lundi 30 septembre 2013

Contre les petits arrangements avec le colonialisme français



« Le colonialisme français est une force de guerre et il faut l’abattre par la force... » Frantz Fanon

D’un mot grec, κρίσις, la crise est un événement susceptible de plonger une personne, un groupe ou une société entière dans une situation instable et dangereuse(1). La Côte d’Ivoire  s’est retrouvée plus d’une fois « dans une situation instable et dangereuse » comme on le verra un peu plus loin dans les lignes qui suivent. À de nombreuses reprises, sa stabilité a été mise à rude épreuve. Voilà pourquoi il ne nous semble pas erroné de dire qu’elle a connu non pas une seule crise mais plusieurs crises entre 1960 et 2011. Les questions qui viennent à l’esprit ici sont celles-ci : politique, économique ou sociale, les crises ivoiriennes ont-elles une origine commune ? Sont-elles surmontables ? Si oui, à quelles conditions ?
Pour M. W. Seeger, T. L. Sellnow et R. Ulmer, trois choses caractérisent la crise :
1) elle est inattendue ;
2) elle crée une situation dont on ignore sur quoi elle va déboucher ;
3) elle est une menace pour la tranquillité d’une communauté(2).
Venette ajoute une quatrième caractéristique : la crise sonne le glas de l’ancien système(3). 
Si les responsables communiquent bien sur la crise, celle-ci peut avoir des effets positifs, par exemple permettre à un individu ou à une communauté de se renouveler (de se relancer), estiment encore Seeger, Sellnow et Ulmer(4), ce qui veut dire que la crise n’est pas forcément négative. Victoria Principal pense même qu’elle est « une chance », une occasion de renaître plus fort.
La première crise du pays fut politique avec les faux complots qui aboutirent en 1963 à l’arrestation et à l’emprisonnement de plusieurs cadres du PDCI soupçonnés de vouloir renverser Houphouët. La vérité est que ces cadres rentrés de France, où ils avaient flirté avec l’idéologie marxiste pendant leurs études, ne supportaient pas que la France continue d’influencer l’économie et la politique ivoiriennes après l’accession du pays à l’indépendance(5). C’est trois ans plus tard qu’interviendra la libération des derniers prisonniers. Ernest Boka n’eut pas la même chance que les Samba Diarra, Joachim Bony, Amadou Koné, Charles Donwahi, Auguste Daubrey, Yangni Angaté et autres puisqu’il ne sortit pas vivant d’Assabou(6).
En novembre 2004 sont assassinés devant l’hôtel Ivoire de Cocody une soixantaine de jeunes Ivoiriens qui manifestaient pacifiquement contre la destruction de la flotte aérienne ivoirienne sur ordre de Jacques Chirac. Les jours suivants, on assiste au pillage des entreprises françaises et au retour en France de plusieurs familles françaises.
2010-2011 : Bien que le désarmement des rebelles figure dans l’accord de Ouagadougou signé en 2007 entre Guillaume Soro et Laurent Gbagbo en présence de Blaise Compaoré qui, de l’avis de Marcel Amondji, ne fut jamais un facilitateur mais un « cheval de Troie » (7), la Côte d’Ivoire se rend aux urnes en octobre 2010. À la fin du second tour (novembre 2010), Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara revendiquent la victoire. Attaché à une sortie de crise pacifique, le premier propose un recomptage des voix par une commission internationale. Le second, lui, demande à la coalition franco-onusienne de bombarder la résidence où s’étaient réfugiés Laurent Gbagbo, sa famille et certains de ses collaborateurs. Les bombardements firent plusieurs morts et blessés. Si on y ajoute les victimes de l’embargo sur les médicaments et celles de la fermeture des banques ainsi que toutes les personnes massacrées par les forces fidèles à Ouattara tant à Abidjan qu’à l’intérieur, on peut estimer à 100 000 le nombre des vies humaines détruites pendant la crise post-électorale.
Ainsi qu’on peut le remarquer, ce n’est pas seulement la vie politique qui a été perturbée. L’économie, le vivre-ensemble et l’environnement ont également été mis à mal au cours des 50 dernières années.
Y a-t-il un lien entre ces différentes crises ? D’où viennent-elles ? Si Houphouët  fut l’homme de la France en Afrique francophone pendant une bonne période, il n’en est pas moins vrai qu’il fut lâché à la fin de sa vie. Par exemple, il perdit en 1988-1989 la guerre contre ceux qui « volent notre cacao »(8). La France lui infligea une seconde défaite en lui imposant en 1990 Ouattara comme Premier ministre, l’homme  qui introduisit la violence et les coups d’État dans notre pays (arrestation et incarcération le 18 février 1992 de ceux qui marchaient dans les rues du Plateau pour protester contre le refus du président de la République de prendre en compte les conclusions d’une enquête concernant les brutalités de l’armée à la cité universitaire de Yopougon en mai 1991, tentatives de coup d’État contre Guéi et Gbagbo après la chute de Konan Bédié, chute que Ouattara qualifia de « révolution des œillets »). Selon Martial Frindéthié, Bédié fut renversé malgré « une belle croissance économique et une croissance du bien-être individuel des populations [parce que] son support timide du business français n’arrangeait pas vraiment Paris, qui lui préférait l’administration irresponsable de Ouattara [et parce qu’il] voulait mettre la France en compétition avec des pays comme la Chine, le Canada, le Japon, les États-Unis et l’Afrique du Sud »(9). Quant à Laurent Gbagbo, c’est l’armée française qui vint à bout de la résistance qu’il opposa à J. Chirac et N. Sarkozy du 19 septembre 2002 au 11 avril 2011.
Pourquoi la France mit-elle son armée au service d’Alassane Ouattara pour déloger Laurent Gbagbo ? Pourquoi s’immisça-t-elle grossièrement dans une affaire qui ne regardait que les Ivoiriens ? Pour Marcel Amondji, la crise ivoirienne « aux multiples rebondissements tire son origine de la façon dont la Côte d’Ivoire fut gouvernée durant le long règne solitaire de Félix Houphouët »(10). Qu’est-ce à dire ? Comment Houphouët gouverna-t-il la Côte d’Ivoire ? Du temps d’Houphouët, la France agissait en Côte d’Ivoire comme le renard dans un poulailler pendant que les ressortissants de la CÉDÉAO estimaient avoir les mêmes droits que les Ivoiriens sous le fallacieux prétexte qu’ils ont contribué au développement du pays. C’est la raison pour laquelle Nyamien Messou lie les différentes crises « à la volonté de la France de revenir aux paradigmes de gouvernance d’Houphouët et à la volonté de la France et des pays de la sous-région de faire de la Côte d’Ivoire un État qui n’appartient à personne »(11).
Si Bédié et Gbagbo ont été évincés du pouvoir parce que désireux de mettre un terme à cette double volonté, faut-il en inférer que la Côte d’Ivoire ne quittera jamais la tutelle française ? Pour dire les choses autrement, sommes-nous condamnés à avoir sempiternellement la France sur notre dos ? Est-il impossible de s’en défaire ? Il est vrai que l’entreprise n’est pas facile et qu’on peut échouer comme Bédié et Gbagbo à rendre la Côte d’Ivoire aux Ivoiriens ; mais Sénèque nous enseigne que ce n’est pas parce que c’est difficile qu’on doit refuser d’oser. Pour lui, c’est plutôt le refus d’oser qui rend les choses difficiles. Certains Ivoiriens, y compris dans la soi-disant gauche, ne veulent pas oser parler de rupture avec la France. Ils ont peur de couper le cordon ombilical avec une mère qui refuse de voir ses enfants grandir et voler de leurs propres ailes. Ce qui les intéresse, ce sont les petits arrangements avec l’ancienne puissance colonisatrice dans la mesure où cela leur permettrait de se maintenir à la tête de l’État et de bénéficier d’un certain nombre d’avantages : se soigner, scolariser leur progéniture, posséder comptes bancaires et villas, passer leurs vacances en France.
Les arrangements sont mauvais d’une part parce qu’ils gardent intacts l’influence et les intérêts de la France dans notre pays et d’autre part, parce qu’en 53 ans d’indépendance de façade, les Français ne nous ont apporté que la misère, les coups de force, les rébellions, bref la régression, la désolation et la mort. Objectivement et sérieusement, en effet, qui peut me dire que les pays africains d’expression française se portent mieux que le Kenya, le Ghana ou le Botswana ? 
Si je suis contre les arrangements avec la France, c’est enfin pour deux raisons. La première est que les précédents arrangements (identification et enregistrement des électeurs confiés à SAGEM, réhabilitation du Lycée français, dédommagement des entreprises françaises victimes de vandalisme en novembre 2004 sans contrepartie, décoration de quelques chefs militaires français, attribution du terminal à conteneurs du port autonome d’Abidjan à Bolloré pour une durée de 15 ans, etc.) n’ont pas empêché la France de tuer les Ivoiriens et de détruire les symboles de leur souveraineté en avril 2011. La seconde raison est que s’engager dans cette voie reviendrait à trahir ceux et celles qui sont morts pour que la Côte d’Ivoire ne soit plus sous la coupe de la France.
« En Afrique noire, depuis 1947, le colonialisme français doit sa quiétude à la trahison inqualifiable de certaines élites africaines », disait Fanon. Ceux qui sont friands d’arrangements avec le colonialisme français ne sont rien d’autre que des traîtres. Permettez-moi de citer encore le psychiatre et philosophe martiniquais qui s’engagea en 1954 aux côtés de la résistance algérienne : « Le colonialisme français est une force de guerre et il faut l’abattre par la force. Nulle diplomatie, nul génie politique, nulle habileté ne pourront en venir à bout. Incapable qu’il est de se renier, il faut que les forces démocratiques s’allient pour le briser ». Ce ne sont pas les petits arrangements qui briseront les reins de la Françafrique et nous débarrasseront une fois pour toutes d’une France experte en coups tordus et en pillage des ressources de ses ex-colonies. Ce qu’il convient d’entreprendre hardiment, c’est d’appliquer au mal ivoirien des « procédés de résolution vraiment compatibles avec les intérêts et avec les aspirations d’un peuple dûment informé de son histoire ».(12) Ce qu’il nous faut, c’est une rupture en bonne et due forme.
À ceux qui jugeront utopique un tel divorce, je répondrais que le Venezuela, la Bolivie et d’autres pays de l’Amérique latine ont souffert, eux aussi, du colonialisme, mais que l’Espagne ne leur impose plus ses vues et qu’ils sont désormais attentifs aux intérêts de leurs peuples dans les relations qu’ils entretiennent avec tel ou tel pays. Nous devons aller vers ces pays pour apprendre d’eux comment ils sont devenus progressivement libres et maîtres de leur destin au lieu de verser dans la résignation qui, en plus d’être une solution facile, ne fait que reporter indéfiniment notre rendez-vous avec la vraie indépendance.

Jean-Claude Djéréké (Le Nouveau Courrier 26 Septembre 2013)

NOTES____________________________________________________________________________________

(1) Henry George Liddell, Robert Scott, A Greek-English Lexicon, on Perseus.
(2)  M. W. Seeger, T. L. Sellnow & R. R, Ulmer, “Communication, organization, and crisis”. Communication Yearbook 21: 231-275.
(3) S. J. Venette, “Risk communication in a High Reliability Organization: APHIS PPQ's inclusion of risk in decision making”,  MI : UMI Proquest Information and Learning,  Ann Arbor, 2003.
(4) M. W. Seeger, T. L. Sellnow & R. R, Ulmer, Effective crisis communication: Moving from crisis to opportunity, Thousand Oaks, Sage Publications, 2009.
(5) Samba Diarra, Les faux complots d’Houphouët-Boigny, Paris, Karthala, 1997.
(6) Charles B. Donwahi, La Foi et l'Action : itinéraire d’un humaniste, Paris, De mémoire d’homme, 1997.
(7) http://cerclevictorbiakaboda.blogspot.com/20 12_06_01_archive.html
(8) Jean-Louis Gombeaud, Corinne Moutout et Stephen Smith, La guerre du cacao:Histoire secrète d’un embargo, Paris, Calmann-Levy, 1990.
(9) Martial Frindethie, http://frindethie.word- press.com/2011/....
(10) M. Amondji, “Une crise de loin venue…”, 1er juin 2013, http://cerclevictorbiakaboda.blo...
(11) “Raison d’État” du 5 mars 2011, une émission de la RTI animée par Herman Aboa.
(12) M. Amondji, “Une crise de loin venue…”, 1er juin 2013, http://cerclevict...

Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».               

Source : CIVOX. NET 27 Septembre 2013

vendredi 27 septembre 2013

Philippe-Henri Dacoury-Tabley : « Il faut dénoncer l’imposture. Parce que si nous laissons les choses telles, notre pays va disparaitre. »



Si le régime fantoche des Ouattara pensait soumettre et faire taire les Ivoiriens en les jetant en prison et en
Philippe-Henri Dacoury-Tabley,
ancien gouverneur de la Bceao
leur privant de moyens de survie, alors il récolte l’effet contraire. La position affichée par l’ancien gouverneur de la Bceao en est une preuve. « Ceux qui pensent que nous avons été libérés pour nous taire se trompent. Je ne suis pas politique. Mais je parle parce que c’est mon pays qui est concerné. Il s’agit de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens et non d’un autre pays », affirme Philippe-Henri Dacoury-Tabley. Qui recevait le mercredi 25 septembre 2013, à sa résidence à Abidjan-Riviera, l’organisation des femmes du Front populaire ivoirien (Offpi).
L’ex-prisonnier politique rappelle que face aux graves dérives, les Ivoiriens n’ont pas le droit d’être indifférents ou neutres. «Avec ce que nous vivons, il n’y a pas de neutralité. Nous ne devons pas être neutres quand on tue nos semblables sous nos yeux », fait-il remarquer. « Il ne faut pas se taire quand l’injustice a cours. Il faut dénoncer l’imposture. Parce que si nous laissons les choses telles, notre pays va disparaitre », prévient Dacoury-Tabley Philippe-Henri. Indiquant qu’il y a encore beaucoup trop de détenus politiques en Côte d’Ivoire. « Sous la pression, le pouvoir a sorti des personnes qui sont connues. Mais il y a encore beaucoup de monde dans les prisons », précise-t-il. Avant de s’interroger sur les raisons de son incarcération. « Je savais ce qui m’attendait, Mais je ne pouvais pas accepter l’imposture. Les juges me demandent ce que je faisais avec Gbagbo à sa résidence durant le bombardement de sa résidence. Les juges me demandent qui a gagné les élections. Si c’est cela qui me vaut la prison, alors, la Côte d’Ivoire marche sur la tête », assène-t-il. Avant de réitérer que c’est Laurent Gbagbo qui a gagné les élections.
Il a encore profité de cette rencontre pour balayer du revers de la main les accusations de vol de 500 milliards de Fcfa qu’on tente de lui coller. « Ouattara et Banny sont mes prédécesseurs à la Bceao. Prendre 500 milliards, cela ne peut pas se faire. Les comptes de 2009, 2010 et 2011 ont été sortis et il n’y a aucune trace de vol. J’ai fait ce que ma conscience et les règles de la banque m’ont imposé ».
Révélant par ailleurs que les chantiers qui sont inaugurés, par le pouvoir actuel, étaient déjà faits ou en cours de réalisation. « Je suis à l’origine du billet de 500F émis par la Bceao. J’ai réévalué le salaire du personnel de 40% », révèle l’ancien gouverneur de la Bceao.

Benjamin Koré
Titre original : « Philippe-Henri Dacoury-Tabley : "Ceux qui pensent qu’on va se taire, se trompent". »

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Source : Notre Voie 27 septembre 2013

jeudi 26 septembre 2013

« On ne gère pas sa popote dans la poche de son voisin… »

Quelqu’un peut-il figurer parmi les invités dans sa propre maison ? C’est la question que soulève l’invitation express adressée au secteur privé ivoirien au forum « Investir en Côte d’Ivoire 2014 », dénommé « ICI 2014 ».C’est la première fois qu’on voit ça en Côte d’Ivoire ! Lors des éditions de 1995, 1997 et 1999, c’est plutôt le secteur privé national qui était au-devant des manifestations (en 1995, 1500 participants pour 400 investisseurs étrangers ; en 1997, 2246 participants pour 524 investisseurs étrangers ; en 1999, 2500 participants pour 406 investisseurs internationaux). Les propos du Premier ministre Kablan Duncan, au lancement officiel de l’événement qui s’est tenu le 16 septembre dernier à l’hôtel Ivoire, traduisent bien le désintérêt du régime Ouattara vis-à-vis du secteur privé ivoirien. « Je voudrais spécialement me réjouir de la présence du secteur privé national ce matin. Comme je l’ai rappelé au cours de la dernière réunion du Conseil de concertation entre l’Etat et le secteur privé, ce forum n’est pas destiné uniquement aux investisseurs internationaux. Ce forum concerne, bien évidemment, les investisseurs nationaux à qui le gouvernement entend offrir une nouvelle opportunité de nouer des partenariats mutuellement bénéfiques avec les hommes d’affaires du monde entier. L’objectif pour le gouvernement est d’en faire le principal moteur de la croissance économique de notre pays, le plus grand pourvoyeur d’emplois pour nos jeunes diplômés ».
Les observateurs de la vie socio-économique ivoirienne ne sont pas surpris de cette invitation. Il y a la vieille antienne du « secteur privé moteur de la croissance économique » déblatérée à longueur de discours par le gouvernement. Et il y a la réalité : le secteur privé local n’a jamais fait partie des plans économiques de l’économiste-banquier Alassane Ouattara. Toute sa politique économique étant bâtie sur le privé étranger. Que ce soit les gros investissements ou les travaux de moindre importance, priorité est systématiquement accordée au secteur privé étranger.  

Le privé local, la cinquième roue du carrosse 

Pour Alassane Ouattara, l’importance du secteur privé ivoirien se limite aux présences dans la délégation officielle lors des voyages. Le plus grand déshonneur a été la tribune offerte au patronat ivoirien lors de la réunion du groupe consultatif qui s’est tenue du 4 au 5 décembre dernier, à Paris. On a fait lire au président de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (Cgeci), Jean Kacou Diagou, un discours invitant les opérateurs économiques étrangers à venir en Côte d’Ivoire. Comme pour prendre à témoin l’opinion internationale que le secteur privé ivoirien n’est pas capable de réaliser les investissements prévus. Comment le secteur privé local peut-il intervenir avec ces deux handicaps majeurs qu’il traîne : outils de production insuffisamment fonctionnels suite à la crise post-électorale et faible financement de l’économie. Ce que réclament les opérateurs économiques ivoiriens depuis la fin de la crise post-électorale, c’est d’abord l’indemnisation de leurs outils de production pour leur permettre d’être compétitifs. Le gouvernement ne fait que leur promettre réparation. Le ministre d’Etat, Dosso Moussa, alors aux affaires à l’Industrie, avait annoncé une indemnisation imminente parce que, selon lui, le Bnetd avait achevé les audits. Jusqu’à ce jour, rien n’a été fait en faveur des intéressés. Le secteur privé local réclame également et légitimement une part des gros marchés publics afin qu’il contribue effectivement à la richesse nationale. Car, on ne gère pas sa popote dans la poche de son voisin. « Combien d’entreprises ivoiriennes ont pu se relever de la crise ? On attend toujours les indemnisations promises. Honnêtement, nous ne sommes pas en capacité de faire face à la concurrence internationale. Je souris quand le Premier ministre indique que les intentions du secteur privé local ne sont pas suffisamment manifestes depuis la réunion du groupe consultatif. C’est au gouvernement de nous donner les moyens de les traduire dans les faits. On ne quémande pas de l’aide, on veut simplement prendre notre place », souligne un membre influent du patronat. Les projets en présence au cours de ICI 2014 ne sont pas à la portée du privé local. Sauf si le gouvernement consent cette fois-ci et résolument à aider les nationaux. Sinon l’invitation n’aurait servi à rien.  

J.-S. Lia
Titre original : « Forum investir en Côte d’Ivoire 2014 : ce que réclame le privé ivoirien » 

 
en maraude dans le web
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Source : Notre Voie 23/09/2013

mercredi 25 septembre 2013

DOZO, JE T’AIME. DOZO, JE TE HAIS…(*)

« Tout le monde sait d'où viennent les dozos. Avant quand on voyait les dozos, on était fier. Aujourd'hui, nous avons peur d'eux. Monsieur le ministre, prenez toutes les dispositions pour que les dozos retournent d’où ils sont venus. » Maurice Kouassi, secrétaire général de la chefferie de Yamoussoukro. 
 
photo : afrique-express.com
« D’où viennent-ils ? Où s’arrêteront-ils ? Déjà ils "occupent" un certain espace, épousent une certaine progression, au point que d’aucuns n’hésitent pas à parler de "ceinture de belligérance". Où tout cela nous mènera-t-il ? » Ainsi se terminait un billet anonyme du quotidien gouvernemental Ivoir’Soir du 21 février 1996.
« Ils », ce sont les dozo. C’est vers la fin de l’année dernière qu’ils sont brusquement entrés dans l’actualité, grâce à un reportage d’Ivoir’Soir vantant les hauts faits de « ces chasseurs du Nord venus de leurs contrées lointaines pour sauver des villages entiers. »
Tel qu’il était présenté, leur bilan était réellement impressionnant, en effet : « Deux cents bandits de tous ordres au palmarès plus ou moins important ont été appréhendés par les dozo de Duékoué depuis cinq mois. » Grâce à quoi la population avait recouvré sa tranquillité. Et les autorités locales les considéraient avec bienveillance, convaincues de les tenir bien en main.
Cependant, dans un encadré non signé, sous le titre : « Les dozo, vrais justiciers, faux gendarmes », notre confrère laissait tout de même entendre que tout n’allait pas aussi bien que le reportage pouvait le laisser croire : « Aussi puissants et téméraires (qu’ils soient), les dozo ne font pas l’unanimité. Beaucoup à Duékoué, ainsi qu’à Guiglo, leur reprochent leur brutalité lorsqu’ils abordent les passants, et leur manque de politesse quand ils s’adressent à eux. Certains dozo regroupés à Guiglo ont eu maille à partir avec des éléments des forces de l’ordre qu’ils avaient sérieusement bastonnés ».
Ce premier reportage était daté du 6 décembre 1995. Le 12, une dépêche de l’Agence ivoirienne de presse (AIP) annonçait que « les chasseurs sénoufo qui étaient installés depuis le 28 novembre dans la région de Danané pour prêter main forte aux forces de l’ordre en lutte contre le banditisme ont quitté ce département sur injonction du préfet qui estime qu’il y a maintenant suffisamment d’éléments pour assurer la sécurité dans la localité. Faisant allusion aux altercations survenues entre les forces de l’ordre et lesdits chasseurs installés à Guiglo, (le préfet) a montré sa désapprobation de les voir exercer un rôle de police dans son département. »
Dès lors les deux quotidiens gouvernementaux, Fraternité Matin et Ivoir’Soir ne publieront plus que des articles défavorables aux dozo. En moins d’une semaine, ils étaient passés de l’admiration à la haine, comme en témoignent ces titres : « Les dozo deviennent incontrôlables » ; « Les dozo envahissent le commissariat » ; « Les dozo, ces assassins » ; « Ces dozo qui défient les force de l’ordre ! » ; « Quand les dozo refusent d’être désarmés » ; « Les dozo ne doivent pas se substituer à la justice » ; etc. C’est ainsi qu’on apprit que les prétendus justiciers s’en prenaient couramment aux gendarmes et aux agents de police ; qu’ils avaient même failli rosser un préfet parce qu’il leur demandait de rendre leurs armes ; qu’ils rançonnaient les populations ; qu’il était arrivé qu’ils relâchent des bandits contre payement, et qu’on les soupçonnait même d’avoir, de sang-froid, commis des meurtres.
Tout cela était cependant traité comme s’il ne s’agissait que de banals faits divers, ce qui évitait d'avoir à rechercher des responsabilités en dehors des dozo ou des échelons tout à fait subalternes des autorités locales. A peine si, de temps en temps, une petite phrase lâchée dans le feu d’une interview par un préfet ou un magistrat laissait deviner que cette affaire n’était pas sans avoir un certain rapport avec la situation politique actuelle, tant dans son origine que dans certaines de ses conséquences. Mais la soudaineté du revirement de la presse gouvernementale, l’embarras des autorités locales quand il s’agissait de leurs relations difficiles avec les dozo et, surtout, le silence total des ministres de l’Intérieur et de la Sécurité sur ce sujet, sont autant de signes qui ne trompent pas : cette soudaine agitation des journaux officieux du régime recouvre sans doute un conflit supplémentaire entre ces deux ministères dont les compétences se chevauchent si évidemment, du fait des agissements et de l’indiscipline des dozo.
Une fois au moins on a laissé entendre que ces derniers pourraient avoir un protecteur haut placé. Qui donc a bien pu s’amuser à jouer ainsi les apprentis sorciers en manipulant ces mercenaires d’un genre nouveau ? Dans quel but ? On a parlé de ceinture de belligérance. Cette notion renvoie presque directement à des propos du général Robert Guéi, alors qu’il était encore le chef d’état-major des FANCI : « Si aujourd’hui ça brûle, vous et moi serons obligés de rester ici. Je l’ai déjà dit : les frontières seront fermées pour que nous puissions nous battre. Si au Liberia ça a débordé, c’est parce que l’on a laissé sortir les gens. Ici, s’il y a quelque chose, à la seconde près, les frontières seront fermées et nous nous battrons à l’intérieur. » Mais on peut aussi la rapprocher de ces propos du général Gaston Ouessénan Koné, le tout-puissant ministre de la Sécurité, déclarant au cours d’une interview récente : « Tout au long de l’année 1995, notre attention et nos efforts étaient essentiellement tournés vers les agitations sociales qui constituaient une menace grave à l’ordre public et à la pérennité des institutions. » Certes, le mot dozo ne fut jamais prononcé au cours de cet entretien, mais c’est justement ce qui est bizarre, car ce mot tenait alors, quotidiennement, la vedette dans la rubrique des faits divers, et il est impossible qu’un ministre si attentif à ce qu’écrivent les journalistes ne s’en soit pas aperçu.
En fait, lorsque la presse gouvernementale commença à parler d’eux, les dozo étaient déjà devenus des fauteurs de troubles plus dangereux que les bandits qu’ils étaient censés combattre en lieu et place de la police officielle « distraite, comme disait encore son ministre G. Ouessénan Koné, par les vagues d’agitation sociale de l’année 1995. » Il faut entendre : plus dangereux, surtout, pour l’autorité de l’Etat. Et c’est probablement ce qui explique le brusque – encore que bien hésitant – retournement de la presse gouvernementale contre eux. Car on aurait sans doute continué à les laisser faire si leurs agissements n’avaient pas provoqué des situations propres à déconsidérer l’Etat et ses agents locaux aux yeux des populations. Comme celle qui se produisit en janvier, à Zro, une localité guéré, où, assiégés par une bande de dozo auxquels les opposait un problème de terres spoliées, les villageois battirent le tambour de guerre pour appeler en renfort les villages voisins qui accoururent aussitôt. Encerclés à leur tour, les invulnérables durent rendre leurs armes. Mais, quand les villageois avertirent les autorités de venir les arrêter, personne n’osa se présenter et les dozo purent s’en aller librement. Du coup les villageois guéré exigent non seulement qu’on les débarrasse des dozo, mais aussi que tous les allogènes quittent la région.
Cela fait évidemment penser au précédent du Guébié (Gagnoa) en 1970, où, à la faveur d’une diversion machiavélique imaginée et préparée de longue main au plus haut niveau de l’Etat, un banal problème de terre opposant les autochtones à des allogènes dégénéra en une rébellion aux conséquences tragiques. D’autant plus que deux membres importants du gouvernement actuel, Léon Konan Koffi, alors préfet de Gagnoa, et G. Ouessénan Koné, alors colonel et « chef de la gendarmerie », en furent des témoins privilégiés, pour ne pas dire plus.
Le pouvoir a-t-il fini par prendre la mesure du risque de jouer ainsi avec le feu ? Il semble qu’on songe désormais, très sérieusement, à trouver un autre débouché aux « vaillants chasseurs du Nord », avec l’aide d’une ONG intitulée Afrique environnementale, sur la base des travaux d’un jeune chercheur américain qui a déjà fait cette immense découverte : « Là où il n’y a pas de faune ni de flore, il n’y a pas de dozo » !
Du 1er au 4 avril, cette ONG a organisé, à Kaniasso (département d’Odienné), « un important séminaire d’information et de sensibilisation autour du thème "Lutte contre la désertification en Afrique de l’Ouest", avec pour public-cible les dozo ». Ils étaient 700 à répondre à l’appel, venus de toutes les régions qu’ils « occupent » en Côte d’Ivoire, et aussi du Mali et de la Guinée. Mais ce n’était pas seulement pour entendre parler de la protection de l’environnement car, remarque Fraternité Matin qui rapportait l’événement, « obnubilés par l’idée de voir les pouvoirs publics élaborer un statut qui fera d’eux des auxiliaires des forces de l’ordre dans la lutte contre le grand banditisme en Côte d’Ivoire », ils sont venus dans « le secret espoir que Afrique environnementale se ferait leur porte-parole auprès des décideurs politiques à ce propos ». C’est seulement à cette condition qu’ils accepteraient éventuellement de se transformer en « soldats de la lutte contre la désertification ». L’ONG aurait promis d’aborder la question avec les autorités compétentes. Ce qui amène notre confrère à « se demander si l’insatisfaction de cette préoccupation des dozo ne va pas finalement démotiver nombre d’entre eux dans la revalorisation de leur rôle de protecteurs de l’environnement ». Et d’ajouter : « C’est en tout cas une inquiétude qu’ont eu les animateurs de ce séminaire. Et ils ont raison ».
Autrement dit, malgré qu’ils en aient, les Ivoiriens n’ont pas bientôt fini de fredonner le tube de l’année : Dozo, je t’aime. Dozo, je te hais… 

Marcel Amondji
(*)Article paru dans Le Nouvel Afrique Asie N° 82-83 (juillet-août 1996).  

 
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17 ans après, le pouvoir paraît toujours aussi impuissant et ridicule face aux dozo. A preuve, ce chapelet de rodomontades du ministre délégué auprès du président de la République chargé de la Défense, Paul Koffi Koffi. Une véritable anthologie de l’incompétence…
 
« L’Etat de droit n’est pas négociable. »
« Nous avons décidé de renforcer les moyens de mobilité et le dispositif. »
« Venez déposer vos armes (...) On ne vous fera rien. » (d’après LS/APA 24 septembre 2013)
 
« Nous avons des pistes sur les coupeurs de route. Je vous le confirme, parce que nos hommes sont venus enquêter. Vous savez, pour nous, on ne distingue pas les origines des coupeurs de route, mais c’est l’acte posé qui est un problème. C’est d’ailleurs parce que nous avons des pistes très sûres que je suis venu avec le commissaire du gouvernement, les généraux, les premiers responsables de la gendarmerie et de la police. »
« Il y a également eu des enquêtes très pointues déjà sur le terrain et je ne peux pas maintenant livrer les résultats, mais ça ne saurait tarder. »
« L’Etat ne peut pas accepter qu’on tue gratuitement ceux qui ont en charge  la sécurité de nos populations. On ne peut pas accepter que des gens défient l’Etat. Sinon, il n’y a plus d’Etat de droit. S’il y a un problème, on va le poser. Face à cette situation, je ne suis pas venu tenir une langue de bois ici. On ne peut pas mettre en parallèle, un gendarme, un militaire, un policier avec un dozo. Ce n’est pas du tout possible. »
« Votre profession, c’est de chasser des gibiers et non de vous mettre à la place des forces de l’ordre. Vous devez accompagner ces forces légitimes en leur donnant des informations et en les aidant à mettre hors d’état de nuire toutes les personnes suspectes. C’est dans cette voie que vous devez vous inscrire. »
«Tous les coupables de la tuerie des forces de sécurité seront jugés et punis conformément à la loi. » (d’après JM - Le Patriote 24/09/2013)
 
«Yamoussoukro, terre de paix et de tranquillité est en proie, depuis le 10 septembre, à des situations bizarres. Lorsque dans cette ville qui est la capitale politique, on s’en prend aux hommes en charge de la sécurité ; ceux-là mêmes qui sont chargés d’assurer la sécurité des personnes et des biens ! Ils sont aujourd’hui pris à partie parce qu’ils sont en train de faire leur travail. Cela ne saurait être toléré, ni accepté»
«Un pays qui n’a pas de forces de sécurité est un pays qui est livré à lui (sic). (…) Alors, si les gens veulent déclarer un autre type de conflit, qu’ils nous le disent. En ce moment-là, nous allons adopter une autre mesure. Parce qu’on ne peut pas accepter que les policiers, les gendarmes, les eaux et forêts, les douaniers et les militaires subissent des attaques. Ceux qui s’attaquent à nos hommes trouveront la riposte nécessaire. Toutes les forces sont présentes à Yamoussoukro. Les forces spéciales, unité d’élite, sont également là. Le Ccdo (Centre de coordination des décisions opérationnelles, ndlr) est là. Nous allons mettre en alerte maximale nos hommes. Ceux qui s’attaquent aux forces régulières s’exposent à des peines de vingt ans de prison. On ne tire pas sur un militaire, un gendarme, un policier, quelle que soit la raison. »
«On ne peut pas se rendre justice. Nous ne sommes pas dans la jungle. Il existe des lois qu’il faut respecter. Je suis venu vous porter le message du gouvernement. Personne ne peut justifier le fait de tirer sur les forces de l’ordre. La guerre est terminée. Si nous devons réagir comme ceux qui tuent nos hommes, nous serions amenés à sortir les gendarmes et les militaires armés. Ils rentreraient dans les quartiers et ils ouvriraient le feu sur tous les bandits. On nous demandera qu’est-ce que vous êtes en train de faire encore ? Ce que nous demandons aux dozos, c’est de faire plutôt du renseignement. Ils doivent signaler aux forces régulières tous les mouvements suspects d’individus. Il ne faut pas se cacher pour mener des attaques. » (d’après Ouattara Moussa – Nord Sud Quotidien 24 septembre 2013)
 
« On ne peut pas substituer des dozos aux gendarmes, aux policiers et aux militaires qui ont la formation et la compétence pour assurer la sécurité des populations. Les dozos sont des chasseurs, qu'ils aillent à la chasse des biches ou des antilopes, mais ils n'ont pas le droit de tirer sur nos hommes. C'est inacceptable. Des enquêtes sont en cours, nous sommes sur des pistes très sûres et nous sommes déterminés à traquer tous ces bandits de toute nature. C'est pourquoi nous avons dit aux populations la conduite à tenir. Nous allons renforcer les patrouilles, faire des battues et en ce qui nous concerne, nous allons accroître les moyens de mobilité de nos hommes. Les populations sont traumatisées. »
« Trois membres du gang de gang de Bangolo ont été mis aux arrêts. Nous allons continuer à travailler et adapter nos stratégies à cette nouvelle tactique des coupeurs de route. Si on en prend, la justice sera sans pitié, parce que c'est au moins 20 ans de prison qu'ils encourent. » (d’après Olivier Dion - L’intelligent d’Abidjan 25 septembre 2013)
 

Des enfants burkinabès, esclaves des trafiquants de cacao de l’Ouest ivoirien

Dans le parc national du Mont Péko, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, notre Observateur a rencontré des enfants burkinabès qui vivent un calvaire. Souvent âgés d’une dizaine d’années, ils sont exploités dans le cadre d’un trafic de cacao et livrés à eux-mêmes dans des conditions inhumaines et dangereuses.
Situé à la frontière avec le Libéria, le Mont Péko est l’une des principales forêts classées de Côte d’Ivoire. La zone est contrôlée depuis 2003 par les hommes d’Amadé Ouérémi, un chef de guerre burkinabè devenu l’un des plus gros trafiquants de cacao, de bois, de diamant, d’ivoire et de cannabis de la zone. Depuis cette date, le milicien s’est arrogé le contrôle du Mont Péko en dépossédant de leurs terres les propriétaires fonciers guérés, autochtones de la zone, après la crise politico-militaire de 2002.
Amadé Ouérémi a également combattu aux côtés des Forces nouvelles d’Alassane Ouattara durant la crise post-électorale de 2011. Depuis, il était recherché pour crimes contre l’humanité. Le chef de guerre est accusé d’avoir fait tuer près de 800 personnes à Duékoué. En mai 2013, FRANCE 24 diffusait des images de son arrestation musclée.
Mais l’arrestation de Ouérémi n’a pas permis de rétablir l’ordre dans le Mont Péko : les montagnes sont toujours une zone de non droit et les exploitations illégales se poursuivent. En juillet, le ministre de la Défense avait donné trois mois aux occupants pour quitter la zone. La semaine dernière, le responsable de l’autorité du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion (ADDR) exhortait les occupants du parc à « sortir sans opposition » en promettant que ceux qui déposeraient leurs armes ne « seraient pas laissés pour compte ». À la fin du mois de septembre, une opération de ratissage du Mont Péko par l’armée ivoirienne devrait avoir lieu.
Selon les estimations de la presse ivoirienne, 30 000 personnes occuperaient illégalement des campements dans la forêt du Mont Peko. 
 

Des enfants d'origine burkinabè travaillent dans des plantations illégales du mont Péko.

« Ces enfants sont piégés
Ils ont très peu de chance de s’en sortir »

Marius (pseudonyme) s’est rendu dans le Mont Péko où il a rencontré des enfants qui travaillent dans des exploitations illégales de cacao : « J’ai visité plusieurs campements informels, notamment celui de Sokroini, et je peux affirmer que 90% des gens là-bas sont des enfants et des jeunes hommes âgés entre 11 et 20 ans. Les plus jeunes que j’ai rencontrés avaient même 8 ou 9 ans. Ils sont tous burkinabès, originaires de ville comme Bobo-Dioulasso ou Koudougou au Burkina Faso, d’où viennent aussi les chefs de milice qui organisent les trafics dans ces campements. D’autres enfants vivaient dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire, notamment à Soubré, où vit une importante communauté burkinabé.
La plupart de ces enfants ne savent même pas pour qui ils travaillent. Selon les miliciens sur place, ce sont des hommes d’affaires burkinabès qui ont fait fortune dans le cacao et qui avaient négocié avec Amadé Ouérémi la mise en place de ce trafic. Les hommes de Ouérémi vont chercher les orphelins dans les rues du Burkina ou font miroiter aux parents des retombées financières importantes pour les emmener.
Le travail des enfants, c’est de cueillir le cacao et de le transporter dans des gros paniers à travers des routes impraticables. D’autres sont également employés pour récupérer l’hévéa qui sert à faire le caoutchouc. C’est une zone de montagne, les pentes sont abruptes. Ils parcourent jusqu’à 40 kilomètres avec des grands paniers remplis de leur récolte sur leur tête.
Lorsque je suis arrivé dans le campement, j’ai vu que beaucoup d’entre eux avaient leur machette, des outils que des enfants si jeunes ne devraient pas manier. Les miliciens leur ont rapidement confisqué leurs outils et on fait semblant de les réprimander, en disant qu’ils n’avaient pas à jouer avec ça. Ils ne veulent pas qu’on sache qu’ils font travailler des enfants.
J’ai réussi à parler à des enfants en les emmenant un peu à l’écart. Les plus anciens sont là depuis 2005 et n’ont pas vu autre chose que le Mont Péko depuis huit ans. Ils sont coupés du monde, ne vont évidemment pas à l’école. Leur salaire varie selon l’âge, mais un garçon de 14 ans gagne en moyenne entre 75 000 et 100 000 francs CFA (entre 114 et 152 euros) par année de travail. Pour eux, c’est une fortune, ils n’ont pas la notion de l’argent. Ceux qui sont dans le business depuis longtemps ont eu une "promotion sociale" et sont parfois propriétaires de plantation.
Leurs conditions de vie sont déplorables au campement : ils dorment tous entassés à même le sol dans des habitations de fortune, jusqu’à 30 enfants dans 7 mètres carrés. Et encore, ils sont chanceux : ceux qui travaillent dans les champs s’abritent sous des tentes faites de bouts de bois et d’une bâche.
Beaucoup d’enfants craquent devant la difficulté du travail. Lorsque j’étais là-bas, un enfant de 12 ans, qui venait de ramener du cacao pleurait de fatigue. Entre deux sanglots, il m’a dit qu’il rêvait de retourner à l’école, là où d’autres sont en ce moment, pendant que lui est là, au milieu de nulle part, sans même savoir où il se trouve. Il est là depuis deux ans et n’a aucune nouvelle de ses parents. Il n’a pas le courage de s’enfuir comme certains de ses camarades, car il sait que les chances de survivre lorsqu’on est seul dans le Mont Péko sont très minces.
Ce qui est très inquiétant, c’est que depuis l’"arrestation" d’Amadé Ouérémi [en mai], on ne s’occupe plus de ces enfants, certains ne sont même plus du tout payés. On leur dit qu’il faut attendre, et pendant ce temps, ils doivent continuer leur labeur. Comme la zone doit être libérée sous ordre de l’ADDR avant la fin du mois de septembre, les miliciens leur ont dit qu’ils allaient se mettre à l’abri pour quelque temps dans un autre village, dans des zones encore plus inaccessibles et dangereuses d’accès. Ces enfants sont piégés. Si on ne leur vient pas en aide, ils n’ont quasiment aucune chance de s’en sortir. » 

Source : France24 19 septembre 2013
 
 
en maraude dans le web
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 

dimanche 22 septembre 2013

Lazare Koffi Koffi raconte les débuts de la rébellion tels qu’il les a vécus à Katiola

L. Koffi Koffi, ancien ministre,
actuellement en exil
Septembre 2002. C’était la rentrée scolaire et universitaire. Après Daoukro en 2001, j’avais choisi la ville de Katiola pour abriter la cérémonie de lancement de la rentrée 2002-2003 du Ministère de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi dont j’avais la charge. Plus de 300 personnalités, des diplomates, des bailleurs de fonds, les syndicats d’enseignants et bien d’autres partenaires du secteur Formation-Emploi étaient attendus dans la capitale des Tagbana le jeudi 19 septembre 2002. M. François-Albert Amichia, alors ministre des Sports et Loisirs, invité spécial à cette cérémonie, me devança à Bouaké pour présider les phases finales de la coupe des nations de l’UFOA. C’est le soir du mercredi 18 septembre que j’arrivai à Katiola avec la plupart des cadres de mon ministère dont une partie resta à Bouaké pour y passer la nuit. A Katiola, je fus accueilli avec enthousiasme par le Préfet Jean-Baptiste Sam Etiassé et le général Gaston Ouassénan Koné. Ce dernier, député PDCI, m’avait fait l’amitié en tant qu’élu, de répondre à mon invitation à participer à la cérémonie d’ouverture de l’année scolaire au cours de laquelle, à ma demande, il devait prendre la parole. Il était visiblement heureux du choix de sa ville, car il soupçonnait, à raison, que mon passage allait offrir des perspectives heureuses au Département de Katiola. Quelques mois auparavant, en tournée dans ce Département, n’avais-je pas fait bénéficier au centre culturel de Katiola d’équipements informatiques et audiovisuels ainsi qu’une antenne parabolique ? J’avais envisagé déjà, à cette époque, de réorganiser le centre des métiers de la céramique en le dotant de techniques et moyens modernes pour qu’il soit non seulement performant mais aussi ses produits compétitifs sur le marché. Je rêvais de faire du métier de la céramique un métier noble et attrayant. J’avais également envisagé de créer une unité de formation professionnelle à Fronan. A Dabakala, dans le pays Djimini, j’avais posé la première pierre d’un grand centre de formation aux métiers du traitement et de transformation de l’anacarde, nouveau produit agricole prometteur dans toutes les régions du Nord. J’avais donc décidé d’organiser ma réunion de rentrée à Katiola pour renforcer et achever ce que j’avais déjà commencé dans cette région dans le cadre d’une politique de déconcentration de création des structures de formation adaptées aux métiers locaux. Je devais en outre, délivrer un message aux jeunes pour rallumer leur espoir en annonçant depuis Katiola que le Président Laurent Gbagbo avait décidé pour eux d’ouvrir de nombreuses perspectives pour leur insertion professionnelle, décision qu’il entendait proclamer lui-même, dès son retour de voyage dans un message solennel radiodiffusé.
 
Quand l’on parlait de mutinerie
Le mercredi 18 septembre 2002, je fus logé à la résidence du chef de l’Etat, à Katiola. Tard dans la nuit, je fus brutalement tiré de mon sommeil par le Préfet Sam Etiassé et mon Directeur de cabinet. Ils m’informèrent qu’Abidjan était devenue, depuis quelques heures le théâtre d’une attaque de gens identifiés comme des mutins de notre armée nationale. Un coup d’Etat en cours ? Personne n’en savait rien. Le Président Laurent Gbagbo était en visite officielle en Italie. Dans la journée du jeudi 19 septembre, les événements se bousculèrent. Des quatre coins du pays, je recevais des appels qui, pour m’informer de l’évolution de la situation, qui pour me tenir au courant de mouvements dans la région de Séguéla de ceux qu’on qualifiera les jours suivants de «rebelles». J’apprendrai successivement la mort violente du ministre de l’Intérieur Me Emile Boga Doudou et celle de l’ancien chef d’Etat, le général Robert Guéi. Ma première réaction fut de repartir à Abidjan. Mais par mesure de prudence et de sécurité, le général Ouassénan, en accord avec le Préfet Etiassé et certains de mes collaborateurs, non seulement m’en dissuada mais me recommanda de quitter la résidence du Chef de l’Etat pour aller résider chez lui : «Si comme on nous l’apprend depuis Abidjan, les mutins sont des ressortissants du Nord, si jamais ils viennent ici à Katiola, ils n’oseront pas franchir le portail de ma maison. Chez moi vous serez beaucoup plus en sécurité que dans cette résidence», m’a-t-il dit pour me rassurer.
Me voilà donc chez le général avec quelques-uns de mes collaborateurs. Pendant que le Préfet s’échinait à nous trouver des provisions pour notre alimentation, le général me fit visiter sa concession, notamment une chapelle qui surplombe un souterrain conduisant à un caveau qui pourrait nous abriter «si jamais ça chauffe».
Bédié et Ouassénan dans le coup ?
Dans le courant de la journée, les oreilles tendues vers Abidjan, je devisais seul avec le général Ouassénan dans son salon. Montra-t-il des signes qui trahirent son accointance très tôt avec la rébellion ? Je ne puis répondre avec certitude. Cependant, quelques faits et gestes qu’il posa me rassurèrent et m’intriguèrent à la fois quant à sa loyauté vis-à-vis de la République et des Institutions républicaines. Il se montra le temps de mon séjour chez lui à la fois très républicain et mystérieux pour ne pas dire suspect. Tenez ! Lorsque nous apprîmes que le président Henri Konan Bédié s’était enfui de chez lui pour se mettre en sécurité quelque part, il réagit avec un ton empreint de sarcasme et de mépris par ces mots révélateurs de ses sentiments inamicaux et déloyaux vis-à-vis de celui qui était le président de son Parti, le PDCI-RDA : «Dire que des gens peureux comme ça, veulent nous gouverner !» . Il ne s’inquiéta pas outre-mesure de ce qui pourrait advenir de M. Bédié. Puis s’adressant à moi, lorsque nous évoquâmes «ses barbaries» contre les étudiants du temps où il était ministre de la sécurité, il me dit, souriant : «Ce sont «ces barbaries » qui vous ont formés et vous ont forgés à résister à toute épreuve aujourd’hui. Vous du FPI vous aimez affronter l’adversité». L’instant d’après, l’on m’informa qu’Abidjan avait été nettoyé et que les mutins s’étaient repliés sur Bouaké. Par la suite, lorsqu’on m’informa que le général Palenfo était introuvable, peut-être tué lui aussi dans la mêlée, le général Ouassénan, à qui je fis part de cette information, devint tout à coup blême. Il arrêta tout brutalement, ne tenant plus en un seul lieu, il passa plusieurs coups de fil. Des heures durant. Jusqu’à ce qu’il localisât «son frère» en Chine où ce dernier était en mission. Je le sentis alors soulagé. Heureux. Alors je m’interrogeai. Pourquoi Ouassénan n’eût-il pas la même attitude quand il s’était agi de Bédié ? Pourquoi ne passa-t-il pas un seul coup de fil pour savoir où était caché le chef de son Parti ? Pourquoi ?
Dans la soirée, le général me quitta pour dit-il se concerter avec les populations. Je ne le vis pas revenir. J’ai dû me retrancher dans ma chambre. La nuit, il y eut des bruits suspects avec des coups de feu autour de mon lieu de résidence. Et c’est le Préfet Etiassé qui, le matin, m’informa que quelques «rebelles» venus dans la ville ou y résidant, ayant appris qu’un «ministre de Gbagbo logeait chez le doyen Ouassénan ont voulu faire un forcing pour aller le déloger». Mais ils se ravisèrent. Toucher Ouassénan était pour eux un sacrilège m’a-t-on expliqué. Les «rebelles» firent du bruit mais sans jamais oser franchir le rubicond. Etait-ce cela qui expliquait la longue absence nocturne de notre logeur ? On peut l’imaginer. Mais la crainte de mes collaborateurs effrayés depuis la nuit par les coups de feu, augmenta lorsque le général quitta à nouveau sa résidence très tôt le matin du vendredi 20 septembre et lorsque nous apprîmes que le ministre François Amichia avait été fait prisonnier à Bouaké par les insurgés. Mes compagnons me demandèrent alors de quitter le domicile du général. Mais où aller protéger nos vies ? J’en parlai alors au Préfet qui partagea l’idée et alla donc en ville nous obtenir des lieux de refuge de fortune. Dans la mi-journée, le général Ouassénan revint chez lui pour déjeuner. Avec moi. Il ne me dit rien de ses sorties. Mais au cours du repas, il posera un acte fort appréciable qui atténua mes soupçons de sa collusion avec les «rebelles». En effet, de l’aéroport international de Yamoussoukro, un agent qui travaillait sur le site m’informa par cellulaire qu’un cargo militaire identifié comme d’origine angolaise cherchait à atterrir. Il me demanda donc l’attitude à tenir. Je n’étais pas ministre de la Défense. Tous les membres du gouvernement en raison de la crise étaient injoignables. J’informai aussitôt Bertin Kadet, alors ministre délégué à la Défense. Celui-ci qui assurait n’avoir pris aucun contact avec le gouvernement angolais, saisit expressément notre ambassadeur à Luanda qui lui répondit qu’aucune démarche n’avait été engagée dans le sens d’obtenir un soutien militaire de l’Angola. Dès que je reçus ces informations, je décidai d’autorité d’empêcher l’atterrissage de ce cargo visiblement ennemi. Le général Ouassénan qui avait suivi tout ce scénario, me donna alors les contacts de son fils militaire à Zambakro qui aussitôt joint, en bon soldat, se précipita avec certains de ses éléments sur les lieux avec pour ordre de détourner ce cargo sur Abidjan ou de l’abattre en cas de refus. 45 minutes plus tard le fils de Ouassénan était au rapport. Le cargo, ayant refusé d’aller à Abidjan avait pris la direction du Nord. Je remerciai vivement le jeune militaire. J’apprendrai plus tard que ce cargo avait été envoyé par des amis angolais à M. Bédié avec des mercenaires à son bord pour tenter un coup de force dans la confusion générale du pays pour réinstaller le président du PDCI au pouvoir. Il devait prendre pied à Yamoussoukro entre la rébellion à Bouaké et les forces loyalistes au sud. Aussi, lorsqu’on le présenta comme un des soutiens financiers du MPIGO – information jamais démentie – cela ne me surprit pas.
Une opération militaire éventée
Après son déjeuner, le général Ouassénan repartit de chez lui. D’Abidjan, sous la poussée des forces loyalistes, les «rebelles» pourchassés remontaient vers le centre et le nord du pays. Il me vint alors à l’esprit de leur couper toute retraite en installant une unité de nos forces à Katiola. Par hélicoptère. Je repris langue avec le ministre Bertin Kadet qui accepta ma proposition. Mais avant, il me fallait vérifier l’état de la piste d’atterrissage de l’aérodrome de Katiola. Elle était satisfaisante lorsque je visitai cette piste en compagnie du Préfet Etiassé. Mais vers 16 heures, alors que le ministre Kadet avait déjà lancé l’opération, Sam Etiassé vint m’informer que des individus avaient rendu l’aérodrome impraticable juste après notre départ de ce lieu. Partout, des bottes de terre, des fagots de bois, des troncs d’arbres, etc. L’opération fut donc arrêtée et annulée, craignant même une embuscade dans les fourrés aux alentours de la piste. Je compris alors que la ville était déjà infestée de «rebelles» et que, peut-être, toute la population était devenue «rebelle». Le général Ouassénan Koné y contribua-t-il ? Je ne peux le dire. Mais lorsque je quittai son domicile le jour suivant pour résider chez un fonctionnaire que le Préfet Sam Etiassé trouva pour moi, jamais je n’entendis dire que le général me rechercha. Je passai ainsi plusieurs jours caché dans la ville de Katiola suivant les événements à la télé. Katiola, les jours suivants, devint un des bastions de la rébellion.

Lazare Koffi Koffi

 
en maraude dans le web
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 

 Source : La Dépêche d'Abidjan 20 Septembre 2013