lundi 30 juin 2014

« L'AFRIQUE SOUFFRE D'UN NEOCOLONIALISME SUBTIL »

Le président Obiang Nguema

Quelques extraits du discours du président Obiang Nguema Mbasogo lors du 23e sommet de l'Union africaine à Malabo (20-27 Juin 2014).  


ü  « C'est un grand honneur pour la République de Guinée équatoriale d'accueillir ce sommet dans un moment particulièrement crucial où les pays du monde doivent se mettre d'accord pour trouver des solutions aux problèmes difficiles de la sécurité, les dangers du changement climatique, la famine et la pauvreté qui touchent le monde actuellement. En souhaitant la bienvenue la plus chaleureuse aux dignitaires du continent africain et aux invités spéciaux, en espérant qu'ils profiteront de l'hospitalité, nous avons l'espoir que cette rencontre constitue un point d'inflexion dans la revitalisation de l'Union africaine ».

ü  « Nous ne pouvons pas parler de développement de l'Afrique s'il n'existe pas un développement agricole qui évite la dépendance permanente des importations des articles de consommation. L'Afrique doit investir massivement dans le développement agricole pour sa propre transformation, afin d'accélérer la croissance et d'augmenter la productivité ».

ü  « L'Afrique ne doit pas se contenter de sa dépendance actuelle du monde développé ». « L'Afrique doit poser à nouveau ses relations avec le monde développé pour réduire la brèche de son accès au développement. Nous devons nous rendre compte que l'Afrique souffre d'un néocolonialisme subtil. Si nous analysons, par exemple, le sujet de la parité économique, nos monnaies n'ont jamais expérimenté la réévaluation qui serait nécessaire sur la base de la croissance de nos pays. Au contraire, des mesures d'évaluation permanentes ont été adoptées et une stagnation de la parité est constatée, qui ne respecte pas la croissance économique des États africains, tandis que le contrôle économique de l'Afrique est géré par les pays développés. L'Afrique souffre également un néocolonialisme concernant le gel des prix des matières premières de base et les barrières protectionnistes imposées dans le commerce international ».

ü  « Ce qui alimente également la dépendance de l'Afrique par rapport à l'Occident, c'est la tentative de remplacer les valeurs des cultures africaines par celles qui règnent dans le monde occidental. Nous devons rappeler à ces pays que la démocratie n'est en rien une nouveauté pour les peuples africains. La démocratie a été pratiquée depuis des siècles dans nos sociétés, sur la base des valeurs positives de notre cohabitation, qui ont engendré la paix et la bonne cohabitation de nos peuples ».

ü  « Nous devons nous rendre compte que l'Afrique est plongée dans un processus de développement démocratique qui est désormais irréversible. C'est une évolution qui doit être adaptée à la réalité de l'idiosyncrasie africaine, qui ne doit pas admettre les contraintes étrangères ».

ü  « L'Afrique est consciente des difficultés trouvées pour établir une coopération avec les partenaires traditionnels de l'Occident, qui puisse satisfaire ses besoins de base. Le temps des empires coloniaux, après les grandes guerres, est entré dans l'histoire et le monde doit être régi par de nouveaux concepts de transparence, de démocratie et de droits, sans avoir des ingérences étrangères ».

ü  « Il est temps que nous révisions les monopoles de l'économie sous le masque dénaturé de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, qui n'ont pas offert d'aide visible aux pays africains ».

ü  « Nous croyons qu'il faut revoir le fonctionnent du système des Nations Unies, afin qu'il satisfasse tous les États et qui ne soit pas la plate-forme pour ceux qui souhaitent mettre à jour leur agenda d'ingérences. De même, nous devons donner priorité à la coopération Sud-Sud, pour nous sortir de notre stagnation, car c'est cette coopération qui respecte les principes d'égalité et de réciprocité ». 


Source : La Dépêche d'Abidjan 29 Juin 2014 (D’après le Bureau d’information et de presse de Guinée équatoriale).
Titre original : « Obiang Nguema aux Occidentaux : "La marche de l'Afrique vers la prospérité est irréversible" ». 


 
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vendredi 27 juin 2014

Accélérer le déclin de la Françafrique - Un devoir pour les souverainistes africains

 
Françafrique et larbinisme...
Comment l’Afrique francophone se porte-t-elle aujourd’hui ? Mal, très mal même, de notre point de vue. Elle ressemble, en effet, à ce voyageur attaqué puis abandonné à demi mort par des bandits entre Jérusalem et Jéricho dans la parabole du bon Samaritain (Luc 10, 29-37). Pour le dire autrement, elle donne l’impression d’être condamnée à ne produire que des rébellions, coups d’Etat et guerres dans la mesure où elle n’en a pas fini avec les crises comme on l’a vu en 2013 avec les événements dramatiques du Mali et de la Centrafrique. L’intervention de la France dans ces deux pays a-t-elle été salutaire ? Hollande y est-il allé gratis pro Deo ? L’opération Sangaris étant en cours en Centrafrique, il est trop tôt pour la juger. Le bilan de Serval au Mali semble, lui, mitigé si on se réfère à une déclaration du sénégalais Amath Dansokho. En effet, tout en reconnaissant que la France a stoppé « l’avancée des djihadistes, des forcenés qui veulent imposer leur modèle de société par la mort et la violence », le président d’honneur du Parti de l’indépendance et du travail (Pit) au Sénégal ne comprend pas que les autorités françaises « protègent certains groupes armés dans le nord du Mali » et se demande si l’objectif de cette protection n’est pas « la création d’un État croupion qui permettrait l’exploitation des immenses ressources minières, énergétiques de cette zone, au détriment  du Mali».
Toute l’ambiguïté de la France est là : faire croire qu’elle vole au secours de ses ex-colonies confrontées à des difficultés alors que c’est elle-même qui y sème le désordre et la mort. Tout le monde sait, par exemple, que c’est parce qu’elle a plongé la Libye dans le chaos que des terroristes se sont installés dans le nord du Mali avec des armes puissantes et dangereuses prises en Libye. Les autorités françaises semblent ne pas être contentes aujourd’hui de Michel Djotodia. Mais qui a laissé les rebelles de la Seleka prendre le pouvoir à Bangui ? Quand François Bozizé demandait l’assistance de la France, Hollande n’avait-il pas refusé de bouger ? D’ailleurs, qui avait aidé Bozizé à renverser en 2003, Ange-Félix Patassé démocratiquement élu président de la république en 1993 ? Comme le dit une chanson du reggaeman ivoirien Tiken Jah, « ils attisent le feu, ils l’allument. Après, ils viennent jouer les pompiers ». Des pyromanes-pompiers : voilà ce qu’ont toujours été les dirigeants français. À moins qu’ils fassent semblant, quelques traîtres africains refusent de comprendre que c’est la France qui « fout la merde » dans nos pays au nom de la Françafrique. Pour eux, ce sont les africains qu’il convient de blâmer car ils sont les seuls responsables de cette situation. Mais pourquoi rejettent-ils toute la faute sur leurs frères ? Pourquoi n’incriminent-ils jamais la France ? Pour une raison aussi simple que dire bonjour : ils tiennent à préserver leurs petits intérêts (le vin, le fromage et le visa français, le petit boulot dans telle ou telle Pme française). Certes, les fils et filles de cette partie de l’Afrique ne sont pas irréprochables. Leurs péchés sont, entre autres, la cupidité, l’incurie, l’égoïsme, le tribalisme, le non-respect du bien commun, la corruption. Mais l’objectivité et l’honnêteté commandent de dire aussi que l’Afrique de langue française souffre plus et d’abord des hommes politiques français qui n’ont jamais renoncé à piller via Areva, Total, Elf, Bouygues, Bolloré, Orange, France Télécom et d’autres entreprises ses richesses naturelles et à s’ingérer dans ses affaires intérieures.
Une ingérence que même certains analystes occidentaux ne se privent plus de dénoncer. Ainsi, en est-il de Fabrice Tarrit, président de l’ONG « Survie », quand il juge le sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique (6 et 7 décembre 2013) : « En 1998, lors d’un précédent sommet France-Afrique sur la sécurité, la France avait annoncé vouloir changer de pratiques en matière de coopération militaire. 15 ans plus tard, son armée est toujours bien positionnée en Afrique et la plupart des dictateurs de l’époque sont toujours en place. La France poursuit ses interventions militaires sans avoir dressé aucun bilan de ces opérations ni de leur impact réel sur la paix et la démocratie dans les pays concernés. Ce bilan serait, il est vrai, accablant ». Et Patrick Farbiaz, le porte-parole de « Sortir du colonialisme », de renchérir : « Ce sommet intervient pendant la négociation d’une loi de programmation militaire qui, dans le prolongement du Livre Blanc sur la Défense, prévoit le renforcement de la capacité d’intervention des forces françaises sur le continent. On assiste à une re-légitimation de l’ingérence militaire française qui s’appuie sur une propagande autour d’opérations prétendument menées au nom des droits de l’Homme, mais qui servent en vérité les intérêts français». Le candidat Hollande avait promis le changement non seulement dans la manière de gouverner la France mais aussi dans les relations entre la France et les pays africains. Environ deux ans après son élection, peut-on penser que la Françafrique a été démantelée ? Le palais de l’Elysée a-t-il une seule fois fermé ses portes aux dictateurs et sanguinaires qui sont à la tête de nombreux pays africains ? Il est vrai que Kabila fut humilié par hollande lors du XIVe somment de la Francophonie à Kinshasa (13-14 octobre 2012) mais qu’en est-il d’Idriss Déby et de Blaise Compaoré ? La France a-t-elle arrêté de les soutenir contre leurs peuples ? Non ! 75 cadres du congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) parmi lesquels Marc Roch Christian Kaboré, Salif Diallo et Simon Compaoré ont claqué la porte du parti au pouvoir pour protester contre la volonté du président burkinabè de modifier l’article 37 de la constitution burkinabè, ce qui lui permettrait de briguer un cinquième mandat. Il est peu probable que la France, habituée à venir en aide aux présidents qui travaillent pour elle en Afrique, lâche celui qui gouverne le Burkina Faso depuis 1987 après l’assassinat de Thomas Sankara.
Selon le politologue français Michel Galy, la France est intervenue militairement 50 fois en 50 ans en Afrique et elle est le seul pays européen à continuer à contrôler et à manipuler ses ex-colonies, 54 ans après la proclamation des indépendances. Pour lui, « de telles interventions sont impensables, par exemple, pour la Grande-Bretagne au Zimbabwe ou au Kenya». Michel Galy qui juge « inadmissibles 150 ans de domination militaire et d’exploitation violente sous des formes diverses mais avec des résultats similaires – maintien de dictatures ou de "démocratures" savamment instaurées, entretenues, louangées», termine son article en plaçant François Hollande devant deux options : « s’inscrire dans cette continuité anachronique ou aider les peuples africains à se libérer ». À notre avis, son pays devrait prendre le second chemin car une nation est grande, non pas en infantilisant et en dominant ad vitam aeternam, mais en étant fière et heureuse de voir les « enfants » qu’elle a mis au monde voler de leurs propres ailes. La France le comprendra-t-elle ? Aura-t-elle un jour le courage de rompre avec la Françafrique comme elle le promet chaque fois que le pouvoir s’apprête à changer de main ? Il n’est pas certain qu’elle consente à passer des discours aux actes, tant sa puissance dépend en grande partie du fric qu’elle retire illégalement de l’Afrique depuis cinq décennies. Mais, quand on pense aux consciences qui s’éveillent de plus en plus en Afrique et dans les diasporas, on peut se demander si le système n’est pas en train de vivre ses derniers moments, si le pays dirigé par Hollande n’est pas aujourd’hui « plus proche de l’Espagne ou de l’Italie que du Royaume-Uni ou de l’Allemagne», si son déclin n’a pas commencé. Il appartient aux panafricanistes et souverainistes comme à ceux qui sont attachés à la liberté et à l’auto-détermination des peuples en Occident de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour accélérer ce déclin. 

Fabien Mélédouman (enseignant) 

 
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Source : Notre Voie 27 juin 2014

jeudi 26 juin 2014

NOTRE HISTOIRE AVEC L’IMPÉRIALISME FRANÇAIS (suite)

LA PRISE DE CONTRÔLE DE LA "LAGUNE ÉBRIÉ", D’APRÈS LE TÉMOIGNAGE D’UN CROISÉ DES TEMPS MODERNES
 
« A 80 kilomètres environ à l'ouest de Grand-Bassam la grande lagune Ebrié, dont les eaux limoneuses s'étendent jusqu'à Kraffy, 40 kilomètres plus loin, se creuse en un vaste port natu40 kilomètres plus loin, se creuse en un vaste port naturel abrité contre les vents du large qui soufflent parfois en tempête dans ces parages.
Au fond de cette baie se trouve le petit village de Dabou, centre du commerce des amandes et de l'huile de palme que les habitants du pays Adioukrou venaient, de temps immémorial, livrer aux traitants Alladians et aux courtiers Ebriés de la grande lagune. Tant que les rapports, établis en 1843 par nos marins de l'Atlantique avec les chefs indigènes, se bornèrent à leur faire des cadeaux, tout fut facile, mais lorsque ceux-ci virent des factoreries, fournies de nombreuses marchandises, venir leur disputer les marchés, ils pensèrent qu'ils s'étaient donné là des concurrents dangereux et leur animosité dégénéra bientôt en une hostilité flagrante qu'il fallut réprimer. En 1853, l'amiral Baudin avait dû infliger aux Ebriés, réunis à Eboué, une correction qu'ils n'oublièrent pas de sitôt. C'est à la suite de cette expédition que fut construit à Dabou par Faidherbe, alors capitaine du génie, le fort qui porte son nom et dont la solide masse de pierre pouvait défier tous les assauts et permettait d'assurer la libre circulation de la lagune. Elle avait aussi le grand avantage de tenir en respect la turbulente tribu des Boubourys, située à peu de distance, et dont l'hostilité toujours en éveil devait donner lieu, dans le cours de l'année 1898, à de tragiques événements.
Le fort Faidherbe avait dû être abandonné en 1870 pour n'être occupé de nouveau qu'en 1892, sous l'administration de M. Ballay, gouverneur de ce qu'on appelait alors la Guinée française et dépendances. A l'époque qui nous occupe, il servait de résidence à l'administrateur commandant le cercle.
 
[…] la fondation des deux postes de Bingerville et d'Abidjan ouvrait à l'évangélisation la tribu Ebrié, jusque-là délaissée.
Cette tribu, adonnée principalement à la pêche, habite un grand nombre de petits villages disséminés çà et là sur les bords de la lagune, à l'ombre d'un bosquet de cocotiers. Les Ebriés avaient toujours été assez réfractaires à notre autorité, et il avait fallu infliger dans le passé quelques sévères leçons à ces écumeurs de la lagune. Nous avons relaté plus haut la correction que l'amiral Baudin dut leur administrer dès 1853, près du village d'Eboué. Depuis cette époque, ils s'étaient toujours obstinément dérobés devant la pénétration européenne, et les débuts de la Mission de Bingerville devaient encore être signalés par une nouvelle marque de leur hostilité. En février 1905, les indigènes du village d'Akouadio [Akouédo], situé à 8 kilomètres à peine, pénétraient en armes dans la capitale sans défense et y massacraient un garde et un colporteur indigènes. Il fallut faire venir de Lahou une compagnie de tirailleurs qui, appuyée par une flottille, enleva le village  d'Akouadio, après une résistance acharnée.
Tels étaient les Ebriés. Leur défiance de l'Européen, unie à la sauvagerie de leur caractère, en rendrait certes la conquête difficile, mais ces considérations n'étaient pas de nature à décourager les missionnaires qui, sous ces dehors un peu rébarbatifs, savaient distinguer l'âme immortelle créée à l'image de Dieu. » 
(Extrait de « La Côte d'Ivoire chrétienne », du R.P. Joseph Gorju, Librairie catholique Emmanuel Vitte, Paris-Lyon 1915 ; pp 25-26 & 146). 

Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque nationale de France

lundi 23 juin 2014

France - la ronde grotesque des pontifes de la pensée unique

Oligopoles médiatiques, monopole idéologique
Par Alain Garrigou (Le Monde diplomatique 13 juin 2014) 
 
On n’a guère remarqué combien le changement politique de 2012 n’a entraîné aucun changement médiatique. Il fut un temps encore proche où on aurait suspecté le pouvoir politique d’imposer ses partisans à la télévision. En arrivant au pouvoir, Nicolas Sarkozy n’avait pas omis de placer ses fidèles. Avec François Hollande, rien de tel. Le pouvoir pourrait s’en féliciter comme d’un progrès démocratique. On dénonçait autrefois la « chasse aux sorcières ». La France serait devenue un peu plus républicaine. De leur côté, des journalistes s’empareraient volontiers de cette continuité pour souligner leur professionnalisme et prétendre avoir fait de la presse un lieu neutre. En somme, les docteurs Pangloss trouvent toujours de bonnes raisons d’être au monde tel qu’il est. A l’inverse, les mauvais augures interprètent cette continuité comme un indice de la proximité entre les partis de gouvernement et un signe que la presse convient à la majorité actuelle. Même si l’hypothèse paraît démentie par son hostilité généralisée à l’endroit de M. Hollande et du gouvernement.

Le dénigrement médiatique appartenait au répertoire de l’action politique dans la République parlementaire. A coup de révélations, d’accusations et de mépris, un journal s’en prenait à un gouvernement pour le pousser à la démission. Obstinément. Une campagne de calomnie était menée par une presse d’opinion, autrement dit par un journal ou une partie de cette presse, la presse d’opposition. La Ve République a fait quasiment disparaître ces campagnes tant il y avait de risques à s’attaquer à un pouvoir puissant. Aujourd’hui, la presse politique s’en prend plus ou moins vivement au gouvernement sans être forcément favorable à un parti d’opposition. Le FN n’a pas bonne presse, le Front de gauche non plus, ni même l’UMP – sauf dans l’indéfectible Figaro –, et les médias dits de gauche ont « lâché » le pouvoir qui, disent-ils, ne l’est pas (de gauche). La campagne de presse est la campagne de la presse, non point celle d’une presse d’opinions (au pluriel) mais la presse d’opinion (au singulier).

L’unanimité se dessine sur les plateaux composés exclusivement de journalistes, aidés par les mêmes sondeurs et politologues (de Sciences Po) dont le propos ne diffère d’ailleurs pas du commentaire journalistique. Les éditorialistes les plus charitables y jouent aux conseillers politiques en disant aux dirigeants ce qu’ils devraient faire, les autres tentent de convaincre que le pouvoir actuel doit s’en aller.[1] On en voit même hausser le ton, menacer un dirigeant de mettre un terme à l’interview s’il ne répond pas à une question.

Comment s’est établi le modus vivendi entre politique et médias ? Après tout, le même sort ne fut pas réservé à tous, et s’il est vrai que les disgrâces ne furent pas sévères, d’autres ont été moins bien traités, comme la police ou la magistrature. On n’en tirera pas d’implications aussi positives pour le pluralisme politique car si rien n’a changé, c’est que pas grand-chose ne sépare les partis de l’alternance et que l’alternance est plutôt vide, sinon pour les personnes. En l’occurrence, il n’y en a pas eu dans le paysage audiovisuel français (PAF). Les mêmes émissions, les mêmes animateurs et les mêmes invités. De plus en plus morne et monolithique. Et si, au lieu de se tourner vers la politique, on se demandait ce qui change ou pas dans les médias ? Car le paradoxe est bien que rien ne change parce que quelque chose y a changé.

Une classe bavarde (chattering class, comme on le dit aux Etats-Unis) où se retrouvent les mêmes experts et éditorialistes. Ces derniers ont-ils encore le temps de passer à leur journal quand l’essentiel de leur journée, jusque tard dans la nuit, consiste à passer d’un studio à l’autre ? Les rares universitaires (de Sciences Po) ont-ils encore le temps de faire des cours ? Il est vrai qu’ils sont parfois à la retraite et qu’il est aujourd’hui possible à Sciences Po de faire cours par visioconférence. Dans cette institution, qui est devenue la pépinière de la pensée unique, c’est autrement plus chic de voir ses enseignants sur petit ou grand écran.[2] Les journalistes qui en sortent y reviennent pour interroger les pundits (experts). Il ne faut pas en attendre beaucoup d’originalité. Cela donne les échanges où l’on s’emballe en chœur sur des questions aussi vitales que : Nicolas Sarkozy doit-il revenir ? François Hollande peut-il rester ? Manuel Valls tient-il ses ministres ? Alain Juppé va-t-il arriver en tête des cotes de popularité ? Et chacun d’y aller de son conseil sur le moment opportun, les choix à faire.

Face aux critiques, la classe bavarde ne manque pas d’invoquer le pluralisme. Bien sûr, on a des exemples. En fait des alibis. C’est bien le problème des refus de plus en plus fréquents des invités qui ne veulent pas jouer les « idiots utiles ». Soit parce qu’ils sont bien reçus mais servent seulement de caution en sachant que leur contribution ne sera qu’une goutte d’eau dans un océan de pensée unique. Soit parce qu’ils sont mal reçus, immédiatement piégés dans un dispositif qu’ils ne maîtrisent pas et qui leur est défavorable par définition. Dépendants des règles du jeu, du meneur de jeu qui les rappelle à l’ordre et entend bien rester maître chez soi. Il suffit d’une remarque caustique pour remettre les invités à leur place. Pour les intellectuels ou ce qui en reste, c’est le mépris affiché pour la pensée savante. Et aujourd’hui, ils toisent aussi les dirigeants politiques, tranchant sans doute avec des décennies de pusillanimité, mais croyant appliquer les principes du journalisme sans complaisance en se réclamant d’un modèle d’outre-Atlantique. En entendant leurs conseils, on regrette presque qu’ils ne prennent pas les rênes du pouvoir.

En attendant cet avènement de la classe bavarde, ses têtes de file peuvent déjà menacer, comme le fut Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, d’arrêter l’interview si leur invité ne répond pas à la question posée (Jean-Jacques Bourdin, RTL, 5 juin 2014). De quel droit ? Au nom de celui du peuple, pensent-ils. On s’interroge parfois sur l’écart entre le succès et la médiocrité avec un préjugé aristocratique peu pertinent. Il faudrait être excellent pour emporter le succès. Fausse règle des médias de masse. Ils parlent le peuple, ou plutôt une idée du peuple, faite de bon sens élémentaire, d’affirmation de soi, de langage vulgaire. Il est significatif qu’on retrouve ce style commun aux éditorialistes les plus en vue. Parmi d’autres, Yves Calvi (France 2, France 5 et RTL), Jean-Michel Aphatie (RTL, Canal Plus), Jean-Jacques Bourdin (RMC, BFM TV) partagent ce style, exprimant les questions et réactions des Français, exhibant des postures fières, facilement viriles, des intonations populaires, avec gouaille et même accent, avec un mélange de compétence floue, une connaissance familière des milieux politiques (qu’ils fréquentent) et d’invocation du peuple (les sondages d’opinion et les questions des auditeurs et téléspectateurs).

A ces manifestations de la pensée beauf, une posture plus qu’une pensée, il faut croire que les mesures d’audimat sont favorables. Ils donnent tellement satisfaction aux employeurs. Encore un peu et le temps médiatique sera plus exclusivement partagé par une poignée d’éditorialistes. La logique de concentration fonctionne aussi dans les médias. Contrairement aux entreprises, la constitution des oligopoles éditorialistes produit le monopole de la pensée. Il est vrai que tout cela n’est que marchandise. 

 
Notes
 
[1] « Je serais lui je pense que je mettrais tout sur la table. Je sauverais les finances françaises, je sauverais le pays. La seule chose qu’il a à faire aujourd’hui, c’est d’être très audacieux ». Ghislaine Ottenheimer (rédactrice en chef de Challenges), C dans l’air, France 5, 16 avril 2014.
 
[2] Dans une rame de métro, le hasard me plaça un jour à côté d’étudiants de la rue Saint Guillaume commentant les propos d’un de leurs enseignants familier des plateaux et s’extasiant devant une profondeur qui ne dépassait pas ceux qu’il tenait habituellement au café du commerce télévisuel. A en juger par cet épisode, la visioconférence profitera grandement au prestige des enseignements magistraux, quand les étudiants ne verront plus les professeurs en chair et en os mais en image.
 

Source : Connectionivoirienne.net 23 juin 2014

samedi 21 juin 2014

2015 : De quoi les montreurs de fantoches ont-ils peur ?

 
« …là où le bât blesse, c’est la présence d’un représentant du chef de l’Etat
qui, en plus, est appelé, sauf changement, à présider la Commission. »
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la présidentielle ivoirienne de 2015 se prépare sous de mauvais auspices. Déjà  que la participation du Front populaire ivoirien (FPI) au scrutin était incertaine… En effet, au sein du parti de l’ex-président Laurent Gbagbo, deux camps se dégagent : d’un côté il y a les partisans du boycott pour qui la détention de leur chef dans le centre pénitencier de la Haye, la mauvaise conduite du  processus de réconciliation, la partialité de la justice ivoirienne et même internationale dans les affaires liées à la crise postélectorale, constituent autant d’obstacles à toute participation au scrutin à venir ; de l’autre, il y a ceux qui prônent la reconquête du pouvoir malgré l’absence du leader historique du FPI. Est de cette tendance, le président du parti, Pascal Affi N’Guessan, déjà dans la posture de candidat.
L’autre menace qui plane sur cette élection de 2015, c’est la position du PDCI dont la participation est tout aussi incertaine. Là aussi, deux tendances s’affrontent : l’une, emmenée par un jeune franc-tireur du parti, Konan Kouassi Bertin (KKB), bataille pour une candidature contre l’allié d’hier, Alassane Dramane Ouattara ; une position qui n’est pas pour déplaire à certains vieux caïmans comme Alphonse Djedje Madi, qui piaffe d’impatience de s’essayer enfin à la course vers le palais de Cocody ; l’autre, représentée par des «obligés» du président actuel, préfère accompagner un généreux bienfaiteur dans sa quête de second mandat.
Est de ceux-là Henri Konan Bédié, entretenu comme un coq en pâte par le pouvoir : construction d’un pont à son nom, voyages dans l’avion du chef de l’Etat et autres libéralités présidentielles à l’égard du Sphinx de Daoukro.
A tout ce méli-mélo d’avant-2015 vient s’ajouter cette nouvelle affaire de la Commission électorale indépendante (CEI).
En effet, cette institution, en charge de l’organisation des élections, cristallise contre elle de nombreuses critiques non seulement du FPI mais également d’une partie du PDCI dont des députés ont même saisi le Conseil constitutionnel pour dénoncer la non-conformité de la nouvelle loi avec la Constitution. Mais sans surprise, la requête n’a pas abouti.
Ce qui a autorisé, le lendemain mercredi 18 juin, le chef de l’Etat à promulguer la loi  querellé avec quatre représentants de l’Administration, quatre de la société civile, quatre de l’opposition, quatre du pouvoir et, tenez-vous bien, un représentant du chef de l’Etat dans la Commission, composée de 17 membres.
On n’a pas besoin de sortir des hautes écoles de sciences politiques pour se rendre compte que, par sa composition, cette CEI n’a d’indépendante que le nom.
Passe encore que le pouvoir, en plus de ses quatre représentants, ait les alliés  naturels que sont les quatre représentants de l’Administration. Mais là où le bât blesse, c’est la présence d’un représentant du chef de l’Etat qui, en plus, est appelé, sauf changement, à présider la Commission.
Sauf erreur ou omission, même dans de pareilles institutions taillées sur mesure comme on en connaît dans beaucoup de contrées africaines, on n’a jamais vu le président de la République être représenté ès-qualité. Cette incongruité ivoirienne est d’autant plus problématique qu’Alassane Ouattara se trouve être candidat à l’élection alors que la loi ne prévoit pas de représentant, à titre personnel, de ses challengers ; d’où la fronde légitime d’un certain nombre de députés contre cette représentation inéquitable au sein de la CEI.
Alors si dès l’amont, les prétendants à la course présidentielle ne sont pas sur la même ligne de départ, il va sans dire que l’arrivée est connue d’avance. Et la suite aussi : contestation des résultats avec tout ce que cela comporte comme conséquences pour une Côte d’Ivoire qui ne s’est pas encore tout à fait remise du conflit postélectoral de 2010. Le président Ouattara est bien payé pour savoir que ce sont pareilles iniquités qui font le lit des crises politiques.
Toutes ces entorses  à l’indépendance réelle de la CEI trahissent-elles la peur du candidat sortant de ne pas décrocher le pompon en 2015 ? Dans le cas contraire, procèdent-elles de micmacs politiques visant à lui assurer une victoire à valeur de plébiscite ? 

Adama Ouédraogo Damiss

 
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Source : L’Observateur Paalga (BF) 19 Juin 2014

vendredi 20 juin 2014

Un politologue camerounais réagit au documentaire de Saïd Penda intitulé : « Laurent Gbagbo, despote ou anti-néocolonialiste… ».

Mathias E. Owona Nguini
Photo: © CIN Archives

« Votre documentaire est une démarche idéologique propagandiste commanditée contre Laurent Gbagbo. » 



Gbagbo, le marxiste 

Laurent Gbagbo est un homme politique, un homme d’Etat, un universitaire ivoirien et un militant qui est né en 1945. Il a fait ses études primaires et secondaires en Côte d’Ivoire. Il a fait ses études supérieures au moins en partie en France et s’est spécialisé en Histoire. Et par orientation morale et politique, il a beaucoup travaillé sur des questions de décolonisation et sur les mouvements de libérations nationales. Il a donc été effectivement un syndicaliste, un militant et homme politique dans les années 1970 en Côte d’Ivoire dans le contexte extrêmement répressif du régime Houphouët-Boigny. Ce régime qui, sous le couvercle du dialogue et de la palabre, était à l’image des autres régimes africains autoritaires. Et Laurent Gbagbo est en quelque sorte un récalcitrant parmi les militants. Il n’a cédé à aucune tentative de séduction de Félix Houphouët-Boigny dans son gouvernement pour le copter. Il a dû s’exiler en France où il a épousé une Française avec qui il a eu son fils Michel. La première orientation politique de Laurent Gbagbo est une orientation marxiste même à certaines étapes, marxiste-léniniste. 

Gbagbo, le patriote 

Il revient en Côte d’Ivoire à la fin des années 1980. Certains estiment que les Français ont fait un certain jeu pour qu’il revienne et gêner Houphouët-Boigny. Dans ce que monsieur Saïd Mbombo dit, il peut toujours se trouver des éléments vrais. Mais c’est dans une trame biaisée. Ceci parce qu’on voit que c’est un documentaire porté à la charge qui a été construit comme tel. On peut effectivement faire des reproches à Laurent Gbagbo en tant qu’homme d’Etat et homme politique. Mais, pour bien comprendre la trajectoire politique de Laurent Gbagbo en tant que dirigeant d’Etat, il faut la replacer dans un contexte. Et c’est ce contexte qui nous permettra de comprendre que Laurent Gbagbo, quoiqu’on dise, est un patriote, un panafricaniste et comprendre aussi les contradictions auxquelles il a été confrontées dans l’action concrète en tant qu’homme d’Etat. Parce que, évidemment, les tâches d’un homme politique d’opposition ne sont pas les mêmes que celui d’un homme d’Etat. Surtout dans les structures politiques des Etats d’Afrique qui sont pour la plupart des Etats autoritaires. 

Gbagbo et l’houphouëtisme 

En fait, s’il y a une seule chose qui me semble vraie dans ce que Saïd Mbombo Penda dit, c’est que Laurent Gbagbo a conservé une bonne partie de la gouvernance houphouëtiste. Et c’est ça sa limite. C'est-à-dire qu’en réalité, vous ne pouvez pas critiquer la gouvernance de Laurent Gbagbo en tant que président sans impliquer tous les autres hommes politiques et partisans de la Côte d’Ivoire. Parce que Laurent Gbagbo n’a jamais gouverné seul. Parce qu’en réalité, les éléments avec lesquels Laurent Gbagbo gouverne sont issus du parti PDCI. Ce parti qui est d’ailleurs resté le socle du système politique et institutionnel ivoirien. Laurent Gbagbo a hérité des contraintes de la Côte d’Ivoire qui est un Etat phare dans le dispositif de tutelle internationale de la France. Et ceci a été tout le problème de Laurent Gbagbo parce que les Occidentaux ne l’ont jamais considéré comme un homme du sérail françafricain. Ils estiment qu’il est arrivé au pouvoir par hasard alors qu’il n’en avait pas voulu. Le problème qu’il a eu, c’est qu’il a voulu créer des possibilités de dialogue avec les Français. Donc, il ne faut pas avoir une lecture biaisée des événements pour en faire un quelconque documentaire sur Laurent Gbagbo. Des événements qu’il faut lire dans un contexte sans exclure les actes de ses alliés et de ses opposants. Vous ne pouvez pas extraire Laurent Gbagbo de l’ensemble du système ivoirien pour en faire une espèce de portrait. Un portrait qui serait isolé sur une logique de diabolisation construite pour la légitimité et de blanchir l’actuel régime ivoirien en place. La plus grande faute de Gbagbo de mon point de vue, c’est qu’il a conservé les structures de la gouvernance houphouëtiste. C’est cette gouvernance qui est à l’origine de tous les problèmes de la Côte d’Ivoire. 

Gbagbo et l’ethnicité 

J’ai entendu monsieur Saïd Mbombo dire que Laurent Gbagbo a manipulé l’ethnicité et la religion. Je veux bien. Mais quand vous connaissez le parcours de Laurent Gbagbo, s’il y a un homme politique en Côte d’Ivoire qui est le moins porteur du discours de l’ethnicité, c’est Laurent Gbagbo. Si cela a pu arriver, c’est dans le contexte créé par ses adversaires de l’opposition. Laurent Gbagbo ne pouvait pas utiliser l’ethnicité au départ. Si vous prenez son groupe ethnique, les Bétés, au sens strict démographique, vous ne pouvez pas vous appuyer sur les Bétés pour prendre le pouvoir parce qu’ils ne sont pas suffisamment nombreux. Une fois que Laurent Gbagbo était au pouvoir, dans un contexte où les autres forces ont régionalisé la lutte, il est un être humain comme un autre et a pu également s’appuyer sur ce type de mode opératoire. En réalité, ceux qui sont responsables de l’ethnicisation et l’instrumentalisation religieuse de la politique en Côte d’Ivoire sont : (1) Félix Houphouët-Boigny, (2) Henri Konan Bédié, (3) Alassane Ouattara, (4) Laurent Gbagbo et (5) le général Robert Gueï.
Monsieur Saïd Mbombo, j’ai une affirmation que ce documentaire sur Laurent Gbagbo est une commande. Car la manière dont vous argumentez montre que vous avez des informations toutes cousues. Il n’y a pas de faits dans tout ce que vous racontez. Est-ce que vous pouvez dire, à partir de Marcoussis, que Laurent Gbagbo a gouverné seul. Tous les gouvernements ont toujours été composés de plusieurs partis. Après Affi N’guessan, il n’y a plus eu de premier ministre du FPI. Il y a eu Seydou Diarra, Charles Konan Banny, Guillaume Soro. Nombre de ces ministres étaient issus du RDR, du PDCI. Donc, vous ne pouvez pas démentir que tous ces gouvernements ne sont pas des gouvernements de coalition. Alors, pourquoi stigmatiser seulement l’anti-néocolonialisme de Laurent Gbagbo et laisser celui des autres ? On est donc unanime que c’est de la manipulation idéologique. 

Gbagbo face aux coups d’Etat 

Laurent Gbagbo arrive au pouvoir en octobre 2000. Il ne se passe pas 3 mois, il y a une tentative de coup d’Etat. Il ne se passe pas si 6 mois, il y en a une deuxième. Il ne se passe pas 1 an et demi, il y en une troisième. Pensez-vous que tout cela ne peut pas influencer le positionnement d’un leader politique ? Laurent Gbagbo a donc agit sous contraintes. Il se retrouve prisonnier d’un système. Vous parlez des bases militaires dont Laurent Gbagbo aurait pu demander le départ de la Côte d’Ivoire. Il faut noter qu’il y a eu des accords. Quand en septembre 2002, la crise qui a donné lieu au coup d’Etat arrive, Laurent Gbagbo demande l’application des accords que la France refuse. Ceci n’est-il pas un fait ? Quand il y a les affrontements de 2005 qui font monter la pression, les bases françaises étaient déjà là. Si Laurent Gbagbo, même par instrumentalisation, n’avait pas eu une culture de résistance, il n’aurait pas procédé comme il l’avait fait. Parce qu’il a fait un bras de fer avec la France. Vous parlez du gré à gré. Mais c’est un système mis en place par Félix Houphouët-Boigny. Alors, le documentaire de monsieur Saïd Mbombo Penda est une pièce ultra partisante. Quelque chose qui n’a pas de sens parce qu’on ne peut pas analyser un personnage historique s’il n’est pas dans un contexte. Votre documentaire est une démarche idéologique propagandiste commanditée contre Laurent Gbagbo. Nous sommes ici dans une entreprise où il s’agit de détruire l’image de Laurent Gbagbo. Ceci est un élément de lutte politique. 

Mathias Eric Owona Nguini
(Le Journal du Cameroun 10/06/2014) 

 
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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 

Source : Le Nouveau Courrier 19 Juin 2014

jeudi 19 juin 2014

« Aucun texte ivoirien ne prévoit le gel des avoirs… »

Interview de Me Mathurin Dirabou* 

Me Mathurin Dirabou
Le gouvernement ivoirien a annoncé le jeudi 22 mai dernier le dégel des avoirs des personnalités pro-Gbagbo. Il vient également de mettre en liberté provisoire le dimanche 1er juin certains cadres proches de l’ex-président pour ne citer que les cas les plus récents dans ce dossier. Quels sont les fondements du gel et du dégel des avoirs d’une personne et comment comprendre ces libertés provisoires ?
Vous voulez savoir quel est le fondement juridique du gel ou dégel des avoirs ? Eh bien, si vous prenez notre arsenal juridique, il n’y en a pas. Il n’y a aucun texte dans le code pénal qui prévoit le gel des avoirs. Le gel des avoirs est une institution européenne et onusienne. Nous avons appliqué ce texte. Mais sur quel fondement ? Je ne peux pas véritablement vous le signifier. Cela nous a été dicté purement et simplement. Dans notre arsenal juridique existe cependant le séquestre des avoirs et le séquestre ne peut être ordonné que par un juge d’instruction. Et cela après avoir inculpé les personnes. Or chez nous, les décisions de gel des avoirs ont été prises et annoncées même avant l’inculpation des personnes mises en cause. Je ne peux donc pas vous donner de référence juridique de cette pratique parce que je n’en ai pas.
A vous entendre, le dégel n’est donc pas conforme à nos textes ?
Le dégel n’est pas conforme à nos textes, à notre arsenal juridique. De sorte que nous pouvons dire que tout ce qui s’est passé n’est pas l’application du droit. Ce n’est pas le droit ivoirien qui est appliqué. Je m’en réfère au droit ivoirien, je n’ai pas encore vu un article ou un alinéa consacré au gel des avoirs. S’agissant des mises en libertés provisoires, je puis dire que nous sommes arrivés à un état de procédure où la libération de ces personnes n’obéit à aucune règle. C’est le bon vouloir de l’exécutif qui est appliqué et non pas du judiciaire. Pour moi, ces libérations se font un peu à la tête du client.
Comment expliquez-vous donc que ces libérations soient annoncées d’abord par l’exécutif suivies peu après d’un communiqué du procureur ?
Il faut comprendre l’organisation judiciaire du procureur. Celui-ci dépend directement de l’exécutif. Si on remonte dans l’histoire, on s’aperçoit que le procureur, c’est l’envoyé du roi et nous avons conservé les séquelles de cet envoyé-là qui nous poursuit toujours.
Peut-on dire que ce communiqué n’est qu’un habillage juridique de la volonté de l’exécutif ?
Non, c’est dans les normes. Ce n’est pas l’habillage. L’exécutif donne des instructions au parquet. Notamment celui de produire un tel communiqué. C’est pour cela que nous utilisons cette expression : « la plume est serve, mais la parole est libre ».
Une banque peut-elle refuser de se conformer à une mesure de gel ou de dégel ?
Les banques sont soumises à la mesure. S’agissant du gel, c’est le procureur qui prend une réquisition pour demander aux banques de bloquer les comptes et non un juge d’instruction, mais imaginez-vous une banque refusant de le faire ? La décision venant du procureur, les banques s’exécutent. Les banques ne doivent pas chercher à savoir si la décision est conforme ou non à leur législation.
Y a-t-il des limites au dégel sur l’ensemble des biens et revenus financiers ?
Dans le principe de l’ONU ou de l’Union européenne, on ne peut pas, de manière humaine, bloquer tous les avoirs d’un individu. Dans le texte sur le gel, on permet par exemple à la personne d’avoir des revenus pour constituer un avocat, pour se faire soigner, etc., …
Dans les cas qui nous intéressent, le gel a été appliqué sur la totalité de ces revenus. Peut-on dire alors que les textes ont été violés ?
S’il y a violation des textes, c’est peut-être au niveau de l’application par les banquiers qui reçoivent les instructions du procureur. Quand le procureur leur demande de geler les avoirs d’une personne, ils le font de manière globale. Nous avons initié dès le début une procédure en référé pour faire référence à ces textes. Mais on n’a jamais eu de suite. La procédure n’a jamais abouti.
Nous constatons qu’il y a deux sortes de gel des avoirs. L’un fait par le gouvernement ivoirien et l’autre par l’Union européenne. Comment la justice arrive-t-elle à mettre en application ces deux sanctions ?
L’Union européenne prend ses décisions en pensant aux avoirs que ces personnes peuvent avoir à l’étranger. Localement, nous prolongeons la décision avec nos banques locales.
Une fois que l’Union européenne procède au dégel des avoirs d’une personne, est-ce que localement on doit lui emboiter le pas ?
Si l’Union européenne dégèle des avoirs à l’étranger, elle peut demander qu’on le fasse localement.
Souvent l’Etat fait de l’imposition sur des comptes dégelés. Est-ce que cela est normal ?
S’il s’agit de taxes ou d’impôts, je ne sais pas quel a été le taux d’imposition. Est-ce que ce sont les revenus qui sont imposés ? Comment est pratiquée cette imposition ? Véritablement je ne suis pas en mesure de vous l’expliquer. Je ne dirais pas que c’est juste ou faux dans la mesure où je n’ai pas les éléments d’appréciation.
Est-ce que cela veut dire que vous n’avez pas suivi de près vos clients dans ce cas ?
Dans ce cas, c’est très délicat. Même si on dégèle le compte d’un de vos clients, il ne vient pas vous dire que son compte a été dégelé. Nous n’avons jamais eu ce retour et ne sommes pas prêts à aller fouiller dans les banques. Si le client ne veut pas payer par exemple les honoraires de l’avocat, il ne viendra pas vous dire que son compte a été dégelé.
Le gel ou le dégel est-il une décision politique ou juridique ?
Le gel des avoirs est une décision politique. Ou bien on peut dire qu’il y a interférence de l’Union européenne dans nos affaires.
Pour quelle raison l’exécutif décide-t-il de geler les comptes de quelqu’un ou de le dégeler ?
C’est vraiment de sa part un acte discrétionnaire. Nous avons initié la procédure pour pouvoir comprendre cela et pour dire que selon nos textes, ce n’est pas applicable. Nous n’avons pas eu de réponse. Donc, pour moi c’est discrétionnaire ou dicté par l’Union européenne purement et simplement.
C’est discrétionnaire, mais c’est en même temps une action circonstancielle ?
Exactement, c’est une action circonstancielle. Il ne faut pas perdre de vue que ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire dans la crise postélectorale a plus une coloration politique que judiciaire.
Après le dégel d’un compte, la banque lui verse-t-elle des intérêts ?
Là il faut poser la question de savoir si un compte courant produit des intérêts et si ceux-ci sont automatiquement dans le compte de la personne, au moment du gel. Or, à mon avis quand on décide que désormais le compte est gelé, c’est terminé. Il n’y aura même plus d’intérêt.
En cas de contentieux entre le client et sa banque, après le dégel, à qui doit-il s’adresser ?
Il s’adresse tout simplement au tribunal pour dire que son compte a été dégelé. S’il constate qu’il y a eu malversation sur son compte, il va voir la banque. Si la banque ne l’écoute pas, il saisit le tribunal qui va trancher.
Est-ce que vous avez eu connaissance d’un tel cas ?
Jusqu’à maintenant, personne ne s’est plaint auprès de moi sur un tel cas. Croyez-moi si cela arrive, le client ne va même pas porter cela sur la place publique.
Combien de cas de dégel et de libération de pro-Gbagbo y-a-t-il eu jusqu’à maintenant ?
Ce sera difficile de donner un chiffre parce que ce n’est pas suivi de transmission d’actes. Je sais par exemple que dans le premier dossier, on avait une trentaine de personnes. Je sais par exemple aussi qu’à Korhogo, Boundiali et Bouna on avait tel nombre de personnes. Nous avons nous-mêmes introduit des demandes de mise en liberté en bonne et due forme. Vous savez que parallèlement il y a eu des arrestations pêle-mêle. Quand vous prenez les dernières libérations, vous constatez qu’on cite les noms de 50 personnes. Mais il y a peut-être une seule personne qui est sur nos archives ou chez nos avocats. Donc, je ne peux pas vous donner un chiffre exact de ces personnes parce que dans notre collectif nous avons suivi certains dossiers. Nous apprenons l’arrestation pêle-mêle de certaines personnes et nous apprenons également leur libération pêle-mêle.
Est-ce que vous voulez dire que les personnes qui ont été arrêtées ne sont pas toutes pro-Gbagbo forcement et que ceux qui sont libérés ne le sont pas tous ?
Je précise qu’il y a eu une vague d’arrestation notamment à la frontière libérienne. Rien ne fait dire que ce sont tous les pro-Gbagbo. Ces personnes ont été transférées dans une prison et après on a décidé de les libérer.
Parfois sur les listes, figurent des personnes décédées. En quoi le dégel leur profite-t-il ?
Si cela arrive c’est parce qu’on ne maitrise rien. Il y a des gens qu’on a envoyés en détention et dont on ne connait plus le sort. On ne sait pas si ces personnes sont vivantes ou décédées. On fait sortir une liste. Et parfois leurs noms apparaissent sur cette liste. C’est comme cela qu’il faut comprendre tout cela.
Est-ce que le dégel ne peut pas profiter à la famille de la personne au cas où elle décède ?
Parmi ces personnes-là, certaines n’ont pas de compte bancaire. Des gens qu’on a pris par exemple à Treichville ou dans d’autres quartiers n’ont pas forcément des comptes. En prenant la mesure de dégel, les autorités ne connaissent pas le numéro de compte. Ils écrivent aux différentes banques en leur demandant de geler les comptes de telle ou telles personne par avis à tous détenteur.
Une liberté provisoire peut-elle être envisagée comme une liberté définitive ?
Juridiquement, ce n’est pas une liberté définitive. Mais politiquement, ça peut l’être. La liberté provisoire n’est pas une faveur. C’est prévu dans les textes. Dans le code de procédure civile, quelqu’un qui est régulièrement domicilié quelque part, qui présente des garanties de représentation, on peut le laisser en liberté provisoire. Quand nous formulons les demandes de mise en liberté provisoire, il y a cette phrase : « le client doit se présenter à toutes les réquisitions du tribunal pour être jugé conformément à la loi ». Donc, la liberté provisoire suppose que la personne a des garanties de représentation. C'est-à-dire qu’elle est mariée, qu’elle a des enfants et qu’on peut la retrouver à tout moment. Si la personne est en liberté provisoire et qu’on ne trouve pas la nécessité de la juger, cette liberté provisoire devient une liberté définitive.
L’épée de Damoclès plane donc toujours sur la tête des bénéficiaires d’une décision de mise en liberté provisoire ?
Tenez, dans l’affaire café-cacao, la plupart des personnes impliquées étaient en liberté provisoire. Et après on les a rappelées pour être jugées. Elles ont été jugées et condamnées. Mais, en liberté provisoire, vous pouvez aussi être blanchi. C’est pourquoi on appelle cela la détention provisoire. C’est quand on est en détention provisoire qu’on peut obtenir la liberté provisoire. L’épée de Damoclès plane toujours sur votre tête puisqu’étant en liberté provisoire, vous n’êtes pas totalement libre. Il y a des choses que vous ne pouvez pas faire sans l’autorisation du juge d’instruction.
Cela pourrait-il être le cas des prisonniers politiques actuellement en liberté provisoire. S’ils ne restaient pas tranquilles et faisaient certaines choses, pourraient-ils être passibles de la cour d’assises ?
Dans une affaire politique, quand on est en liberté provisoire, cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire la politique. Mais si vous voulez faire une révolte ou armer des gens, vous commettez de nouvelles infractions qui pousseront les autorités en place à vous rappeler. Vous pouvez agir, mais toujours dans la légalité. Même de manière naturelle sans faire allusion à ces personnes auxquelles vous faites allusion, j’ai dit que la liberté provisoire ne signifie pas l’innocence et qu’on doit faire attention. Certains ont mal interprété cela.
Quel regard jetez-vous sur le dialogue politique actuel en Côte d’Ivoire ?
Par cette question, nous sortons du cadre qui me concerne. Cependant je dirais que le dialogue qu’on a engagé actuellement est purement politique. Je ne voudrais pas personnellement entrer dans ce sillage, mais j’observe que depuis qu’on a institué ce dialogue, on peut se demander : où en sommes-nous ? Quel est l’impact de ce dialogue dans notre environnement sociopolitique ?
Ce dialogue s’il est constant et que chaque partie s’y engage sincèrement peut favoriser le dégel financier…
C’est vrai que cela y participe, mais il faut des mesures d’apaisement. On peut dire qu’à partir d’aujourd’hui la vague d’arrestations s’est terminée. Ainsi on parle de réconciliation. Si aujourd’hui les partis politiques s’entendent sur un code de bonne conduite, il y aura la réconciliation. Il n’y a pas d’ethnies en conflit ni une région dressée contre une autre. Si les politiques font preuve de grandeur, on sera réconcilié. La réconciliation dépend d’eux et non pas des allogènes et  des autochtones. On va dans des villages à qui l’ont dit de se confesser. Ce qu’on leur fait faire, ce sont des confessions publiques, mais ce n’est pas de la réconciliation.
Est-ce à dire que le travail de Charles Konan Banny est voué à l’échec ?
Il ne faut pas être pessimiste. Lui aussi, c’est ce qu’il croit être bon. Moi je donne juste mon avis.
Récemment le président du FPI a été empêché de rencontrer Madame Gbagbo à Odienné, lors d’une tournée. Cet empêchement a été décrié par une ONG des Droits de l’Homme. Quel commentaire pouvez-vous faire de cette situation ?
Si Affi N’Guessan décide d’aller voir Madame Gbagbo ce n’est pas pour l’enlever. Les problèmes de sécurité et autres ont été évoqués pour l’empêcher. Le fait de l’empêcher ne peut qu’envenimer les relations. Chez nous les avocats, tout est une question de procédure. On a parfois dit qu’il n’avait pas d’autorisation pour la voir. Même nous on nous dit qu’il faut une autorisation pour aller voir nos clients. Prenez le Code de procédure et vous verrez. Qu’une fois qu’un avocat est constitué, il peut à tout moment aller voir son client. Il n’a pas besoin d’une autorisation d’un juge d’instruction. Nous subissons nous-mêmes cela jusqu’aujourd’hui.
Il vous a été demandé une autorisation avant de voir votre client ?
Oui. Donc le cas d’Affi ne me surprend pas du tout. Mais c’est dommage. C’est vrai que le Code n’a jamais prévu qu’un Chef de parti a le droit d’aller voir un de ses membres en prison. Mais…
Affi aurait été dument autorisé par le ministre de l’Intérieur à effectuer
S’il a reçu l’autorisation du ministre de l’Intérieur, c’est que c’est l’autorité du ministre qui a été bafouée. Donc, Affi n’a rien à se reprocher.
L’ex-ministre de Gbagbo, Mr Don Mello a été interpellé récemment au Cameroun. Faut-il voir en cette interpellation un problème de droit de l’homme ou une affaire politique ?
Personnellement, j’ai lu cette information de manière évasive. Mais c’est ce que j’ai souligné. Il faut qu’on arrête toutes ces histoires. On ne peut pas dire d’un côté aux gens de rentrer et d’un autre côté, procéder à des arrestations. Je ne sais pas dans quelle condition il a été arrêté. Est-ce que ses droits de citoyens n’ont pas été respectés ? Je ne peux pas me prononcer là-dessus parce que je ne connais pas les conditions de son arrestation.
La CPI a confirmé les charges contre l’ex-président Laurent Gbagbo. Est-ce une victoire juridique, si oui, est-ce pour le camp Gbagbo ou pour le procureur ?
Ce n’est même pas une victoire pour le procureur. Le système anglophone est différent du nôtre. On dit que deux juges sur trois ont décidé de confirmer les charges. Donc, il y en a un qui était favorable à Gbagbo, donc il n’y a pas eu d’unanimité. J’ai vu la réponse de mon confrère Altit qui dit que c’est une bonne décision et qu’on pourra entendre leur moyen de défense. C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose parce que ce n’est pas à souhaiter. Confirmer les charges, cela veut dire qu’il est coupable. Mais quand sera-t-il jugé ? Vous le savez, on peut faire trainer ce dossier. On peut laisser passer cinq ans avant que Gbagbo ne soit jugé. C’est cet aspect-là qui m’a posé question parce qu’on aurait pu le laisser en liberté provisoire et même aller lui assigner un pays et la procédure allait continuer. Donc, tout cela, nous échappe énormément. Ça nous permet de faire valoir nos moyens de défense, mais notre vérité ne sera peut-être pas la vérité des juges. On est parti pour sa condamnation. On aura beau crier, c’est cela qui risque d’arriver. On va appeler des faux témoins. Je l’ai dit au procès du général Dogbo Blé. Et cela me rappelle le procès de Jésus.
Donc, vous voulez dire qu’il y a eu interférence de la politique dans la décision de la CPI ?
Oui, déjà même à la base. Notre propre texte même stipule qu’on ne livre pas ses compatriotes. Aujourd’hui, le gouvernement a pris la décision de ne pas livrer Mme Gbagbo à la CPI. Qui peut envoyer un avion pour la transférer ? Si toi-même tu livres ton enfant, qu’est-ce que tu veux qu’on dise ? De toutes les façons, le droit a un aspect politique, que ce soit sur le plan international ou interne. Le droit ne peut pas échapper à la politique.
Qu’est-ce qu’il faut retenir ?
Ce qu’il faut retenir, c’est que nous avons toujours vécu en bonne intelligence dans ce pays. Ce qui est arrivé, est un épisode de notre vie parce que le parcours d’une nation comme la vie d’un homme n’a jamais été linéaire. Si ces perturbations arrivent, il faut à un moment donné savoir y mettre fin. Pour y mettre fin, il faut de la volonté. Les mêmes décisions que nous avons prises pour arrêter ces gens sont salutaires et que c’est peut-être pour montrer aux gens, comme disent les policiers, que force reste à la loi. Mais d’un autre côté, il faut aussi que le droit soit observé dans sa plénitude.
Expliquez-nous un peu la procédure de la CPI. On dit qu’il n’y a pas de charges contre une personne et mais on la retient en prison et après on vient confirmer les charges…
Ça peut arriver qu’on dise que les charges ne sont pas suffisantes. On peut laisser en liberté l’individu ou, on peut demander : est-ce que vous avez d’autres éléments pour témoigner. En principe, quand vous déclenchez une poursuite, cela veut dire que vous avez tous les éléments pour aller jusqu’au bout. Mais si vous vous rendez compte que vous n’avez pas suffisamment de preuves, vous pouvez laisser tomber la procédure. La procédure au niveau de la CPI est différente de celle de nos juridictions ordinaires. J’ai eu la chance d’assister à des audiences en Angleterre. Là-bas, il faut forcément l’unanimité. Or chez nous, c’est le système de la majorité qui prévaut.
Est-ce que la confirmation des charges signifie la culpabilité ?
On est coupable quand on est jugé et condamné. Pour le moment, il y a toujours la présomption d’innocence. Le Président Gbagbo peut même obtenir une liberté provisoire malgré la confirmation des charges car il est encore présumé innocent. 

Propos recueillis par Dosso Villard et Abdoulaye Touré 

 
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(*) - Maître Mathurin Albéric Dirabou, du Barreau d’Abidjan, est l’avocat de la plupart des prisonniers politiques, militaires et civils, incarcérés depuis le coup de force franco-onusien de 2011.