mardi 29 mai 2012

POLITOLOGIE DU COMBAT MEDIATIQUE FRANCO-AFRICAIN

En Algérie déjà, l'armée et la droite française ont expérimenté le fait que la victoire sanglante sur la résistance nationale n'empêche pas la défaite médiatique, puis politique – et le retrait sans gloire. L'intervention militaire française s'inscrit en effet, quoiqu'on dise, dans une histoire coloniale : 47 interventions armées depuis 1960 ! L'étonnant est plutôt que le renversement des régimes hostiles à la Françafrique se fasse sous couvert des « droits de l’homme » et de la démocratie, que les Nations Unies cautionnent le coup d'Etat et que son armée massacre des civils et bombardent, en avril 2011, les centres d'un pouvoir légitimé par son Conseil Constitutionnel.

Henri Emmanuelli disait, lors de répétition générale de 2004 – le général Henri Poncet, n'a-t-il pas, alors, manqué son coup d'Etat ? – que « l’histoire jugera qui s'est rangé du côté des massacreurs » ou de l'autre ! A mon sens, l'histoire a déjà jugé, et pour 2004, et pour 2011 !

Mais cette réflexion, nécessaire, notamment dans la perspective de l'alternative créée, à Paris mais aussi à Abidjan, par l'arrivée possible de la gauche française au pouvoir, reste par trop franco-française. Car même en avril dernier, la presse française, majoritairement engagée du côté de la désinformation – et majoritairement acquise d’avance au coup d'Etat sarko-ouattariste, s'était aperçue que la perception du Tiers monde – et même du monde anglo-saxon, était radicalement différente.

Transmission mythique et panafricanisme

A une série noire de l’humiliation et de la destruction des régimes résistants, une transmission souterraine oppose, en effet, dans l'opinion panafricaine, la saga et le mythe de grandes figures, qui à travers l 'Histoire globale de la domination, incarnent les possibles d'un autre monde à venir. Une par génération ? Si je n’ai pas connu le calvaire de Lumumba, j’ai pu rencontrer – trop brièvement – Thomas Sankara, trois mois avant son assassinat. Comment ne pas voir que l'arrestation, la déportation, le procès du Président Laurent Gbagbo à la Haye est en train de se constituer en martyrologue et de le faire succéder symboliquement au dernier grand héros transnational, Nelson Mandela ?

De même faut-il conceptualiser encore les formes de ce « pouvoir blanc » (quelle que soit la couleur de celui qui l'exerce... et Franz Fanon reste ici – sur les « peaux noires et masques blancs » – à lire et à relire !) à la fois médiatique et humanitaire, judiciaire et armé qui a un moment donné se coalise contre « l’homme à abattre ». Si la « guerre idéologique » est selon Gramsci, le préalable à la victoire politique, c'est donc cette construction, après la résistance à la doxa, au consensus de médias aux ordres, que l'on peut proposer. N’est-ce pas, à l'heure où nous écrivons, ce qui résulte déjà de la reconnaissance du Fpi par l'Anc, Laurent Akoun représentant la nouvelle icône de la résistance anticoloniale, et dans le pays de Mandela, le combat des démocrates ivoiriens devant ses pairs de tout le continent ?

 
Un certain mimétisme avec les formes de mobilisation pour Mandela a déjà commencé : marches, pétitions, iconographie... L'éloignement avec toute collaboration avec la xénophobie de l’extrême droite, avec la démission mollétiste de la « gauche de gouvernement », et avec l'esprit de ressentiment primaire permettront seuls les alliances transnationales voire transcontinentales qui renouent avec la tradition anticoloniale de la gauche africaine et française.

La dimension panafricaine semble, en effet, fondamentale : si le combat judiciaire a besoin de spécialistes des arènes judiciaires, une défense de rupture, plus politique, est peut-être plus porteuse à terme ; fragile et contestée, la Cpi est d’autant plus sensible à la bataille de l'opinion qu'elle est justement accusée de participer à cette séculaire « guerre à l' Afrique » et à elle seule. Libérer Laurent Gbagbo serait pour elle, une occasion inespérée de se refaire une virginité tiers-mondiste, dont elle a bien besoin ! A ce stade du combat politico-médiatique, panafricanisme et conversion de la communauté afro-américaine sont des axes encore peu explorés. Pendant ce temps, la discussion continue, à Paris, avec la gauche modérée (principalement le Ps) pour rompre avec le consensus de politique étrangère où l’a piégé le sarkozysme botté et casqué.

De la déshumanisation violente à la rédemption politique

La lutte dans le champ médiatique a commencé, au fond, depuis 2000. Journaux, blogs, quelques ouvrages commencent à peine à rompre le consensus officiel ; médias et humanitaires sont en fait divisés, et nombre de journaux parisiens d'influence sont tenus par de pseudo-« spécialistes » qui se sont déshonorés en avril dernier, écrivant dans la duplicité vénale et la mauvaise foi : que l'on pense aux articles ouattaristes de Libération ou de l'Express, diffamatoires par ailleurs, envers les intellectuels ou journalistes critiques !

On assiste par contre, depuis la déportation de Laurent Gbagbo à la Haye, à une étonnante inversion iconique. Selon le politologue Bertrand Badie, l’humiliation et la diabolisation des adversaires de l'Empire sont les conditions nécessaires à la violence armée et à leur chute. Au texte et à l'information réfléchie s'oppose l'image traumatisante, volontairement diffusée en boucle.

Le 11 avril, Forces spéciales françaises et caméras de combat sont intimement liées, révélant la spectacularisation des relations internationales au grand jour ; au-delà déportation et exil intérieur des résistants, manipulations des opinions publiques fonctionnent bien avec le montage des « rébellions » et la subversion des institutions internationales: les parallèles historiques de l'ère coloniale et des « coups tordus » de la Françafrique permettent d'y repérer la marque des « services » d'agit-prop – comme ils disent – et même de distinguer les processus et lieux de prise de décision.

Mais ce processus de déshumanisation peut s'inverser, et une image chasse l'autre ; la présence récente de Laurent Gbagbo au tribunal de la Haye juge les faiseurs, les psychopathes occidentaux, les truqueurs des médias, bien plus que lui-même. Les images honteuses du Golf hôtel (l’hôtel Rwanda ou « hôtel des massacres » est bien le lieu fondateur, symbolique du sarko-ouattarisme) s'effacent devant le calme discours de celui qui est au moins pour la moitié du pays, le président légitime du pays – et pour nombre de démocrates internationaux, une victime politique – en attendant le procès, qui sera certainement pour lui, une formidable tribune internationale. Dans une dialectique très hégélienne, en demandant la libération immédiate du prisonnier politique le plus célèbre de la planète, Laurent Gbagbo, c'est notre rapport à la construction impériale et à l'arbitraire colonial que nous remettons en question. Pour eux comme pour nous, c'est du même coup de notre libération, comme Sujets non aliénés, dont il s'agit aussi.


Michel Galy, politologue français
(Source : Notre Voie 17 janvier 2012)

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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
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lundi 28 mai 2012

A propos de « Monnè, outrages et défis »(1)

En marge de l’hommage national rendu à Ahmadou Kourouma par « les intellectuels ivoiriens » lors des « Rencontres littéraires et universitaires » des 24 et 25 mai 2012, voici, à l’intention de nos lecteurs, les impressions et les sentiments que m’inspira, voici 22 ans, ma première lecture de son chef-d’œuvre, « Monné, outrages et défis », tels qu’à l’époque je les confiai à « Téré », l’éphémère organe du Pit, sous le pseudonyme d’Oscar Danon.

Le cercle victor biaka boda


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Un écrivain heureux, c’est Ahmadou Kourouma, l’auteur étonnant des Soleils des indépendances ou, si vous le préférez ainsi, l’auteur des étonnants Soleils des indépendances… Depuis vingt ans, il se taisait. Ses admirateurs et, pourquoi pas ?, ceux aussi qui lui en voulaient d’avoir écrit ce livre, attendaient, haletants, chaque année nouvelle, qu’il en commette un autre aussi décapant, voire outrageant pour toutes les gloires usurpées d’ici et d’ailleurs. On était tout près de croire cette immense source inexplicablement tarie. Et voici qu’il nous jette Monnè, outrages et défis(2) un peu à la manière de cet avocat impertinent qui se fit remarquer, naguère, au beau milieu d’un conseil national d’un certain parti unique, par ses arguties sacrilèges !(3)

Mais le plus extraordinaire peut-être, c’est de le retrouver, lui, sans tout à fait retrouver son premier livre. C’est-à-dire que pour ce qui est du style ou du genre, Monnè, outrages et défis est un complet renouvellement ; mais un renouvellement par lequel Kourouma s’affirme derechef avec une extraordinaire fidélité à lui-même et à ses lecteurs. Tous ses lecteurs. En effet, avec ce deuxième livre, il n’aura pas déçu ceux qui avaient été enthousiasmés par les hardiesses rabelaisiennes de son écriture sans être véritablement capables d’en goûter la substantifique moelle. En même temps, il nous comble, nous autres lecteurs ivoiriens qui avons par force une très ancienne complicité naturelle (ou nationale) avec ce malicieux djoliba à l’envers.


Disant substantifique moelle, je n’ai pas en vue le contenu du livre. Je ne suis pas un si déhonté chauvin pour croire que seuls les lecteurs ivoiriens sont capables d’appréhender le côté « critique sociale » (ou le réalisme édifiant) de cette œuvre résolument ancrée au quai de la quarantaine de notre destin national. J’avance seulement l’idée, peut-être impertinente, qu’il se pourrait que l’intention de Kourouma fût, dès le début, d’introduire la structure de nos littératures orales, en particulier celle produite par les griots, dans la littérature écrite ivoirienne – qui ne peut encore être que de langue française –, afin que les plus humbles lecteurs de chez nous puissent aborder ses livres sans cette terreur paralysante qu’inspirent toujours les livres réputés sérieux. Sérieux parce qu’ils sont en faux cols ! D’ailleurs, souvenez-vous, c’est tout au début des Soleils des indépendances :

« Il y avait une semaine qu’avait fini dans la capitale Koné Ibrahima, de race malinké, ou disons-le en malinké : il n’avait pas soutenu un petit rhume »…

 Appelé un jour à s’expliquer sur son style par l’un de nos confrères de la presse gouvernementale et prétendument du PDCI-RDA, Kourouma a exécuté en quelques mots un vieux malentendu : ce style ne résulterait pas d’un choix délibéré. Il aurait aimé écrire en « français littéraire », mais il ne s’en serait pas trouvé capable. Alors il aurait fait ce qu’il a pu…

On peut le croire ou non. A ce propos, qu’on me permette de rappeler une anecdote qui se rapporte à la célèbre orange de L’amour, la poésie, poème de Paul Eluard. Au cours d’un débat trop sérieux pour son goût, trop parisien, à quelqu’un qui n’en finissait pas de s’émerveiller de cette audace de l’auteur de Pouvoir tout dire, le poète Eugène Guillevic, qui l’a bien connu, répondit avec impatience en rappelant une confidence qu’Eluard lui avait faite à ce sujet : la célèbre image « La terre est bleue comme une orange », il l’avait trouvée en regardant une orange pourrie qui était là ! Comme quoi, il ne faut pas chercher trop loin au-delà des choses simples.

Aussi bien, dans Monnè, outrages et défis, c’est le contenu qui importe certainement le plus à nous autres, quoique le style non plus ne nous est pas indifférent. On ne lit pas un livre seulement pour l’histoire que conte l’auteur, mais aussi pour l’invention qu’il met à le faire. Néanmoins, il y aurait comme une absurdité à ne louer ce livre-ci que pour cette part de l’insigne mérite de son auteur. D’autant plus qu’il y a ce renouvellement dont j’ai déjà parlé. Pour réussir cela, certes, il en a fallu, du travail ! Travail d’abord sur l’instrument lui-même, la langue. C’est donc que Kourouma a recherché ce renouvellement, cet enrichissement de sa manière, alors qu’il aurait pu se contenter de rassasier notre longue attente avec une œuvrette quelconque, même de médiocre venue, en renouvelant simplement en nous, sans effort, l’émotion que nous avait procurée son premier roman.

La lecture de Monnè, outrages et défis est passionnante d’un bout à l’autre. Bien sûr, tout n’y est pas égal. C’est normal ; on peut en dire autant de tous les livres. J’avoue que je n’ai pas senti le personnage de Moussokoro, presque omniprésente depuis le chapitre dix où elle naît, mais qui, ensuite, n’arrive pas à être autre chose qu’un rôle très secondaire dans cette histoire d’hommes, tant l’auteur, qui en pince manifestement pour elle, se retient de l’abandonner complètement à ses autres personnages. Jalousie ? C’est, en tout cas, au crédit de Kourouma, le signe d’une extrême et délicate attention envers l’autre moitié de l’homme. Il n’empêche que cette retenue prive le roman d’un ressort important. Quelle paire c’eût été si, face à la démesure de Djigui, celle de Moussokoro, en qui l’auteur laisse pourtant deviner une diablesse de tous les enfers, avait pu s’exprimer toute entière ! Mais peut-être qu’alors c’eût été une autre histoire.
Ce que j’ai le plus aimé, c’est le chapitre treize, le plus court de cette vaste chronique, mais aussi le plus dense, qui commence par une longue phrase toute remplie de mystère et qui vous tient en haleine alors que, après déjà deux cents pages, vous vous croyiez préparé à tout ; et qui vous introduit doucement et insensiblement dans l’évocation d’un drame national, en l’occurrence une sécheresse catastrophique, mais qui pourrait aussi bien être une crise économique, une crise sociale ou une crise politique, ou tout cela à la fois…, les conséquences en étant d’ailleurs les mêmes, ainsi que ce que l’on croit devoir faire pour en échapper :

« Chacun avait consulté ses sorciers et devins ; les interprétations avaient été les mêmes : il y avait eu une grave transgression. Tous ensemble, nous nous tournâmes vers lui.
« Mon pouvoir n’est pas usurpateur, illégitime ou coupable ; ce que nous vivons n’est qu’une sécheresse que j’arrêterai avec les généreux sacrifices », répondit Béma, le nouveau chef du pays de Soba » (page 203).

Ce chapitre est le plus réussi, à mon goût du moins, eu égard à l’intention que j’ai supposée à l’auteur et qui me semble chaque fois plus plausible quand je relis ce passage. Cela me rappelle les épisodes des contes de mon enfance, qui me glaçaient d’avance d’une émotion étrange lorsque, par une certaine gravité de ton qu’affectait soudain le conteur, je devinais qu’il s’en approchait. Dans ce morceau, qui a d’ailleurs parfaitement sa place dans cette vaste fresque débordant de pétulance, Kourouma fait brillamment la démonstration qu’il serait aussi à l’aise dans la nouvelle, ce genre qui relève de l’orfèvrerie ou de l’horlogerie de précision, que dans les épanchements foisonnants à la Rabelais.

Je ne dévoilerai pas l’histoire que nous conte ce livre. Ce serait gâcher le plaisir que le lecteur prendra en la découvrant lui-même. Mais, après le passage que j’en ai cité, et pour éviter tout malentendu, je dois dire, pour finir, que si Monnè, outrages et défis est, au sens propre, un livre d’histoire – un roman historique si vous voulez –, ce n’est pas une œuvre de circonstance.

Le fameux Alexandre Dumas père, une nature semblable à notre Kourouma à quelques menus détails près, prétendait qu’il est permis de violer l’histoire à condition de lui faire un enfant. Ahmadou Kourouma ne viole pas vraiment l’histoire, et il lui fait des enfants qui ressemblent drôlement à notre réalité quotidienne.

Oscar Danon (alias Marcel Amondji)


NOTES
  - Article paru dans Téré N° 9, mars 1991.
2 - Editions du Seuil, Paris, 1990.
3 - Allusion à Me Camille Assi Adam enjoignant Houphouët-Boigny, lors du Conseil national de novembre 1982, de démissionner et de se représenter à l’élection présidentielle avec un candidat vice-président, comme cela se fait aux Etats-Unis d’Amérique.

vendredi 18 mai 2012

Le bêtisier houphouétiste (suite)

Aujourd’hui, la parole est à Laurent Dona Fologo

C’est en lisant, dans Le Nouveau Réveil du 12 mai 2012, l’interview de Laurent Fologo, que l’idée de cette note m’est venue. C’est plus fort que moi, chaque fois que j’entends Fologo, j’ai l’impression d’être dans un film de politique fiction. L’enfant de Sinématiali sait-il seulement à quel point il est à l’image de cette Côte d’Ivoire dont le regretté Diégou Bailly a dit un jour qu’elle était le royaume des faux-semblants. Cette Côte d’Ivoire de rêve que le monde entier célébrait naguère, tandis que nous-mêmes, ses fils et ses citoyens naturels, avions toutes les peines à nous y reconnaître. 
 Dans ce « nous-mêmes » j’englobe évidemment Fologo ainsi que tous ceux qui, comme lui, se réclament de ce qu’ils appellent la philosophie politique d’Houphouët, mais qui seraient bien embarrassés s’ils devaient énumérer les points où ils sont absolument d’accord avec elle. Dans cette interview par exemple, Fologo apparaît tout à fait comme un houphouétiste de façade. L’orthodoxie houphouétiste dont il se targue n’est qu’une posture. Cet opportuniste passé maître dans l’art de faire son miel de toute fleur, n’utilise le nom d’Houphouët que comme un moyen de s’attirer honneurs et considération. Tel une paonne faisant la roue pour attirer son paon… 
 Fologo est sans doute sincère quand il exprime sa gratitude envers celui qui l’a fait. Mais, dès qu’il veut se faire passer pour un bon élève d’Houphouët, voire le meilleur de ses élèves, on a toutes les raisons de douter de sa sincérité. J’ai éprouvé la même chose quand j’ai lu le livre de Camille Alliali, autre « Disciple d’Houphouët »… Fologo a-t-il approuvé tout ce qu’il a vu son maître faire, ou tout ce que son maître lui a fait faire ? Par exemple, cette mission en Afrique du Sud… Je me rappelle une déclaration sèche sur RFI où, lors d’un passage à Paris vers la fin des années 1970, celui qui aujourd’hui se dit tellement fier et heureux d’avoir été en quelque sorte un héros du combat pour l’abolition de l’apartheid reconnaissait que son expédition n’avait servi à rien, ce qui est la stricte vérité. 
Le type de relation qu’Houphouët a maintenu entre la Côte d’Ivoire et son ancienne métropole durant tout son règne était-il compatible avec l’indépendance ? Fologo ne le pense pas aujourd’hui. Et hier non plus, sans aucun doute. Cela saute aux yeux quand on lit le passage où il justifie son ralliement à Gbagbo. Car, de deux choses l’une : ou l’indépendance, c’est-à-dire l’abolition complète du statut de colonie sanctionnée par un acte public, ou la dépendance maintenue et cultivée sous les dehors trompeurs d’une décolonisation de façade. Récemment le journaliste Didier Dépry, de Notre Voie, a révélé la confidence que, au lendemain du massacre de l’hôtel Ivoire qui l’avait révolté, un ancien chargé de mission à la présidence de la République du temps d’Houphouët lui a faite : 
 « Le véritable Président de la Côte d’Ivoire, de 1960 jusqu’à la mort d’Houphouët, se nommait Jacques Foccart. Houphouët n’était qu’un vice-président. C’est Foccart qui décidait de tout, en réalité, dans notre pays. Il pouvait dénommer un ministre ou refuser qu’un cadre ivoirien x ou y soit nommé ministre. C’était lui, le manitou en Côte d’Ivoire. Ses visites étaient régulières à Abidjan et bien souvent Georges Ouégnin (le directeur de protocole sous Houphouët) lui cédait son bureau pour recevoir les personnalités dont il voulait tirer les oreilles ».
 S’il est vrai que Fologo était si proche d’Houphouët, cette réalité n’a pas pu lui échapper. Peut-être qu’à force de se répandre en vantardises sur sa longue familiarité avec son grand homme, il finira un jour par nous livrer quelque grave secret de la même sorte. En attendant, savourons ces quelques perles rhétoriques qu’il a semées ici ou là dans la dernière période, comme autant d’offrandes à ses idoles successives.


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« Il [Houphouët] disait : "Laissez venir les étrangers, c’est Dieu qui nous les envoie". L’Occident devrait lui élever une citadelle (sic) pour avoir vu 50 ans à l’avance ce que serait le monde du 3e millénaire. (Fraternité Matin 4-5/12/1999)

 « Quand je vois les effets dévastateurs de la mondialisation sur nos pays, je pense au président Houphouët-Boigny et je me demande comment il aurait pu supporter pareille situation (…). Dieu a bien fait de rappeler le président Houphouët-Boigny à lui avant que n’arrive tout ce qui se passe aujourd’hui ou on vous dicte tout, on vous dirige de l’extérieur. Comment quelqu’un qui a combattu le colonialisme et libéré son pays aurait-il supporté cette autre colonisation qui ne dit pas son nom ? » (Fraternité Matin 4-5/12/1999)

« Ce qui nous arrive aujourd’hui, Houphouët-Boigny l’avait prédit. » (Fraternité Matin 4-5/12/1999)

« Oui, aujourd’hui comme hier, contre vents et marées, je réaffirme et assume le sens de mon modeste combat et de ma détermination : je suis pour le meilleur et pour la République. Mon choix est clair. J’ai soutenu, je soutiens, je soutiendrai toujours tout Président que, par la volonté de Dieu, le peuple ivoirien se donnera, quelles que soient son ethnie, sa région, ses croyances. » (Le Nouveau Réveil 07/09/2007)

« Dieu veut qu’il soit le chef, Dieu a fait que c’est cet homme qui était opposé à Houphouët-Boigny, je n’en reviens même pas. C’est vrai, je me dis aujourd’hui avec le recul du temps que ces deux partis se ressemblaient trop. Sinon, je ne vois pas le seul acte posé aujourd’hui par le président Gbagbo qui soit tellement différent de ce que faisait le Président Houphouët-Boigny. Sauf peut-être cet amour excessif de ce qu’on appelle la Françafrique. N’oubliez pas que lorsque le Rda est né à Bamako en 1946, c’étaient des révolutionnaires qui voulaient se débarrasser du joug colonial, de l’oppresseur colonial, libérer l’homme noir. Houphouët-Boigny le disait lui-même ; pour lui redonner sa dignité bafouée, il le disait. C’est après que tout a changé. Mais, il a commencé dans la révolution. C’est la même chose que Gbagbo fait aujourd’hui. Gbagbo veut la souveraineté comme moi qui vous parle, je veux la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Je veux qu’on nous respecte, voilà. » (Le Temps 14 août 2009)

« A chaque époque ses réalités et à chaque réalité son combat. A chaque époque ses hommes et ses femmes pour mener la lutte. Aujourd’hui, Laurent Gbagbo n’est plus le seul enfant du FPI. Il est désormais l’enfant de toute la Côte d’Ivoire. C’est pour cela que ceux qui m’ont déjà vu porter une autre casquette en d’autres temps, je leur demande de ne pas être surpris de me voir aujourd’hui au-devant du combat pour la démocratie, pour la liberté. C’est le Président Houphouët-Boigny qui disait, “Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas”. Et comme moi je pense que je ne suis pas imbécile, j’ai décidé de changer. » (Notre Voie 14/11/2009) 

 
 à suivre

mardi 15 mai 2012

MESSAGE DE FELICITATIONS DU PRESIDENT DU CNRD AU NOUVEAU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE

Abidjan le 14 mai 2012

Monsieur le Président de la République,
Le Congrès National de la Résistance pour la Démocratie de Côte d’Ivoire, CNRD, organisation de combat crée en mars 2006 avec le Président Laurent Gbagbo, se félicite de votre élection à la magistrature suprême de votre pays et vous présente ses vœux de plein succès dans l’accomplissement de la mission que le Peuple de France vous a confiée. 

Le président Bernard B. Dadié

Le CNRD souhaite, Monsieur le Président, que conformément à votre promesse électorale, la devise de votre grand pays, « Liberté, Egalité, Fraternité », demeure pour tous une réalité.

Que cette devise, dont votre projet s’est saisi, aide effectivement au-delà même de la France, dans un rapport de justice impartiale, à instaurer l’équilibre nécessaire dans notre monde actuel entre les libertés individuelles et collectives, entre les intérêts des uns et les besoins de la majorité, entre les faibles et les puissants.

Monsieur le Président de la République,

Le CNRD, mouvement d’opposition constructive mais vigilante, est fait de femmes et d’hommes soucieux de permettre à la Côte d’Ivoire et à l’Afrique la maîtrise de leur destin et cela en agissant de concert avec les peuples du monde épris de justice, d’égalité et de fraternité ; de défendre partout et toujours, la dignité de l’homme noir et de l’homme tout court.

Le CNRD reste conscient que tous les autres peuples d’Afrique, sortis il y a peu de la nuit coloniale et qui souffrent encore des séquelles du système, s’en sortiront, certes par leurs propres efforts, mais aussi par une action concertée et collective : une mondialisation de la fraternité et de la responsabilité.

Le peuple ivoirien qui se reconnaît à travers notre mouvement et qui vient de subir une guerre injuste, inutile et particulièrement cruelle, déplore que les analyses que font des Occidentaux des situations effectivement vécues par les peuples africains, continuent d’être toujours travesties.

A l’instar des hommes qui ont écrit le rapport DAMAS, célèbre pour son objectivité sur les évènements douloureux des années 1949 et 1950 en Côte d’Ivoire, le CNRD souhaite Monsieur le président, que votre attention soit portée, sans a priori, sur les dérives barbares basées sur des mensonges scientifiquement échafaudés de l’ogre capitaliste occidental en Côte d’Ivoire, sur les faits passés et présents, sur les analyses et opinions largement fabriquées et véhiculées souvent par une « communauté internationale » aussi insaisissable que vague dans sa définition.

Le CNRD espère que loin des idées reçues et des vérités biaisées, le président de la France des Lumières qui a inspiré la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, recueille le meilleur de son héritage et en fasse don aux peuples du monde, pour que, unis enfin, nous mettions en acte la grande chanson de l’Homme : aimons nous les uns les autres.

Veuillez recevoir, Excellence, Monsieur le président de la République, nos salutations distinguées.

Bernard Binlin DADIE
(Source : CIVOX. NET 15 Mai 2012)

dimanche 13 mai 2012

Militants du FPI en colère contre le président intérimaire de leur parti*

Monsieur Miaka Oureto, président par intérim du FPI affirme dans un entretien, publié dans le quotidien Notre Voie n°4124 du mercredi 2 mai 2012 : « Nous avons reconnu, en son temps, la victoire d’Alassane Ouattara ».

Patriotes prisonniers des FRCI

Des militants du FPI sont surpris par cette révélation pathétique de notre président par intérim, Miaka Oureto qui soutient aux yeux de l’opinion nationale et internationale que « Nous avons reconnu, en son temps, la victoire de Ouattara… Cette question est derrière nous maintenant… Il faut avancer, c’est aussi cela la matière politique… Nous pensons que c’est fini… Cela ne nous empêche pas de lutter pour la libération de Gbagbo ». Ces propos ont été tenus par le président Miaka Oureto.

Maintenant la question qui me vient à l’esprit est de savoir par quelle instance du FPI et à quel moment précis nous avons unanimement reconnu la victoire de Dramane Ouattara sur Gbagbo ?

Le camarade Miaka est libre de reconnaître la victoire de Dramane Ouattara en tant qu’individu sans forcément associer tous les militants du FPI dans ce soutien qu’il apporte à son ami président Ouattara. Miaka s’était fait inviter à l’insu du bureau national encore moins des militants du FPI à l’investiture de Dramane Ouattara à Yamoussoukro en présence du néocolonialiste Sarkozy. Le camarade Miaka est donc dans une démarche qu’il a toujours adoptée depuis l’arrivée de Ouattara au pouvoir. Mais ce qui agace la majorité des militants du FPI, c’est d’avoir à la tête du parti quelqu’un qui veut ruser avec tout le monde pour « légitimer » Ouattara et en retirer une reconnaissance personnelle dont la quête est devenue un objectif de vie. Où sont donc les valeurs fondatrices pour lesquelles les militants ont tant œuvré ?

Si Miaka affirme que le FPI a reconnu, en son temps la victoire de Ouattara, cela confirme que Gbagbo est effectivement responsable des 3000 personnes tuées au cours de la crise postélectorale. A partir de cette interview, les avocats de Dramane Ouattara et le RDR peuvent crier victoire. Pourquoi cette déclaration à quelques semaines du jugement de Gbagbo par la CPI ?

Monsieur Miaka nous dit : « Reconnaître la victoire de Ouattara ne nous empêche pas de lutter pour la libération de Gbagbo ». Comment peut-on reconnaître la victoire de Ouattara et lutter pour la libération de Gbagbo ?

Ouattara a été imposé aux Ivoiriens et à la sous-région ouest-africaine pour protéger les intérêts Français. Ouattara n’est pas seulement ami de Sarkozy mais de toute la France. Il est l’agent pourvoyeur de matières premières et de fonds vers la République française. Houphouët-Boigny a été l’ami de tous les chefs d’Etat français sous la Ve République y compris le socialiste Mitterrand. Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire, c’est le retour en force de la recolonisation de notre pays ; c’est pourquoi les vrais militants du FPI ne reconnaîtront jamais la victoire de Ouattara comme président élu démocratiquement. Ce n’est pas parce que Gbagbo et les autres camarades sont emprisonnés qu’il faut faire semblant de reconnaître la victoire de Ouattara sur Gbagbo. Monsieur Miaka doit comprendre que les libertés s’arrachent, elles ne se négocient pas. La libération de Gbagbo et de la Côte d’Ivoire dépendra de la détermination des Ivoiriens et des Africains eux-mêmes. Même notre camarade Hollande doit être bousculé comme nous l'avions fait pour Sarkozy. Un chef d’Etat français est un chef d'Etat français.

Le dialogue républicain est un instrument de diversion pour endormir la communauté internationale. Restons dignes et déterminés. C’est ça aussi la lutte permanente.

(*) – Le titre est de la rédaction.

Liadé Gnazegbo, socialiste et militant de longue date du FPI.
(Source : CIVOX. NET 11 Mai 2012)


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vendredi 11 mai 2012

LA MEMOIRE, L’HISTOIRE ET LE RESTE

Adresse à ceux qui croient que le 6 mai 2012 a sonné le glas de la Françafrique

« En Afrique, la mémoire et l’histoire sont importantes. La personnalité du président Houphouët-Boigny, le respect qu’il inspire ne sont pas des données négligeables. » (Le Monde 23 mars 1992)  Tel est l’argument avancé par Edwige Avice, alors ministre de la Coopération dans le gouvernement d’Edith Cresson, pour expliquer l’indifférence du donneur de leçon de La Baule devant les brutalités dont le régime ivoirien accablait ses opposants et ses contestataires depuis le commencement du processus de démocratisation, à l’aube de la décennie 1990. Outre ce qu’ils laissaient apparaître de préjugés gobiniens chez une femme d’Etat qui avait, même si ce n’était que par délégation, la haute main sur le destin de nombreux peuples du continent noir, ces propos avaient encore l’intérêt de confirmer une rumeur qui circulait dans les milieux ivoiriens de Paris : des émissaires du Parti ivoirien des travailleurs (Pit), l’un des deux partis de l’opposition parlementaire d’alors, venus à Paris pour rencontrer des dirigeants du parti socialiste – parti avec lequel ils croyaient partager quelques valeurs –, se seraient entendus conseiller avec hauteur d’adopter vis-à-vis d’Houphouët et de ses frasques, le même profil bas qu’ils arboraient eux-mêmes, au motif que ce n’était pas n’importe qui ! L’histoire ne disait pas si c’étaient les mêmes qui allèrent participer à une campagne promotionnelle de Laurent Gbagbo, juste avant l’inexplicable dérapage du 18 février 1992…

Avant d’en arriver au cas particulier de la Côte d’Ivoire, Edwige Avice avait eu à répondre à une question générale sur le thème de la « conditionnalité de l’aide [au développement] » prônée à La Baule par François Mitterrand, le « premier président socialiste de la Ve République » : « Le discours de La Baule n’oblige pas la France à avoir une attitude uniforme, systématique envers tous les pays, alors que nous ne ferions jamais cela avec les pays d’Europe ou d’Amérique latine. » Soit ! Mais dans combien de pays d’Europe ou d’Amérique latine la France disposait(dispose-t)-elle d’autant de moyens de pression, et même d’action souveraine directe, que dans ses anciennes colonies d’Afrique noire, et tout particulièrement en Côte d’Ivoire ? Parce que si on voulait juger la politique de la France, par exemple en Côte d’Ivoire, seulement d’après sa cohérence avec la grande leçon de La Baule, on se condamnerait à n’y rien comprendre. Et que dire de l’argument de « la personnalité du président Houphouët-Boigny et le respect qu’il inspire » ? On sait qu’en 1969, ses propres créatures firent mordre la poussière à un général de Gaulle dont elles s’étaient dégoûtées après seulement dix années d’adulation, mais qui n’avait rien perdu de son prestige international. S’il ne s’agissait que d’appliquer au cas de l’Afrique noire, et à la Côte d’Ivoire en particulier, le même « traitement que l’on applique au reste du monde », Edwige Avice aurait pu se contenter de dire ce que les Ivoiriens étaient depuis longtemps préparés à entendre, quelque chagrin qu’ils en aient. Par exemple, comme l’écrivit un certain Appia dans le N° 5 du périodique L’Eclosion à l’occasion d’une tournée de cette ministre française à Abidjan, que « La France a beaucoup investi dans ce pays dont elle retire énormément d’avantages de tous genres [et qu’]Elle ne bradera jamais ses intérêts sur des questions de principe ». Car nous n’ignorons pas que si les Français « respectaient » tellement Houphouët, c’était à cause du zèle avec lequel il servait les intérêts de leur pays en Afrique et en Côte d’Ivoire. Il suffit d’un simple coup d’œil pour s’apercevoir qu’il y a toujours eu dans notre malheureuse patrie beaucoup de choses autrement précieuses pour la France que le prestige d’Houphouët. Citons, en vrac, des facilités militaires tout à fait extraordinaires qui permettaient à la France de tenir l’ensemble de la sous-région sous son contrôle ; une ambassade fonctionnant comme un organe de souveraineté érigé en pays conquis ; une monnaie, le franc CFA, sur laquelle la nation et l’Etat ivoiriens n’avaient (n’ont toujours) aucun pouvoir de contrôle ; des dizaines de fonctionnaires français civils ou militaires logés au vu de tous dans les moindres rouages de la haute administration ivoirienne, sans compter ceux qui gagnent à ne pas être trop voyants ; près de 200.000 ressortissants et protégés français détenant la part la plus substantielle et la plus juteuse de la fortune bancaire, commerciale, industrielle et immobilière du pays, et jouissant de fait – et peut-être même de droit – d'un vrai statut d'extraterritorialité… Toutes choses qui pesaient certainement bien plus lourd dans la balance au moment d’arrêter une attitude vis-à-vis d’Houphouët ou de ses opposants que son « prestige ». La meilleure preuve en est qu’à l’heure où j’écris ces lignes, près de vingt ans après la mort d’Houphouët, l’intérêt de la France pour la Côte d’Ivoire n’a point faibli, au contraire ! Jamais la France ne s’est ingérée aussi ouvertement ni aussi massivement dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire que depuis qu’elle ne peut plus se couvrir du prétexte du respect dû à la personnalité d’Houphouët.

La vérité, c’est que « la mémoire et l’histoire » dont parlait Edwige Avice ne sont pas importantes qu’en Afrique, ni seulement de nos jours. L’attitude ordinaire de la plupart des politiciens français devant la crise du système politique ivoirien renvoie à toute une tradition impérialiste, depuis l’affaire de Saint-Domingue sous le consulat, le 1er Empire et la Restauration, jusqu’à celle de la Nouvelle Calédonie sous François Mitterrand, en passant par les guerres d’Indochine et d’Algérie, sans compter des événements de moindre durée sans être moins significatifs, comme l’affaire de Madagascar en 1947, la guerre contre le Rassemblement démocratique africain (Rda) en Côte d’Ivoire ou celle contre l’Union des populations du Cameroun (Upc).

« Les Français, lit-on dans le roman autobiographique au titre prémonitoire  de l’aventurier anglais Aloysius Smith, […] sont de pauvres colonisateurs, on le peut constater en visitant n’importe laquelle de leurs colonies. » (Trader Horn, « La Côte d’Ivoire aux temps héroïques », Stock 1932) En fait, comme colonisateurs, les Français ne sont pas pires que les autres, mais le malheur avec eux, c’est qu’ils ne savent pas s’arrêter… Depuis cinquante ans et plus qu’ils ont « décolonisé » leur ancien domaine tropical, ils continuent d’y faire la politique que Foccart y faisait par ses marionnettes interposées. En Côte d’Ivoire, son instrument s’appelait Houphouët-Boigny. Tant que les peuples supportèrent docilement cette politique et ses agents, tout alla bien. Mais du jour où ils se rebiffèrent, ce qui était jusqu’alors un prodigieux avantage devint un handicap et un fardeau de plus en plus lourd à porter. Etonnant paradoxe d’une politique qui n’eut jamais vraiment les moyens de son ambition – cela dit en sachant bien qu’elle ne se soucia jamais du bien-être ni de la dignité des indigènes de ses possessions africaines –, l’impuissance de la France à la fin des années 1980 devant la crise généralisée de ses anciennes colonies, résulte directement de la position dominante et exclusive qu’elle s’était acharnée à conserver dans les affaires  intérieures de ces pays après les prétendues indépendances. Et c’est particulièrement vrai de la Côte d’Ivoire où, du fait de la longévité d’Houphouët, la duperie s’était poursuivie trente années durant. D’où la gravité particulière de l’interminable crise ivoirienne.

Ces vérités devaient être rappelées à l’heure où certains de nos compatriotes semblent persuadés que le changement d’homme qui vient de se produire à la tête de l’Etat français annonce un renversement de l’attitude de la France vis-à-vis de la Côte d’Ivoire. Certes, le 6 mai, les Français nous ont débarrassés d’un homme contre lequel nous avions quelques griefs et dont eux-mêmes, pour des raisons bien différentes, avaient plein le dos… Mais Sarkozy n’est pas l’inventeur de la politique qu’il faisait chez nous ; il ne faisait qu’y continuer la politique de tous ses prédécesseurs… Je dis bien tous. Car il ne faut pas rêver : François Hollande, si cela ne devait dépendre que de lui – et même en dilatant ce « lui » jusqu’à y inclure tous ses amis « socialistes » – ne fera pas en Côte d’Ivoire une autre politique que celle que son prédécesseur y faisait. Il suffit de se rappeler ce qu’il disait sur RTL, à propos de la Côte d’Ivoire, le 22 décembre 2010 : 

« La Côte d’Ivoire vit une tragédie. Celle d’avoir organisé un processus électoral dont le dénouement lui est volé. C’est grave pour la démocratie en général ; c’est terrible pour l’un des plus éminents pays du continent africain. L’ONU avait donné des garanties sur le bon déroulement du scrutin. Elle paraît hélas incapable d’assurer, au-delà de la proclamation du vainqueur, son installation dans le fauteuil présidentiel.
La faute est d’abord celle de Laurent Gbagbo et de son système. Héritier d’un processus électoral contesté, il a, pendant 10 ans, dirigé son pays sans légitimité démocratique, autre que celle de sa première élection. Certes, il a affronté une rébellion dans le Nord. Certes, il a connu lui-même la violence. Certes, il fut un opposant courageux à Houphouët-Boigny, quand celui-ci présidait la Côte d’Ivoire sous un régime de parti unique.
Mais rien ne pouvait justifier qu’il puisse utiliser le thème de l’"ivoirité" pour écarter pendant des années son rival. Rien ne pouvait expliquer, sauf la peur d’être lui-même renversé, le recours à des milices ou à des commandos pour terroriser ses adversaires. Rien ne pouvait commander au nom de l’habileté, dont il était, paraît-il, passé maître, l’instrumentalisation des difficultés de son pays pour reporter une élection présidentielle tant de fois entrevue. Et je n'oublie pas les opérations qu'il a menées contre les troupes françaises qui étaient là au nom de l'ONU pour séparer les belligérants. Toutes ces raisons font que, comme Premier secrétaire du Parti socialiste en 2004, j’ai considéré que Laurent Gbagbo était devenu "infréquentable". Il est dommage que certains, y compris au PS, ne s’en soient pas rendu compte suffisamment tôt et aient continué à lui prodiguer encore récemment je ne sais quel signe de cordialité, pour ne pas dire de soutien. Du côté de l’Elysée, comme du gouvernement, il y a eu sûrement la tentation de négocier et de parvenir, par je ne sais quel compromis, à une forme de tolérance mutuelle. Et il faut bien le dire, le scrutin du mois de novembre dernier a pu donner des raisons d’espérer en une issue paisible. C’était mal comprendre que Gbagbo, comme hélas d’autres chefs d’Etat en Afrique, a instauré un système fait d’arrangements commerciaux, financiers, politiques, d’utilisation du clanisme, du communautarisme voire de la religion. »
 
Dans une autre interview qu’il donna à Jeune Afrique le 15 août 2011, le caractère schématique et réducteur de cette position est encore plus évident :  

« [Gbagbo] s'était mis en marge d'un processus démocratique qu'il avait pourtant accepté. Il a entravé la proclamation des résultats et empêché le président élu de s'installer au pouvoir: il s'était mis hors jeu. […] Dès octobre 2004, j'ai considéré que Laurent Gbagbo avait transgressé un certain nombre de principes, et le fait qu'il avait des engagements socialistes me heurtait encore davantage. J'ai donc considéré que la meilleure position pour le Parti socialiste était de prendre ses distances avec lui. La suite des événements m'a donné raison. »

Que nous disent ces phrases énoncées sur ce ton péremptoire, avec cette arrogance et ce sentiment d’omniscience typiques des politiciens français de droite ou de cette « gôche » se disant socialiste quand ils discourent des choses africaines ? Premièrement, que François Hollande, alors seulement candidat à la présidence de la République française, pensait et parlait comme Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin ou Jacques Chirac. Il y a des relents d’un fameux « discours de Dakar » dans cet empilement désinvolte de contrevérités… Deuxièmement, que l’actuel président de la République française ignorait (ou, si vous préférez, il feignait de les ignorer ; mais quant à moi, je suis sûr qu’il les ignore vraiment) les choses dont il parlait. Et c’est d’ailleurs notre principal problème avec ces gens : ceux qui ont la charge d’organiser les relations de la France avec nous sont peut-être ceux qui sont les moins faits pour comprendre ce que nous sommes vraiment et ce que nous voulons. Enfin, il y a aussi dans ces paroles un vrai déni de responsabilité. En effet, à entendre F. Hollande, la France n’aurait absolument aucune part dans le formidable amoncellement de causes en amont de cette crise, non plus que dans la multiplication, depuis son éclatement au grand jour, des obstacles à une solution nationale et sans interférences étrangères. Mais qui peut croire que la France ne s’est ingérée dans cette crise, au risque de s’y embourber, que pour des raisons humanitaires et seulement parce que l’Onu l’en a priée ? 


Avant d’aller plus avant, une précision : il va sans dire, n’est-ce pas ?, que ce n’est pas au président d’un pays étranger, même s’il s’agit de l’ancienne puissance colonisatrice, que nous attendons la solution de la crise ivoirienne. Mais il n’y aura pas de solution à cette crise tant que toute la lumière ne sera pas faite sur les agissements de la France en Côte d’Ivoire depuis 1959, l’année où Jacques Foccart en prit la direction effective sous le masque d’Houphouët, jusqu’à la journée tragique du 11 avril 2011… On dit : « crise ivoirienne » ; on devrait plutôt dire : « crise des relations franco-ivoiriennes ». Nous n’attendons pas la solution de notre problème de la France, mais nous devons exiger de la France qu’elle assume courageusement sa part de responsabilité dans les malheurs de notre patrie.

Cette précision faite, examinons plus en détail la position de F. Hollande vis-à-vis de la situation politique en Côte d’Ivoire telle qu’on peut la déduire de son interview sur Rtl que la presse collaboratrice s’est empressée de reproduire le lendemain de son élection.

La « tragédie de la Côte d’Ivoire », ce n’est pas d’avoir « organisé un processus électoral dont le dénouement lui a été volé », mais d’avoir été victime d’une tentative de coup d’Etat fomenté depuis le Burkina Faso et soutenu par …des forces obscures, sans que la France à laquelle elle était liée par des accords de défense très explicites ne vole à son secours. Et cette non intervention, qui rappelait celle de décembre 1999, laissait soupçonner que peut-être la France aussi trouvait son compte dans ces violences réitérées contre les autorités et les institutions légitimes de la Côte d’Ivoire. On ne peut pas parler des événements consécutifs à la proclamation frauduleuse de résultats supposés du scrutin du 28 novembre 2010 comme si depuis l’élection de Laurent Gbagbo en 2000 jusqu’à ce 3 décembre 2010, il ne s’était rien passé d’autre en Côte d’Ivoire. Or c’est exactement ce que fait ici F. Hollande. Et, je le répète, pour ma part, j’aime mieux que ce soit par ignorance plutôt que par calcul. Ce qu’on ignore, on peut toujours l’apprendre quelque jour, pourvu qu’on le veuille…

« Héritier, affirme F. Hollande, d’un processus électoral contesté, [Laurent Gbagbo aurait], pendant 10 ans, dirigé son pays sans légitimité démocratique, autre que celle de sa première élection. » Contesté par qui ? Contesté pour quel motif ? Je doute que F. Hollande le sache vraiment ou, même, qu’il se soucie vraiment de le savoir. A ce socialiste de tendance incolore, peu importe sans doute qu’en 2000, les Ivoiriens aient préféré Laurent Gbagbo au général putschiste Robert Guéi qui, pendant les dix mois qu’il est resté au pouvoir, avait amplement fait la preuve de son incapacité. Peu lui importe sans doute aussi que Gbagbo ait aussitôt appelé au gouvernement tous les partis, y compris le parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) de Bédié et le Rassemblement des républicains (Rdr) de Ouattara. Peu lui importe enfin que même après le 19 septembre, Gbagbo ait manifesté cette extraordinaire volonté d’apaisement en acceptant l’entrée de ministres issus de la rébellion dans son gouvernement, au risque de s’en trouver littéralement paralysé !
C’est une inqualifiable malhonnêteté d’attacher le nom de Gbagbo à l’"ivoirité" alors qu’il n’a absolument rien à voir avec l’invention de ce concept. Et surtout, ce n’est pas lui qui l’a utilisé « pendant des années pour écarter son rival ». Quand F. Hollande proférait cette contrevérité, la scène ivoirienne offrait en spectacle au monde une espèce de monstre politique à trois têtes associant Bédié, l’inventeur de l’"ivoirité", Ouattara qui a comparé le putsch de décembre 1999 – dont il se croyait le bénéficiaire désigné – à une « révolution des œillets » et Soro, le chef apparent des assassins du 19 septembre 2002. Mais F. Hollande, lui, n’y a vu que Laurent Gbagbo, « [sa] peur d’être lui-même renversé, [son] recours à des milices ou à des commandos pour terroriser ses adversaires », alors même qu’il serait bien en peine de prouver ces imputations diffamatoires.

Laurent Gbagbo aurait « mené des opérations contre l’armée française ». C’est sans doute une allusion aux 9 soldats français tués à Bouaké, d’après la version la plus avantageuse pour la France, suite à un raid de l’aviation ivoirienne. Neuf morts, ou même un seul, on aimerait mieux ne pas avoir eu à le déplorer. Mais, avant et depuis ce tragique accident, combien d’Ivoiriens désarmés ont été massacrés impunément par des militaires français ? Nous les avons vus à l’œuvre le 4 novembre 2004 devant l’hôtel Ivoire et sur le pont Charles de Gaulle ; puis encore dans tout Abidjan en mars-avril 2011. Pas F. Hollande ? Si, bien sûr. Et la morale qu’il en tirait était déjà tout à fait digne d’un bon président de la République française :  

« Ils ont une mission. S’ils sentent qu’ils sont agressés, ils ont la possibilité d’une légitime défense. Je pense aussi aux français qui sont là-bas, je ne parle pas simplement des militaires, je parle des civils, de ceux qui ont une activité commerciale, économique voire même familiale ; c’est ceux-là aussi qu’il faut protéger. Il faut toujours être sur ces affaires-là, comme sur les autres, sérieux et responsable. Il faut faire attention, il faut faire attention que la population française sur place ne soit pas utilisée, Gbagbo l’a déjà fait en 2004 précisément… » 

Ce n’est d’ailleurs pas un reproche. Simple constat.

Les temps, dit-on, ont changé. Les temps peut-être, mais quid des acteurs de la politique africaine de la France ? Du temps d’Edwige Avice, ils se défaussaient de leurs responsabilités sur de soi-disant chefs vénérables et intouchables dont ils avaient eux-mêmes construit et doré la légende. Aujourd’hui, ils s’inventent de prétendus monstres afin de justifier leurs exactions et pour se donner bonne conscience après coup. L’intention est la même, mais nous ne sommes plus dupes. Tel est le vrai signe de ces temps. Le vrai changement, c’est nous. Ne nous laissons pas distraire par le chant de toutes ces sirènes qui nous assiègent depuis le soir du 6 mai 2012.

Marcel Amondji