mercredi 31 décembre 2014

Ils n'entendent point tolérer en Afrique des régimes pratiquant des politiques conformes à l'intérêt des peuples…

 
 
1984-2014.
 
Voici 30 ans, avec l’année qui s’achève, paraissait le tout premier ouvrage critique sur le régime néocolonialiste fantoche d'Houphouët signé par un auteur ivoirien, en l'occurrence notre collaborateur Marcel Amondji. Pour marquer cet anniversaire, nous offrons à nos amis lecteurs la « conclusion » de « Félix Houphouët et la Côte d'Ivoire. L'envers d'une légende »[1]. Ceux qui reliront cet ouvrage ou qui le découvriront à cette occasion verront qu'il n'a presque rien perdu de son actualité.
 
La Rédaction
 

Conclusion
de
« Félix Houphouët et la Côte d'Ivoire. L'envers d'une légende » 

Le prodige serait une légère poussée contre le mur.
Ce serait de pouvoir secouer cette poussière.
Paul Éluard 

Les colonisateurs n'ont pas été particulièrement portés à manifester de la considération pour les idées, les actes ou la vie de leurs adversaires, qu'ils soient ou non des monarques prestigieux, des guerriers pleins de bravoure ou des organisateurs politiques éminents. Le destin de F. Houphouët n'infirme pas cette règle. Il ne serait vraiment exceptionnel et différent que si, grâce à lui, la Côte d’Ivoire avait pu échapper au traitement que les puissances impérialistes réservent aux pays faibles. Or, malgré toute la bonne volonté de son dirigeant, le pays n'a pas échappé au lot commun. Considéré sous l'angle des rapports traditionnels de l'Afrique avec les puissances impérialistes, avec quelques particularités, le sort de la Côte d’Ivoire et du peuple ivoirien est le même que celui de la plupart des pays et des peuples du continent, aujourd'hui comme hier.
C'est une politique délibérée qui a empêché l'Afrique d'aborder le XXe siècle avec des formes d'organisation issues, à la fois, de son propre passé, de ses propres besoins et des exigences de l'époque. Les impérialistes voulaient des peuples désespérés et sans mémoire. Ils usèrent de tous les moyens pour parvenir à leurs fins : la ruse, la trahison et la force ouverte. Les armes qui servirent à soumettre l'Afrique sont les mêmes qui firent la guerre de 1870 ou celle de 14-18. Les Africains ne pouvaient leur opposer que des lances et des flèches. S'ils firent souvent preuve d'une immense force morale, elle leur coûta plus en vies humaines qu'elle n'en coûta à leurs adversaires.
Aucun autre continent n'a connu, en aussi peu de temps, un si grand nombre d'assassinats de dirigeants politique de qualité avant même qu'ils aient pu développer toute la mesure de leur volonté d'action. A notre époque, Rwagasore fut l'un des premiers, suivi par Um Nyobé, Lumumba, Moumié, Mondlane, Mahgoub, Cabral, etc., etc. Ces meurtres continuaient les méthodes de la fin du siècle dernier, par lesquelles les puissances européennes réduisirent les peuples africains à leur merci.
La colonisation eut pour conséquences et pour conditions le démantèlement de communautés entières ; la négation des valeurs qu'elles cultivaient et de leurs droits humains les plus élémentaires ; le meurtre ou le bannissement des dirigeants les plus irréductibles parce que les plus lucides et les plus capables ; l'avilissement des autres. Puis, pendant des décennies, le labeur servile de millions d'hommes et de femmes gonfla le patrimoine des bourgeoisies métropolitaines, cependant que leurs propres pays, couverts à profusion d'emblèmes étrangers, étaient à l'abandon.
Au moment où l'indépendance devint inéluctable, on recommença à abattre massivement les têtes de l'Afrique, afin de la maintenir dans l'état où il convenait aux monopoles coloniaux qu'elle demeurât.
Il faut sans cesse réfléchir à ce fait. Au Centrafrique, l'abbé Bocanda disparaît dans un accident suspect d'aviation, et tout est changé. Ce pays qui a vu naître un homme si généreux est mûr pour tomber sous la coupe d'un Bokassa après le piteux intermède de David Dacko. Patrice Lumumba est assassiné, et une poignée d'hommes seulement avec lui, et le Congo est livré pour des années à la chienlit avec ou sans casquette. Au Ghana, l'élimination télécommandée de Kwame Nkrumah suffit à plonger son pays dans une incertitude qui ne paraissait pas avoir de fin, jusqu'à ce que Jerry Rawlings et ses compagnons tentent leur action de redressement en cours.
L'histoire de la Guinée, après son refus mémorable du diktat de De Gaulle, fut continuellement troublée par des provocations et des agressions qui culminèrent dans le débarquement du 22 novembre 1970. C'était une opération préparée et exécutée avec la participation de tous les centres impérialistes. Si Sékou Touré avait été renversé alors, ou tué, ce pays se serait trouvé brutalement sans tête en dépit de la pléthore des candidats à son remplacement. Les impérialistes se servaient des Barry Ibrahima et des Nabi Youla pour renverser S. Touré. Cependant, aucun des fantoches n'était du tout assuré d'être l'homme qui serait choisi en fin de compte. L'affaire des stratèges de Paris, Bonn et Washington n'était pas de porter l'un ou l'autre au pouvoir ; c'était seulement de s'emparer de la Guinée et de ses richesses, en se servant de leur ambition. En raison même de la puissance de l'organisation des masses guinéennes et de leur vigilance, l'objectif de ces entreprises ne pouvait pas consister en une simple substitution d'hommes, mais en la démoralisation de tout un peuple. S. Touré ne gênait que parce qu'il avait su insuffler dans les masses guinéennes la volonté de résister aux chants des sirènes impérialistes.
Il est clair, à considérer l'évolution désastreuse du Mali depuis la chute de Modibo Keita ; la quarantaine imposée au Bénin depuis 1972 ; les actions de diversion perpétrées en Angola, en Ethiopie ou au Mozambique ; les complications artificielles de la question namibienne ; le soutien constant et multiforme au régime de l'apartheid ; les difficultés internes suscitées aux régimes Mugabé, Oboté et Rawlings ; et les manœuvres sournoises en vue de paralyser l'OUA ; il est clair que les impérialistes n'entendent pas tolérer en Afrique des régimes libres pratiquant des politiques conformes à l'intérêt des peuples dans les conditions de notre époque.
En revanche, le régime ivoirien est leur coqueluche.
La Côte d’Ivoire n'a pas été toujours ce paradis. F. Houphouët lui-même n'a pas toujours inspiré du respect et de l'amour à ceux qui, aujourd'hui, le portent aux nues. Entre 1945 et 1950, quand la Côte d’Ivoire se tenait à l'avant-garde du mouvement anticolonialiste de l'Afrique noire, des dizaines d'Ivoiriens furent massacrés. F. Houphouët, qui était le principal dirigeant de ce mouvement, était l'objet d'une haine implacable de la part de ses actuels laudateurs. Ses qualités dont on fait parfois remonter les manifestations à sa prime enfance, ne furent, cependant, reconnues qu'après 1950.
En 1950, le mouvement anticolonialiste ivoirien était vaincu. La répression avait frappé massivement les militants de la base, mais elle avait été sélective en ce qui concerne les dirigeants. Les plus radicaux, considérés par les autorités coloniales comme des extrémistes irrécupérables, étaient frappés d'une espèce d'incapacité définitive à participer à la direction du pays. F. Houphouët en revanche, soigneusement isolé des influences de l'opinion publique ivoirienne et entouré de conseillers français, était porté au pinacle.
Ainsi parrainé, il n'a pas eu à déployer beaucoup de talent pour confisquer l'exercice de la souveraineté nationale bien au-delà des pouvoirs que lui donna ensuite la constitution républicaine. Il reçut le pouvoir absolu des mains des vainqueurs de 1950 et, grâce au système des conseillers, il le partage avec eux. Ce qui fait que son pouvoir est moins un pouvoir personnel qu'un pouvoir dominé, caractérisé, d'une part, par le fait que la haute administration ainsi que les principaux leviers de la politique économique et financière se trouvent entre des mains étrangères et irresponsables, comme aux plus beaux jours du régime colonial ; et, d'autre part, par le fait qu'aucun homme politique ou haut fonctionnaire ivoirien ne participe de manière décisive à la définition ou à la conduite de la politique du pays.
Il est inévitable que ce pouvoir sans base nationale ni contrôle s'exerce contre les intérêts de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens.
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Un bilan général de ce long règne montrerait que la Côte d’Ivoire y a plus perdu que gagné.
Ce pays qui fut le seul en Afrique à avoir vu naître un mouvement révolutionnaire authentique en 1945 est, aujourd'hui, peut-être celui où la vie et la pensée politiques sont les plus pauvres. Le PDCI, longtemps confisqué par F. Houphouët et son ancien intendant P. Yacé, vient d'être livré aux dents et aux griffes des coteries et des clans organisés autour des ambitions médiocres de quelques individus connus pour leur dépendance à l'égard des centres impérialistes.
Dans le monde entier la réputation de la Côte d’Ivoire est celle d'une plaque tournante pour les entreprises dirigées tour à tour ou simultanément contre la sécurité des pays indépendants voisins ; contre les mouvements de libération de l'Afrique australe ; contre l'unité africaine.
La politique sociale, au sens large, est un échec. L'enseignement, victime des mesures aberrantes et de malversations jamais dénoncées, a donné des résultats tragiques qui hypothèquent lourdement l'avenir de la jeunesse et de la société. Les créateurs sont découragés par une censure inavouée et par le mépris dont ils sont l'objet de la part des dirigeants. Il n'existe pas de politique culturelle digne de ce nom, mais une entreprise d'abêtissement des populations. La santé publique est à l'abandon. La prévention des maladies transmissibles et la lutte contre les maladies curables n'ont pas notablement progressé depuis l'indépendance alors que le pays possède un centre hospitalo-universitaire « unique en Afrique ». Les syndicats, réduits au rôle d'une courroie de transmission des volontés patronales, n'offrent aucune protection aux travailleurs. La misère et la délinquance se conjuguent pour transformer Abidjan en une nouvelle Babylone.
Le nom de F. Houphouët restera attaché au choix qu'il a fait publiquement en 1962, mais, en réalité, depuis plus longtemps, de subordonner l'agriculture ivoirienne, arriérée et maintenue imprudemment dans ses méthodes archaïques, aux activités modernes d'un secteur industriel et commercial entièrement aux mains des étrangers et branché, littéralement, sur l'économie ivoirienne à la manière d'une pompe aspirante.
Cette politique a fait illusion un certain temps. D'ailleurs, il ne serait pas sérieux de la condamner en bloc. La rationalisation du pillage colonial après l'indépendance a valu au pays une infrastructure routière excellente pour l'Afrique, des centrales hydro-électriques avec leur lac artificiel, un deuxième port en eaux profondes et d'autres réalisations moins spectaculaires, qui ont coûté assez cher, mais qui sont ou seront sa propriété. En revanche, l'industrialisation tant vantée n'est qu'une supercherie dispendieuse. La forêt ivoirienne est irrémédiablement ruinée. Le décollage économique annoncé n'a pas eu lieu. Malgré le volume accru de sa production agricole et les liens privilégiés tissés avec les centres impérialistes, le pays est au bord de la banqueroute.
La survenue brutale de la crise économique, avec son cortège de difficultés sociales de plus en plus insupportables, a précipité l'échec du modèle de développement imposé au pays. Par la même occasion, elle a mis à nu l'incompétence qui a présidé à son élaboration comme à son application, à supposer que les auteurs de ce modèle étaient de bonne foi. Pendant plus de vingt ans, le pays a été livré à un gâchis colossal tandis que les responsables de ce gâchis, méprisant les avis des spécialistes désintéressés et la résistance multiforme du peuple, répandaient des flots de louanges sur eux-mêmes. Ce gâchis et cette imprévoyance ont entraîné une dépendance accrue de la Côte d’Ivoire par rapport aux banques privées étrangères qui aura tôt fait d'atteindre son point d'irréversibilité si le pays continue sur sa pente actuelle.
Ils ont empoisonné le corps social tout entier par les illusions et les comportements irresponsables, voire délictueux, engendrés ou encouragés par l'euphorie et l'incurie des dirigeants.
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Vingt ans de pouvoir absolu et un « miracle économique » n'ont pas réussi à faire oublier le courage de ceux de 1949-1950 ni le péché originel de ce régime. Le long règne de F. Houphouët restera dans l'histoire de la Côte d’Ivoire comme une parenthèse coûteuse et tragico-comique.
Tout au long de son existence, le régime a dû affronter plusieurs crises sans pouvoir les résoudre au fond, malgré la rigueur ou l'habilité des formes de répression utilisées en vue de les surmonter. Pas une seule année, même aux plus beaux jours du « miracle économique », le régime n'a connu de répit. Dès le début, l'orientation imposée au pays par les autorités coloniales avec la complicité de F. Houphouët a rencontré l'opposition de la majorité des Ivoiriens. Chacun comprenait ou devinait la supercherie de la « coopération égalitaire et fraternelle » et de la « doctrine politique et économique » prêchée le 15 janvier 1962, et dont la mise en application autoritaire fut directement à l'origine de la plus grave de ces crises, celle de 1963.
Ces crises, on peut les considérer comme des phases particulières de la lutte séculaire des peuples ivoiriens contre la domination étrangère. Chacune d'elles a reposé, à sa manière, dans le langage et avec les moyens correspondants aux conditions de leur survenue, l'éternelle revendication de l'indépendance nationale et de la libre disposition des ressources du pays pour le progrès véritable de la société ivoirienne. Au fil du temps, les générations ont succédé aux générations sans que la tâche fondamentale des Ivoiriens soit jamais perdue de vue. La relève des générations s'est accompagnée d'une augmentation de la conscience des besoins et des moyens de les réaliser. Les Ivoiriens comprennent toujours mieux que ce que le pays a subi ces dernières années est la responsabilité de celui qui s'est arrogé le droit de penser, de parler et de décider en leur nom, mais qui ne peut le faire, semble-t-il, sans l'aide et sans l'accord des agents étrangers dont il est entouré. C'est ce qu'on peut lire à travers les débats du Conseil national du parti unique ou ceux de l'Assemblée nationale, où on parle maintenant presque aussi librement que dans les maquis de Treichville ou d'Abobo-Gare.
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Bien avant que ce régime ne voie le jour, l'un de ses meilleurs serviteurs actuels, M. Ekra, prédisait ce qu'il en résulterait :
« Nos dirigeants veulent arrêter la marche des temps ! (...) Ils ignorent (les aspirations du peuple) parce que sortis eux-mêmes pour la plupart du peuple laborieux, dont ils ont capté la confiance, commanditaires sans scrupules, ils ont trahi les intérêts des travailleurs et lié leur destinée à celle des parasites de la société. L'argent les a coupés de tout. Ils ont perdu le contact avec la réalité, car la réalité, c'est la vie du peuple. Ils ont perdu le contact avec toutes les morales – philosophiques ou religieuses – sur quoi l'homme mesure sa supériorité universelle, car la morale tient à la vie du peuple. Ils ont perdu le contact avec leur conscience, car l'argent et l'esprit de justice et de bien ne peuvent habiter le même corps. Mais le pire, c'est que les maîtres du jour ignorent eux-mêmes ce qu'ils sont. Ils ignorent leur égoïsme, leur incompréhension, leur trahison. Les appétits démesurés, la soif inextinguible d'argent et de pouvoir ont fermé leur cœur à la misère et à la faiblesse de leurs semblables. Ils ont perdu les plus nobles sentiments qui font qu'un homme est un homme. En vérité, ce qui leur reste de toute leur personne, c'est leur animalité, bestiale et sanguinaire, à peine cachée sous des brochettes de galons ».
Que l'homme qui parlait ainsi soit devenu l'un des Ivoiriens les plus riches en servant avec zèle les intérêts étrangers qui dominent le pays, voilà qui montre quel mortel danger ce régime a représenté pour les valeurs civiques que des centaines de milliers de femmes et d'hommes ont défendues avec courage et ténacité en 1950, et pour lesquelles des dizaines sont morts.
En 1949-1950, le mouvement insurrectionnel n'avait guère de chance d'aboutir à la libération du pays. Mais, du moins, ce que les Ivoiriens faisaient ou disaient alors était juste. Il s'est produit, depuis, un véritable renversement des valeurs et la légende actuelle de F. Houphouët repose sur ce renversement.
Cette légende, due à des plumes et à des voix qui n'ont pas toujours été bienveillantes avec F. Houphouët avant le « repli tactique », a été édifiée et enrichie pour justifier à mesure l'accaparement du pouvoir par un seul et son entourage d'expatriés discrets, en vue de préserver les rapports coloniaux de domination sous les apparences de l'indépendance.
Voilà quelque vingt ans, un journaliste écrivit que la Côte d’Ivoire est un complot impérialiste. Il faudrait préciser : un complot impérialiste auquel de nombreux Ivoiriens ont aussi leur part, soit en conscience, soit malgré eux, tant il est vrai que, si complot il y eut, il n'aurait pas réussi aussi pleinement s'il n'avait pas bénéficié de complicités dans la place. Néanmoins ces Ivoiriens, y compris F. Houphouët lui-même, n'y sont que des pions mus par des volontés étrangères, même si celui-ci et ceux-là ont fini par se piquer à ce jeu.
La position de F. Houphouët dans le système est évidemment différente de celle de la classe politique, même en y incluant les fameux « compagnons », tels Auguste Denise, Mamadou Coulibaly, Germain Coffi Gadeau, Bernard Dadié, Mathieu Ekra, Philippe Yacé, etc. Ce politicien adroit et toujours égal à lui-même n'est certainement pas dupe de sa propre légende confectionnée à l'étranger par des gens intéressés, mais cette légende sert sa carrière et c'est une raison suffisante pour qu'il la cultive. Depuis les lettres superfétatoires de son nom jusqu'à l'élévation récente de son village natal au rang de capitale, tant de faits montrent qu'il a constamment poursuivi un rêve très égotiste de gloire !
Quant à la classe politique, ainsi nommée plus à cause des ambitions sans cesse déçues de ses membres qu'à cause de son influence réelle dans les processus historiques et politiques, autant le développement de cette légende contrarie ses ambitions, autant il lui est nécessaire d'y sacrifier pour pouvoir, comme on dit, rester dans la course. Réduite à la même incertitude que la masse de la population, elle ne joue plus qu'un rôle de faire-valoir tantôt rétif, tantôt docile, après avoir dû abandonner pas mal de ses illusions entre 1963 et 1967.
Produit de manipulations étrangères autant que de l'histoire nationale, l'image traditionnelle de F. Houphouët ne manque pas d'évoquer ces grands fétiches dont la réputation de puissance se nourrit à la fois de l'adresse et de la cupidité des uns, des craintes ou du désespoir des autres. Ceux qui vivent du fétiche ou qui aspirent à en vivre, et qui ont un intérêt évident à ce qu'il soit réputé ; mais aussi ceux qui, désespérant qu'aucun autre recours soit jamais à leur portée, ont fini par s'abandonner au fétiche le plus célébré. Tous concourent à dorer sa légende.
Cependant, autour de ce monument, il y a quelques hommes lucides ; c'est-à-dire qu'eux au moins savent ce qu'ils font là. Ce sont les puissants et discrets expatriés qui conseillent ou qui font plus que conseiller. Mercenaires sans bottes ni casquette. Servants, par routine ou par conviction, d'une entreprise séculaire fondée sur le mépris de la « race supérieure » pour les « races inférieures » vouées, selon elle, à l'esclavage et à la domestication. Sembène Ousmane a magistralement défini leur fonction en plaçant dans la bouche du doyen Sall, le héros de sa fiction souriante Le Dernier de l'Empire, une espèce d'Auguste Denise sénégalais, ces propos lucides et amers :
« Les "hexagonaires" (...) voient en ces hommes les continuateurs de la grande épopée des bâtisseurs d'empires. Nostalgiques de leur rayonnement d'antan, déchus, amers, les soldats perdus demeurent un reflet éteint de la puissance coloniale ».
Or, voilà à quoi ceux qui promettaient avec assurance l'industrialisation accélérée et le décollage économique dans un pays complètement dominé par les accords de coopération néocolonialistes et par un code des investissements prodigue, ont exposé la Côte d’Ivoire en abandonnant les clés de son avenir entre les mains de gens qui ont tout intérêt à la tirer en arrière !
La colonisation n'est pas imputable aux colonisés parce qu'ils l'ont combattue partout sans répit. Partout, la domination coloniale a dû se passer de la soumission en conscience des peuples dominés. En revanche, la domination néocolonialiste a impérieusement besoin de la soumission volontaire et inconditionnelle d'une partie au moins de la nation dominée. En elle, le vieux colonialisme n'est pas seulement déguisé, il triomphe ; les petits-fils des fiers guerriers qu'il fallait réduire par le fer et par le feu, « civilisés », viennent d'eux-mêmes manger dans la main de ceux qui n'ont que mépris pour eux !
Mais, dira-t-on en songeant indûment à Kouassi Ngo[2], il y a, en ce qui concerne F. Houphouët, une circonstance atténuante. 

Marcel Amondji, 1984

 
[1] - Karthala, Paris 1984.
[2] - Oncle maternel (et à héritage) d’Houphouët. Lors de la dernière guerre de résistance des Baoulé, sous le gouverneur Angoulvant, Kouassi Ngo se mit du côté des Français, qui l’en récompensèrent par l’institution en sa faveur de la chefferie héréditaire des Akoué (Yamoussoukro). Il fut assassiné en 1910 par le patriote baoulé Allangba. Les Français érigèrent en sa mémoire une stèle à Yamoussoukro, que son neveu fit détruire vers 1970. La même année, il fit aussi raser la geôle privée d’Assabou où il avait fait enfermer, en 1963 et 1964, pour de prétendus complots contre sa vie, la presque totalité de l’intelligentsia ivoirienne qui désapprouvait l’orientation néocolonialiste de sa politique. C’est sur l’emplacement de cette prison que se dresse aujourd’hui le monumental et kitchissime ex-voto plus connu sous le nom de « basilique Notre-Dame de la Paix ».

lundi 22 décembre 2014

Burkina Faso. Hommage à un citoyen exemplaire trop tôt disparu

Samedi 20 décembre, près de trois mois après sa disparition, le Parti pour la Démocratie et le Socialisme/Parti des Bâtisseurs (PDS/Metba) a rendu hommage à son ancien président, Hama Arba Diallo, député-maire de Dori, décédé brutalement le 1er octobre 2014, soit un mois jour pour jour avant la chute de Blaise Compaoré. Nous associant à cet hommage, nous publions le discours qu’a prononcé, lors de cette cérémonie, le président intérimaire du PDS/Metba, Etienne Traoré, où il rappela le parcours de militant politique et d’homme d’État de ce citoyen exemplaire.
 

H. Arba Diallo brandissant le carton rouge contre
le projet de referendum de Blaise Compaoré
lors de l’imposant meeting de l’opposition,
le 31 Mai 2014 à Ouagadougou.
 
Le mercredi 1er octobre 2014, le Burkina entier apprenait avec stupeur et consternation la disparition, à la suite d’une courte maladie, du président du PDS/Metba, Hama Arba Diallo.
En organisant aujourd’hui, cette cérémonie, le PDS/Metba voudrait rendre un hommage vibrant et solennel à son premier président, le camarade Hama Arba Diallo.
Le PDS/Metba se reconnaît totalement dans la longue et profonde lutte que le camarade Diallo a engagée depuis sa tendre jeunesse pour le développement, la liberté et la justice dans notre pays.
Mais qui était le camarade Hama Arba Diallo ?
Né le 26 mars 1939 à Selbo, dans la commune de Dori, Hama Arba Diallo fit ses études primaires à Dori et le secondaire à l’actuelle Lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo Dioulasso et au Lycée Philippe Zinda Kaboré de Ouagadougou.
Brillant élève, il obtient en 1962 le Baccalauréat « mention Bien » la même année qu’Alassane Dramane Ouattara, actuel président de la République de Côte d’Ivoire. L’obtention de ce parchemin a valu aux trois plus brillants élèves du Lycée Philippe Zinda Kaboré que sont Hama Arba Diallo, Alassane Dramane Ouattara et Saidou Touré, une bourse américaine pour l’Université de Colombia aux Etats-Unis.
Pendant quatre ans, le jeune Diallo étudiera le droit, la science politique et l’économie politique pour se spécialiser plus tard pendant deux ans à l’Institut supérieur de sciences politiques et relations internationales de Genève en Suisse.
Rentré au Burkina Faso, Hama Arba Diallo, dont le papa, un agent de l’administration coloniale, fut un intrépide combattant contre la colonisation, le rétablissement de la Haute Volta dans ses frontières de 1932 et contre toutes les formes d’injustice et d’humiliation, n’a pas hésité un instant à s’engager dans la lutte politique pour le développement de son pays.
Militant du Parti Africain de l’Indépendance (PAI) où il fera ses premiers pas, le camarade Hama Arba Diallo sera de tous les combats que ce parti a mené aux côtés des étudiants, des syndicats, des jeunes, des ouvriers, des paysans et des femmes de notre pays.
Le camarade Hama Arba Diallo assure successivement des responsabilités de chef de cellule, de membre de comité directeur, du comité central et enfin de bureau exécutif central, organe dirigeant du parti.
Son séjour aux différents postes professionnels d’ambassadeur et de fonctionnaire des Nations unies fera de lui le coordonnateur principal des structures du parti en Europe, en Asie et en Amérique.
Aussi, il a œuvré pendant toutes ces périodes à donner au parti tout son rayonnement international et à renforcer les relations de celui-ci avec les autres partis amis de gauche que sont le PAI, le Parti pour la Démocratie et le Socialisme (PDS), Faso Metba et la Ligue citoyenne des bâtisseurs (LCB) en avril 2012 pour donner naissance à un grand parti de gauche, le PDS/Metba.
Le PDS/Metba a connu la consécration de la confiance que les militants ont toujours placée en lui, en le portant comme premier président de ce nouveau parti.
A ce poste de responsabilité, le camarade président Hama Arba Diallo a tout mis en œuvre pour hisser notre parti à la hauteur des attentes des militants.
Aux élections de décembre 2012, le parti engrangera deux postes de députés, 562 conseillers municipaux et 06 mairies et se classera comme troisième parti de l’opposition après l’Union pour le progrès et le changement (UPC) et l’Union pour la renaissance-Parti sankariste (UNIR/PS).
Parler du président Hama Arba Diallo sera évidemment fastidieux, tant ses actions professionnelles et d’homme politique sont multiples et multiformes.
Je laisserai bien volontiers à certains de nos invités ici présents d’en dire aussi. Pour le PDS/Metba, je voudrais seulement mettre en évidence trois traits de la personnalité de notre défunt président. Il s’agit :
Du militant : Comme militant, le président Hama Arba Diallo se distinguait par son esprit de discipline dans le combat pour la réalisation des objectifs du parti. En même temps qu’il étendait ses connaissances et développait ses capacités dans les cellules clandestines, Hama Arba Diallo tenait toujours à donner le bon exemple car, disait-il, « le bon militant fait le bon dirigeant ». Même son séjour dans le temple du capitalisme n’a pas eu raison de ses convictions idéologiques de gauche. Plus tard, avec ses différentes fonctions, son comportement ne change pas. Il est lié au peuple dans sa simplicité, son humour et son amour profond pour les masses.
Du responsable : A l’appel de son parti pour les élections de 2007, Hama Arba Diallo a immédiatement demandé sa retraite anticipée de la fonction publique internationale alors qu’il dirigeait l’UNCCD (United Nations Convention to Combat Desertification) en qualité de sous-secrétaire général des Nations-Unies.
L’exemple qu’il a donné traduit ses convictions de servir son parti et son pays de manière désintéressée. Le président Arba Diallo traitait toujours les problèmes à fond sans négliger aucun détail ; Il avait une connaissance des hommes, savait développer le sens des initiatives, des responsabilités et de travailleur.
D’un patriotisme intransigeant, il avait une véritable phobie de la compromission et de la démagogie.
Du dirigeant : Tous les responsables du PDS/Metba sont unanimes à reconnaître que le président Hama Arba Diallo était le véritable organisateur du parti. Il prônait l’idée qu’il fallait s’efforcer de se diriger soi-même convenablement pour pouvoir diriger les autres. Il n’hésita jamais à préfinancer les activités du parti au prix de multiples sacrifices. Comme dirigeant, il savait mettre l’interlocuteur à l’aise avec son humour plein d’humanisme et dont il est le seul avoir le secret, et il affichait une impressionnante capacité d’écoute.
Voilà brièvement évoqués quelques traits caractéristiques de la personnalité du président Hama Arba Diallo.
Le PDS/Metba se reconnait hautement dans les principes que nous venons de rappeler et qui sous-tendent la philosophie de notre parti, à savoir : la lutte contre la mal gouvernance, la corruption et pour l’instauration d’un véritable Etat de droit. C’est pourquoi en tant que militant et dirigeant d’un parti d’opposition comme le PDS/Metba, Hama Arba Diallo a toujours lutté contre le régime de Blaise Compaoré et de son CDP. Pour lui, seules la délivrance des masses des chaînes de la dépendance, de la servitude, de l’obscurantisme et une politique de gestion rationnelle de nos ressources donneront une voie libre et sûre au développement de notre pays.
Notre président Hama Arba Diallo a donc été un grand homme progressiste qui s’est battu toute sa vie pour les autres, nous a donné un modèle de fidélité politique et idéologique ; de travailleur intrépide ; de modestie et de courage ; de dévouement infini à son pays, à son parti et à ses électeurs ; de bonne conciliation entre vie politique, vie professionnelle, vie familiale et carrière internationale ; de pédagogie sociale et politique pour enseigner par l’humour, un humour raffiné à l’image de son ethnie, etc. Nous rendons aujourd’hui hommage à ce grand Monsieur tout en vous rappelant sa contribution exemplaire dans la lutte victorieuse du CFOP (Chef de File de l’Opposition Politique) et de la société civile contre le régime mafieux du clan Compaoré.
Par son historique « carton rouge », il avait de façon prémonitoire annoncé la fin du régime, fin à laquelle il n’a pu malheureusement assister, mais qu’il a certainement bénie de là où il est. Prenons tous exemple sur l’un des plus grands hommes dans l’histoire de notre pays, arraché à notre affection entre une réunion de lutte du CFOP et un voyage à Dori pour parachever un contrat de développement pour sa province natale. A nos militants en particulier, faisons tout pour penser et vivre selon le meilleur que notre président nous a légué. A sa famille biologique, merci de tous les efforts et sacrifices consentis pour accompagner notre président et le faire réussir. Sachez que le parti, son parti sera toujours à vos côtés.
Pour terminer, je pense que le camarade président Hama Arba Diallo a accompli sa part de mission politique. Il nous laisse un héritage plein de valeurs positives que nous devrons encore mieux concrétiser.
Président Hama Arba Diallo, à l’occasion de ce premier hommage, nous jurons de rester fidèle aux idéaux de démocratie, de paix, de justice et de progrès pour tous, idéaux pour lesquels tu t’es exemplairement battu toute ta vie durant. De là où tu es, continue à nous bénir.
Honneur à toi président Hama Arba Diallo
Honneur à toi président Hama Arba Diallo
Honneur à toi président Hama Arba Diallo
Ouagadougou, le 20 décembre 2014
Pour le Bureau Exécutif National du PDS/Metba, Le Vice-président Etienne TRAORE 
Source : Lefaso.net 21 décembre 2014

samedi 20 décembre 2014

NOUS SOMMES FORTS ET CONFIANTS

Le 4 décembre 2014, le président de Russie, Vladimir Poutine, a prononcé au Kremlin un discours devant les membres de l'Assemblée fédérale (parlement) de Russie. Nous offrons à nos amis lecteurs qui s’intéressent à la vie politique internationale la première partie de ce discours, consacrée à la politique extérieure de la Russie. 

Le discours du président Vladimir Poutine 

Chers membres du Conseil de la Fédération, députés de la Douma, citoyens de Russie !
Le discours d’aujourd’hui sera consacré, bien entendu, à la situation et aux conditions actuelles du monde dans lequel nous vivons, ainsi qu’aux défis auxquels nous sommes confrontés. Mais je tiens tout d’abord à vous remercier tous pour le soutien, l’unité et la solidarité dont vous avez fait preuve au cours des récents événements historiques et cruciaux qui vont sérieusement influencer l’avenir de notre pays. 

La Russie a prouvé qu’elle peut protéger ses compatriotes et défendre l’honneur, la vérité et la justice.
Cette année, nous avons été confrontés à des épreuves auxquelles seule une nation unie et mature et un Etat véritablement souverain et fort peuvent résister. La Russie a prouvé qu’elle peut protéger ses compatriotes et défendre l’honneur, la vérité et la justice.
La Russie a pu accomplir cela grâce à ses citoyens, grâce à votre travail et aux résultats que nous avons obtenus ensemble, et grâce à notre profonde compréhension de l’essence et de l’importance des intérêts nationaux. Nous avons pris conscience de l’indivisibilité et de l’intégrité de la longue histoire millénaire de notre patrie. Nous sommes venus à croire en nous-mêmes, à croire que nous pouvions faire beaucoup de choses et atteindre tous nos objectifs.
Aujourd’hui, nous ne pouvons bien évidemment pas ne pas évoquer les événements historiques qui ont eu lieu cette année. Comme vous le savez, un référendum a été organisé en Crimée en mars, dans lequel les habitants de la péninsule ont clairement exprimé leur désir de rejoindre la Russie. Après cela, le Parlement de Crimée – il convient de souligner que c’était un parlement tout à fait légitime, qui avait été élu en 2010 – a adopté une résolution d’indépendance. Et enfin, nous avons assisté à la réunification historique de la Crimée et de Sébastopol avec la Russie.
Ce fut un événement d’une importance particulière pour notre pays et notre peuple, parce que la Crimée est une terre où vivent nos compatriotes, et que son territoire est d’une importance stratégique pour la Russie car c’est là que se trouvent les racines spirituelles de la Nation russe, diverse mais solidement unie, et de l’Etat russe centralisé. C’est en Crimée, dans l’ancienne ville de Chersonèse ou Korsun, comme les anciens chroniqueurs russes appelaient, que le Grand Prince Vladimir a été baptisé avant d’apporter le christianisme au Rus.
En plus de la similitude ethnique, de la langue commune, des éléments communs de leur culture matérielle, d’un territoire commun – même si ses frontières n’étaient pas tracées et stables –, d’échanges économiques émergents et d’un gouvernement naissant, le christianisme fut une puissante force unificatrice spirituelle qui a contribué à impliquer dans la création de la Nation russe et de l’Etat russe les diverses tribus et alliances tribales du vaste monde slave oriental. C’est grâce à cette unité spirituelle que nos ancêtres, pour la première fois et pour toujours, se considérèrent comme une nation unie. Tout cela nous amène à affirmer que la Crimée, l’ancienne Korsun ou Chersonèse, et Sébastopol, ont une importance civilisationnelle et même sacrée inestimable pour la Russie, comme le Mont du Temple à Jérusalem pour les adeptes de l’Islam et du Judaïsme.
Et c’est ainsi que nous les considèrerons toujours. 

Chaque nation a le droit souverain et inaliénable de déterminer sa propre voie de développement, de choisir ses alliés, son régime politique et la forme d’organisation de sa société
Chers amis,
Aujourd’hui, il est impossible de ne pas revenir sur notre point de vue au sujet des développements en Ukraine et de la façon dont nous avons l’intention de travailler avec nos partenaires à travers le monde.
Il est bien connu que la Russie a non seulement soutenu l’Ukraine et d’autres républiques frères de l’ancienne Union soviétique dans leurs aspirations à la souveraineté, mais qu’elle a aussi grandement facilité ce processus dans les années 1990. Depuis lors, notre position n’a pas changé.
Chaque nation a le droit souverain et inaliénable de déterminer sa propre voie de développement, de choisir ses alliés, son régime politique et la forme d’organisation de sa société, de créer une économie et d’assurer sa sécurité. La Russie a toujours respecté ces droits et les respectera toujours. Ils s’appliquent pleinement à l’Ukraine et au peuple ukrainien frère.
Il est vrai que nous avons condamné le coup d’Etat et la prise violente du pouvoir à Kiev en février dernier. Les développements auxquels nous assistons actuellement en Ukraine et la tragédie qui se déroule dans le sud-est du pays confirment pleinement la justesse de notre position.
Comment tout cela a-t-il commencé ? Je vais devoir vous rappeler ce qui s’est alors passé. Il est difficile de croire que tout a commencé avec la décision technique par le président Ianoukovitch de reporter la signature de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne. Ne vous méprenez pas sur ce point, il n’a pas refusé de signer le document, mais il a seulement reporté la finalisation de cet accord en vue d’y faire quelques ajustements. Comme vous le savez, cette décision a été prise en pleine conformité avec le mandat constitutionnel d’un chef d’Etat tout à fait légitime et internationalement reconnu.
Dans un tel contexte, il n’était pas question pour nous de soutenir le coup de force, la violence et les meurtres. Il suffit de considérer les événements sanglants à Odessa, où des gens ont été brûlés vifs. Comment les tentatives ultérieures de répression des populations du sud de l’Ukraine, qui s’opposent à ce carnage, pourraient-elles être soutenues ? Je répète qu’il nous était absolument impossible de cautionner ces développements. Qui plus est, ils ont été suivis par des déclarations hypocrites sur la protection du droit international et des droits humains. C’est du cynisme à l’état pur. Je crois fermement que le temps viendra où le peuple ukrainien fera une juste évaluation de ces événements.
Comment le dialogue sur cette question a-t-il commencé entre la Russie et ses partenaires américains et européens ? Je mentionne nos amis américains à dessein, car ils influencent continuellement les relations de la Russie avec ses voisins, ouvertement ou en coulisses. Parfois, nous ne savons pas même avec qui parler : avec les gouvernements de certains pays ou directement avec leurs mécènes et sponsors américains ? 

Nous ne paierons pas pour ce que nous considérons comme une politique erronée
Comme je l’ai mentionné, dans le cas de l’accord d’association UE-Ukraine, il n’y eut absolument pas de dialogue. On nous a dit que ce n’était pas notre affaire, ou, pour le dire simplement, on nous a dit « où » aller.
Tous les arguments rappelant que la Russie et l’Ukraine sont des membres de la zone de libre-échange de la CEI, que nous avons historiquement établi une coopération profonde dans l’industrie et l’agriculture, et que nous partageons essentiellement la même infrastructure – personne ne voulait entendre ces arguments, et encore moins en tenir compte.
Notre réponse a été de dire : très bien, si vous ne voulez pas avoir de dialogue avec nous, nous allons devoir protéger nos intérêts légitimes unilatéralement et nous ne paierons pas pour ce que nous considérons comme une politique erronée.
Quel a donc été le résultat de tout cela ? L’accord entre l’Ukraine et l’Union européenne a été signé et ratifié, mais la mise en œuvre des dispositions concernant le commerce et l’économie a été reportée jusqu’à la fin de l’année prochaine. Cela ne prouve-t-il pas que c’est nous qui avions raison ?
Il faut aussi poser la question des raisons pour lesquelles tout cela a été fait en Ukraine. Quel était le but du coup d’Etat contre le gouvernement ? Pourquoi tirer et continuer à tirer et à tuer des gens ? De fait, l’économie, la finance et le secteur social ont été détruits et le pays a été ravagé et ruiné.
Ce dont l’Ukraine a besoin actuellement est d’une aide économique pour mener des réformes, pas de politique de bas étage et de promesses pompeuses mais vides. Toutefois, nos collègues occidentaux ne semblent pas désireux de fournir une telle assistance, tandis que les autorités de Kiev ne sont pas prêtes à relever les défis auxquels leurs citoyens sont confrontés.
A ce propos, la Russie a déjà apporté une contribution énorme en aide à l’Ukraine. Permettez-moi de rappeler que les banques russes ont déjà investi 25 milliards de dollars en Ukraine. L’année dernière, le ministère russe des Finances a accordé un prêt de 3 milliards de dollars. Gazprom a encore fourni 5,5 milliards de dollars à l’Ukraine et a même offert un rabais qui n’était pas prévu, en exigeant du pays qu’il ne rembourse que 4,5 milliards. Additionnez le tout et vous obtenez de 32,5 à 33,5 milliards de dollars récemment fournis.
Bien sûr, nous avons le droit de poser des questions. Pour quelles raisons cette tragédie a-t-elle été menée en Ukraine ? N’était-il pas possible de régler toutes les questions, même les questions litigieuses, par le dialogue, dans un cadre légal et légitime ? 

Soit nous restons une nation souveraine, soit nous nous dissolvons sans laisser de trace et perdons notre identité
Mais maintenant, on nous dit qu’il s’agissait de mesures politiques équilibrées et compétentes auxquelles nous devrions nous soumettre sans discussion et les yeux bandés.
Cela n’arrivera jamais.
Si pour certains pays européens, la fierté nationale est un concept oublié depuis longtemps et que la souveraineté est trop de luxe, pour la Russie, une véritable souveraineté est absolument nécessaire pour la survie.
Principalement, nous devrions prendre conscience de cela en tant que nation. Je tiens à souligner ceci : soit nous restons une nation souveraine, soit nous nous dissolvons sans laisser de trace et perdons notre identité. Bien sûr, d’autres pays doivent comprendre cela aussi. Tous les acteurs de la vie internationale doivent être conscients de cela. Et ils devraient utiliser cette compréhension pour renforcer le rôle et l’importance du droit international, dont nous avons tellement parlé ces derniers temps, plutôt que d’en plier les normes en fonction d’intérêts stratégiques tiers contraires aux principes fondamentaux du droit et au bon sens, considérant tout le monde comme des gens peu instruits qui ne savent ni lire ni écrire.
Il est impératif de respecter les intérêts légitimes de tous les participants au dialogue international. Alors seulement, non pas avec des mitraillettes, des missiles ou des avions de combat, mais précisément avec la primauté du droit pourrons-nous efficacement protéger le monde d’un conflit sanglant. Alors seulement, il n’y aura pas besoin d’essayer d’effrayer quiconque avec la menace d’un isolement imaginaire et trompeur, ou de sanctions qui sont, bien sûr, dommageables, mais dommageables pour tout le monde, y compris ceux qui les initient.
En parlant des sanctions, elles ne sont pas seulement une réaction impulsive de la part des États-Unis ou de leurs alliés à notre position concernant le coup d’Etat ou les événements en Ukraine, ou même au soi-disant « printemps de Crimée ». Je suis sûr que si ces événements ne s’étaient pas produits – je tiens à le souligner spécialement pour vous, politiciens, présents dans cet auditorium –, même si rien de tout cela ne s’était passé, ils auraient trouvé une autre excuse pour tenter d’endiguer les capacités croissantes de la Russie, de nuire à notre pays d’une quelconque manière, ou d’en tirer quelque avantage ou profit.
La politique d’endiguement n’a pas été inventée hier. Elle a été menée contre notre pays depuis de nombreuses années, toujours, depuis des décennies, sinon des siècles. En bref, chaque fois que quelqu’un pense que la Russie est devenue trop forte ou indépendante, ces mesures sont immédiatement déployées contre elle.
Cependant, parler à la Russie d’une position de force est un exercice futile, même quand elle est confrontée à des difficultés internes, comme ce fut le cas dans les années 1990 et au début des années 2000.
Nous nous souvenons bien de l’identité et de procédés de ceux qui, presque ouvertement, ont à l’époque soutenu le séparatisme et même le terrorisme pur et simple en Russie, et ont désigné des meurtriers, dont les mains étaient tachées de sang, comme des « rebelles », et ont organisé des réceptions de haut niveau pour eux. Ces « rebelles » se sont encore manifestés en Tchétchénie. Je suis sûr que les gens sur place, les forces de l’ordre locales, s’en occuperont de la manière appropriée. Ils œuvrent en ce moment même à stopper un autre raid de terroristes et à les éliminer. Donnons-leur tout notre soutien. 

Ils seraient heureux de laisser la Russie suivre le scénario yougoslave de désintégration et de démantèlement, avec toutes les retombées tragiques que cela entraînerait pour le peuple
Permettez-moi de le répéter, nous nous souvenons des réceptions de haut niveau organisées pour des terroristes présentés comme des combattants pour la liberté et la démocratie. Nous avons alors réalisé que plus nous cédions du terrain, plus nos adversaires devenaient impudents et leur comportement se faisait de plus en plus cynique et agressif.
Malgré notre ouverture sans précédent alors, et notre volonté de coopérer sur tous les points, même sur les questions les plus sensibles, malgré le fait que nous considérions – et vous êtes tous conscients de cela, vous en avez tous le souvenir – nos anciens adversaires comme des amis proches et même des alliés, le soutien occidental au séparatisme en Russie, incluant un soutien informationnel, politique et financier, en plus du soutien des services spéciaux, était absolument évident et ne laissait aucun doute sur le fait qu’ils seraient heureux de laisser la Russie suivre le scénario yougoslave de désintégration et de démantèlement, avec toutes les retombées tragiques que cela entraînerait pour le peuple russe.
Cela n’a pas fonctionné. Nous n’avons pas permis que cela se produise.
Tout comme cela n’a pas fonctionné pour Hitler avec ses idées de haine des peuples, qui a entrepris de détruire la Russie et de nous repousser au-delà de l’Oural. Tout le monde devrait se rappeler comment cela a fini.
L’année prochaine, nous allons marquer le 70e anniversaire de la Victoire dans la Grande Guerre patriotique. Notre armée a écrasé l’ennemi et a libéré l’Europe. Cependant, nous ne devons pas oublier les défaites amères en 1941 et 1942 afin de ne pas répéter les erreurs à l’avenir.
Dans ce contexte, je vais aborder une question de sécurité internationale. Il y a beaucoup de questions liées à ce sujet. Elles incluent notamment la lutte contre le terrorisme. Nous assistons encore à ses manifestations, et bien sûr, nous participerons aux efforts conjoints pour lutter contre le terrorisme sur le plan international. Bien sûr, nous allons travailler ensemble pour faire face à d’autres défis, tels que la propagation des maladies infectieuses.
Cependant, à ce propos, j’aimerais parler de la question la plus grave et la plus sensible question : la sécurité internationale. Depuis 2002, après que les États-Unis se soient unilatéralement retirés du Traité ABM, qui était une pierre angulaire absolue de la sécurité internationale, un équilibre stratégique des forces et de la stabilité, les États-Unis ont travaillé sans relâche à la création d’un système global de défense antimissile, y compris en Europe. Ceci constitue une menace non seulement pour la sécurité de la Russie, mais pour le monde dans son ensemble – précisément en raison de la perturbation possible de l’équilibre stratégique des forces.
Je considère que ce projet est également mauvais pour les Etats-Unis, car il crée une dangereuse illusion d’invulnérabilité. Il renforce la tension vers des décisions qui sont souvent, comme nous pouvons le constater, irréfléchies et unilatérales, et amène des risques supplémentaires.
Nous avons beaucoup parlé de cela. Je ne vais pas entrer dans les détails maintenant. Je dirai seulement ceci – peut-être que je me répète : nous n’avons nullement l’intention de nous engager dans une course aux armements coûteuse, mais en même temps, nous allons garantir de manière fiable et efficace la défense de notre pays dans ces nouvelles conditions. Il n’y a absolument aucun doute à ce sujet. Cela sera fait. La Russie a à la fois la capacité et les solutions innovantes pour cela. 

Nous allons protéger la diversité du monde. Nous dirons la vérité aux peuples
Personne ne pourra jamais parvenir à une supériorité militaire sur la Russie. Nous avons une armée moderne et prête au combat. Comme on dit actuellement, une armée courtoise, mais redoutable. Nous avons la force, la volonté et le courage de protéger notre liberté.
Nous allons protéger la diversité du monde. Nous dirons la vérité aux peuples à l’étranger, de sorte que tout le monde puisse voir l’image réelle et non déformée et fausse de la Russie. Nous allons promouvoir activement les affaires et les échanges humanitaires, ainsi que les relations scientifiques, éducatives et culturelles. Nous le ferons même si certains gouvernements tentent de créer un nouveau rideau de fer autour de la Russie.
Nous n’entrerons jamais dans la voie de l’auto-isolement, de la xénophobie, de la suspicion et de la recherche d’ennemis.
Ce sont là des manifestations de faiblesse, alors que nous sommes forts et confiants.
Notre objectif est d’avoir autant de partenaires égaux que possible, à la fois dans l’Ouest et à l’Est. Nous allons étendre notre présence dans ces régions où l’intégration est à la hausse, où la politique n’est pas mélangée avec l’économie (et vice versa), et où les obstacles au commerce, à l’échange de technologie et de l’investissement et à la libre circulation des personnes sont levés.
En aucun cas, nous n’allons limiter nos relations avec l’Europe ou l’Amérique. Dans le même temps, nous allons restaurer et étendre nos liens traditionnels avec l’Amérique du Sud. Nous allons poursuivre notre coopération avec l’Afrique et le Moyen-Orient.
Nous voyons à quelle vitesse l’Asie-Pacifique s’est développé au cours des dernières décennies. En tant que puissance du Pacifique, la Russie tirera pleinement parti de de potentiel énorme.
Tout le monde connaît les dirigeants et les « locomotives » du développement économique mondial. Beaucoup d’entre eux sont nos amis sincères et des partenaires stratégiques.
L’Union économique eurasienne va commencer à être pleinement opérationnelle le 1er Janvier 2015. J’aimerais vous rappeler ses principes fondamentaux. Les principes majeurs sont l’égalité, le pragmatisme et le respect mutuel, ainsi que la préservation de l’identité nationale et de la souveraineté de l’Etat de tous les pays membres. Je suis convaincu qu’une coopération étroite sera une puissante source de développement pour tous les membres de l’Union économique eurasienne.
Pour conclure cette partie de mon discours, j’aimerais dire encore une fois que nos priorités sont d’avoir des familles saines et une nation saine, ce sont les valeurs traditionnelles que nous avons héritées de nos ancêtres, combinées avec un accent sur l’avenir, la stabilité comme une condition essentielle du développement et du progrès, le respect des autres nations et États, et la sécurité garantie de la Russie et la protection de ses intérêts légitimes.
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Source : La Voix de la Russie 5 décembre 2014