mardi 30 août 2016

QU’EST-CE DONC QUE LA CULTURE ?


A PROPOS DE LA MORT ANNONCEE D’UNE LIBRAIRIE ABIDJANAISE

Le 17 août 2016, tôt le matin, grand émoi à la Librairie Arte’Lettres (située à la Riviera-Golf dans le Centre Cash-Center Riviera, ancien Leader Price) où deux agents des Impôts viennent de remettre à la directrice, Mme Jacqueline Siréra-Boni, un avis de fermeture de la librairie pour défaut de règlement des arriérés d’impôts dans les 72 heures qui suivent.
A partir de là, Mme Siréra-Boni et les amis d’Arte’Lettres et, bien plus encore, les amis et militants pour la promotion des Lettres et de la Culture, lancent l’alerte. La Librairie Arte’Lettres ne doit pas être fermée ! De quel défaut de règlement des arriérés d’impôts est-il question ?
Avant tout, Mme Jacqueline Siréra-Boni tient à préciser qu’elle n’a jamais remis en question le principe général de la responsabilité citoyenne de payer les impôts. Cependant, en la circonstance et selon elle, le problème mérite d’être traité en 2 temps : le problème des arriérés d’Arte’Lettres et le problème des impôts et taxes douanières dans le secteur des opérateurs du Livre et de la Culture en général.
Pour le problème des arriérés d’Arte’Lettres, faisons un peu d’histoire. Cela peut permettre de mieux comprendre le deuxième aspect de la question ci-dessus annoncé. La Librairie Arte’Lettres en 2009-2010 avait déjà eu une inspection fiscale faite dans les normes au sein même de la librairie. Cependant, dès 2011 -- doit-on dire que décision n’est pas toujours raison ? -- elle a un  redressement fiscal qui, après une demande de remise gracieuse adressée à M. Abinan, alors DG des impôts, de 125 millions est passé à 11 387 165 F. C’était encore un véritable coup de massue porté à la librairie d’autant plus que le dur contexte socio-politique et économique était très asphyxiant. Cependant, jusqu’à cette date fatidique du 17 août dernier, sous la contrainte de raisons très pratiques, elle a pu éviter le pire avec quelques très difficiles versements et la signature d’un protocole de règlement. Or vouloir n’est pas pouvoir, surtout quand il s’agit de l’activité d’un libraire et vu les priorités d’ordre matériel des populations. Quoique très angoissée par cette épée de Damoclès, Mme Siréra-Boni gardait l’espoir de jours meilleurs, l’essentiel pour elle étant d’être toujours à jour des impôts mensuels et annuels malgré leur augmentation. L’histoire est dite ! Il semblerait que Mme Siréra-Boni, s’étant rendue aux impôts dès le 18 août dernier et ayant été reçue avec attention et considération, ait pu obtenir un délai et même le conseil rassurant de relancer un nouveau dossier pour l’annulation de cette dette. On peut  penser que les difficultés de cette activité et la sincérité de Mme Siréra-Boni ont été pris en compte.
Abordons, maintenant, le 2° aspect du problème qui, en fait, est en lien direct avec le premier et, surtout, la conséquence d’une crise de la Culture et de l’absence d’une véritable politique nationale du Livre et de la Culture. Pour qui connaît la Librairie Arte’Lettres et les propos et articles de Mme Siréra-Boni, la solution incontournable pour comprendre, aider à résoudre et servir la Côte d’Ivoire sinon l’Afrique toute entière, c’est de traiter la crise de la Culture qui sévit encore plus gravement chez nous qu’ailleurs dans le monde (la mondialisation construite sur les forfaitures de l’argent et de sa  puissance deshumanisante en est la conséquence). En effet, chez nous elle intervient sur les ruines avilissantes et asservissantes de la déculturation, conséquences de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation. Qu’est-ce donc que la Culture ? Est-elle ce qui nous distrait, ce qui plaît à nos yeux et qui peut apporter du charme à nos vies ? Non, cette vision est bien trop dangereusement réductive. Le mot Culture recouvre toutes les potentialités créatives symboliques de la spiritualité humaine susceptibles d’assurer la cohésion sociale; spiritualité et socialité sont les 2 marqueurs-conducteurs qui font l’Homme et notre Humanité devenue naturellement plurielle. Elle doit  être intégrée dans la vie de tous de façon que tous participent aux apports sociaux qui en dépendent. Or, vu son rôle sociétal majeur, elle peut être dévoyée par ceux qui avec une posture d’homme de culture servent des intérêts égocentriques de domination. Ainsi avons-nous subi déculturation et acculturation.
Par conséquent, tous les opérateurs qui travaillent à réhabiliter la culture en général et  le patrimoine de la culture africaine -- capital symbolique dont la mémoire et la réactualisation sont encore capables de développer une efficience créative adaptée -- devraient être soutenus par l’Etat et bénéficier de la défiscalisation (cf. : les Accords de Florence et de Nairobi / cf. : le PAARI de l’UMOA, non appliqués chez nous).
C’est ainsi dans certains pays, car c’est «avec cette  conscience, avec ce ciment que l’on pourra construire les fondations solides de notre maison, la Côte d’Ivoire où des maisons de la Cité panafricaine » dit Mme Siréra-Boni. Sur ce sujet, il n’est pas inutile de dire qu’adopter une politique nationale du Livre et de la Culture, c’est passer, selon le poète Massongo Massongo, de « L’abîme à la  cime ». Dans cette ascension nous avons compris qu’il y a deux versants possibles, l’un est illusoire et même perfide, c’est celui qu’empruntent par convenance une certaine intelligentsia avec ce qu’un célèbre journaliste appelle leur « quincaillerie argumentaire », vrai cheval de Troie et faux clichés prétendument traditionnels combinés à la culture de la mondialisation avec son arsenal, le libéralisme économique. L’autre versant est celui d’un engagement éclairé et purificateur, difficile à vivre dans le contexte général actuel, qui permettra à nos populations de vivre « contagieusement » et à leur avantage sur le chemin du renouveau et de la renaissance africaine pour l’émergence d’un citoyen nouveau respecté et non plus assisté. Aujourd’hui, avec la loi sur l’industrie du livre en Côte d’Ivoire, promulguée le 20 juillet 2015 qui constitue un mépris ahurissant aux dépens de la professionnalisation des métiers du livre et, avec toutes les dispositions fiscales et douanières aggravantes, nous sommes encore sur les « sentiers borgnes » tellement dénoncés par Amin Maalouf.
A quand la défiscalisation, à quand la suppression de taxes mortifères ? Des décrets d’application, apprend-on devraient arranger ça ; or, qu’est-ce qu’un décret par rapport à une loi ? Mais, une fois que les critères professionnels des métiers du livre seront ré-enchantés, un Ordre National des professionnels du livre pourra être mis en place pour que les Droits et les Devoirs dus à la Nation et, donc, à l’Etat qui les assistera enfin, soient respectés scrupuleusement. La Culture sera au cœur de la Cité capable de soigner, avec les Outils et Appareils complémentaires, bien sûr, sans lesquels cette Ascension rédemptrice reste utopique, la crise sociétale qui endeuille l’Afrique aujourd’hui encore.
Jacqueline Siréra-Boni (20 août 2016)
Titre original : « Avis de fermeture de la librairie Arte’Lettres. La part de vérité de Mme Jacqueline Siréra-Boni ».


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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».



Source : Le Nouveau Courrier 24 Août 2016

lundi 29 août 2016

Burkina Faso : Compte rendu de la conférence de presse de la Coalition Zeph 2015 du 25 août 2016

« Offrir à tous ceux qui se sont battus et qui continuent de se battre pour le vrai changement, un espace de réflexion et d’introspection sur l’état des acquis de l’insurrection, la situation du pays et les perspectives nouvelles de lutte que celle-ci appelle. »

Zéphirin Diabré (au centre) pendant la conférence
La Coalition Zeph 2015 a animé le 25 août 2016, une conférence de presse au siège de l’Union pour le changement (UPC) à Ouagadougou. Née sous la Transition au sein de l’ancien Chef de file de l’opposition(CFOP), la Coalition Zeph 2015, composée de 13 partis politiques d’obédiences diverses (libéraux, communistes, sankaristes, socio-démocrates, centristes), a estimé que ses anciens camarades du CFOP aujourd’hui au pouvoir, « sont en train d’échouer lamentablement ». Un  échec que la Coalition a présenté comme l’échec de tous les insurgés. Face à ce qu’elle a qualifié de « liquidation des acquis de l’insurrection », la Coalition a annoncé une conférence nationale des insurgés pour se pencher sur la situation du pays, l’état des acquis de l’insurrection populaire et les perspectives qui s’imposent.

« Offrir à tous ceux qui se sont battus et qui continuent de se battre pour le vrai changement, un espace de réflexion et d’introspection sur l’état des acquis de l’insurrection, la situation du pays et les perspectives nouvelles de lutte que celle-ci appelle ». C’est ce que la Coalition Zeph 2015, dirigée par Zéphirin Diabré lui-même, a annoncé lors de la conférence de presse le 25 août dernier, arguant que les Burkinabè voulaient, à travers l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, « d’un vrai changement, d’une manière toute nouvelle de faire la politique et de répondre à leurs attentes ». Le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) et ses alliés ont échoué dans leur gestion du pouvoir, 9 mois après leur installation, selon le constat de la Coalition. Pour elle, « le nouveau-ancien pouvoir a vite fait de ramener à l’ordre du jour toutes les mauvaises pratiques politiques qui avaient nourri l’insurrection ». Selon Zéphirin Diabré et ses camarades, le pouvoir est conçu par le nouveau-ancien pouvoir,  « non  pas comme un instrument  pour faire avancer le pays, mais  comme une occasion pour promouvoir ses proches et ses alliés ». La corruption est en train de redevenir une stratégie d’Etat, la politisation de l’administration est de retour et se double d’un clanisme qui illustre l’absence de vison commune au sommet de l’Etat, a déploré la Coalition Zeph 2015. Tentatives de musellement des syndicats de l’enseignement, instrumentalisation des OSC à sa solde et achat du silence de certaines d’entre elles bien connues de la place, instrumentalisation des juges proches du pouvoir du MPP, sont les pratiques dénoncées par les conférenciers qui ont déploré l’ingérence du Législatif dans l’Exécutif, toutes choses qui mettent à mal la séparation des pouvoirs, à les entendre.

Quelque chose de pathétique…

Pour la Coalition Zeph 2015, la démarche économique actuelle adoptée par le gouvernement est inadaptée. Parlant des difficultés économiques du pays, elle a signalé un manque criard de liquidités pour apurer la dette intérieure et faire respirer à nouveau la machine économique. Ce qui urge, selon la Coalition, c’est « un plan vigoureux de relance de l’économie à court terme » alors que « le pouvoir du MPP nous embarque dans un plan  de développement économique à moyen et long terme ». Le Burkina a besoin de l’argent frais pour faire face à ses multiples problèmes. Où trouver à chaud toutes ces liquidités ? Selon Zéphirin Diabré, un libéral bon teint, c’est sur les marchés financiers que l’on peut avoir les milliards dont le pays a besoin actuellement. « Il y a quelque chose de pathétique à voir des socio-démocrates qui ne ratent aucune occasion pour fustiger le libéralisme, se précipiter à Abidjan chez le patron des libéraux africains, pour demander son aide  afin de relancer notre économie », a ironisé Zéphirin Diabré. Et d’ajouter au nom de la Coalition, que « le pouvoir du MPP  a transformé le Burkina Faso en un Etat-garibou qui tend sa calebasse aux pays riches de la sous-région ou des producteurs africains de pétrole ».

Selon les conférenciers, l’incapacité du gouvernement à gérer le pays est même dénoncée par certaines hautes personnalités de l’Etat, qui fustigent son manque d’audace et d’imagination. Une divergence au sommet de l’Etat à propos de laquelle la Coalition se demande  qui sortira vainqueur de sa clarification et de sa décantation. Elle a estimé que ses anciens camarades du CFOP, en l’occurrence le MPP et les partis alliés au pouvoir, sont en train de « verser la figure des insurgés par terre ». Elle a fait remarquer que « le pire des désaveux que l’on peut infliger à un insurgé, c’est d’entendre dans les quartiers populaires, des citoyens vous dire haut et fort que sous Blaise Compaoré, c’était mieux ». Un sursaut d’orgueil est nécessaire, selon la Coalition, pour, dit-elle, relancer le combat pour la défense et la sauvegarde des acquis de l’insurrection. Elle a soutenu qu’un audit du fichier électoral s’impose pour que les paramètres internes du fichier soient accessibles à toutes les tendances qui composent l’institution ainsi que ses membres.
Lonsani Sanogo
Titre original : « Contre la liquidation des acquis de linsurrection : La Coalition Zeph 2015 annonce une conférence nationale des insurgés les 29 et 30 octobre 2016 ».

Source : Le Pays 26 août 2016

lundi 22 août 2016

« Trump ou Clinton, l'élection américaine 2016 ne sera pas un bon cru »


Dans un entretien fleuve en trois parties, le géopolitologue et correspondant de guerre Renaud Girard[1] analyse les contours d'« un monde en guerre ». Deuxième épisode avec l'Occident, marqué par l'incertitude du duel entre Trump et Clinton. (Extrait)
FIGAROVOX. - En politique étrangère, Hillary Clinton semble se placer sur une ligne plus dure que celle de Barack Obama. Comment qualifier sa politique étrangère ?
Renaud GIRARD. - L'entourage diplomatique d'Hillary Clinton est constitué de néoconservateurs. Elle est elle-même proche des thèses néo-conservatrices. Je vais vous en donner trois preuves. La première concerne l'invasion de l'Irak en 2003. A la différence de Barack Obama, qui était contre, Hillary Clinton était en faveur de cette intervention militaire. Fin 2002, elle a voté au Sénat en faveur de l'invasion. Elle a ensuite eu un rôle extrêmement important dans l'affaire libyenne. En mars 2011, elle est venue à Paris pour rencontrer Nicolas Sarkozy et les rebelles libyens que Bernard-Henri Lévy avait réunis. Elle a réussi à convaincre Barack Obama de participer à cette intervention, qui était souhaitée par les Britanniques et les Français alors que le président américain était réticent. Les Libyens et les Américains s'étaient complètement réconciliés. Mouammar Kadhafi avait en effet renoncé à toute ambition et avait même dénoncé le trafic du docteur Abdul Qadeer Khan, le père de la bombe atomique pakistanaise, qui menait le plus grand trafic d'armes nucléaires au monde. Barack Obama a d'ailleurs reconnu depuis que cette intervention était une erreur, mais il s'est laissé faire par Hillary Clinton. La troisième erreur néoconservatrice d'Hillary Clinton a été de militer, comme secrétaire d'Etat, pour le retrait précipité d'Irak en 2010, lequel constitue selon moi une erreur stratégique aussi importante que l'invasion inutile de 2003.
Les néoconservateurs sont à la réalité politique de la planète ce que sont nos enfants aux programmes télévisés. Ce sont des zappeurs. Ils crient très fort contre un tyran. Une fois qu'ils ont acquis le soutien des médias, ils obtiennent l'intervention militaire, défont le tyran, se congratulent, tirent un feu d'artifice et … s'en vont, sans la moindre considération pour la situation de la population qu'ils étaient prétendument venus « libérer ». Le néoconservatisme, c'est le culte fou de la démocratie privilégiée à la paix. En Irak, ils ont installé en principe la démocratie - ils ont mise en œuvre des scrutins - sans vouloir reconnaître que ces scrutins ont seulement eu pour effet de diviser la société irakienne sur des lignes confessionnelles et ethniques. Les Américains ont apporté une idée de démocratie, mais une idée seulement. La réalité, c'est que l'Irak n'est en rien une vraie démocratie, un vrai Etat de droit. Le néoconservateur préfère toujours ses idées aux populations qu'il prétend protéger. En Libye, les Occidentaux ont détruit l'administration de Kadhafi. Par respect élémentaire de la population civile, ils auraient dû en mettre une autre au pouvoir, et vérifier sur place qu'elle fonctionnait. Vous ne pouvez pas détruire les structures d'un Etat puis partir en vous désintéressant des conséquences de votre action militaire.
Les médias crient haro sur Donald Trump. N'y-a-t-il pas un risque à masquer le danger néoconservateur que représente Hillary Clinton?
Les médias américains sont biaisés, il n'y a pas de vrai débat. Par exemple, les sept derniers OpEd (tribunes ndlr.) du New York Times sont anti-Trump et pro-Clinton. Le débat n'est pas balancé, il existe objectivement un matraquage de la classe intellectuelle et médiatique contre Donald Trump.
Hillary Clinton vient du système et elle va laisser la technostructure gérer le pays. C'est une personne dont le comportement ne fait pas peur parce qu'elle garde en toutes circonstances un comportement réfléchi, même si l'on peut juger négativement ses positions diplomatiques. C'est une personne qui est capable de discuter et de traiter les crises internationales avec sang-froid.
A l'inverse, Donald Trump est une candidature rafraichissante. Il a parfois de bonnes idées, mais, à mon avis, il a un caractère trop dangereux pour devenir président du plus puissant pays du monde. Il a montré, dans sa campagne des primaires, six traits de caractère qui ne nous disent rien de bon pour diriger la plus puissante armée de la planète: sensibilité à la flatterie ; tendance à sur-réagir face à la moindre contrariété ; intuition préférée à la réflexion ; faible capacité d'écoute des autres en raison d'un ego surdimensionné ; mépris des faits ; incapacité à changer d'opinion sur un dossier en fonction d'informations nouvelles. Bref, Trump présente pour nous un risque de sécurité. Il est peut-être faible, mais c'est un risque que nous n'avons pas envie de prendre.
Clinton ne présente pas un tel caractère dangereux. C'est un peu comme si Laurent Fabius devenait président de la République. La diplomatie ne serait pas géniale, il ne réformerait pas la société (puisqu'il avait déjà promis de le faire quand il était Premier ministre et il ne l'a jamais fait). Mais ce ne serait pas une catastrophe, parce qu'il a un comportement rationnel, appuyé sur la technostructure. Je préfère voir Hillary à la Maison Blanche, parce que je n'ai pas envie, en tant que Français, de prendre le risque de voir Trump diriger les Etats-Unis. J'espère qu'elle sera une bonne présidente, j'espère qu'elle sera pro-française, mais je n'en suis hélas pas du tout sûr. Dans tous les cas, pour nous, Européens, l'élection américaine 2016 ne sera pas un bon cru.
(…)

Propos recueillis par Alexis Feertchak

Source : FIGAROVOX 12 août 2016



[1] - Renaud Girard est géopoliticien, grand reporter et correspondant de guerre. Chroniqueur international du Figaro, journal pour lequel il a couvert les principaux conflits de la planète depuis 1984, il est également professeur de Stratégie à Sciences Po Paris. Il a notamment publié Retour à Peshawar (éd. Grasset, 2010) et dernièrement Le Monde en guerre (éd. Montparnasse, 2016).

vendredi 19 août 2016

Un dangereux diversionniste… A propos de « Arrogant comme un Français en Afrique », d’Antoine Glaser

En mars 2016, a paru le dernier essai d’Antoine Glaser, un autre prétendu spécialiste de l’Afrique. L’essai a pour titre Arrogant comme un Français en Afrique.
La première chose que je voudrais dire tout de suite, c’est que Glaser n’est pas le premier à stigmatiser l’arrogance de ses compatriotes. Avant lui, Romain Gubert et Emmanuel Saint-Martin avaient consacré au sujet un livre justement intitulé L’arrogance française[1]. Si les deux journalistes décrivent l’arrogance française comme « une maladie à laquelle les Français sont très attachés : croire que la France se doit d’offrir au monde les Lumières, le Droit, la Liberté. Que leurs dirigeants sont porteurs d’un message forcément universel. Qu’eux-mêmes, à l’étranger, ne sont pas de simples voyageurs, mais autant d’ambassadeurs du talent, du goût, du charme français », ils s’empressent toutefois de faire remarquer que « nos prêches, nos coups de menton, envolées lyriques et autres péroraison ont fini par lasser la planète. Pis encore : nous faisons rire. Et la France paie cher cette morgue dominatrice ». J’avais aimé lire ce livre pour la bonne et simple raison qu’il est porteur d’un aveu lucide et objectif, parce que les auteurs souhaitent ardemment que leur pays cesse de donner des leçons à droite et à gauche alors qu’il n’est pas un parangon de vertu et qu’il est le premier à fouler aux pieds les valeurs (liberté, respect des décisions du Conseil constitutionnel, indépendance de la justice) auxquelles il prétend être attaché.
Comme Gubert et Saint-Martin, Antoine Glaser critique cette France méprisante et arrogante. Il ajoute que la France gagnerait énormément si ses missionnaires, militaires, diplomates, politiques, avocats, hommes d’affaires et enseignants consentaient enfin à apprendre de l’Afrique.
Tout ceci est fort intéressant et touchant mais pas suffisant, à mon avis, pour enthousiasmer les Africains et les amener à croire à une mort ou à une disparition prochaine de la Françafrique. Pour le dire autrement, Glaser ne se prononce pas sur cette nébuleuse qui pendant 5 décennies a vampirisé l’Afrique francophone et enrichi tous les dirigeants français de la 5e République en même temps que certains chefs d’État africains à la solde de Paris. Nulle part, en effet, il ne remet en cause ce système violent et dévastateur. Il se contente plutôt de dire que son pays peut apprendre de l’Afrique. Mais on ne résiste pas à l’envie de lui poser la question suivante : comment l’Afrique peut-elle enseigner quand on a dit et écrit pendant longtemps qu’elle ne sait rien, quand elle n’est même pas capable de financer ses propres organisations, quand une partie de son argent est stockée dans les caisses du Trésor français, quand une monnaie de singe lui est imposée, quand elle ne peut choisir librement ses gouvernants ?
Si le livre de Glaser pèche gravement, c’est à ce niveau : lorsqu’il laisse intacte la Françafrique qui a fait trop de mal aux ex-colonies de la France. Tout se passe, dans cet essai, comme si la Françafrique était un sujet tabou, comme si l’ancien patron de La lettre du continent voulait dire aux Français : « Vous pouvez continuer à piller les richesses des Africains, vous pouvez continuer à leur imposer vos vues pourvu que vous les écoutiez, pourvu que vous ne fassiez plus comme si vous saviez tout, pourvu que vous ne rechigniez plus à leur donner les visas d’entrée en France ». Pour moi, le problème qui se pose entre la France et l’Afrique francophone n’est pas juste de forme mais de fond. Je le résumerai de la manière suivante : les Africains sont fatigués de la Françafrique ; ils ne veulent plus ni diktats ni conseils, ni propositions de la France (que les Français gardent tout cela pour eux-mêmes !) ; ils ne veulent plus que leurs richesses soient pillées par les multinationales françaises sans aucune contrepartie ; ils ne veulent plus voir les soldats français violer des mineurs et parader tranquillement dans les rues chez eux.
Parce qu’il n’aborde pas ces questions pourtant essentielles, le livre de Glaser m’a laissé sur ma faim. Certes, l’auteur s’en prend à la morgue et à la suffisance de ses compatriotes. N’empêche qu’il ne va pas aussi loin que l’avocat Robert Bourgi qui, début juillet 2016, déclarait à VoxAfrica : « Je ne veux plus de financement politique [des partis politiques français] par les Africains, je ne veux plus que les chefs d’État africains soient choisis par l’ancienne puissance coloniale ; je ne veux plus que les dirigeants africains soient choisis par l’ancienne puissance coloniale ; je ne veux plus que les hauts fonctionnaires viennent ici faire génuflexion devant l’ancienne puissance coloniale. Les Africains aujourd’hui doivent être maîtres de leur destinée ; c’est aux peuples africains de désigner leurs dirigeants et c’est aux peuples africains de les révoquer, de les dégager… Je m’adresse aux Africains et indirectement aux dirigeants français[2] ».
Glaser, lui, s’adresse uniquement aux Français, non pas pour que ces derniers mettent fin à un système aussi criminel qu’anti-démocratique, mais pour qu’ils continuent à avoir une mainmise sur l’Afrique francophone. Les souffrances et difficultés des Africains, il n’en a cure. On peut donc affirmer, et c’est par là que je terminerai, qu’Antoine Glaser peut être considéré comme un homme dangereux. Il est d’autant plus dangereux qu’il est en désaccord, non pas avec un système qui a causé trop de dégâts sur le continent africain, mais avec une certaine approche de ceux qui animent la Françafrique et à laquelle il appartient probablement.

Jean-Claude Djereke
Titre original : « Ce que je pense du dernier livre d’Antoine Glaser ».




[1] - Paris, Éditions Jacob Duvernet, 2003.
[2] - https://www.youtube.com/watch?v=nTrX6XFvt4g

mardi 16 août 2016

« Si l’humilité précède la gloire, l’arrogance précède la chute »

Le fossé entre certains membres de la direction du Rassemblement des républicains (RDR) et la base se creuse davantage. Visiblement exacerbés par le comportement de certains responsables, des voix s’élèvent pour dénoncer la voracité, la méchanceté, l’arrogance, l’égoïsme, le mépris… de ces derniers. En témoigne le courroux de Nabintou Diarassouba Souleymane, un militant de première heure qui réside désormais au Royaume-Uni. Morceaux choisis.
La "UNE" du Patriote (quotidien proche du RDR)
daté de samedi 05 & dimanche 06 mars 2016.
« Depuis un certain moment, des soi-disant militants, parachutés, essaient de m’attaquer et même de me menacer à cause de mes récents posts et critiques envers le président Alassane Ouattara et son gouvernement sur la cherté de la vie. Je tiens à dire à toutes ces personnes que rien ne me fera changer d’avis, car le RDR est une partie de moi-même et j’ai été parmi ces braves hommes et femmes qui ont cru très tôt à ce grand mouvement de lutte pour la démocratie dans notre pays. Certains de nos témoins sont encore vivants. Donc, après tant d’années de luttes, de souffrances et de sacrifices (car cette lutte a fait des veuves, des veufs, des orphelins), nous voilà au sommet de l’Etat grâce à certaines alliances. Alors, maintenant, nous attendons les solutions à nos problèmes comme prévus, surtout au niveau social ».
Tels sont entre autres propos introductifs de Nabintou Diarassouba Souleymane. Qui rue dans les brancards pour fustiger le comportement des tenants de l’exécutif ivoirien.
« Aujourd’hui, je ne reconnais plus ce parti à qui nous avons donné notre corps et âme. Aujourd’hui nos cadres sont devenus arrogants et méprisants. Aujourd’hui des cadres sont devenus des égoïstes et à eux seuls refusent de partager les postes de responsabilités ou électifs. J’en connais beaucoup de nos militants qui ont perdu leur travail à cause de leur appartenance politique et qui sont toujours sur le carreau pendant que d’autres se pavanent avec des cumuls de postes. La base est oubliée et méprisée. Et pour cela, certains militants nous racontent des balivernes dépourvues de sens et des inepties quand nous parlons de ça. Mais, que ces gens sachent que si l’humilité précède la gloire, l’arrogance aussi précède la chute. Donc je ne veux recevoir de leçons de qui que ce soit car je suis dans mon plein droit. Pour ceux qui me traitent de jaloux, je leur dis que je rends gloire à Dieu parce que je ne vis ni aux dépens du RDR, ni aux dépens du gouvernement », a-t-l averti, non sans s’appuyer sur des exemples pour étayer ses propos et surtout éclairer l’opinion. En effet, ce militant susmentionné s’explique difficilement que certains proches du chef de l’Etat, Alassane Ouattara, tel Amadou Gon Coulibaly fasse preuve d’une voracité à nulle autre pareille.
« Amadou Gon Coulibaly, alias le Lion, fils de Gon Blé (ancien député sous-préfecture de Korhogo), arrière-petit-fils du patriarche Péléforo Gon Coulibaly, membre fondateur du RDR, fidèle parmi les fidèles compagnons politiques du président de la République Alassane Ouattara, cumule les responsabilités de secrétaire général de la Présidence, ministre d’État, président du PPU (dissous aujourd’hui), secrétaire délégué du RDR, député de la circonscription de Korhogo, maire de la commune de Korhogo. Entre nous, n’y a-t-il pas d’autres compétences au RDR qui peuvent assumer certaines de ces responsabilités ? », s’interroge, dépité, Nabintou Diarassouba Souleymane. Et de conclure, en invitant les nouvelles autorités ivoiriennes, notamment le chef de l’Etat et ses plus proches à copier le nouveau patron de l’exécutif béninois qui a donné un signal fort quant à sa volonté de donner la priorité au social dans son programme de gouvernement. Prenant l’exemple de Patrice Talon, il dit : « Il a augmenté le budget alloué aux bourses universitaires, entamé la construction de 4 centres médicaux, signé un décret qui interdit de cumuler des postes administratifs opérationnels (tu ne peux pas être ministre et maire, par exemple, ou DG d’une société publique et maire)… ».
Cette sortie de Nabintou Diarassouba Souleymane vient en rajouter à la levée de bouclier de Adama Bictogo, secrétaire général-adjoint qui, dans les colonnes de certains tabloïdes de la place, n’hésite pas à ruer dans les brancards pour dénoncer l’égoïsme, l’arrogance, la méchanceté, le mépris de certains de ses collaborateurs. Autant dire que le malaise au sein de ce parti, qui peine à retrouver son unité, va grandissant.

Titre original : « Un militant RDR de la diaspora avertit : « Si l’humilité précède la gloire, l’arrogance aussi précède la chute ».

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Source : Eburnienews.net 15 août 2016

lundi 15 août 2016

« Il ne suffit pas de s’indigner, il faut aussi résister ! » Georges Séguy

Notre hommage à un militant exemplaire de la démocratie et la justice sociales, de la paix et du progrès de l’humanité.
G. Séguy en 2008
Georges Séguy, ancien Secrétaire général de la CGT (1967 à 1982), est décédé samedi 13 août 2016 à l'âge de 89 ans à l'hôpital de Montargis (Loiret) où il était hospitalisé depuis quelques jours.
Ancien résistant et déporté, Georges Séguy avait succédé en 1967 à Benoît Frachon à la tête de la CGT. C'est lui qui avait mené pour son syndicat les négociations de Grenelle en mai 1968, avant de devenir l'adversaire principal sur le terrain syndical des gouvernements de la Ve République. En 1982, il avait cédé sa place à Henri Krasucki et quitté le bureau politique du PCF, parti dont il était membre depuis 1947. 
Son nom reste également associé à l'esprit d'ouverture du congrès de Grenoble de 1978.
En 1982, il avait quitté à la fois le Bureau politique du PCF et la direction de la centrale, en invoquant des « raisons de convenances personnelles ». 
Né le 16 mars 1927 à Toulouse dans une famille ouvrière, Georges Séguy entre à 15 ans comme typographe dans une imprimerie travaillant pour la Résistance. Adhérent de l'organisation clandestine des Jeunesses communistes, il est arrêté par la Gestapo et sera l'un des plus jeunes déportés FTP de France. En février 1944 il est interné au camp de concentration de Mauthausen en Autriche, où il restera 15 mois.
A son retour en France, Georges Séguy entre à la SNCF et participe activement comme militant aux grèves de 1947. Son ascension politique et syndicale sera fulgurante : en 1954, à 29 ans, il est élu au comité central du PCF et, seulement deux ans plus tard, entre au bureau politique. « Pour lui, rappelle Pierre Laurent, le Secrétaire national du PCF, ces deux engagements étaient une nécessité pour marcher sur ses deux jambes : défendre les droits des travailleurs et changer la société […] Georges a toujours été un acteur des combats de son temps : pour le droit des salariés (y compris dernièrement contre la loi El Khomri), pour la paix (en Algérie, au Vietnam, en Irak, en Palestine...), pour le désarmement nucléaire au nom duquel il anima l'Appel des Cent, contre le racisme, le fascisme et l'apartheid, pour la dignité humaine, pour l'égalité femme-homme, contre le capitalisme, pour une société du commun, du partage des richesses et des savoirs ».
Georges Séguy le 26 mai 1968,
durant les négociations de Grenelle.

(STF / UPI / AFP)
« Jusqu'à ses dernières semaines, se souvient Elyane Bressol, la présidente de l'Institut d'histoire sociale de la CGT dont Georges Séguy était le président d'honneur, il est resté un résistant qui s'intéressait à la vie sociale du pays et qui avait un avis ».
Georges Séguy nous laisse trois livres de témoignage : « Le Mai de la CGT » (1972), « Lutter » (1975), et « Résister, de Mauthausen à Mai 68 » (2008).

dimanche 14 août 2016

23 ANS APRÈS SA MORT, ET ALORS QUE NOUS PATAUGEONS TOUJOURS DANS LE MERDIER OÙ IL NOUS A FOUTUS, QUI A ENCORE BESOIN DE LA LÉGENDE FRELATÉE D’HOUPHOUËT ?

ÉLOGE DE LA TRAHISON

La marionnette et les marionnettistes en pleine répétition
Houphouët chez lui, à Yamoussoukro, entre Foccart et Chirac
Cette tribune ne vise pas à revenir sur l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, depuis l’indépendance. Je laisse aux historiens et aux commentateurs politiques le soin d’écrire cette histoire et de l’analyser.
Mon propos est de montrer qu’il existe en Afrique des hommes d’État qui ont une vision prophétique de l’histoire, alors que d’autres, dans le seul but d’accéder au pouvoir ou de s’y maintenir, cherchent à enfermer l’action politique dans l’engrenage mortel des affrontements partisans qu’ils soient ethniques, tribaux ou régionaux.
Le 7 Août 1960, la Côte d’Ivoire accède à l’indépendance et Houphouët-Boigny devient le premier président de la République ivoirienne. Il s’agit bien d’une date historique dont il faut célébrer l’anniversaire avec éclat en évoquant le Père de la nation, Houphouët-Boigny.
Mais la gloire d’Houphouët-Boigny n’est pas simplement d’avoir été l’artisan de l’indépendance, ni le premier président de la République ivoirienne ou encore d’avoir réussi le développement économique et social de son pays. Ces choses-là ont été dites et personne ne les conteste. L’autre titre de gloire d’Houphouët-Boigny est d’avoir réussi à bâtir la nation ivoirienne, à faire naître un sentiment national.
L’ambition d’Houphouët-Boigny est en effet de forger une nation en intégrant dans un destin commun plus de 60 ethnies ou tribus du pays, qui ne se connaissent pas ou si mal, et qui ne parlent pas la même langue. Cette ambition prend forme, parce qu’Houphouët-Boigny, esprit visionnaire, dit deux choses qui semblent inouïes aujourd’hui encore. D’abord, il dit, contrairement aux mouvements de libération de son époque : la colonisation, en traçant artificiellement des frontières, a évité la « balkanisation » de l’Afrique et donné naissance à des États-nations. Ensuite, il dit : mon allié, ce n’est pas le marxisme-léninisme qu’il sait mortifère, mais c’est l’ancien colonisateur qui me donne une langue unificatrice et me permet d’éviter les turbulences de l’Histoire.
De Gaulle, à qui l’on demandait de choisir au lendemain de la Seconde guerre mondiale entre les Américains et les Soviétiques, avait dit : mon futur allié, c’est l’Allemagne ! Propos inouï, inaudible à l’époque. L’Allemagne, l’ennemi vaincu, l’ennemi héréditaire, frappé d’infamie avec le nazisme ? Il fallait avoir cette vision prophétique de l’Histoire pour faire alliance avec l’Allemagne et imaginer déjà ce qui allait devenir l’Union européenne. Houphouët-Boigny avait cette même vision prophétique qui lui permettait d’entrevoir le destin de son pays et de son peuple. Au-delà des péripéties de l’Histoire contingente, il voulait bâtir la grande nation ivoirienne avec l’aide de tous les Ivoiriens.
L’Amérique de Thomas Jefferson, l’Afrique du Sud de Mandela, La France de de Gaulle, la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny ont ce point commun : l’indépendance et la libération ne sont pas un aboutissement, ce sont les débuts d’un long travail qui doit permettre d’inventer ou de réinventer une nation. Que se passe-t-il après Houphouët-Boigny ? Le rêve d’unité nationale va se briser contre le mur des réalités ethniques et géographiques, jusqu’à la semi-partition du pays.
Le vrai débat, en Côte d’Ivoire, concerne aujourd’hui encore, comme en 1960, l’unité nationale, car il existe dans les esprits de nombreuses fractures dont le symbole est le développement inégalitaire des territoires.
Le danger est que le modèle ivoirien, imaginé et voulu par Houphouët-Boigny, se grippe. C’est ce qui s’est passé entre 1995 et 2011. Peu importe les responsabilités. On ne réécrit pas l’Histoire d’un point de vue moralisateur.
Aujourd’hui, le pays semble avoir retrouvé une certaine stabilité. Mais, la grogne sociale actuelle montre que l’équilibre est fragile. Les partis politiques au pouvoir sont discrédités. L’opposition n’est pas en mesure de proposer une alternative crédible. Les « noyaux durs » de chaque camp (Gbagbo ou rien, Ouattara ou rien, Bédié ou rien) occupent le terrain et saturent les réseaux sociaux. Aux législatives, surfant sur la vague du mécontentement, les candidats dissidents et/ou indépendants vont se multiplier. Les discours sur l’indépendance, convenus et ressassés, ne vont guère mobiliser les foules. Le débat sur la réforme de la constitution risque même si l’on n’y prend garde, de passer au-dessus de la tête des Ivoiriens qui semblent avoir d’autres préoccupations.
Pour être clair : le 7 Août 2016, les Ivoiriens n’attendent rien des discours convenus sur l’indépendance ou sur la réussite économique du pays. Certes, tous les voyants sont au vert. Et après ?
Le 7 Août 2016, il faudra dire autre chose.
Héritier d’un monde voué au chaos, acteur engagé dans une Afrique livrée à elle-même au lendemain des indépendances, nié dans son identité africaine, car il lui fallait servir le colonisateur, Houphouët-Boigny a su immédiatement, contrairement à de nombreux Chefs d’États africains de l’époque, construire un État-nation moderne.
Depuis son élection, Ouattara souhaite édifier une Côte d’Ivoire nouvelle et un Ivoirien nouveau, prolongeant ainsi le rêve d’Houphouët-Boigny qui voulait transcender, dans un État-nation moderne, la « Babel ivoirienne » composée de 60 ethnies ou tribus. Ce rêve, il faut le réinventer le 7 Août 2016, non pas comme idéologie ou comme abstraction, mais comme une réalité palpable. Ce rêve dont parlait Mandela du fond de sa prison et qui est de bâtir une nation doit avoir pour socle une croissance partagée et non pas des « voyants au vert ».

Christian Gambotti

Titre original : « A lire et à relire : Au-delà de la célébration de l’indépendance ».


EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».


Source : iciabidjan.com 9 août 2016

vendredi 12 août 2016

« Accélérons la constitution d’un front démocratique. »

Arzu Çerkezoglu
Entretien avec Arzu Çerkezoglu, secrétaire générale de la Confédération des syndicats révolutionnaires de Turquie (Disk).
Deux semaines après la tentative de coup d’État avortée, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, continue son OPA sur l’armée. Un nouveau décret place désormais l’institution militaire sous la tutelle du ministère de la Défense. Une révision constitutionnelle pourrait donner au chef de l’AKP (Parti de la justice et du développement) la maîtrise de l’état-major ainsi que des services de renseignement. Environ 10 000 personnes font l’objet de poursuites et sont en détention préventive, dont des journalistes. Plus de 50 000 Turcs ont été limogés. « Le grand ménage » des sympathisants du prédicateur exilé Fethullah Gülen – accusé par Ankara du putsch avorté – se poursuit également dans les domaines de la justice, l’éducation et les médias. Dans cette ambiance délétère, le pouvoir a néanmoins admis pour la première fois hier que la purge post coup d’État avait pu donner lieu à des « erreurs »... Dans ce contexte, la secrétaire générale de la Confédération des syndicats révolutionnaires de Turquie (Disk), Arzu Çerkezoglu, est particulièrement exposée. Au mois de juin, elle a été arrêtée à l’aéroport d’Istanbul et incarcérée alors qu’elle devait participer à une réunion en Allemagne. Elle a été libérée grâce aux pressions internationales et, comme on pourra le constater à travers cet entretien, elle continue plus que jamais son combat.
Avez-vous été surprise par la tentative de coup d’État, le 15 juillet ?
ARZU ÇERKEZOGLU : Si l’on tient compte du processus en cours depuis un an en Turquie – je veux parler des élections de juin qui n’ont pas plu au pouvoir et des nouvelles élections organisées en novembre, l’état de guerre non déclarée… – rien ne nous étonne ! Nous sommes dans un processus hors du commun. Le parti au pouvoir, l’AKP, pensait obtenir une majorité nécessaire lors du scrutin du 7 juin 2015 pour instaurer un système présidentiel, mais ce n’est pas ce qui est arrivé. Dès le 8 juin, l’AKP a joué un jeu dangereux. Dans un pays normal, y compris la Turquie avant la venue au pouvoir de l’AKP, au vu des résultats des élections, il était possible de former une alliance pour permettre d’avancer. Mais, à partir du 8 juin, c’est comme si les hommes au pouvoir avaient appuyé sur un bouton. Une nouvelle phase a alors commencé, qui s’est caractérisée par des massacres, des assassinats, une atmosphère de chaos politique, dans laquelle on a entraîné les Turcs. De nouvelles élections ont été convoquées qui n’avaient pas lieu d’être. Vingt jours avant les élections de novembre, le 10 octobre, nous avons organisé une manifestation à Ankara, un grand rassemblement pacifique et pacifiste avec d’autres forces syndicales et soutenu par le HDP (Parti démocratique des peuples, qui soutient la lutte des Kurdes – NDLR). La participation était monstre. Un événement qui aurait pu avoir un grand impact sur le résultat du scrutin parce qu’il délivrait un message de paix. Mais il a été saboté par un attentat dans lequel nous avons perdu une centaine de nos camarades. D’ailleurs, quelques jours après, celui qui était alors Premier ministre, Ahmet Davutoglu, a annoncé que l’AKP gagnait des voix. C’est dire… On connaît la suite. L’AKP a eu une majorité suffisante et a généralisé l’état de guerre. À partir de là et vu l’atmosphère de tension, de non-démocratie, nous étions dans le processus dont j’ai parlé.
Quelle en a été la traduction concrète ?
ARZU ÇERKEZOGLU : Bien avant la tentative de coup d’État, les arrestations se sont multipliées : des universitaires, des journalistes… La presse a été muselée. Sous prétexte d’insultes au président, des poursuites ont été déclenchées. Toute critique a été verrouillée. Il s’agit en réalité de nous faire taire. Il y a eu régulièrement des attentats qui n’ont jamais été élucidés. Et des centaines de personnes ont été tuées au Kurdistan. Avec ces méthodes, en réalité, ils ont fait prisonniers tous les peuples de Turquie.
Il faut également souligner que nous avons vécu un processus de coups d’État issus des contradictions internes du pouvoir. Ceux qui sont responsables de cette situation depuis une quinzaine d’années sont entrés en conflit. Il est invraisemblable que les trois institutions, l’armée, la police et la justice, soient entrées dans un conflit interne suivi d’une épuration de dizaines de milliers de personnes. Il n’y a pas de précédent dans l’histoire de la Turquie. Pour la première fois, l’Assemblée nationale a été bombardée. À la suite de l’échec du coup d’État, le gouvernement essaie de trouver des solutions pour faire perdurer son pouvoir antidémocratique. Voilà aussi pourquoi nous ne sommes pas vraiment surpris de ce qui se passe.
Pourquoi l’AKP et la confrérie Fethullah Gülen sont-ils entrés en conflit ?
ARZU ÇERKEZOGLU : Ce sont deux entités très semblables qui ont travaillé en parfaite coopération depuis des années. Ce qui montre l’infiltration de Fethullah Gülen au sein du pouvoir. Même des préfets nommés il y a à peine trois mois sont maintenant en état d’arrestation, car considérés comme putschistes ! Idem pour le haut commandement de l’armée. Le propre aide de camp de Reçep Erdogan a été arrêté. Il s’agit donc de gens auxquels le président avait confié sa sécurité personnelle. Il est question d’une infiltration hors du commun. Il s’agit de milliers de policiers, de juges, de fonctionnaires, de personnes directement responsables des décisions d’État.
Ces trois dernières années, ils sont effectivement entrés en conflit sur les questions de pouvoir, mais aussi de profits de toutes sortes. Ils ont pourtant poursuivi cette coexistence. Il y a toujours eu des tendances différentes au sein du pouvoir, c’est partout le cas, mais pas comme ça. Même si on n’a pas vraiment les détails du conflit qui les oppose, on sait par contre qu’ils peuvent le surmonter et s’allier à nouveau si le besoin s’en fait sentir pour garder le pouvoir. Par exemple, on a assisté à ce procès retentissant concernant la filière dite Ergenekon (réseau politico-criminel, impliquant des officiers de l’armée, des universitaires, des journalistes, des membres de l’extrême droite, qui aurait eu pour but le renversement de l’État AKP, mais qui s’apparente également à une manipulation pour discréditer également la gauche – NDLR). À l’époque déjà, des soldats et des officiers avaient été limogés. Ils sont réhabilités et appelés à occuper les postes laissés vacants avec l’arrestation de ceux soupçonnés d’avoir participé au putsch. En tant que syndicalistes, de toute manière, nous ne pouvons ni accepter ni tolérer la suspension d’une action démocratique de la part du gouvernement.
Mais ce gouvernement avait-il vraiment une action démocratique jusque-là ?
ARZU ÇERKEZOGLU : Si l’on regarde tout ce qui s’est passé depuis treize ans et la réaction du gouvernement après la tentative de coup d’État, rien ne nous amène à être optimistes. L’état d’urgence a été instauré, ce qui met hors-jeu l’Assemblée nationale et, d’une certaine manière, correspond au bombardement par les putschistes. L’idée développée maintenant du rétablissement de la peine de mort ne correspond-elle pas à la même idée que les putschistes, en 1980, qui déclaraient à propos des condamnés : « Si on ne les pend pas, vous voulez qu’on les nourrisse ? » Que penser également de la suspension de la Cour européenne des droits de l’homme ?
En réalité, ce que Erdogan a appelé « riposter au coup d’État par la démocratie » revient en fait à répondre par un nouveau coup d’État. C’est la première fois que l’état d’urgence est décrété sur l’ensemble du territoire turc. Celui instauré de 1987 à 2002 était régional. Tout le monde se souvient de l’état d’urgence comme synonyme de morts, de disparus et de déportation de population. Le pouvoir dit que ça ne se passera pas comme ça, mais il récidive sans arrêt, notamment avec la politique mise en œuvre à l’Est (au Kurdistan – NDLR). Le premier décret pris a été d’étendre la garde à vue de quatre jours à un mois. Ce qui confirme nos inquiétudes. Il est clair que l’état d’urgence ne sera pas comparable à la démocratie mais à un régime répressif. Les Turcs n’ont pas besoin de choisir entre deux dictatures ou entre deux coups d’État. Pas non plus entre la torture, la peine de mort ou l’état d’urgence. Ils n’ont pas besoin que l’Assemblée nationale soit écartée. Non, ce dont ils ont besoin, c’est la démocratie, la paix, la laïcité. Ils ont besoin d’un système démocratique où ils peuvent avoir la croyance qu’ils veulent et exprimer leurs idées telles qu’elles leur paraissent justes.
Quelles conséquences cela peut-il avoir pour les salariés, leurs droits, leurs conditions de travail ?
ARZU ÇERKEZOGLU : Les victimes des coups d’État et des périodes non démocratiques ont toujours été les syndicats, notamment le nôtre, la Disk, et la classe ouvrière. Après le coup d’État de septembre 1980, nous avons été interdits pendant onze ans. Juste avant, le président de la Disk avait été assassiné et ses assassins n’ont jamais été condamnés sous prétexte de prescription. En revanche, avec l’état d’exception, 52 de nos dirigeants ont été jugés et tous les droits syndicaux avaient été suspendus. Aujourd’hui, les droits des salariés sont menacés et ils vont nous empêcher de nous défendre. Il existe déjà une multitude de projets de lois préparés par le gouvernement et le patronat, qui suppriment les dernières défenses sociales. Or, ils peuvent maintenant légiférer par décret, sans passer par l’Assemblée nationale, sous prétexte d’état d’urgence. Ils veulent une généralisation de la sous-traitance, l’annulation des primes d’ancienneté et balayer les dernières miettes de la sécurité de l’emploi et de la sécurité au travail. Chaque jour, trois à quatre ouvriers meurent sur leur lieu de travail par manque de protection. Les droits sociaux ont reculé. En revanche, quand l’AKP est arrivé au pouvoir, il y avait trois milliardaires ; aujourd’hui ils sont 42 !
Comment entendez-vous mener la bataille dans ces conditions ? Avec qui ?
ARZU ÇERKEZOGLU : La question essentielle est la création du front démocratique. Le pays se dirige vers un régime personnel, antidémocratique. C’est pour cela que la Disk avec d’autres organisations de travailleurs et les forces démocratiques du pays se sont battues contre cette tentative de dictature et que l’idée d’un front démocratique est apparue. Nous commencions à avoir des réunions dans ce sens quand il y a eu la tentative de coup d’État. Aujourd’hui, il y a encore plus besoin de cette unité des forces progressistes, des associations alévies, mais aussi des partis de l’opposition comme le HDP et le CHP et aussi des révolutionnaires socialistes. On a besoin de leur union. Ceux qui ont conscience de leurs droits et ceux qui luttent au péril de leur vie. Le front démocratique n’en est qu’à sa phase de départ. Mais les évolutions politiques depuis le 15 juillet nous poussent à accélérer les choses, à oser de nouveaux pas. Les limites de l’état d’urgence seront définies par notre résistance dans la rue. Nous sommes donc obligés de réaliser cette union.

Entretien réalisé par Pierre Barbancey

Source : L'Humanité 2 août 2016

jeudi 11 août 2016

BURKINA FASO : « LES HOMMES ONT CHANGÉ, PAS LE SYSTÈME. »

Dessin de Glez
Les hommes ont changé ? Hum...
Les secrétaires généraux des centrales syndicales et les syndicats autonomes ont convié des responsables des confédérations et syndicats professionnels à une assemblée générale, le samedi 30 juillet 2016 à la Bourse du travail de Bobo-Dioulasso. Cette sortie de l’Unité d’action syndicale (UAS) visait à rendre compte de la situation nationale et de l’état de mise en œuvre des engagements du gouvernement.
L’objectif de l’assemblée générale de l’Unité d’action syndicale (UAS) était de rendre compte aux militants et de recueillir leur préoccupation pour orienter la lutte syndicale. Le secrétaire général de la confédération syndicale burkinabè, et Président de mois de l’Unité d’action syndicale (UAS), Olivier Ouédraogo Guy et le secrétaire général de la confédération générale des travailleurs du Burkina Faso (CGT-B), Bassolma Bazié, ont rencontré des militants de la centrale syndicale des Hauts-Bassins et des Cascades ce samedi 30 juillet 2016, dans la salle de conférence de la Bourse du travail de Bobo-Dioulasso.
Pour le secrétaire général de la Confédération générale des travailleurs du Burkina Faso (CGT-B), Bassolma Bazié, la situation du Burkina Faso, a été marquée par des tentatives de remise en cause des acquis de l’insurrection populaire et de la résistance héroïque contre le putsch avec en point de mire la consécration de  l’impunité des crimes. « Cela est illustré par des libérations d’auteurs de crimes de sang et de crimes économiques, par des atteintes aux libertés syndicales et d’expression », a-t-il soutenu.
Incivisme
Concernant la gouvernance économique du gouvernement de Roch Kaboré, pour l’UAS, les programmes d’ajustement structurel (PAS) restent le référentiel du pouvoir du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Pour eux, les principaux animateurs ont été des architectes du pouvoir de Blaise Compaoré, qui a mis en œuvre ce programme, conduisant le Burkina dans la difficile situation économique actuelle.
Sur la question de l’incivisme, l’UAS déclare qu’il ne doit pas se limiter au non-respect du code de la route et autres petites manifestations. « Ils oublient les graves manquements au civisme dont sont auteurs les dirigeants et leurs amis et qui ont cultivé l’incivisme des petites gens. Car il n’y a pas plus incivique que les crimes de sang et économiques, et l’impunité qui couvre les grands délinquants, la corruption dans les passations de marché et autres fraudes fiscales et douanières », estime Bassolma Bazié.
Du reste, les syndicats croient que  rien n’a changé au Burkina.  «Les hommes ont changé mais pas le système. Quand on regarde tout ce qui se passe, que ce soit au niveau des communes, de l’Etat, la politique reste la même, c’est toujours l’exploitation des populations, toujours des crimes économiques qui se passent, et chaque jour l’Etat parle de contenir les dépenses, mais en réalité ils sont en train de nous berner »,  a laissé entendre Ibrahim Traoré, responsable syndical pour l’éducation.
Cimenteries
La question des cimenteries à Bobo-Dioulasso a refait surface lors de cette rencontre de l’UAS. Pour le président de mois, Olivier Ouédraogo, ces cimenteries risquent de présenter des dangers pour la santé des populations, en polluant la nappe phréatique et les eaux de surface.
 « Nous avons saisi le ministre de la fonction publique du travail et de la  protection sociale pour lui donner la position de l’UAS, sur la question.  Nous avons dit, nous sommes clairs, nous allons nous opposer à la construction de toute usine, de toute industrie qui atteint par ses pratiques à la santé de nos populations et nous luis avons demandé de transmettre notre position au gouvernement », a-t-il déclaré.
Ousmane Traoré, correspondant de Burkina24 à Bobo-Dioulasso

Source : Burkina24, 31 Juillet 2016