d'importance pour la suite de mon propos. Le Fpi est un parti qui ne fut jamais très regardant sur les motifs ou les mobiles de ses adhérents. En sorte qu'il y avait, au niveau de ses directions nationale et locales, sans doute plus d'opportunistes, voire de vrais aventuriers, que de militants désintéressés. Et c'est pour partie la cause de ce qu'il subit aujourd'hui, et nous tous avec lui… Alors, Mamadou Koulibaly, « aventurier » ou seulement « opportuniste » ? Probablement les deux, et la résultante de ce mélange dans la même personne, c'est « imposteur ». Cependant, l'honnêteté oblige à dire que ce n'est ni le premier ni le seul cas dans notre histoire : depuis Houphouët jusqu'à Ouattara, en passant par Bédié, l'imposture est, pour ainsi dire, la pierre angulaire de notre « maison commune ». Et c'est pourquoi l'édifice est si instable…
« En tant que libéral attaché à la démocratie et à l'économie de marché… C'est à la fois un aveu, une provocation des plus insolentes, et le renouvellement du serment d'allégeance de Mamadou Koulibaly à sa véritable famille politique : l'Internationale libérale, et même ultralibérale. Ces modèles, ce sont Ronald Reagan, Margaret Thatcher, sans doute aussi ce général Pinochet qui fut imposé aux Chiliens à coups de canon pour la plus grande gloire du libéralisme ! En fait, Mamadou Koulibaly n'a jamais appartenu qu'à cette famille politique-là. Même quand il faisait sa belle carrière au sein du Fpi. En tout cas, c'est la seule appartenance politique à laquelle il soit resté fidèle depuis ses années d'étudiant à Aix-en-Provence, comme en témoigne son interview sur le site UnMondeLibre.com au lendemain de son coup d'éclat.
Disciple bien aimé de Jacques Garello (c'est lui qui a préfacé « Le libéralisme, nouveau départ pour l'Afrique noire »), surnommé le "gourou de la secte néo-libérale", mais dont l'autoportrait ferait plutôt penser à l'un de ces idéologues qui gravitaient autour du Maréchal Pétain, chef de l'Etat français, Mamadou Koulibaly a toujours maintenu des liens très étroits avec cette mouvance idéologique. De leur côté, J. Garello et sa confrérie semblent espérer beaucoup d'un poulain si fringant et si prometteur. Le très mystérieux « Audace Institut Afrique », dont Mamadou Koulibaly est le président comme beaucoup de gens le sont en Afrique, par procuration ou pour figuration, est l'illustration de cette fidélité et de ces espérances. On y rencontre en effet le gratin de ce qu'il faut bien appeler la section française de l'Internationale libérale, avec J. Garello pour pilier central. C'est une chose qu'il est important de savoir parce que là est probablement la clé pour comprendre à la fois ce qui portait Mamadou Koulibaly durant sa carrière dans le Fpi, et ce qui le fait courir aujourd'hui.


« Une Opa politique ratée », voilà, selon le journaliste burkinabè Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana, la seule explication du « départ de Mamadou Koulibaly du Fpi ». Le fait est que le jour même où, se croyant déjà maître du Fpi, Mamadou Koulibaly tentait de s'emparer également du Cnrd et, par ce biais, de mettre sous sa coupe toutes les structures – partis politiques ou associations – d'où pourraient éventuellement surgir de nouvelles formes de résistance au gouvernement de fait installé à coups d'obus le 11 avril 2011, les jeunes du Fpi ont fait connaître leur détermination à reprendre et à poursuivre la lutte contre toutes les impostures : celle de Nicolas Sarkosy et de Jean-Marc Simon, celle de Choi, celle des Ouattara, celle de Guillaume Soro comme celle de Mamadou Koulibaly… Peu auparavant, les secrétaires fédéraux du même parti lui avaient dénié le droit d'en disposer à sa guise, lui interdisant par exemple de changer son nom et son orientation. Bref, contrairement à ce que certains ont dit, la démission de Mamadou Koulibaly n'était pas du tout prévisible ou programmée. Au contraire, tel qu'il avait commencé et mené son entreprise, il était plutôt parti pour rester à la tête du Fpi, pour s'y incruster même, dans le secret espoir d'en faire, le jour venu, la section ivoirienne de sa chère Internationale ultralibérale : « (…) depuis les événements du 11 avril 2011, ayant en charge l'intérim de sa présidence, je me suis investi pour redonner vie au parti et pour constituer une opposition crédible. J'ai enchaîné les rencontres et réunions, lancé des sujets de réflexion pour anticiper les proches défis, consacré du temps et de l'énergie à rassurer, regrouper, négocier la libération de nombre de prisonniers politiques du Golf ou de la Pergola, définir un cap commun pour reconstruire ensemble et expliquer en permanence notre position de non belligérance au nouveau régime et à la communauté internationale. Mon constat est que cette tentative a été vaine et que le Fpi, en sa forme actuelle, ne peut devenir un grand parti d'opposition puisque le refus de toute évolution fige les perspectives. » C'est alors que, se voyant pris en flagrant délit d'imposture, Mamadou Koulibaly se la joua dans le style du théâtre de boulevard : « Ce n'est pas vous qui me chassez, c'est moi qui m'en vais ! ». Mais, ni cette posture empruntée, ni la grandiloquence qui l'accompagnait, n'ont pu tromper la vigilance et la perspicacité des vrais patriotes, des vrais démocrates et des vrais progressistes encore en liberté.
Si Mamadou Koulibaly a si rapidement décidé de jeter l'éponge, c'est parce qu'il a trouvé plus fort et plus malin que lui dans cette formidable coalition d'énergies en réserve de la patrie, qui va du presque centenaire Bernard Dadié jusqu'à ces « enfants » peut-être nés après 1990, en tout cas après l'éclatement de cette crise gigogne, dans le dernier épisode de laquelle, dans toutes les régions du pays, tant de leurs semblables allaient perdre la vie en résistant aux nouveaux colonisateurs et à leurs nouveaux tirailleurs. Et c'est assurément une excellente nouvelle, j'en suis d'accord avec les jeunes du Fpi : loin d'affaiblir la résistance à ce gouvernement de Versaillais, le départ de Mamadou Koulibaly et de ses affidés la fortifie, ne serait-ce que parce que cette victoire, si petite qu'elle soit, peut, au contraire, redonner confiance à ceux qui les ont poussés dehors. Ce recul d'un homme qu'on a vu, la veille encore, tellement sûr de lui – comme si toutes les forces vives de la nation étaient anéanties, et qu'elle n'avait plus d'autre choix que de s'abandonner honteusement au premier violeur venu –, signifie que quelque chose s'est déjà réveillé dans ce pays que lui, ses complices Rhdp et leur petit maître élyséen croyaient vaincu et soumis à jamais.
Car la signification de cette démission est on ne peut plus claire : c'est une fuite, une débandade. Devant l'hostilité à laquelle son entreprise s'est heurtée, Mamadou Koulibaly a finalement choisi de battre en retraite. Et selon la vieille technique du voleur qui crie « Au voleur ! » dans l'espoir de dérouter ses poursuivants, tout en fuyant il accuse ceux qu'il voulait abuser.

Cela dit, il n'en demeure pas moins vrai que l'homme a longtemps fait, et fait encore illusion dans de nombreux secteurs de l'opinion, et jusque parmi ceux qui, par une réaction sans doute plus instinctive que raisonnée, ont fait échouer son premier assaut sur les bastions de la résistance au coup d'Etat du 11 avril 2011. Même si son entreprise s'est soldée cette fois-ci par un échec cuisant, on ne doit pas pour autant sous-estimer Mamadou Koulibaly, ni ceux qui le poussent. D'autant qu'il est fort probable que ceux-là ont plusieurs fers au feu, et d'autres bourrins prêts à prendre le relais en cas de besoin…
Il faudra encore beaucoup de vigilance, de perspicacité, de sacrifices même, avant de pouvoir dire qu'on a neutralisé tous ceux qui espéraient, à travers Mamadou Koulibaly et ses semblables, renouveler sur les bords de la lagune Ebrié, l'exploit des Grecs devant Troie.


Raison de plus pour s'y mettre tout de suite.
Marcel Amondji (29 juillet 2011)

dimanche 24 juillet 2011

inauguration du cercle victor biaka boda




1950-2011
IL Y A SOIXANTE ANS, L'ASSASSINAT DE VICTOR BIAKA-BODA

Par Marcel Amondji  


Victor Biaka-Boda est Né le 25 février 1913 à Gagnoa. Après l'obtention du diplôme de l'école de médecine et de pharmacie de l'AOF, à Dakar, il est affecté à N'Zérékoré, en Guinée française. C'est là qu'il s'engage en politique. Militant actif du RDA, il est déclaré persona non grata dans cette colonie et muté en Côte-d'Ivoire, où il continue ses activités politiques au sein du PDCI dont il devient rapidement l'un des principaux dirigeants. Candidat aux élections sénatoriales du 14 novembre 1948 dans la 2e section de la Côte-d'Ivoire pour le compte du RDA, il est élu par 25 voix sur 27 suffrages exprimés.
 
Dans la nuit du 28 janvier 1950, alors qu'il accomplissait une mission dont ses amis de la direction du PDCI-RDA l'avaient chargé, le sénateur Victor Biaka Boda disparut mystérieusement de la maison où il avait obtenu l'hospitalité après que sa voiture fut tombée en panne à l'entrée de la ville de Bouaflé.
Il était arrivé de Yamoussoukro où son collègue, le député Félix Houphouët, menacé d'arrestation, s'était réfugié, et où tout l'état-major du mouvement – du moins ce qu'il en restait après la rafle du 6 février de l'année précédente – s'était transporté afin de soutenir son courage défaillant.
Quelques semaines auparavant, Biaka Boda avait, au cours d'un meeting dans cette même ville de Bouaflé, prononcé un discours très dur contre les organisateurs de la répression anti-RDA, et la riposte de ces derniers, différée, avait été particulièrement meurtrière : « Six jours avant [la nuit tragique du 27 au 28 janvier], de graves incidents se sont déroulés à Bouaflé coûtant la vie à trois villageois tués au seuil de leur maison par les militaires, ces supplétifs syriens appelés Alaouites. Deux cents membres ou sympathisants du PDCI avaient été arrêtés parmi lesquels on comptera 11 morts à la prison. Bouaflé est en état de siège. » C'est donc dans un véritable guet-apens que le sénateur était venu se jeter cette nuit-là.
Seulement voilà, pour les colonialistes eux-mêmes, l'assassinat d'un tel homme dans de telles conditions était inavouable. Alors on feignit de chercher le disparu jusqu'en Guinée où il avait vécu et travaillé longtemps avant de revenir au pays natal. Puis un jour, peut-être parce qu'il était devenu politiquement opportun de dévoiler que Victor Biaka Boda était bien mort, ses restes furent découverts par hasard dans une clairière, non loin de Bouaflé. En réalité, il ne s'agissait que d'un corps sans tête et dévêtu. Mais on avait aussi découvert à proximité quelques objets ayant appartenu au disparu et qui furent considérés comme suffisant à identifier ce cadavre décapité comme celui de Biaka Boda. Pourtant le parlementaire disparu ne sera officiellement déclaré mort que trois ans plus tard, le 20 mars 1953.
Plus étrange encore, le lieu où le corps identifié comme le sien fut inhumé demeure inconnu à ce jour. Comment expliquer cette autre énigme ? S'il est facile de comprendre que les colonialistes avaient plus d'une raison de cacher ce mort qui les accusait, on s'explique moins les raisons pour lesquelles les autorités de la Côte d'Ivoire indépendante, ses amis, qui l'ont placé parmi les héros de la nation, n'ont rien fait pour lui donner une sépulture digne de lui. Faut-il y voir la preuve que dans cette affaire ses anciens camarades de lutte, notamment Houphouët, et les autorités coloniales étaient de connivence ? Il est fort possible que le sénateur Biaka-Boda commençait à faire de l'ombre à son collègue, le député Félix Houphouët, alors dans une passe difficile, pris qu'il était entre l'enclume du mouvement anticolonialiste en train de se radicaliser et le marteau des colonialistes qui, alors, redoublaient de férocité. C'étaient deux tempéraments diamétralement opposés : Houphouët penchait de plus en plus pour un armistice à la Pétain ; Biaka-Boda était de ceux qui voulaient continuer le combat. A preuve, son audacieuse expédition nocturne dans la prison de Grand-Bassam, quelques jours avant son assassinat, pour se concerter avec les dirigeants emprisonnés sur la suite à tenir au moment où certains commençaient à lâcher pied : « Une nuit de janvier 1950, un contact [fut] organisé entre les dirigeants du PDCI détenus à la prison de Grand-Bassam (depuis l'affaire du 6 février 1949) et une délégation de ce parti qui parvient à s'introduire clandestinement dans la place. Biaka-Boda [participait] à cette dangereuse expédition. Quelques heures plus tard, il [quittait] Abidjan pour la dernière fois. »
Si cet homme-là avait été encore en vie au moment du fameux repli tactique ou du discours du stade Géo-André, il n'est pas certain qu'il eût accepté de suivre Félix Houphouët dans sa logique capitularde. Quant à ce dernier, sans doute ne fut-il pas vraiment malheureux d'être débarrassé d'un camarade si combatif, au moment où lui s'apprêtait à aller à Canossa…

 
Marcel Amondji